Art poétique, Verlaine : analyse

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paul verlaine art poétiqueVoici une lecture analytique du poème « Art poétique » de Paul Verlaine.

« Art poétique » de Verlaine : introduction

L’ « Art poétique », écrit par Verlaine en 1874 et publié en 1884, n’est selon son auteur « qu’une chanson à ne pas prendre au pied de la lettre ».

Ce poème fut pourtant considéré comme le manifeste du Symbolisme, mouvement de la seconde moitié du XIXème siècle dont certains reconnurent en Verlaine un maître.

Lire « Art poétique » de Verlaine (le texte)

Sous ses airs de traité poétique, ce poème qui présente les caractéristiques du manifeste (I) définit la conception poétique de Verlaine et la met en pratique (II).

Problématiques possibles à l’oral sur « Art poétique » :

♦ Quelle conception de la poésie nous présente ce poème ?
♦ Commentez l’argumentation de l’auteur.
♦ En quoi ce poème est-il représentatif de la poésie de Verlaine ?
♦ Peut-on vraiment considérer ce texte comme un traité poétique ?

I – Un texte qui présente les caractéristiques du manifeste

A – Un poème à la fois didactique…

Avec ce poème, Verlaine exprime clairement ses idées sur la création poétique : « Il faut » (v. 5), « nous voulons » (v. 13), « tu feras bien » (v. 22).

Le poète partage et transmet ce qu’il a appris au cours de son expérience poétique.

Le style didactique est marqué à travers l’emploi de l’impératif (« préfère », v. 2 ; « Fuis », v. 17 ; « Prends », « tords-lui », v. 21) et du subjonctif (« Il faut aussi que tu n’ailles point », v. 5 ; « Que ton vers soit la chose envolée », v. 30 ; « Que ton vers soit la bonne aventure », v. 33).

Situés en début de vers (à l’exception de « préfère » et « tords »), les verbes à l’impératif sont ainsi mis en valeur.

De plus, la redondance présente à la troisième strophe à travers l’anaphore rhétorique « C’est » (vers 9, 10 et 11) et à la quatrième strophe avec la répétition du terme « nuance » (vers 13, 14, 15) et la tautologie : « Le rêve au rêve » (v. 16), peut traduire l’insistance du maître pour que ses leçons soient assimilées par l’élève.

Par ailleurs, les adverbesPlus vague et plus soluble », v. 3 ; « aussi », v. 5 ; « Pas », v. 14) et les conjonctions (« Et », v. 2, 20, 36 ; « ou » v. 4, 26 ; « Car », v. 13) soulignent la précision et l’ordre du discours.

Mais si le poète nous montre ce que doit être l’art poétique, il nous apprend également ce qu’il ne doit pas être.

B – … Et polémique

A l’image du manifeste, ce poème se constitue comme un texte de rupture et de fondation.

Paul Verlaine propose une conception nouvelle de la poésie et rejette ainsi les formes poétiques précédentes telles que la poésie satirique et spirituelle des XVIIe et XVIIIe, la poésie romantique et surtout la poésie parnassienne du XIXe, représentée notamment par Théophile Gautier.

D’ailleurs, le titre « Art poétique » peut se présenter comme une réponse à « L’Art » de Théophile Gautier, texte dans lequel la poésie est ignorée, au profit des arts plastiques.

De la strophe 5 à la strophe 7, le poète pointe les défauts des styles poétiques auxquels il s’oppose. Il dénonce :

♦ La cruauté et la rationalité de la poésie satirique (« la Pointe assassine, l’Esprit cruel et le Rire impur », v. 17-18)

♦ Le lyrisme exacerbé et la spiritualité de la poésie romantique (« Prends l’éloquence et tords-lui son cou ! », v. 21)

♦ La souveraineté de la rime revendiquée par les poètes du Parnasse (« De rendre un peu la rime assagie. », « elle ira jusqu’où ? », « les torts de la Rime », v. 23 à 25).

Ces formes poétiques ont en commun l’artificialité et l’impureté, et ne valent rien aux yeux de Verlaine : « ce bijou d’un sou/Qui sonne creux et faux sous la lime ? » (v. 27-28).

Le caractère polémique du poème est marqué par certains traits classiques de la satire :

♦ Adjectifs hyperboliques et péjoratifs : « assassine », « cruel », « impur » (v. 17-18), « sourd », « fou » (v. 26), « creux et faux » (v. 28)

♦ Vocabulaire bas et trivial : « ail de basse cuisine », « tords-lui son cou » (v. 20-21), « sou », « lime » (v. 27-28)

A travers le style à la fois didactique et polémique de son texte, le poète semble vouloir convaincre son lecteur par tous les moyens.

C – Un texte argumentatif ?

Sous ses airs de manifeste, ce poème a toutes les caractéristiques d’un discours argumentatif, visant à convaincre et persuader le lecteur.

En effet, l’emploi de l’impératif ou de l’anaphore rhétorique (v. 9 à 11), qui ont un fort pouvoir expressif et persuasif, traduit l’intensité et la puissance des sentiments du poète, qu’il cherche à transmettre au lecteur.

D’autres figures renforcent l’exhortation de l’auteur et créent un effet d’emphase :

♦ La ponctuation, fortement marquée par les phrases exclamatives (vers 12, 14, 16, 20, 21, 29) et interrogatives (vers 24, 25 et 28)

♦ Les apostrophes : « O ! La nuance seule fiance » (v. 15), « O qui dira les torts de la Rime ? » (v. 25)

♦ L’emploi de majuscules : « l’Impair » (v. 2), « l’Indécis », « Précis » (v. 8), « la Nuance », « la Couleur » (v. 13-14), « la Pointe », « L’Esprit », « le Rire », « l’Azur » (v. 17, 18, 19), « la Rime » (vers 23 et 25)

Mais Verlaine ne s’en tient pas à la théorie et met en pratique ses conseils, faisant de ce poème un exercice de style, un modèle de l’art poétique idéal.

II – L’Art poétique de Verlaine : de la théorie à la pratique

A – La musique

Verlaine met d’emblée en avant la primauté de la musique : « De la musique avant toute chose » (v.1).

L’importance de la musique est reprise au vers 29, le parallélisme entre les deux vers créant une sorte de refrain : « De la musique encore et toujours ! ».

La musique est essentielle à l’art poétique de Verlaine, permettant au poète de transposer ses impressions et ses sentiments à travers le rythme et les sonorités.

Il privilégie la fluidité du vers impair et les effets plus suggestifs et impressionnistes de l’allitération ou de l’assonance.

Il évite ainsi au vers d’être trop lourd : « Plus vague et plus soluble dans l‘air, / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. » (v. 3-4).

La fluidité est ici traduite par une forte allitération en « ».

Le caractère aérien du vers impair est reproduit dans le poème à travers l’enjambement, qui donne l’impression de voler d’un vers à l’autre :

♦ « O ! La nuance seule fiance/ Le rêve au rêve et la flûte au cor ! » (v. 15-16);
♦  « Quel enfant sourd ou quel nègre fou/Nous a forgé ce bijou d’un sou/Qui sonne creux et faux sous la lime ? » (v. 26 à 28);
♦  « Que ton vers soit la chose envolée/Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée/Vers d’autres cieux à d’autres amours. » (v. 30 à 32);
♦  « Que ton vers soit la bonne aventure/Éparse au vent crispé du matin/Qui va fleurant la menthe et le thym… » (v. 33 à 35).
=> La dernière strophe suggère une comparaison entre le vers et une abeille butinant d’une fleur à l’autre.

L’élan du vers est également rendu par la souplesse du rythme, les nonasyllabes (vers de 9 pieds) étant pour la plupart scandés en 4/5, et d’autres en 3/6 (vers 30 et 33 par exemple).

Les jeux d’échos, créés par les allitérations et assonances qui se répercutent dans le vers, sont privilégiés par le poète et montrent sa distance vis-à-vis de la rime, simple et presque insignifiante (« chose »/ « pose », v. 1 et 4 ; « point »/ « joint », v. 5 et 8, « fou »/ « sou », v. 26-27).

Verlaine préfère utiliser la rime pour mettre en valeur certains mots, en faisant rimer par exemple « l’Azur » (v. 19), qui évoque l’idéal poétique, avec « impur » (v. 18), qui désigne une poésie que le poète rejette. Le jeu d’opposition entre les mots à la rime traduit l’opposition du poète à cette forme poétique.

Si la transposition musicale des sentiments et impressions est une des exigences de l’art poétique de Verlaine, le choix des mots en est une autre.

B – L’art de la méprise

La deuxième strophe expose l’idée d’une poésie de l’incertain et de l’imprécis, où la méprise entraîne une confusion du langage: « Rien de plus cher que la chanson grise/Où l’Indécis au Précis se joint. » (v. 7-8).

Le poète illustre ce principe à la strophe suivante (vers 9 à 12) par une série d’images où se mêlent d’un côté le précis (« beaux yeux », « grand jour », « midi », « ciel d’automne », « bleu », « claires étoiles ») et le flou (« voiles », « tremblant », « attiédi », « fouillis »).

Cette méprise s’opère principalement dans le choix des mots (« Choisir tes mots sans quelque méprise », v. 6), à travers l’alliance des contraires ou bien l’emploi de termes qui peuvent sembler impropres ou inappropriés, comme le verbe « fiance » appartenant plutôt au registre amoureux (« la nuance seule fiance/Le rêve au rêve et la flûte au cor ! », v. 15-16), ou l’épithète « crispé » qui semble qualifier le vent (« Éparse au vent crispé du matin », v. 34) mais serait plus propre à désigner le poète transi par le froid matinal.

L’hypallage (figure de style qui consiste à rattacher à certains mots des attributs qui concernent d’ordinaire d’autres mots) permet à Verlaine d’appuyer sa conception d’une poésie nouvelle, qui suggère la correspondance entre l’intériorité du poète et le monde extérieur (idée qu’on retrouve d’ailleurs chez les Symbolistes) : « Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée/Vers d’autres cieux à d’autres amours. » (v. 31-32).

C – La Nuance

Cette poésie impressionniste se veut enfin art de la nuance.

En écartant la couleur Pas la Couleur, rien que la nuance ! », v. 14), le poète privilégie la nuance, de façon impérative (« nous voulons », « encor », v. 13) et exclusive (« rien que la nuance », « la nuance seule », v. 14-15).

La nuance renvoie alors à « la chanson grise » évoquée au vers 7, soit une poésie en demi-teintes, un art de l’estompe qui suscite la confusion.

L’estompe est marquée dans la seconde strophe à travers un champ lexical du négatif : «que tu n’ailles point », « sans », « Rien » (v. 5 à 7).

La nuance se retrouve dans les propos mêmes du poète, qui atténue l’autorité de son discours par la tournure négative et impersonnelle de la phrase : « Il faut aussi que tu n’ailles point » (v. 5). En détournant son exigence, il évite la brutalité d’un ordre direct.

Plutôt que d’imposer les règles de son art poétique, Verlaine les suggère et cherche à transposer à travers ce poème sa vision de la poésie idéale.

« Art poétique » de Verlaine : conclusion

L’ « Art poétique » de Verlaine, malgré les apparences, n’a rien d’un traité poétique traditionnel.

Derrière un discours qui semble clair et précis, argumenté, le poète ne tient pas à imposer une conception universelle de la poésie mais plutôt à traduire son propre idéal poétique, soit une poésie pure axée sur les sensations, une transposition musicale des états de l’âme.

L’art poétique de Verlaine a eu beaucoup d’influence sur le mouvement symboliste.

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29 commentaires

  • Bonjour,

    J’aime beaucoup votre site, il me rend vraiment service !
    Pour ce poème, j’ai cependant du mal à saisir la différence entre la méprise et la nuance.
    Pourriez-vous me l’expliquer ?

    Bien respectueusement,

  • « Il faut aussi que tu n’ailles point / Chosir tes mots sans quelque méprise » (v.5-6)
    Vous avez mis ces vers dans la partie « nuance » mais qu’est-ce qui est réellement nuancé ?
    Pour moi cette injonction utilise une double négation ( n’ailles point + sans ) qui peuvent donc s’annuler ( il faut que tu ailles choisir tes mots avec quelque méprise ). Ce rajout « inutile » ,grammaticalement parlé, me fait plus penser que les vers devraient être placés dans la partie du flou / de l’imprécis ( II,2 ).
    En effet la double négation vient ajouter des mots dissimulants discrètement l’ordre. J’ai l’impression que le poète noie le poisson avec tous ces mots supplémentaires pour atténuer son ordre mais je ne vois pas en quoi il le nuance pour l’atténuer…
    Ces vers peuvent-ils être mis dans les deux sous-parties ou bien me suis-je trompé quelque part ou alors est-ce une erreur de votre part ?

    J’aimerais bien comprendre car le poème ne présente pas de nombreuses nuances pourtant selon le poète c’est indispensable (« rien que la nuance ! » v.14) et ma dernière sous-partie n’est donc pas très remplie.
    D’avance merci.

  • bonjour je suis en seconde et j’ai des questions sur ce poème de Verlaine:
    lisez le poème et répondez aux questions suivantes
    1- quel type de vers Verlaine privilégie-t-il ?
    2- comment explique-t-il ce choix ?
    3- quel type d’atmosphère souhaite-t-il créer ? par quel moyen ?
    4- pourquoi a-t-on parfois qualifié la poésie de Verlaine impressionniste ?
    5- comment considère-t-il la rime ?
    6- quelle est la mission du poète ?

    merci de m’aidez car je suis vraiment pas fort en français et la je comprend vraiment rien

  • Bonjour tout le monde. Je trouve que ce commentaire est vraiment bien fait, pourtant moi j’aurais fort besoin d’informations sur le deuxième art poétique de Verlaine: L’Art poétique ad hoc. Si quelqu’un connait des écrits, des commentaires critiques enfin n’importe quoi sur ce sujet je vous prie de me contacter. Je suis désespérée, tout ce que j’ai trouvé est bien peu.

    Merci beaucoup.
    Martina

    • Je me suis posé la même question. Je dirais ce qui n’est pas net. Le gris étant entre le blanc et le noir, c’est le domaine de l’indécis, de l’imprécis,de l’entre les deux.

  • Bonjour,

    Merci pour votre aide, votre commentaire est très constructif. Ma prof de français nous a demandé pour notre commentaire de trouver la position esthétique du poète. Faut-il expliquer en fait votre grand I, c’est-à-dire polémique, didactique et peut-être argumentatif ?

    Merci d’avance, Elisa

    • J’ai été rechercher registre polémique sur google et j’ai trouvé ça « registre polémique, effet recherché : Défendre ses idées. Opposer ce que l’énonciateur juge bon à ce qu’il juge mauvais, dénoncer un adversaire en cherchant à le discréditer », j’espère t’avoir aidé

  • merci beaucoup pour ce commentaire !
    Il aurait cependant été ingenieux de mettre en parallèle l’art poétique de Verlaine avec celui d’Aristote,de Boileau ou de Horace

  • Vraiment un grand bravo (et un grand merci) pour cette analyse ; ça sauve la peau d’élèves dont les enseignants ne sont pas fichus de faire un commentaire qui se tienne, et qui se limitent à répéter ad libitum que les vers ont neuf pieds et qu’il prône de joindre le précis à l’imprécis ! 🙂

  • Bonjour!! je voulais vous poser une question car je ne comprends pas bien comment on pourrait répondre à une des problématiques que vous proposez au début de l’analyse: « en quoi ce poème est-il représentatif de la poésie de Verlaine »?

  • Bonjour,
    Je trouve votre commentaire vraiment très intéressant et facile à comprendre. Je suis actuellement en première L et je travaille sur un corpus où est présent ce poème de Verlaine. Il y’a tout de même une question que j’aimerais vous poser étant donné que je ne trouve la réponse nulle part : Verlaine est il un poète engagé ?
    Merci beaucoup,
    Fanny

  • Je n’ai pas vraiment tout compris, étant donné que je viens de rentrer en 4ème…. Mais le peu de chose que je comprends est très bien formulé et clair.
    Charlène,
    en 4ème

    • Bonjour Albert,
      J’ai supprimé la fonctionnalité du copier-coller à la suite de trop nombreux abus (duplication des commentaires pour les revendre à des sites de fiches et copier-coller pour les devoirs à rendre). Je vais toutefois essayer d’inclure une fonctionnalité pour imprimer les articles plus facilement.

  • Merci bcp pour votre réponse si rapide… Mon oral est demain matin et si je tombe sur l’art poétique, je ne ferais pas la promotion de votre site bien qu’il y ait des choses très intéressantes.
    Néanmoins, vous devriez veiller aux questions des internautes. Elles ne demandent pas beaucoup de temps…
    C’est un conseil, après libre à vous de continuer.
    Songez-y comme même, cela peut être utile.
    vous devriez conjuguer le verbe « se dépêcher », vous qui êtes forte en français.
    Cordialement
    Elisabeth

  • Bonjour,
    Tout d’abord, votre commentaire est très intéressant!
    Toutefois, je m’interroge sur le remaniement du plan pour la question:  » quelle conception de la poésie nous propose ce poème? »
    Que proposez-vous?
    Merci d’avance!
    Elisabeth

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