Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, Lettre 2 : analyse

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Voici une analyse linéaire d’un extrait de la lettre II de Mémoires de deux jeunes mariées (1842) d’Honoré de Balzac.

La lettre II est écrite par Louise de Chaulieu à Renée de Maucombe.
L’extrait étudié va de «Voilà notre vie de famille.» à «Dis donc, Renée, est-ce qu’un homme pourra nous tromper ?…»

Mémoires de deux jeunes mariées, lettre 2, introduction

Honoré de Balzac publie les Mémoires de deux jeunes mariées en 1842, le seul roman épistolaire achevé de son œuvre.

Il met en scène deux jeunes filles fraichement sorties du couvent, Louise de Chaulieu et Renée de Maucombe.

Les Mémoires de deux jeunes mariées s’apparente donc à un roman initiatique. (Voir la fiche de lecture de Mémoires de deux jeunes mariées)

Cet extrait tiré de la lettre II dresse le portrait de Louise, qui vit désormais à Paris avec sa famille.

Elle ne connait pas encore les mœurs de la vie parisienne et s’apprête donc à commencer son initiation de jeune fille mondaine.

Suivant le procédé du «regard étranger», elle fait preuve dans cette lettre de lucidité en critiquant les mondains parisiens et leur égoïsme.

Extrait analysé

Voilà notre vie de famille. Nous nous rencontrons à déjeuner et à dîner ; mais je suis souvent seule avec ma mère à ce repas. Je devine que plus souvent encore je dînerai seule chez moi avec miss Griffith, comme faisait ma grand’mère. Ma mère dîne souvent en ville. Je ne m’étonne plus du peu de souci de ma famille pour moi. Ma chère, à Paris, il y a de l’héroïsme à aimer les gens qui sont auprès de nous, car nous ne sommes pas souvent avec nous-mêmes. Comme on oublie les absents dans cette ville ! Et cependant je n’ai pas encore mis le pied dehors, je ne connais rien ; j’attends que je sois déniaisée, que ma mise et mon air soient en harmonie avec ce monde dont le mouvement m’étonne, quoique je n’en entende le bruit que de loin. Je ne suis encore sortie que dans le jardin. Les Italiens commencent à chanter dans quelques jours. Ma mère y a une loge. Je suis comme folle du désir d’entendre la musique italienne et de voir un opéra français. Je commence à rompre les habitudes du couvent pour prendre celles de la vie du monde. Je t’écris le soir jusqu’au moment où je me couche, qui maintenant est reculé jusqu’à dix heures, l’heure à laquelle ma mère sort quand elle ne va pas à quelque théâtre. Il y a douze théâtres à Paris. Je suis d’une ignorance crasse, et je lis beaucoup, mais je lis indistinctement. Un livre me conduit à un autre. Je trouve les titres de plusieurs ouvrages sur la couverture de celui que j’ai ; mais personne ne peut me guider, en sorte que j’en rencontre de fort ennuyeux. Ce que j’ai lu de la littérature moderne roule sur l’amour, le sujet qui nous occupait tant, puisque toute notre destinée est faite par l’homme et pour l’homme ; mais combien ces auteurs sont au-dessous de deux petites filles nommées la biche blanche et la mignonne, Renée et Louise ! Ah ! chère ange, quels pauvres événements, quelle bizarrerie, et combien l’expression de ce sentiment est mesquine ! Deux livres cependant m’ont étrangement plu, l’un est Corinne et l’autre Adolphe. À propos de ceci, j’ai demandé à mon père si je pourrais voir madame de Staël. Ma mère, mon père et Alphonse se sont mis à rire. Alphonse a dit : — « D’où vient-elle donc ? » Mon père a répondu : — « Nous sommes bien niais, elle vient des Carmélites. » — « Ma fille, madame de Staël est morte, » m’a dit la duchesse avec douceur.
— « Comment une femme peut-elle être trompée ? » ai-je dit à miss Griffith en terminant Adolphe. — « Mais quand elle aime, » m’a dit miss Griffith. Dis donc, Renée, est-ce qu’un homme pourra nous tromper ?…

Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, lettre II

Problématique

Par quels moyens cette lettre dresse-t-elle le portrait d’une jeune fille à l’aube de son initiation mondaine et amoureuse ?

Annonce de plan linéaire

Nous pouvons distinguer trois mouvements dans cet extrait.

D’abord, Louise de Chaulieu confie à Renée de Maucombe la grande solitude à laquelle elle est confrontée depuis son arrivée à Paris (I).

Ensuite, elle partage ensuite ses réflexions sur la musique et la littérature (II).

Enfin, Louise explore le sujet de l’amour, qui passionne les deux jeunes filles depuis le couvent (III).

I – La solitude de Louise

De «Voilà notre vie de famille.» à «Je ne suis encore sortie que dans le jardin.»

Dès le début de notre extrait, de nombreux indices soulignent la solitude de Louise.

Grâce au présentatif «voilà», Louise détaille plusieurs informations qui laissent deviner que les membres de sa famille ne se préoccupent pas d’elle.

L’expression «vie de famille» associée au déterminant possessif «notre» semble empreinte d’ironie. En effet, tous vivent dans des appartements séparés et vaquent tous à leurs occupations.

Ce quotidien peut paraître surprenant pour le lecteur moderne, tout comme Louise, qui s’attendait à plus d’intérêt de la part de ses proches.

Le verbe «rencontrer» au présent d’habitude pour évoquer les réunions familiales soulève un paradoxe : il laisse entendre que les parents de l’énonciatrice sont presque inconnus : « Nous nous rencontrons à déjeuner et à dîner« .

Louise ne voit donc sa famille qu’au moment des repas. La conjonction de coordination «mais» introduit une restriction: de plus, ces moments de partage sont rares : « Mais je suis souvent seule avec ma mère à ce repas.« 

Pour évoquer sa solitude, l’énonciatrice passe du pronom «nous» au «je», et emploie l’adjectif attribut «seule». Ce changement montre que Louise et sa mère ne forment pas un duo mère-fille.

Louise est consciente du manque d’intérêt de sa famille.

Cette lucidité s’exprime à travers le verbe de perception «devine», qui régit le verbe «dînerai» au futur simple dans la proposition subordonnée : « Je devine que plus souvent encore je dînerai seule chez moi » . L’adjectif « seule » est répété, associé au locatif « chez moi », ce qui accentuent l’isolement et la solitude de la jeune femme.

En dépit d’une relation avec sa mère, Louise s’identifie à sa grand-mère avec qui elle s’entendait très bien par le biais d’une comparaison: «comme faisait ma grand-mère». Elle vit d’ailleurs dans les anciens appartements de cette femme et reprend ses habitudes.

Miss Griffith est la gouvernante anglaise de Louise. La gouvernante était une femme célibataire, qui vivait à temps plein dans une famille afin d’enseigner certaines matières aux enfants. Miss Griffith reste au service de Louise pour lui enseigner l’anglais et lui servir de chaperon, c’est-à-dire qu’elle l’accompagne et veille à ce que Louise respecte les convenances sociales de l’époque.

Louise justifie ce désintérêt familial par une phrase qui résonne comme une sentence : « Ma chère, à Paris, il y a de l’héroïsme à aimer les gens qui sont auprès de nous, car nous ne sommes pas souvent avec nous-mêmes.« 

L’apostrophe «ma chère» sert d’abord à raviver l’attention de la destinataire.

Dans sa syntaxe, la sentence repose sur un paradoxe, souligné par des antithèses «auprès de nous/ pas souvent avec nous-mêmes» et un parallélisme de construction.

Le terme «héroïsme» est hyperbolique: il souligne l’impossibilité pour le commun des mortels d’«aimer» ses proches, désignés par la périphrases «les gens qui sont auprès de nous».

La conjonction de coordination «car» introduit la cause de cette impossibilité, à l’aide d’un présent de vérité générale «nous ne sommes pas souvent avec nous-mêmes». Les mondains, toujours occupés, n’ont pas de temps pour une introspection.

Cette phrase fait songer aux aphorismes des moralistes du 17ème siècle, comme La Bruyère ou La Rochefoucauld.

Elle montre que Louise fait preuve de vivacité d’esprit et d’intelligence.

Ses propos montrent aussi qu’elle est capable d’analyser froidement, avec une pointe d’humour, une situation qui l’affecte. Dans cette sentence, elle fournit une excuse pour justifier l’absence de sa mère, tout en critiquant la société parisienne.

L’exclamative suivante renforce la critique de l’égoïsme des mondains parisiens : « Comme on oublie les absents dans cette ville ! » La périphrase «les absents» désigne les parisiens exilés en province, rapidement oubliés des citadins.

Louise émet ces remarques car elle n’est pas tout à fait mondaine elle-même, comme le suggère la synecdoque «je n’ai pas mis le pied dehors».

Louise se tient sur le seuil, entre deux mondes. Son ignorance du monde est soulignée par la négation «je ne connais rien».

Entrer dans le monde implique un temps de préparation, dont les deux étapes sont détaillées dans les deux subordonnées complétives conjonctives qui suivent le verbe attendre : « J’attends que…« 

Cela concerne d’abord l’esprit car Louise doit être «déniaisée», c’est-à-dire au courant des habitudes mondaines, mais aussi l’apparence extérieure : «ma mise et mon air».

Le monde parisien est caractérisé par la vivacité et la rapidité, bien éloigné du calme du couvent comme le souligne le terme « mouvement » .

Par un effet de syllepse, le terme «bruit», peut se lire au sens propre comme «sensation auditive» mais aussi dans son sens figuré de «rumeurs» : « quoique je n’entende le bruit que de loin.« 

Le premier mouvement se clôt par un trait d’humour: Louise ne perçoit l’agitation parisienne que depuis le jardin de l’hôtel particulier dans lequel elle vit, comme le souligne la négation restrictive : « Je ne suis encore sortie que dans le jardin« .

Le jardin revêt ici une dimension symbolique : c’est un entre-deux, un sas avant sa future entrée dans le monde.

II – Une initiation à la culture musicale et littéraire

De «Les Italiens commencent à chanter dans quelques jours.» à «mais personne ne peut me guider, en sorte que j’en rencontre de fort ennuyeux.»

Louise rebondit habilement sur le «bruit» du monde parisien évoqué. Le «bruit» qui l’attire, elle, dans le monde parisien, c’est la musique, comme le suggère l’hyperbole «je suis folle du désir d’entendre la musique italienne».

La périphrase «les Italiens» désigne l’actuel Opéra-Comique, où se tenaient des opéras et des pièces joués notamment par la troupe des comédiens italiens. Le lexique de la passion (« folle de désir« ) suggère déjà le tempérament passionné de Louise.

Aux premiers opéras italiens, vont correspondre les débuts de Louise dans le monde comme l’indique la répétition du verbe «commence» : « Les Italiens commencent… » / « Je commence…« .

Cette rapprochement préfigure la destinée de Louise, qui, comme l’Opéra, sera placée sous le signe du mouvement, de la passion et de la poésie.

Le lecteur assiste, au fur et à mesure de la lecture de la lettre, au «déniaisement» de Louise, qui se prépare au rite de passage de son entrée dans le monde parisien.

Le parallélisme de construction de la phrase et l’antithèse entre «les habitudes du couvent» et «celles de la vie du monde» indique que Louise se trouve dans un entre-deux.

La jeune fille s’adapte progressivement à son futur rythme de vie. Elle acquiert plus d’autonomieet peut désormais choisir l’heure de son coucher.

Elle compare son mode de vie à celui de sa mère, présentée comme un modèle mondain. Les habitudes de cette femme laissent imaginer au lecteur la future vie parisienne de Louise : « à l’heure où ma mère sort quand elle ne va pas à quelques théâtre.« 

Louise ne connaît encore rien au théâtre et commence tout juste son éducation littéraire comme le montre l’affirmation: « je suis d’une ignorance crasse ».

L’attribut du sujet insiste sur le manque de culture de Louise. Elle est véritablement définie, au début du roman, par son ignorance comme le montre l’emploi du verbe être (« je suis » ).

Pour pallier cette ignorance, elle se plonge dans la lecture. Deux adverbes, «beaucoup» et «indistinctement», présentent ses lectures comme une errance.

Louise regrette la présence d’un mentor, à travers la conjonction de coordination «mais» et la négation «mais personne ne peut». Que ce soit pour la préparer à son entrée dans le monde, ou lui conseiller des lectures, Louise est résolument seule.

Le deuxième mouvement de l’extrait se clôt avec l’adjectif «ennuyeux», qui semble indiquer que Louise a hâte de quitter ses appartements et de découvrir le monde.

III – Une digression sur l’amour

De «Ce que j’ai lu de la littérature moderne roule sur l’amour» à «Dis donc, Renée, est-ce qu’un homme pourra nous tromper ?… »

Le troisième mouvement s’apparente à une digression autour d’un thème qui structure le roman: l’amour.

L’amour fait l’objet de discussions passionnées entre les deux amies depuis qu’elles se sont rencontrées au couvent.

Les jeunes filles de bonne famille ont, au 19e siècle, deux perspectives: devenir religieuse dans un couvent, ou se marier.

Louise tente de se déniaiser en lisant des romans qu’elle décrit à l’aide de la périphrase «littérature moderne».

Sortie du couvent, elle a désormais accès à une littérature qui «roule sur l’amour». Ce sujet est la seule continuité entre sa vie au couvent et sa nouvelle vie. Elle le désigne à l’aide d’une subordonnée relative«qui nous occupait tant», le pronom «nous» désignant Louise et Renée.

La jeune fille justifie cette obsession pour l’amour dans une subordonnées circonstancielle causale: «puisque toute notre destinée est faite par l’homme et pour l’homme».

D’emblée, dès les premières lettres du roman, le destin de Louise apparaît soumis à celui d’un homme, comme ce sera le cas dans la suite de l’intrigue. Les prépositions paronymiques «par» et «pour» renforcent le parallélisme syntaxique.

Le statut de la femme est défini comme une dépendance, à la fois sociétale (pour l’homme) et amoureuse (par l’homme). Cette phrase, presque proverbiale, souligne les inégalités entre hommes et femmes.

L’amitié de Louise et Renée transparaît dans les périphrases «deux petites filles nommées la biche blanche et la mignonne».

Ces surnoms les définissent comme l’innocence même. Au couvent, les deux héroïnes ont partagé une vision idéalisée et passionnelle des relations amoureuses.

Dans une phrase exclamative qui trahit son exaltation, Louise place les auteurs modernes de littérature «au-dessous» de leurs conversations passionnées de jeunes filles. Les romans lus sont donc bien décevants par rapport à leur imagination et leurs attentes.

La seconde phrase exclamative annonce les désillusions futures auxquelles sera confrontée Louise : « Ah ! Chère ange, quels pauvres événements, quelle bizarrerie, et combien l’expression de ce sentiment est mesquine ! »

L’énumération ternaire structurée par le pronom interrogatif «quel» et l’adverbe «combien» donne à lire une vision déceptive de l’amour.

Deux livres «modernes» trouvent grâce aux yeux de Louise. Il s’agit de Corinne ou l’Italie, écrit par Madame de Staël en 1807, qui relate l’histoire d’amour passionnelle et tragique entre une poétesse italienne et un noble anglais. Adolphe est un roman de Benjamin Constant, paru en 1816 qui retrace également l’histoire d’une passion malheureuse. Ces deux ouvrages préfigurent la destinée tragique de Louise.

Madame de Staël a été la maitresse de Benjamin Constant. En citant ces deux œuvres, Balzac entremêle la réalité et la fiction et ancre ce roman épistolaire dans son siècle.

Louise relate ensuite une anecdote qui ramène de la légèreté et de l’humour dans sa lettre.

Dans sa naïveté, Louise interroge son père sur Madame de Staël, alors qu’elle est morte en 1817. L’ignorance de Louise suscite la moquerie de son père et son frère, tandis que sa mère réagit avec «douceur». Louise, tout droit sortie des «carmélites», c’est-à-dire du couvent, ignore les nouvelles du monde.

Deux questions adressées successivement à Madame Griffith puis à Renée, traduisent les inquiétudes de Louise sur l’amour d’un homme.

En effet, la littérature montre à Louise que l’amour idéal peut se révéler malheureux. Ainsi, le lexique de l’amour et de la tromperie est-il rapproché : » — « Comment une femme peut-elle être trompée ? » ai-je dit à miss Griffith en terminant Adolphe. — « Mais quand elle aime, »

La dernière question «Dis donc, Renée, est-ce qu’un homme pourra nous tromper?» suivie d’une aposiopèse (=interruption brusque du discours), semble étonnement prémonitoire de la suite de l’intrigue.

Mémoires de deux jeunes mariées, lettre 2, conclusion

Comme nous l’avons montré, Louise se trouve à l’aube de son initiation.

Si elle ignore encore tout de ce nouvel univers qu’elle s’apprête à conquérir, son intelligence et sa vivacité transparaissent déjà dans cette lettre 2.

De plus, cette lettre située à l’orée du roman, trahit déjà l’obsession de Louise: vivre une folle passion amoureuse.

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Amélie Vioux

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