Madame Bovary, Flaubert, la mort d’Emma : commentaire

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la mort de madame bovary

Albert Fourié, « La mort de Madame Bovary », 1883

Voici un commentaire du passage relatant la mort d’Emma Bovary, extrait du chapitre 8 de la troisième partie de Madame Bovary de Flaubert.

Le passage analysé va de « Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement… » jusqu’à « Elle n’existait plus » .

La mort d’Emma Bovary, introduction :

Madame Bovary de Gustave Flaubert est un roman qui fait scandale dès sa publication en 1857.

Flaubert y raconte le parcours d’Emma Bovary, une jeune femme rêveuse et idéaliste qui, déçue par son mariage avec un officier de santé médiocre, commet l’adultère à deux reprises, s’endette, et désespérée, finit par se donner la mort.

Questions possibles à l’oral autour de la scène de la mort d’Emma :

♦ Quelles sont les caractéristiques de la mort d’Emma Bovary ?
♦ Quelle vision de la mort nous est offerte par Flaubert?
♦ Dans quelle mesure cette scène est-elle réaliste?
♦ De quelle manière se manifeste l‘ironie de Flaubert dans ce passage ?

Annonce de plan :

On peut imaginer à quel point le passage relatant la mort de l’héroïne d’une œuvre est un passage clé dans un roman. Or, si en littérature les scènes d’agonie sont traditionnellement pathétique et tragique, Flaubert se distingue ici en peignant un tableau réaliste de la mort d’Emma (I) et en tournant le tragique de la scène en dérision (II).

I – La mort d’Emma : un tableau réaliste

A – Une scène de genre : la veillée funèbre

Ce passage apparaît comme une scène de genre représentant une veillée funèbre.

Le thème de la veillée funèbre est marqué tout d’abord par la présence du double champ lexical :

♦ De la mort : « morte », « disparaître », « cadavre », « la faux », « ténèbres éternelles », « n’existait plus »
♦ De la religion : « crucifix », « prières », « longue soutane noire », « l’ecclésiastique », « oraisons »

Ensuite, cette scène présente un aspect pictural important.

Les personnages sont réunis autour d’Emma, présentée comme « déjà morte ».

Chaque personnage est figé dans une attitude précise, ce qui est marqué notamment par l’emploi de l’imparfait qui souligne la durée : « Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement la Place. Bournisien s’était remis en prières […]. Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers elle ».

Cette énumération de postures ainsi que l’emploi de l’imparfait donnent l’impression que le temps se dilate et que la scène est décrite au ralenti.  Cette impression renforce l’aspect pictural de la scène.

Cet aspect pictural est aussi accentué par le point de vue externe adopté tout au long de l’extrait. En effet, le lecteur n’a pas accès à l’intériorité des personnages, à leur conscience et à leurs sentiments. Toute la scène est narrée de l’extérieur, comme si elle était rapportée par un témoin objectif.

B – Une description clinique de la mort d’Emma

Loin d’être idéalisée, la mort d’Emma est décrite de façon clinique comme en témoigne le champ lexical de l’anatomie : « poitrine », « langue », « bouche », « yeux », « côtes », « genoux », « bras », « mains », « cœur ».

De plus, Flaubert énumère les symptômes dus à l’empoisonnement : « Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent […] l’effrayante accélération de ses côtes secouées par un souffle furieux« , « le râle devenait plus fort », « Une convulsion la rabattit sur le matelas ».

La précision de ces descriptions donnent l’impression d’un compte-rendu médical.

Le réalisme de la mort d’Emma est accentué par les allitérations en « f », en « s » et en « r » qui reproduisent phonétiquement l’agonie d’Emma : « Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement », « sans l’effrayante accélération de ses côtes secouées par un souffle furieux ». Le lecteur a ainsi l’impression d’entendre les râles et la respiration haletante d’Emma.

Flaubert s’abstient donc de tout lyrisme pour narrer la mort d’Emma. Il nous en présente une vision triviale en insistant sur la souffrance physique de la jeune femme.

C – La sobriété de l’instant de la mort d’Emma : le refus du sublime

Si Flaubert prend le temps de décrire longuement l’agonie d’Emma, l‘instant de la mort est quant à lui très sobre.

Tout d’abord, la mort d’Emma est rapide.

L’accélération du rythme est soulignée par le connecteur « Tout à coup » , qui accompagne l’apparition de l’aveugle.

La chanson de l’aveugle précipite brutalement Emma vers la mort : après quelques mouvements brefs dont la violence est soulignée par le passé simple (« se releva » , « s’écria » , « se mit à rire » ), Emma Bovary s’éteint.

Ensuite, cette mort est dépouillée, sans artifice. Flaubert refuse d’émouvoir le lecteur en jouant sur le pathétique. Au contraire, il décrit cette mort en trois phrases simples et brèves :
« Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus. »

La sécheresse de ces trois phrases est frappantes : sujet-verbe-complément pour la première phrase puis seulement sujet-verbe pour les deux phrases suivantes. Aucun adjectif n’est présent.

La mort est d’ailleurs presque éludée à travers l’euphémisme « Elle n’existait plus. »

La sobriété de l’écriture participe de la volonté de refuser le sublime et les faux-semblants. Car si Flaubert peut restituer avec exactitude les symptômes de l’agonie, il ne peut représenter la mort, qu’il n’a pas vécu et qui demeure une énigme pour le commun des mortels. Il la dépeint donc avec neutralité et lucidité.

Transition : La violente agonie qui précipite Emma vers la mort confère à ce dénouement un caractère tragique. Mais ce tragique est tourné en dérision par Flaubert.

II – Le tragique tourné en dérision

A – Emma : une fausse héroïne tragique

L’état d’Emma et la réaction des personnages peuvent provoquer chez le lecteur des sentiments de terreur et de pitié caractéristiques du genre tragique.

On retrouve d’ailleurs dans ce passage les marques d’un registre tragique, à travers notamment le champ lexical de la peur : « l’effrayante », « tressaillant », « épouvantement ».

Ce champ lexical est accentué par des adjectifs péjoratifs et hyperboliques qui connotent l’horreur et la monstruosité : « atroce », « hideuse ».

La terreur est aussi provoquée par le rire presque démoniaque d’Emma, qui souligne sa folie : « un rire atroce, frénétique, désespéré ».

En outre, juste avant sa mort, Emma est rapprochée d’une héroïne tragique à travers l’image des « cheveux dénoués ». En effet, cette expression fait écho au chapitre 15 de Madame Bovary dans lequel Emma et Charles assistent à Rouen à l’opéra Lucie de Lammermoor où l’héroïne sombre dans la folie après avoir tué son mari. Charles remarque alors dans le chapitre 15 : « Elle a les cheveux dénoués : cela promet d’être tragique ».

En reprenant la même expression (« cheveux dénoués » ), Flaubert crée un jeu de miroirs entre Lucie de Lammermoor et Emma Bovary.

Emma s’était en effet imaginée une mort sublime d’héroïne tragique. Mais Flaubert détourne ce tragique : loin de susciter l’admiration, l’état physique et mental d’Emma suscite plutôt l’horreur et la répulsion.

A travers ce jeu de miroirs, Flaubert dénonce donc le romantisme, en se moquant avec ironie de l’idéalisation de la mort par Emma.

Par ailleurs, les réactions des personnages, en particulier celle de Charles Bovary, peut susciter la pitié du lecteur : « Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur », « sanglots étouffés ».

Mais là encore, l’attitude des personnages est tournée en ridicule : Homais qui « fléchit un peu les jarrets » apporte une touche grotesque à la scène à travers la connotation animale du terme « jarrets ».

B – L’aveugle : un avatar du chœur des tragédies grecques

L’apparition soudaine de l’aveugle marque une rupture dans le passage, soulignée par le connecteur : « Tout à coup »

Or ce personnage renvoie encore à la tragédie : il semble en effet être un avatar du chœur des tragédies grecques. Le personnage de l’aveugle fait notamment songer  au personnage de Tirésias dans l‘Œdipe de Sophocle.

Dans les tragédies grecques, le chœur intervient pour commenter des évènements forts et éclairer leur sens. Les réflexions du chœur s’expriment souvent sous forme de maximes. Elles font appel au bon sens et à l’intuition.

Mais ici, l’aspect noble du choeur des tragédies bascule dans le trivial et le grotesque à travers l’image des « gros sabots » et la « voix rauque » proférant des obscénités.

Les paroles grivoises remplacent la gravité des chants du Chœur de la tragédie grecque.

Elles se superposent en outre aux prières de l’abbé Bournisien, créant alors un contraste grotesque, voire burlesque, à travers le mélange des genres et des tons.

C – La chanson de l’aveugle : une vérité cynique

Nous l’avons vu, l’aveugle incarne la figure de la fatalité. Comme le choeur des tragédies grecques, il vient éclairer le sens des évènements qui se déroulent.

Or la chanson de l’aveugle jette une lumière cruelle sur la vie d’Emma.

En effet, les paroles de la chanson grivoise font implicitement écho au destin de la jeune femme :

♦ « Souvent la chaleur d’un beau jour / Fait rêver fillette à l’amour » :

L’emploi du terme « fillette » rappelle le caractère déterminant de l’éducation d’Emma au couvent, à l’origine de ses choix funestes et de ses désillusions répétées.

Le verbe « rêver » résume à lui seul la vie d’Emma : bercée de rêves et d’illusions romanesques, Emma Bovary est incapable de s’adapter à la réalité.

♦ « Pour amasser diligemment / les épis que la faux moissonne / ma Nanette va s’inclinant / vers le sillon qui nous les donne. » :

Ici, les références sexuelles (« épis », « s’inclinant », « sillon », « donne ») renvoient à l’adultère d’Emma. Cette vérité ramène Emma à la dimension la plus grossière de son existence.

« Il souffla bien fort ce jour-là / Et le jupon court s’envola ! » :

Ces dernières paroles renvoient à l’agonie et à la mort d’Emma.

L’image du « souffle fort » fait écho au « souffle furieux » du « râle » de la jeune femme.

Puis la mort d’Emma est synchrone à la fin de la chanson : la vie d’Emma disparaît au moment où le jupon s’envole. Ce rapprochement cynique présente un caractère narquois et cruel, sous-entendant « Je te l’avais bien dit ! ». La mort d’Emma semble intervenir comme une punition de ses péchés.

En rappelant le destin d’Emma et ses choix immoraux, l’aveugle retire toute dignité à la mort de la jeune femme et empêche la rémission de ses péchés.

La mort d’Emma Bovary, conclusion

Flaubert démontre à nouveau dans ce passage clé de son roman sa virtuosité d’écrivain.

Il parvient en effet à transformer cette scène tragique et pathétique en tableau grotesque grâce au réalisme de la description et à l’ironie caractéristique de son écriture.

Les derniers instants d’Emma résument ainsi la totalité de son parcours, à travers le contraste entre l’idéalisation romantique et la réalité triviale.

Flaubert n’offre aucun repentir à son « héroïne », malgré l‘omniprésence du religieux dans la scène.

En situant le dénouement d’Emma plusieurs chapitres avant le dénouement du roman, l’auteur plonge définitivement son personnage dans l’insignifiance absolue et l’anti-héroïsation.

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Amélie Vioux

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8 commentaires

  • Bonjour, j’aimerais savoir si vous avez fait une analyse sur le chapitre 8 quand Emma Bovary assiste aux Comices agricoles.

    C’est assez urgent donc merci d’avance.

  • Bonsoir Emilie!!

    Je suis ravie d’avoir découvert votre site de français qui me certainement très utile pour
    mon baccalauréat l’an prochain! 🙂

    Je viens vers vous pour savoir si vous posséder une liste type des grands classiques à lire pour le Bac 2017 ?

    Pour l’instant, mes lectures sont L’Etranger (Camus) et le Mariage de Figaro (Beaumarchais).

    Je vous encourage vivement pour tout ce que vous faites!!
    merci pour votre réponse 🙂
    Claire.

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