Femme noire, Senghor : analyse

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femme noire léopold sedar senghorVoici un commentaire du poème « Femme noire » de Léopold Sedar Senghor.

Clique ici pour lire le poème « Femme noire » (le texte).

Femme noire, introduction

« Femme noire » est un poème de Léopold Sedar Senghor (1906-2001) issu d’un recueil intitulé Chants d’ombre (1945).

Ce poème appartient aux œuvres dites de la négritude, mouvement littéraire et politique né durant l’entre-deux-guerres sous l’égide d’écrivains noirs francophones dont Léopold Sedar Senghor ou encore Aimé Césaire (1913-2008) sont les plus célèbres.

Ces écrivains dénoncent le colonialisme et revendiquent la culture noire africaine comme une identité légitime à part entière.

Dans « Femme noire », composé en vers libres, cette revendication se fait en célébrant les beautés de la femme africaine et de sa couleur de peau, images de la terre et du pays nourriciers.

Ce faisant, Léopold Sedar Senghor rejoint les poètes qui chantèrent les beautés de la femme aimée ou idéalisée (Ronsard, André Chénier, Baudelaire…).

Questions possibles à l’oral de français sur « Femme noire » :

♦ Quelle vision de la femme nous offre ce poème ?
♦ Dans quelle mesure « Femme noire » illustre-t-il le mouvement de la négritude ?
♦ Comment le lyrisme s’exprime-t-il dans ce poème ?
♦ Quelle image du poète se dégage de ce poème ?
♦ Ce poème est-il uniquement une ode à la femme noire ?

Annonce du plan :

Dans « Femme noire » , la célébration des beautés naturelles de la femme idéalisée (I) est l’occasion pour le poète de laisser libre cours à son chant lyrique et salvateur (II).

I – Une ode aux beautés de la femme et de la nature africaines

A – Une femme aux multiples visages : nature, mère, muse

Le poème se présente comme une ode (poème qui célèbre une personne ou un événement) où la femme noire est à la source d’une multitude d’images, comparaisons et métaphores.

La femme noire est ainsi tour à tour « Terre promise » (v. 5), « fruit mûr à la chaire ferme » (v. 8), « savane aux horizons purs » (v. 9), « tamtam sculpté » (v. 11), « huile que ne ride nul souffle » (v. 14), et encore « gazelle aux attaches célestes » (v. 15).

Elle se métamorphose ainsi de vers en vers pour être tantôt paysage, tantôt animal, tantôt aliment, tantôt instrument.

On remarque que toutes ces images (Terre, fruit, savane, tamtam, gazelle…) présentent la femme comme un symbole ou une allégorie de la Nature africaine, faisant se rejoindre microcosme (l’humain) et macrocosme (l’univers).

Mais la femme occupe également de manière implicite deux autres rôles fondamentaux pour le poète : celle de la Mère (et de la Terre-Mère) nourricière, et celle de la Muse inspiratrice.

Le rôle maternel et nourricier de la femme se perçoit dès le vers 3 lorsque le poète dit avoir « grandi à [s]on ombre ». Ici, le poète est fils de la « femme noire » .

Le rôle de Muse inspiratrice transparaît au vers 8 : « bouche qui fais lyrique ma bouche ».

Cette image sensuelle renvoie aux pouvoirs d’inspiration des muses antiques (figures mythologiques, filles d’Apollon), qui soufflaient et insufflaient aux poètes leurs vers.

B – La femme noire : une invitation à la sensualité et à l’érotisme

Ces multiples métamorphoses de la figure féminine sont aussi l’occasion pour le poète de laisser libre cours à l’expression d’une profonde sensualité, voire d’un certain érotisme.

D’emblée, le poème s’ouvre sur l’évocation de la nudité ( « femme nue, femme noire » v. 1).

La nudité, synonyme de « couleur » et de « forme » (v. 2), devient un vêtement ( « vêtue de ta couleur qui est vie »  v. 2).

Cette valorisation de la nudité évoque l’art du tatouage des civilisations amérindiennes, ou encore les traditions de certains peuples comme les Himbas en Namibie, dont les femmes parent et protègent leur corps en s’enduisant de terre ocre rouge.

Ce clin d’œil aux cultures africaines replace ce poème dans le mouvement littéraire de la négritude, dont Senghor se fait le porte-voix.

En outre, ce poème est particulièrement sensuel car il mobilise les sens du lecteur :

La vue ( « je te découvre, Terre Promise, du haut d’un haut col calciné » v. 5 ; « savane aux horizons purs » v. 10) ;

Le toucher ( « la douceur de tes mains » v. 3 ; « savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d’Est » v. 10 ; « tamtam sculpté » v. 10 ; « huile calme aux flancs de l’athlète » v. 13) ;

♦ Le goût ( « fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir » v. 8) ;

L’ouïe ( « tamtam qui gronde sous les doigts du vainqueur » v. 10 ; « ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée » v. 11).

Enfin, ce poème est sensuel car les deux premières strophes retracent le parcours d’une initiation amoureuse : celui qui n’était qu’un enfant ( « j’ai grandi à ton ombre » v. 3), découvre à l’âge de l’adolescence ( « et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi » v. 4), les beautés de la femme et les plaisirs de l’amour.

On relève ainsi le champ lexical de l’érotisme : « je te découvre, Terre Promise, du haut d’un haut col calciné » (v. 5) ; « sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche » (v. 8) ; « savanes qui frémis aux caresses ferventes du Vent d’Est » (v. 9) ; « tamtam tendu sous les doigts du vainqueur » (v. 10).

C – Le noir, couleur de lumière

Cette initiation amoureuse s’accompagne d’une révélation lumineuse. En effet, de façon paradoxale, la couleur noire est associée à la lumière.

La couleur noire se décline tout d’abord à travers un champ lexical de l’ombre : « ton ombre » (v. 3), « femme obscure » (v. 7 et 13), « sombres extases du vin noir » (v. 8), « la nuit de ta peau » (v. 14), « l’ombre de ta chevelure » (v. 16). Ce champ lexical fait écho au titre du recueil, Chants d’ombre.

Mais la couleur noire est aussi révélatrice de lumière comme le révèle le champ lexical de la luminosité : « ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle » (v. 6) ; « huile que ne ride nul souffle » (v. 13) ; « les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau » (v. 14) ; « les reflets de l’or rouge sur ta
peau qui se moire
 » (v. 15) ; « s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux » (v. 16).

 II – Un chant lyrique et salvateur

 A – La musicalité

Le poème frappe par sa dimension musicale.

D’abord, la répétition de l’apostrophe « femme nue, femme noire » (vv. 1 et 17) et sa variation « femme nue, femme obscure » (vv. 7 et 12) agit comme un refrain de chanson.

A cela s’ajoute les nombreuses allitérations en [f], [v] et [n], nasales et fricatives qui évoquent les forces du vent : « femme nue, femme noire / vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté » (vv. 1-2).

D’autres répétitions rythment le poème :

♦ Des répétitions de mots comme « beauté » (vv. 2-6-18), « forme » (vv. 2-18), « cœur » (vv. 4-6) ;
♦ Des répétitions de mots accompagnés de parallélismes de construction qui évoquent le mouvement des vagues : « savane aux horizons purs, savanes qui frémis » (v. 9), « tamtam sculpté, tamtam qui gronde » (v. 10).

L’alternance du rythme binaire ( comme le refrain « femme nue, femme noire » ) et ternaire (comme au vers 13 : « huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs des athlètes, aux flancs des princes du Mali » ) imprime également un rythme musical et dynamique au poème.

Enfin, la musique est un thème explicitement évoqué à travers le « tamtam » (v. 10), la « voix grave de contralto » et le « chant spirituel de l’Aimée » (v. 11).

B – Le lyrisme

« Femme noire » se caractérise également par son registre lyrique.

Le poète y exprime ses sentiments personnels en employant le pronom personnel sujet « je » : « j’ai grandi à ton ombre » (v. 3), « je te découvre » (v. 5), « je chante ta beauté » (v. 18), « je fixe dans l’Eternel » (v. 18).

Cependant, ce poème n’est pas que l’expression d’une intimité qui dit « je » : c’est aussi une adresse directe, une invocation, voire une prière, à cette figure de la femme qui est aussi terre, et à qui le poète dit « tu » (« ta couleur », « ta forme », « ta voix », « ta peau », « ta chevelure ») dans une relation de proximité.

Ainsi les pronoms de première et de deuxième personnes sont systématiquement rapprochés dans le texte : « j’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux » (v. 3), « je te découvre » (v. 5), « ta beauté me foudroie » (v. 6).

La femme aimée, dont les aspects cosmiques en font une sorte de déesse, a une dimension mystique qui se déploie dans les allégories : « Terre promise » (v. 5), « Vent d’Est » (v. 9), « l’Aimée » (v. 11) ou encore « l’Eternel » (v. 18). La femme noire représente ainsi une forme d’absolu.

Enfin, le lyrisme se déploie à travers l’expression de sentiments variés :  l’amour et la fascination, mais aussi peu à peu l’angoisse : « mon angoisse » (v. 16).

C – Le chant poétique, vainqueur de la mort

La dernière strophe du poème joue un rôle important dans la mesure où elle délivre le sens ultime du poème : le poète chante la beauté de la femme noire pour la rendre éternelle.

Au fil du poème, on remarque en effet qu’une note inquiétante assombrit le tableau idyllique : l’angoisse du poète (« mon angoisse » v. 16) annonce le dernier vers, « avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie ».

Cette évocation de la mort s’accompagne du thème de la fatalité (« destin jaloux » v. 19) et du temps qui tout emporte (« beauté qui passe » v. 18).

Le poète est donc celui qui lutte contre la mort pour fixer la beauté des choses.

Son rôle clair : après avoir grandi et découvert (vv. 3 et 5), il chante désormais (v. 18). Autrefois passif (« me foudroie » v. 6), le poète est à présent actif (« je chante » v. 18).

Or les vertus du chant poétique interviennent comme remède permettant l’accès à l’immortalité : « forme que je fixe dans l’Éternel » (v. 18).

La reprise des termes « vie » et « beauté » dans le dernier vers fait écho au début du poème  ( « ta couleur qui est vie », « ta forme qui est beauté » ) et esquisse ainsi une composition circulaire.

Cette composition circulaire évoque le rythme cyclique de la nature et de la femme. En effet, les cendres de la femme nourrissent les racines de la vie : la femme ne meurt donc jamais vraiment puisqu’elle se régénère sans cesse.

Cette fonction salvatrice de la poésie évoque celle de la poésie antiquel’aède fixait dans la mémoire les exploits des héros et des athlètes.

Femme noire, conclusion

Dans »Femme noire », la célébration des beautés féminines est à la fois l’occasion de mettre en valeur les beautés de la terre d’origine, conformément aux principes de la négritude, mais aussi de renouer avec la poésie lyrique traditionnelle.

En outre, les influences antiques et africaines se rejoignent ici dans les vertus magiques accordées au chant du poète (aède grec et griot africain).

Ce mariage d’influences entre culture antique et culture africaine se retrouve dans un autre recueil de Senghor, intitulé Ethiopiques.

La célébration des charmes de la femme idéalisée, source d’inspiration poétique et exotique peut nous évoquer les amours de Baudelaire pour Jeanne Duval, qui lui inspirèrent notamment « Parfum exotique » ou encore « La Chevelure » dans Les Fleurs du mal (1856).

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