La chevelure, Baudelaire : analyse

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la chevelure baudelaireVoici un commentaire du poème « La chevelure » de Baudelaire (Les Fleurs du Mal).

« La chevelure » est un poème de Baudelaire issu de la section « Spleen et Idéal » des Fleurs du Mal.

Introduction :

La femme est un des thèmes principaux dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire.

On trouvait déjà une présence féminine sensuelle dans « Parfum exotique », qui précède « La chevelure » dans le recueil.

Toutefois, contrairement à « Parfum exotique » qui est réduit à un sonnet, « La chevelure » se déploie sur sept quintils (strophes de cinq vers), en alexandrins.

Cette forme plus longue permet à Baudelaire de déployer tout le pouvoir évocatoire de la chevelure.

Clique ici pour lire le texte « La chevelure » de Baudelaire

Problématiques possibles à l’oral de français :

♦ Quelle description de la chevelure fait Baudelaire ?
♦ Quelle vision du monde ce poème propose-t-il ?
♦ Quelle image de l’Idéal ce poème offre-t-il ?
♦ Quelle est la place de la chevelure dans ce poème ?

Analyse :

 I – Le pouvoir évocatoire de la chevelure

A – Un poème incantatoire

Le pouvoir évocatoire de la chevelure passe par un rythme incantatoire.

Les multiples «ô» vocatifs créent une forme d’incantation : on a l’impression d’entendre une prière adressée à une déesse.

Ces interjections sont soutenues par l’enchaînement de points d’exclamation. Par exemple :
Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
.

Les multiples enjambements et le rythme ample du poème créent une impression d’extension, de grandeur. On peut citer par exemple ces vers :
« Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir
 »

Si le poème est une incantation, c’est pour donner accès à un autre monde, à travers la représentation de la chevelure.

B – La métamorphose de la chevelure

La chevelure est sans cesse transformée dans ce poème.

Dès l’entrée du poème, elle est métamorphosée par l’emploi d’un vocabulaire faisant référence à la bestialité : « toison moutonnante », « encolure » et « crinière ».

A la fin de la première strophe, la chevelure se transforme à travers la comparaison : « Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir ».

D’abord animale, la chevelure devient végétale puisque la métaphore filée de l’animalité laisse place à une imagerie de la nature : « forêt aromatique » ,« l’arbre », « sève », « mer d’ébène », « huile de coco », « l’oasis ».

A travers ce  réseau métaphorique, Baudelaire prône un retour à la nature primitive de l’homme.

On peut considérer cela comme une critique de l’homme moderne dans le monde de la Révolution industrielle, où le rapport à la nature tend à s’amenuiser.

C – Le parfum de la chevelure

Si « la chevelure » est le titre du poème,  celle-ci n’est finalement qu’un prétexte pour parler d’autre chose.

De fait, Baudelaire évoque immédiatement le parfum de la chevelure.

Le parfum devient même omniprésent : on trouve quatre fois du terme « parfum » dans le poème, complétées par un champ lexical plus développé : « aromatiques », « senteurs confondues »…

Or, comme dans « Parfum exotique » , le parfum est vecteur du souvenir et de la rêverie.

Ainsi, dans « La chevelure », le sujet du poème se déplace. L’évocation de la chevelure mène à l’évocation du parfum qui mène à la rêverie et à l’évasion.

Dès le deuxième quintil, par de subtiles associations de sens, il devient question de terres lointaines, d’océans et de voyages.

Transition : Baudelaire détourne le thème initial du poème. La chevelure a un tel pouvoir évocatoire qu’elle mène le poète à une rêverie exotique.

 II – L’apologie de l’exotisme

A – La chevelure : un port

Dans ce poème, la chevelure devient un port vers l’ailleurs : c’est à partir de sa contemplation que Baudelaire s’évade vers des contrées lointaines.

Dans les premiers quintils, la chevelure est comparée à un port à travers un riche réseau métaphorique : « agiter comme un mouchoir », « vogue », « nage », « voiles », « rameurs », mâts ».

Le basculement entre la contemplation de la chevelure et le voyage s’opère entre les strophes trois et quatre.

En effet, la troisième strophe se termine sur deux points. Ces deux points, suivis du blanc typographique (commencement d’une nouvelle strophe) symbolisent un passage, une ouverture, une extension sur l’ailleurs :

« De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire »

B – Un monde sensuel

La chevelure de la femme et son parfum font naître, comme dans « Parfum exotique », des visions d’un monde exotique idéal.

On retrouve ainsi dans « La chevelure » les caractéristiques de l’exotisme cher à Baudelaire :

♦ La présence de pays lointains : « Asie », « Afrique »

♦ La présence de la mer : « mer d’ébène », « voile », « rameur »

♦ La présence du soleil et de la chaleur : (au sens propre : « brûlante Afrique », « l’ardeur des climats », « de flammes », « l’éternelle chaleur », et au sens sensuel du terme : « langoureuse Asie »)

♦ La profusion naturelle : « plein de sève », « immense », « senteurs confondues »

♦ Présence de minéraux précieux : « or », « saphir », « rubis ».

♦ La langueur tropicale : « langoureux« , « se pâment« . A la cinquième strophe, Baudelaire fait rimer « caresse » avec « paresse«  .
Par ailleurs, l’assonance en « è » dans le poème, son doux et langoureux, suggère la paresse et le bien-être.

C – Un monde spirituel

Baudelaire décrit une rêverie exotique sensuelle. Comme nous l’avons vu, le plaisir des sens, la profusion naturelle, est au cœur de sa vision.

Toutefois, la sensualité chez Baudelaire n’exprime pas uniquement la jouissance physique : c’est également un moyen d’accéder à un monde spirituel.

On relève ainsi des références à :

♦ La profondeur : « vit dans tes profondeurs », « je plongerai », « ciel immense » qui exprime l’intensité de l’expérience mystique vécue.

♦ La fécondité : « pleins de sève », « à grands flots » , « infinis » . Au cinquième quintil, on lit : « ô féconde paresse ».

La paresse apparaît comme une source de création.
A l’activité incessante du monde moderne qui naît de l’industrialisation, avec par exemple la création du travail à la chaîne, Baudelaire oppose une morale de l’oisiveté créatrice de beauté.

♦ L’ivresse : « boire » , « ivresse », « je m’enivre ardemment » , « l’oasis » , « le vin ».

L’ivresse dont parle Baudelaire n’est pas une ivresse de la boisson.
Par métaphore, Baudelaire suggère une soif d’Idéal, une ivresse spirituelle.

Toutes les expressions liées à l’ivresse ont une dimension mystique : « où mon âme peut boire », « je hume à longs traits le vin du souvenir« .

Transition : La mise en place par Baudelaire d’une rêverie exotique est une invitation à l’évasion qui représente pour lui un idéal.

 III – Le rêve comme idéal

A – Un monde rêvé

Le voyage chez Baudelaire n’est pas qu’un voyage vers des contrées exotiques. C’est, plus largement, une invitation à l’évasion, pas seulement physiquement, mais aussi  travers des échappatoires mentales.

Ainsi le monde décrit n’est pas un monde réel mais un monde rêvé, imaginé.

Le lieu de l’exotisme n’est pas précisé : il n’est résumé que par les mentions imprécises de l’Afrique et de l’Asie, et par « là-bas ».

Il s’agit donc non pas de la représentation d’un espace réel, mais bien d’un espace rêvé.

Il ne s’agit pas d’une description, mais d’une vision. D’ailleurs, le mot « rêve » apparaît aux vers 14 et 34.

B – La résurrection du souvenir

L’évasion chez Baudelaire passe aussi par une résurrection du souvenir.

Le lien entre le voyage et le souvenir est omniprésent : « souvenirs dormant dans cette chevelure » , « vous retrouver » , « le vin du souvenir » .

La chevelure, en rappelant au poète ses souvenirs, fait ressusciter ces derniers :  cela est marqué par la coupure du vers 6/7 :

« Tout un monde lointain, absent, presque défunt/ Vit dans tes profondeurs ».

L’antithèse défunt/vit insiste sur ce passage de la mort à la vie.

Conclusion sur « La chevelure » :

Nous avons vu dans cette analyse que Baudelaire détourne le sujet initial du poème.

Au lieu de nous parler de la chevelure, comme l’annonce le titre, il nous propose un voyage exotique. Il déjoue ainsi les attentes de son lectorat.

Ouverture 1 : Il s’agit d’un poème qui célèbre l’idéal, à l’inverse des quatre « Spleen » des Fleurs du Mal de la section Spleen et Idéal.

Ouverture 2 : Les thèmes de la chevelure et de l’exotisme sont chers à Baudelaire. On les retrouve par exemple dans le poème en prose « Un hémisphère dans une chevelure« .

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