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Voici une analyse linéaire du chapitre 33 de Gargantua.
L’extrait étudié va du début du chapitre 33 à « je ne lui baiserai plus sa pantoufle.
«
La translation moderne utilisée ici est celle de Maurice Rat, publiée dans la collection « Bibliolycée » chez Hachette.
Gargantua, chapitre 33, introduction
Gargantua, publié en 1534 par François Rabelais, narre l’histoire du personnage éponyme, un jeune géant dont nous suivons l’éducation et les aventures.
Rabelais affirme dès le début le double objectifde son roman : divertir le lecteur et lui faire découvrir le sens philosophique de l’œuvre. (Voir la fiche de lecture pour le bac de Gargantua de Rabelais)
Avant le chapitre 23, le vassal Picrochole s’est révolté contre son suzerain, Grandgousier, le père de Gargantua. Le vol de fouaces (sorte de grosses galettes de boulangerie) a été son premier fait d’armes.
Dans le chapitre 33, les proches conseillers de Picrochole le bercent d’illusions en flattant ses rêves de conquêtes militaires.
Extrait étudié
Comment certains gouverneurs de Picrochole, par conseil précipité, le mirent au dernier péril.
Les fouaces détroussées, comparurent devant Picrochole les duc de Menuail, comte Spadassin et capitaine Merdaille, et ils lui dirent : « Sire, aujourd’hui nous vous rendons le plus heureux, plus chevaleresque prince qui oncques fut depuis la mort d’Alexandre de Macédoine.
– Couvre, couvrez-vous, dit Picrochole.
Chapitre 33, Gargantua, translation moderne par Maurice Rat (Bibliolycée chez Hachette)
– Grand merci, dirent-ils, Sire, nous sommes à notre devoir. Le moyen est tel : vous laisserez ici quelque capitaine en garnison avec une petite bande de gens, pour garder la place, laquelle nous semble assez forte, tant par nature que par les remparts faits à votre invention. Vous répartirez votre armée en deux, comme vous l’entendez le mieux. L’une partie ira ruer sur ce Grandgousier et ses gens. Par elle il sera de prime abord facilement déconfit. Là vous recouvrerez de l’argent à tas, car le vilain a du comptant. Vilain, disons-nous, parce qu’un noble prince n’a jamais un sou. Thésauriser est fait de vilain.
L’autre partie, cependant, tirera vers Aunis, Saintonge, Angoumois et Gascogne, ensemble Périgord, Médoc et Landes. Sans résistance, ils prendront villes, châteaux et forteresses. À Bayonne, à Saint-Jean-de-Luz et Fontarabie, vous saisirez toutes les nefs, et, côtoyant vers Galice et Portugal, vous pillerez tous les lieux maritimes, jusqu’à Lisbonne, où vous aurez renfort de tout équipage requis à un conquérant. Par le corbleu ! Espagne se rendra, car ce ne sont que rustres ! Vous passerez par le Détroit de Séville, et là vous érigerez deux colonnes plus magnifiques que celles d’Hercule, pour la perpétuelle mémoire de votre nom, et sera nommé ce détroit-ci « la mer Picrocholine ».
Passée la mer Picrocholine, voici Barberousse qui se rend votre esclave…
– Je le prendrai à merci, dit Picrochole.
– Voire, dirent-ils, pourvu qu’il se fasse baptiser. Et vous attaquerez les royaumes de Tunis, de Bizerte, Alger, Bône, Corène, hardiment toute la Barbarie. Passant outre, vous retiendrez en votre main Majorque, Minorque, la Sardaigne, la Corse et autres îles de la mer Ligurienne et les Baléares. Côtoyant à gauche, vous dominerez toute la Gaule Narbonnaise, la Provence et les Allobroges, Gênes, Florence, Lucques et, à Dieu soit ! Rome. Le pauvre Monsieur du Pape meurt déjà de peur.
– Par ma foi, dit Picrochole, je ne lui baiserai plus sa pantoufle.
Problématique
Comment se construit ici la satire de l’impérialisme de Picrochole ?
Annonce de plan linéaire
Nous analyserons d’abord la façon dont les gouverneurs s’expriment à l’unisson (I), puis déploient leur stratégie militaire imaginaire (II).
Nous montrerons ensuite la rapidité de cette conquête sans limites (III) et le pouvoir comique de cette folie des grandeurs (IV).
I – Des gouverneurs à l’unisson
Du début du chapitre à «le moyen est tel
»
L’extrait s’ouvre sur un titre formulé comme une interrogative indirecte : d’emblée, la lecture est guidée dans une perspective politique et militaire.
En effet, les groupes nominaux «conseil précipité
» et «dernier péril
» soulignent l’impétuosité des conseillers et les conséquences fâcheuses pour Picrochole.
Le délit commis est rappelé de façon concise : «les fouaces détroussées
», (c’est-à-dire «une fois les fouaces volées»). Cette mention est déjà comique car la trivialité du larcin contraste avec la grandiloquence du titre du chapitre.
L’énumération des trois conseillers de Picrochole mentionne leur rang hiérarchique élevé (duc, comte et capitaine).
Mais aussitôt, l’étude des noms suggère une pointe d’ironie: dans Menuail, le lecteur peut y lire l’adjectif «menu» qui signifie faible; Spadassin fait référence à un amateur de duels; et Merdaille est suffisamment explicite.
Ainsi, avant même de les faire parler, Rabelais décrédibilise les conseillers par leur onomastique (= leurs noms).
À aucun moment, ces derniers ne prendront la parole individuellement. Ils apparaissent ainsi davantage comme des pantins que des individus.
D’ailleurs, leur première phrase prête à sourire. Elle est construite sur des effets hyperboliques, comme l’illustrent les deux superlatifs «le plus heureux, le plus chevaleresque prince
», ou encore la référence à la mort du conquérant Alexandre le Grand (IVème siècle avant JC). La flatterie est donc déjà à l’œuvre dans l’exemple historique qui est convoqué.
Picrochole se comporte en monarque, parlant peu, mais donnant des ordres à l’impératif («couvrez, couvrez-vous
»).
Les trois conseillers rappellent cette hiérarchie par leur extrême politesse, par l’incise «Sire» et par leur sens du devoir.
L’expression «le moyen est tel :
» ouvre la voie à la présentation d’une stratégie aux accents comiques.
II – Stratégie militaire et conquête imaginaire
De «Vous laisserez ici
» à «Thésauriser est fait de vilain
»
La stratégie militaire est déployée au futur simple à valeur de certitude («vous laisserez», «vous répartirez», «L’une partie ira
»…) suggérant l’énergie belliqueuse des conseillers.
Le premier conseil invite à «garder la place
». La nature de la topographie du lieu se veut rassurante comme le suggère le verbe d’état «laquelle nous semble assez forte
» et les travaux de fortification réalisés par Picrochole («remparts
»).
Les conseillers profitent de ce rappel pour adresser des louanges à Picrochole: «les remparts faits à votre invention
», «comme vous l’entendez le mieux
».
La deuxième étape consiste à répartir l’armée en deux parties, avec deux missions distinctes.
Tout d’abord, l’objectif à atteindre est d’éliminer «ce Grandgousier et ses gens
» : l’utilisation du démonstratif «ce Grandgousier» souligne la prise de distance et la connotation péjorative.
Le pluriel «ses gens» anonymise les futures victimes dont l’armée de Picrochole fera peu de cas.
La violence du verbe «se ruer» suggère une attaque brutale, sauvage et désordonnée.
Les conseillers prédisent au roi une victoire aisée: la tournure passive «il sera facilement déconfit
» dépeint la victoire de Picrochole comme certaine.
La conquête imaginaire se poursuit par un gain financier conséquent, qui transparaît dans le champ lexical de l’argent: «de l’argent à tas», «du comptant», «un sou», «thésauriser
».
Grandgousier est méprisé et rabaissé au rang de «vilain
», terme répété trois fois.
Le mouvement s’achève sur une phrase au présent de vérité générale– «thésauriser est fait de vilain
». L’ironie pointe dans ce discours puisque les conseillers blâment Grandgousier pour ses économies tout en se montrant eux-mêmes assoiffés d’argent, comme le souligne l’omniprésence du vocabulaire économique dans ce paragraphe.
III – Une conquête rapide et sans limites
De «L’autre partie
» à «sera nommé ce détroit-ci la mer Picrocholine
»
Par la suite, la seconde partie de l’armée se voit attribuer une conquête à la géographie précise et bien réelle: c’est ce que montre l’énumération des 7 régions françaises. Si elle est fantasmée, cette conquête reste ancrée dans la réalité.
Là encore, la guerre à mener semble aisée: rien ne résisterait à l’armée de Picrochole.
L’accélération du rythme de la phrase due à l’énumération de régions restitue la vitesse de cette conquête imaginaire: «L’autre partie, cependant, tirera vers Aunis, Saintonge, Angoumois et Gascogne, ensemble Périgord, Médoc et Landes.
»
Le rythme ternaire «ils prendront villes, châteaux et forteresses
» amplifie ce mouvement d’expansion.
L’empire de Picrochole n’a pas de frontières : l’énumération des trois ports français permet aux conseillers de suggérer l’idée d’une véritable bataille navale.
Les verbes d’action au futur simple («ils prendront
», «vous saisirez
», «vous pillerez
») suggèrent la rapidité et la réussite certaine de cette conquête.
Il n’y a nulle limite, puisque Picrochole règnera au-delà de la France: les compléments circonstanciels de lieu « vers Galice et Portugal
» et «jusqu’à Lisbonne
» témoignent de l’hégémonie impériale.
Aux yeux des conseillers, il est clair que le roi est «un conquérant
». D’ailleurs, le passage de la troisième personne du pluriel «ils» («ils prendront») à la deuxième personne du pluriel «vous» («vous passerez», «vous érigerez
») estompe la distinction entre Picrochole et son armée.
Les gouverneurs n’ont que mépris pour les adversaires de leur roi: la proposition coordonnée «car ce ne sont que rustres
» en parlant des Espagnols, dresse un portrait péjoratif des peuples adverses.
Par opposition, les conseillers suggèrent que le peuple picrocholin est civilisé et distingué, ce qui est ironique quand on relève la violence des verbes associés aux actions de l’armée de Picrochole: «vous saisirez», «vous pillerez
».
La force comique de Rabelais se déploie tout au long du discours des conseillers. En effet, une fois passé le détroit, ils imaginent une construction monumentale: «deux colonnes plus magnifiques que celles d’Hercule
».
Le paroxysme de cette conquête imaginaire repose sur une conception mégalomaniaque de Picrochole, qui surpasse le mythe grec, comme le montre le comparatif de supériorité (plus…que).
Les expressions «pour la perpétuelle mémoire de votre nom» et «sera nommé ce détroit-ci la mer Picrocholine
» rappellent l’éternité d’un nom qui passe dans la langue commune.
IV – Le pouvoir comique de la folie des grandeurs
De «Passée la mer Picrocholine» à « je ne lui baiserai plus sa pantoufle
« .
La conquête imaginaire se poursuit, comme pour mieux flatter l’ego du roi. Le passage du détroit marque une étape supplémentaire dans la domination du monde par Picrochole.
La phrase elliptique «voici Barberousse qui se rend votre esclave
» montre combien Picrochole soumettra rapidement ses pires ennemis, y compris un corsaire ottoman.
Naïf, Picrochole boit les paroles des conseillers au point de se voir en conquérant: «Je le prendrai à merci
».
Le futur de l’indicatif à valeur de certitude a un effet comique: Picrochole ne doute plus de sa victoire.
Les gouverneurs poursuivent leur entreprise de persuasion en exigeant de cet adversaire le baptême, acte éminemment symbolique.
L’empire grandit visuellement, notamment grâce à l’énumération étourdissante des villes et régions d’Afrique du Nord: «les royaumes de Tunis, de Bizerte, Alger, Bône, Corène
».
Plusieurs mots suggèrent un portrait mélioratif de Picrochole: l’adverbe «hardiment
» souligne son courage; l’expression «Passant outre
» illustre son ambition; «vous attaquerez
» montre sa fermeté dans l’action.
Aucun territoire ne résistera à Picrochole, comme le prouve l’énumération de la conquête des îles espagnoles, italienne et française.
A la violence de l’armée répond l’absence d’obstacles et d’adversaires, tant la puissance du roi serait immense. Le verbe «vous dominerez
» est suivi de nombreux compléments d’objet: régions, peuples et villes, rien ne peut résister à Picrochole.
Le paroxysme de cette conquête est Rome. La ville est mise en évidence par l’incise «à Dieu soit!» (Vive Dieu !) qui suggère que la conquête de Picrochole est bénie de Dieu.
Les gouverneurs imaginent même la réaction du pape dont le statut est désacralisé: il est qualifié de «pauvre Monsieur
» et sa réaction hyperbolique (il «meurt déjà de peur
») le réduit au statut d’homme, de simple mortel.
L’extrait s’achève sur une conclusion comique de Picrochole, grâce au décalage entre l’expression «par ma foi
» et l’image triviale «je ne baiserai plus sa pantoufle
».
Il affirme ainsi qu’il ne cédera à personne, pas même au représentant de l’Église sur terre.
Gargantua, chapitre 33, conclusion
Le lecteur constate indéniablement que Picrochole est un roi sous influence: après un simple vol de fouaces, les gouverneurs lui construisent un destin exceptionnel de conquérant.
Ils lui suggèrent une stratégie de conquête violente et rapide, sans adversaire à sa taille.
Ainsi, l’image d’un empire hégémonique se dessine dans l’esprit du roi.
Mais à travers cette folie des grandeurs, Rabelais se joue des conseillers comme de la candeur du roi.
La suite des événements donnera raison au fils de Grandgousier, Gargantua, qui triomphera de Picrochole et sera seul capable de tenir un discours politiquement moral.
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