Prologue de Gargantua, Rabelais : commentaire

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gargantua prologue rabelaisVoici un commentaire du prologue de Gargantua de Rabelais (1534).

L’extrait à étudier va de « Buveurs très illustres » jusqu’à « sucer la substantifique moelle ». Il s’agit d’une translation en français moderne.

Prologue de Gargantua, introduction:

Au début du 16ème siècle, un nouveau mouvement littéraire et culturel apparait en France : l’humanisme.

Le prologue de Gargantua, ouvrage écrit en 1534, est destiné, comme tout prologue, à inciter à la lecture. Mais il va plus loin : il donne les clés de lecture de l’œuvre et pose les bases de l’humanisme tant sur le plan philosophique que littéraire.

Questions possibles sur le prologue de Gargantua à l’oral de français :

♦ Ce texte n’est-il qu’un prologue ?
♦ En quoi ce prologue s’inscrit-il dans le courant humaniste ?
♦ Ce texte est-il comique ?
♦ Quelle est le but de ce prologue ?
♦ Ce prologue donne-t-il envie de lire Gargantua  ?
♦ A la lecture de ce prologue, à quel type d’ouvrage vous attendez-vous ?

I – Un prologue plaisant

 A – Un prologue burlesque

Le prologue de Gargantua est précédé d’une apostrophe au lecteur dans laquelle Rabelais place son œuvre sous le signe du rire : « parce que rire est le propre de l’homme ».

Le champ lexical du rire souligne le programme de l’œuvre : «de quoi rire », «le rire», «à rire», «ridicule», «toujours riant», «se réjouissant», «joyeux titres», «farce », «dérision». Il s’agit bien de chercher le rire du lecteur.

Le prologue relève même du genre burlesque (le burlesque correspond à l’emploi de termes comiques ou vulgaires pour caractériser des faits ou des personnages nobles).

La dimension burlesque apparaît dans le décalage entre le titre élogieux « La vie inestimable du grand Gargantua » qui nous place dans un registre épique ou hagiographique (= relatant la vie des Saints, le genre hagiographique est très lu à l’époque de Rabelais) et le style bas qui transparaît dans l’anaphore de l’adjectif « ridicule ».

Le propre du burlesque est en effet de rabaisser ce qui est noble ou respectable.

La description de Socrate est également burlesque. Ce grand philosophe est en effet animalisé : «nez pointu», «regard de taureau».

Les références qui lui sont associées sont marquées par la négationn’en auriez donné une pelure d’oignon», «infortuné», «inapte») tout à fait discordante avec le personnage de Socrate reconnu comme un modèle de sagesse et de vertu.

En outre, dans un prologue, l’auteur cherche généralement à captiver son lecteur, à susciter sa bienveillance. Or ici, les lecteurs sont désignés comme « buveurs » et « vérolés » ce qui rompt avec la rhétorique habituelle.

B – Une écriture dionysiaque

Dans ce prologue de Gargantua, Rabelais dévoile à son lecteur la dimension dionysiaque de son écriture.

L’esthétique dionysiaque est une esthétique de la démesure, de l’ivresse, de l’instable et de l’enthousiasme.

L’apostrophe aux lecteurs « buveurs très illustres »  place d’emblée le lecteur dans cet univers dionysiaque. Rabelais invite à lire Gargantua comme on boirait du vin, pour en tirer une ivresse joyeuse.

Rabelais fait aussi référence dans son texte à Silène qui est, dans la mythologie grecque, le père adoptif du dieu Dionysos, dieu de l’ivresse.

Ce thème de l’ivresse transparaît dans l’écriture même de Rabelais, à travers de nombreuses énumérations délirantes : « comme les harpies, les satyres, les oisons bridés, les lièvres cornus, les canes batées, les boucs volants, les cerfs limoniers, et autres figures ou images peintes à plaisir pour exciter le monde à rire ». Cette énumération semble ne jamais s’arrêter comme si l’auteur était emporté par une ivresse littéraire.

L’énumération des œuvres est encore plus révélatrice de cette ivresse stylistique : « Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La dignite des Braguettes, Des Poys au lard cum commento, etc » Les deux premières œuvres citées sont bien celles de Rabelais mais les suivantes ont des titres fantaisistes ou scatologiques ce qui promet une écriture marquée par la spontanéité et la joie.

Mais derrière cette écriture fantaisiste et dionysiaque se cache une œuvre à visée philosophique. Le prologue est destiné à nous avertir de cette double lecture.

II – Un prologue à visée philosophique

 A – La double lecture de Gargantua : derrière le rire, la philosophie

Le rire prôné par Rabelais est plus un choix, une posture comme le montre la formule comparative « mieux vaut …que … »: « Voyez la douleur qui vous mine et consomme : mieux vaut écrire de quoi rire que de quoi pleurer, parce que le rire est le propre de l’homme ».

Curieusement, Rabelais fait apparaître dans la même phrase un registre tragique avec le terme pathétique «douleur » et les verbes « mine et consomme » et une tonalité comique (« rire » répété deux fois).

Rabelais montre ainsi que l’œuvre a deux niveaux de lecture : En surface, le comique et le burlesque et en profondeur le tragique ou le sérieux.

Rabelais donne une profondeur à son texte apparemment fantaisiste à travers le champ lexical de la philosophie qui émaille le prologue : « Prince des philosophes », « céleste », « compréhension », « vertu », « sobriété », « contentement », « examen approfondi », « soigneusement peser », « interpréter », « la bête la plus philosophe », « nature », « sage ». La présence d’un vocabulaire abstrait s’oppose à l’univers fantaisiste et scatologique et souligne la teneur philosophique de l’ouvrage.

D’ailleurs, à y regarder de plus près, le texte, en apparence décousu et fantaisiste, est structuré par des connecteurs logiques : « Mais », « car », « c’est pourquoi », « alors », « et dans l’hypothèse où ».

Rabelais se pose donc en philosophe moins ivre qu’il n’y paraît et soucieux de valoriser la raison et la logique. Le rire est la porte d’entrée de l’œuvre, ce par quoi il veut attirer le lecteur mais le fond est philosophique.

Rabelais se met soudain à distance de l’ivresse en culpabilisant même son lecteur d’avoir trop bu « Avez-vous trop bu ? Charogne ».

B – Gargantua, une médecine de l’âme

Rabelais a fait des études de médecine et s’est intéressé au grand médecin grec Galien qu’il cite d’ailleurs dans son texte.

Cette formation médicale transparaît dans ce prologue.

Le champ lexical de la médecine est omniprésent : « ni mal ni infection », remèdes », « apothicaire », « baumes, », « ambre gris », « amomon », « musc », « civette », « drogue », « moelle ».

On comprend que Rabelais considère la lecture de Gargantua comme une médecine.

Son ouvrage est destiné à guérir les âmes en les ouvrant à la sagesse et à la vérité.

En écrivant Gargantua il renoue avec son passé de médecin au service de l’homme. En effet, le prologue de Gargantua est une sorte de manifeste humaniste

III – Un texte humaniste

 A – L’humanisme : mettre en avant la grandeur de l’homme

Malgré le trait satirique, Rabelais met en relief ce que l’homme a de noble, sa dimension spirituelle.

A travers une énumération verbale « les humains sont pris de convoitise, travaillent, courent, naviguent et bataillent », Rabelais caricature en effet ces hommes entrainés dans le tourbillon des affaires, agissant sans penser.

Par cette caricature, Rabelais appelle l’homme à se dépouiller de l’action pour accéder à la contemplation, à la réflexion. Pour cela, il évoque la connaissance dans un registre épique : « Compréhension plus qu’ humaine, vertus merveilleuses, courage invincible, sobriété nonpareille, contentement certain, assurance parfaite ».

Rabelais cherche à mettre en évidence la grandeur de l’homme, sa capacité à utiliser son esprit pour comprendre le monde.

B – L’humanisme : une nouvelle conception de la littérature

Rabelais souhaite aussi dépeindre l’homme tel qu’il est.

C’est pourquoi il fait référence dans son prologue aux croyances populaires (« Car vous dites vous-même que l’habit ne fait pas le moine« ) et utilise le langage quotidien pour parler non de l’homme idéalisé mais de l’homme tel qu’il est.

En outre, Rabelais abolit la séparation entre l’écrit et l’oral. En effet, il entre dans un dialogue avec le lecteur comme en témoigne l’utilisation fréquente de la deuxième personne du pluriel :

♦ « Car c’est à vous que je dédie mes écrits»
♦ « Pour que vous mes bons disciples et quelques autres fous de passage […]ne jugiez pas trop facilement…»
« Avez-vous trop bu? »

Dans ce dialogue avec son lecteur, Rabelais joue le rôle d’un Socrate qui, par le dialogue, cherchait à défaire les préjugés de son interlocuteur.

A travers cette figure de Socrate, Rabelais fait donc revivre le patrimoine gréco-latin que les humanistes redécouvrent.

C – L’humanisme : voir l’unité du monde au delà du chaos

Comique, philosophique, ce prologue est aussi paradoxalement poétique.

Derrière la prose comique et rationnelle se cache une esthétique poétique comme le montrent les rimes internes des phrases suivantes :

♦ « comme les harpies, les satyres, les oisons bridés, les lièvres cornus, les canes batées, les boucs volants, les cerfs limoniers, et autres figures ou images peintes à plaisir pour exciter le monde à rire»
♦ « toujours riant toujours buvant d’autant »

Les assonances créent une musicalité dans le texte.

Dissonant au départ, ce texte est en fait profondément soucieux de l’harmonie.

Le propre de l’écriture de Rabelais est de rapprocher les choses entre elles, de voir l’unité du monde plutôt que sa division. La subtile dimension poétique de son texte souligne que derrière son caractère désordonné et anarchique, le monde reste unifié. C’est là peut-être le cœur du projet humaniste.

Le prologue de Gargantua, conclusion :

Ce prologue de Gargantua permet au lecteur de comprendre le contenu de l’ouvrage à venir : une œuvre littéraire qui contient des genres et des registres multiples, de la farce jusqu’à la poésie.

Ce prologue résume à lui seul le projet humaniste : étudier le foisonnement et la complexité du monde mais surtout en voir son unité.

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Amélie Vioux

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12 commentaires

  • Bonjour, je me posée la question si je prend votre analyse linéaire pour mes révisions de bac c’est bon ? Dans le sens où celle de mon prof sont interminables et je n’arrive pas à les ficher donc je me demandai si je pouvais prendre la vôtre ?

  • Bonjour, je me demandais si vous aviez réaliser un commentaire sur un autre extrait de Gargantua, sa naissance, si je ne me trompe pas c’est dans le chapitre 6. Si vous connaissez sinon un autre endroit ou trouver de très bonne analyse de cet extrait je suis toute ouïe. Par ailleurs merci beaucoup pour vos analyses elles me sont d’une grande aide 😀

  • Bonjour,
    Merci tout d’abord pour ce commentaire qui m’a beaucoup aidé!
    J’ai juste une question: un commentaire doit répondre à une problématique (si je ne me trompe pas) et vous en avez listé plusieurs en haut de la page, mais à laquelle ce plan répond-t-il? Merci par avance pour votre réponse!

  • Merci beaucoup pour ce commentaire Madame ! Il m’as beaucoup aidé pour mes révisons du bac blanc de français et je vous en suit très reconnaissante 🙂
    Bonne fêtes à vous !

  • Bonjour je passe mon premier oral bac blanc dans 8 jours je suis en première Littéraire les textes que je dois étudier sont :
    F.Rabelais, prologue de Gargantua
    F.Rabelais Pantagruel, lettre de Gargantua à son fils
    L.Labe, « épître et dédicatoire » oeuvres
    M.de Montaigne « de l’institution des enfants  » essais

  • bonjour,
    au debut avant de commencer le commentaire, vous nous présenter quelques questions que nous sommes suceptible d’avoir, mais es-ce des questions parmis d’autre?
    bonne journée à vous

    • Bonjour Mathilde,
      Ce sont des questions parmi d’autres : les professeurs élaborent eux-mêmes les questions le jour du bac. Néanmoins, il n’existe pas non plus des centaines de questions sur chaque texte, j’essaie de vous proposer ici les questions les plus probables.

  • Bonjour,
    dans le A du grand III vous avez mis  »les humains sont pris de convoitise » mais je ne trouve pas ce passage dans le début du prologue ^^ » !

    • Bonjour Claire,
      J’utilise pour ce commentaire une translation en français moderne. Il se peut que tu utilises une autre translation ou bien la version en ancien français : tu trouveras alors quelques différences dans le texte cité. Par exemple, dans une autre translation, on peut trouver la formule suivante pour le même passage : « mépris incroyable de tout ce pourquoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent« . Mais cela ne change rien au sens du texte de Rabelais et donc au commentaire que j’en fais.

  • Votre lecture analytique est très claire merci. Il y a juste un point que je n’arrive pas à comprendre, pourquoi dites-vous que le prologue de Gargantua pose les bases de l’humanisme sur le plan littéraire (introduction)

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