Je n’ai plus que les os, Ronsard : analyse

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derniers vers ronsardVoici une analyse du poème « Je n’ai plus que les os… » écrit par Pierre de Ronsard en 1585 et publié dans Derniers vers en 1586.

« Je n’ai plus que les os… », introduction :

Dans ce sonnet des Derniers vers écrit quelques semaines avant sa mort, Ronsard évoque avec une certaine angoisse l’approche imminente de la fin de sa vie.

La mort est un thème récurrent dans l’œuvre du poète, mais il l’évoque ici d’un point de vue nouveau et différent.

Questions possibles à l’oral sur « Je n’ai plus que les os… » de Ronsard :

♦ Quels sont les sentiments du poète face à la mort ?
♦ Comment la mort est-elle représentée dans ce poème ?
♦ De quelle manière Ronsard met-il en scène sa propre mort ?
♦ Commentez la musicalité du poème.
♦ Que peut-on dire de la chute du sonnet « je n’ai plus que les os… » ?

Annonce du plan :

Ce poème d’adieu (I) donne une représentation à la fois concrète et baroque de la mort (II). Le poète se met ici lui-même en scène face à la mort, passant progressivement de l’angoisse à l’acceptation de la condition humaine (III).

I – Un poème d’adieu

A – Une mise en scène tragique et pathétique de sa propre mort

Dans le sonnet « Je n’ai plus que les os… », Ronsard, se met lui-même en scène sur son lit de mort : « Me consolant au lit et me baisant la face » (v. 11).

Il insiste sur le caractère tragique et inéluctable de la destinée humaine, à laquelle personne n’échappe : « Je m’en vais le premier vous préparer la place » (v. 14).

La fatalité de la mort est marquée notamment à travers la structure majoritairement négative des phrases, qui souligne l’impuissance du poète quant à son sort : « Je n‘ai plus que les os » (v. 1), « Je n‘ose », « je ne tremble » (v. 4), « Ne me sauraient guérir » (v. 6), « Ne remporte » (v. 10).

Cette impuissance est renforcée par les participes passés et les infinitifs, qui traduisent la passivité du poète : « Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé » (v. 2), « Ne me sauraient guérir » (v. 6), « dépouillé », « mouillé » (v. 9-10), « endormis » (v. 12), « vous préparer la place » (v. 14).

On remarque d’ailleurs que le poète est plus souvent en position de complément d’objet que de sujet : « Ne me sauraient guérir, leur métier m‘a trompé » (v. 6), « Quel ami me voyant » (v. 9), « Me consolant au lit et me baisant la face » (v. 11).

De plus, même les médecins, représentés à travers les figures divines d’Apollon et de son fils (dieux de la médecine dans la mythologie antique), n’ont plus aucun pouvoir face à la mort :
« Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble/
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé »
(v. 5-6).

La dimension tragique est associée au registre pathétique qui vise à susciter la pitié et la compassion : « sans pardon », « tremble » (v. 3-4), « un œil triste et mouillé », « consolant », « baisant la face » (v. 10-11), « chers compagnons », « mes chers amis » (v. 13).

B – Une cérémonie d’adieu solennelle

Ces derniers vers de Ronsard prennent une tournure de cérémonie d’adieu.

Le terme « adieu » est d’ailleurs répété à maintes reprises : « Adieu, plaisant soleil » (v. 7), « Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis » (v. 13).

Le poète fait ainsi ses adieux au monde sensible, matériel. La mort lui ôte en effet à la fois la vue qui lui permettait d’admirer le monde, et la compagnie de ses fidèles amis.

L’amitié est mise en valeur à travers un lexique hypocoristique (termes d’affection, de tendresse) et l’interrogation oratoire qui souligne le caractère solennel du discours:
« Quel ami me voyant en ce point dépouillé/
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé/
Me consolant au lit et me baisant la face/
En essuyant mes yeux par la mort endormis ? »
(v. 9-12),
« Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis » (v. 13).

La solennité des adieux est également renforcée par le rythme majoritairement binaire et régulier des alexandrins.

Transition : Ronsard, en mettant en scène sa propre mort, nous offre une vision à la fois concrète et baroque de la condition humaine qui est caractéristique de son temps.

II – Une représentation saisissante de la mort

A – Une description saisissante de la dégradation du corps

A la Renaissance naît un vif intérêt pour le corps et l’anatomie. Cela se reflète dans ce sonnet, où le corps est au centre du poème.

On note tout d’abord l’omniprésence du champ lexical du corps : « les os », « squelette » (v. 1), « mes bras » (v. 4), « œil » (v. 7 et 10), « mon corps » (v. 8), « la face », « mes yeux » (v. 11-12).

C’est donc à travers le corps et sa décomposition progressive que la mort se manifeste. On a alors une vision concrète, matérielle de la mort.

La dégradation du corps est ainsi décrite à travers un vocabulaire médical précis et détaillé : « décharné, dénervé, démusclé, dépulpé » (v. 2), « étoupé » (v. 7).

Cette accumulation d’adjectifs donne un caractère concret à la mort, qui est perçue d’un point de vue uniquement matérialiste. L’homme est avant tout un corps constitué de matière : à aucun moment l’âme n’est évoquée.

Dans les quatrains, les sensations physiques l’emportent sur les sentiments, car même la peur s’exprime à travers le corps : « que de peur je ne tremble » (v. 4).

Les termes appartenant au champ lexical de la dégradation sont mis en relief par la reprise quasi obsessionnelle du préfixe « dé-«  qui traduit l’insistance du poète quant à la dissolution de son enveloppe corporelle : « charné, nervé, musclé, pulpé » (v. 2), « sassemble » (v. 8), « pouillé » (v. 9).

B – Une esthétique baroque

Le sonnet « Je n’ai plus que les os… » est aussi dominé par une esthétique baroque.

Le baroque est un mouvement artistique (en littérature, de la fin du 16ème siècle au début du 17ème siècle) caractérisé par les thématiques de la métamorphose, de la mort, de l’illusion et par la profusion des détails.

Dans ce sonnet, la métamorphose est celle du corps du poète dont la dégradation est peinte à travers des détails macabres.

Le thème de l’illusion transparaît dans l’emploi du verbe « semble » (v. 1), verbe repris par un effet d’écho à la rime, ce qui donne une impression de miroitement : « ensemble » (v. 5), « désassemble » (v. 8).

Par ailleurs, le thème de la mort dans la vie est également propre au mouvement baroque. Ainsi le poète encore vivant se voit comme déjà mort : « Je n’ai plus que les os, un squelette je semble » (v. 1), « Que le trait de la mort sans pardon a frappé » (v. 3).

L’emploi du passé composé, pont entre passé et présent et donc indirectement entre vie et mort, souligne que le travail de la mort a commencé. Le poète, entre deux mondes, apparaît comme une sorte de mort-vivant.

Transition : Considérant l’approche inéluctable de sa mort, le poète passe par toute sorte de sentiments, l’angoisse se métamorphosant finalement en acceptation.

III – Le poète face à la mort : de l’angoisse à l’acceptation

A – Angoisse et mélancolie de Ronsard

L’approche imminente de sa mort provoque chez le poète des sentiments tels que l’angoisse et la mélancolie.

La peur est tout d’abord évoquée explicitement au vers 4 : « Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble ».

De plus, les sonorités telles que les allitérations en « p », en « t », « d » et [k] reproduisent les effets physiques de la peur, tels que les tremblements ou les dents qui claquent : « plus que », « squelette », « Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé/Que le trait de la mort sans pardon a frappé », « que de peur je ne tremble » (v. 1 à 4), « deux grands maîtres », « leur métier m’a trompé », « Adieu, plaisant Soleil, mon œil est étoupé/Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble » (v. 5 à 8), « Quel », « en ce point dépouillé », « remporte », « triste », « consolant » (v. 9-11), « par la mort endormis », « Adieu, chers compagnons, adieu », « le premier vous pparer la place » (v. 12-14).

L’angoisse se manifeste aussi indirectement à travers la perte progressive de la vue et une périphrase désignant l’enfer : « Adieu, plaisant Soleil, mon œil est étoupé/Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble » (v. 8).

Enfin, le poète éprouve également une certaine mélancolie face à sa mort. On la perçoit principalement à travers les sonorités plus sourdes, comme par exemple la dominance des sons [an] et [on] : « semble », « sans pardon », « tremble » (v. 1-4), « Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble », « trompé », « plaisant », « mon œil », « Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble » (v. 5-8), « me voyant en ce point », « Ne remporte », « Me consolant », « me baisant » (v. 9-11), « En essuyant », « endormis », « compagnons », « Je m’en vais » (v. 12-14).

B – Dramatisation de la mort

Le sentiment d’angoisse est amplifié par de nombreux effets de dramatisation :

♦ Le chiasme du v. 1, qui présente le poète comme déjà mort :
« Je n’ai plus que les os, un squelette je semble ».

L’accumulation du v. 2 (« Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé ») et l’anaphore de « que » qui fait entendre un martèlement angoissant (« plus que les os », « Que le trait de la mort sans pardon a frappé », « que de peur je ne tremble », v. 1-4).

La personnification de la mort au v. 3, qui lui donne un caractère plus concret, plus réel : « Que le trait de la mort sans pardon a frappé ».

De nombreuses hyperboles, qui accentuent la dégradation incontrôlable du corps : « Je n’ai plus que les os, un squelette je semble » (v. 1), « Que le trait de la mort sans pardon a frappé » (v. 3), « Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble », « en ce point dépouillé » (v. 8-9).

 L’emploi du présent, qui souligne la forte proximité de la mort : « Je n’ai » (v. 1), « Je n’ose » (v. 4), « mon œil est étoupé », « Mon corps s’en va » (v. 7-8), « Je m’en vais » (v. 14).

Le rythme ternaire du vers 2 (3/3/3/3) et les enjambements (v. 5-6, v. 9-11), qui donnent une impression d’accélération.

C – Acceptation de la mort

Dans le dernier tercet, il nous semble que le poète accepte finalement sa mort.

La maîtrise de soi est traduite à travers le rythme mesuré du vers 13 : « Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis » (2/4//2/4).

Après s’être résigné à la décomposition angoissante de son corps et la perte progressive de la matière qui le constitue, il accepte en stoïcien sa mort (rappelons ici que dans la philosophie antique, les stoïciens considéraient l’existence comme essentiellement corporelle).

D’une part, le poète se console en songeant à ses amis. En effet, la proximité de ses amis, dont la force des liens est mise en valeur par la structure suivie des rimes aux vers 9-10 et 12-13, aide Ronsard à se montrer plus serein face à la mort.

D’autre part, il atténue la mort à travers un euphémisme apaisant dans lequel il compare la mort au sommeil : « En essuyant mes yeux par la mort endormis » (v. 12).

Enfin, Ronsard semble également se consoler en évoquant pour la première fois dans le poème une conception plus spirituelle d’une vie après la mort. Il insinue en effet au dernier vers que ses amis le retrouveront dans l’au-delà : « Je m’en vais le premier vous préparer la place » (v. 14).

C’est toutefois une chute ambiguë, car on ne sait pas vraiment si « la place » se rapporte au paradis ou à la tombe.

« Je n’ai plus que les os… », conclusion :

Dans ce sonnet d’adieu appartenant à ses Derniers vers, Ronsard évoque avec angoisse sa propre mort, qu’il met en scène et anticipe pour finalement mieux l’accepter.

Ce poème reflète les différents courants de la Renaissance, comme la passion de l’anatomie et du corps, l’humanisme marqué par la référence à l’antiquité et le mouvement baroque caractérisé principalement ici par les thématiques de la mort et de la métamorphose du corps.

Ce poème éminemment baroque, inhabituel dans l’œuvre du poète, inspirera d’autres poètes comme Baudelaire dans « Une charogne » ou Jean-Baptiste Chassignet dont l’inspiration puisée du poème de Ronsard est évidente dans « Mortel Sonnet » (1594).

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Amélie Vioux

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5 commentaires

  • Bonjour Amélie,

    Merci pour votre travail, par ailleurs éclairant.

    Toutefois, on ne peut en aucun cas parler de « réalisme » et le jour de l’oral, les élèves qui s’y risqueraient, verraient certainement leur note chuter. D’une part, le signal qu’ils enverraient au jury c’est qu’ils feraient un anachronisme (or le réalisme est l’un des objets d’étude de 2de). D’autre part, rien que l’hyperbole liminaire est antinomique avec tout aspect « réaliste » de la représentation, même au sens courant du texte ; qu’il y ait écho à l’esthétique baroque par l’ostentation, l’illusion et la métamorphose certes, par la représentation d’une Vanité, oui, mais aucun « réalisme » ici. Parlons d’une hypotypose « saisissante » par exemple.

    • Bonjour Julien,
      Je n’emploie pas ici le terme « réaliste » dans son sens historique (référence au mouvement littéraire de la seconde moitié du XIXème siècle) mais uniquement dans son sens esthétique, pour souligner la volonté de montrer le corps tel qu’il est, sans idéalisation. Cela dit, votre commentaire met le doigt sur un risque de confusion pour les élèves, je vais donc retirer ce terme de mon analyse pour clarifier les choses. Merci pour vos remarques !

      • N’ayez crainte, j’avais saisi que c’était dans un tel sens Amélie (je me doutais que vous ne faisiez pas vous-même la confusion avec le mouvement). D’où le fait que je préfère « tableau saisissant » dans la monstration crue de la décrépitude du corps.
        Merci et bravo en tout cas pour votre travail, de qualité par ailleurs !

  • Bonjour Amélie,
    Je suis élève de première à Rouen et nous avons cette année une remplçante en français qui n’est pas formée pour nous préparer au bac. Elle ne donne aucune méthode et ne fait pas de cours complets sur les textes à étudier. Toute notre classe est inquiète, il y a certains textes qu’heureusement on trouve sur votre site et cela nous rassure, donc nous tenons à vous remercier, mais nous ne savons pas comment faire pour les autres textes 🙁

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