Une charogne, Baudelaire : analyse

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une charogne commentaire

La charogne – Les fleurs du mal – Frans de Boever.

Voici une analyse du poème « Une charogne » issu des Fleurs du mal de Charles Baudelaire.

« Une charogne » : introduction

Poème extrait de la section « Spleen et idéal » des Fleurs du Mal, « Une Charogne » décrit la promenade d’un couple interrompue par une vision d’horreur : l’apparition d’un cadavre en décomposition.

(Voir la fiche de lecture des Fleurs du Mal)

Ici c’est la charogne et non la femme aimée qui se place au centre du poème.

Problématiques possibles à l’oral sur « Une charogne » :

♦ En quoi ce poème peut-il être une mise en abyme de la création poétique ?
♦ Quels sont les enjeux de la description de la charogne ?
♦ Commenter la comparaison entre la charogne et la femme. Que peut-on en déduire ?
♦ Analyser la progression du récit dans le poème

Annonce du plan :

Derrière l’ironie de Baudelaire dans le mélange du Beau et du Laid (I) et dans le détournement d’une scène amoureuse traditionnelle (II), se cache une réflexion sur l’Art et la Poésie (III).

I – Le mélange du Beau et du Laid

A – « Le beau dans l’horrible » : l’inversion des valeurs

« Une charogne » est sans doute l’un des poèmes les plus provocants de Baudelaire.

Celui-ci renverse l’idéalisation généralement attribuée à la femme ou à la nature en la rattachant à la figure de la charogne.

Il propose ainsi un mélange du Beau et du Laid, inversant leurs valeurs traditionnelles.

La charogne est présentée dans un décor bucolique, idyllique (« au détour d’un sentier », v. 3 et « Le soleil rayonnait », v. 9), qui contraste avec l’immonde cadavre (« charogne infâme », v. 3 ; « pourriture », v. 9 ou « puanteur », v. 15).

Les deux réalités antithétiques cohabitent dans l’oxymore : « carcasse superbe » (v. 13).

L’apparition de la charogne se présente également comme un spectacle qui s’offre aux yeux du monde : « Et le ciel regardait » (v. 13).

Cette vision s’accompagne d’un lexique mélioratif et hyperbolique :
« beau matin d’été si doux » (v. 2), « plein » (v. 8), « au centuple » et « la grande Nature » (v. 11), « superbe » (v. 13), « si forte » (v. 15).

Le poète va jusqu’à comparer la charogne à une fleur : « Comme une fleur s’épanouir » (v.14). Il démontre ainsi qu’on peut extraire la beauté du mal.

B – La comparaison entre la charogne et la femme : un érotisme macabre

La charogne est personnifiée par Baudelaire à travers une comparaison avec la femme à la deuxième strophe : « Les jambes » et « comme une femme » (v. 5), « Son ventre » (v. 8).

Cette comparaison s’accompagne d’allusions à forte connotation sexuelle : « Les jambes en l’air », « lubrique » (v. 5), « Brûlante et suant » (v. 6).

Les « exhalaisons » (v. 8) peuvent se rapporter au parfum de la femme devenu ici « puanteur » (v. 15).

A travers cette comparaison à l’érotisme macabre, Baudelaire conjugue à nouveau deux forces opposées : Éros (le désir) et Thanatos (la mort). On retrouve aussi cette fusion dans l’expression « vous mangera de baisers » (v. 46) dans laquelle transparaît l’ironie du poète.

Baudelaire va jusqu’à identifier la femme avec la charogne, à travers un champ lexical de l’identification : « serez semblable » (v. 37), « telle vous serez » (v.41).

Au lieu d’idéaliser la femme comme le veut la tradition poétique, Baudelaire met en évidence la réalité funeste qui attend la beauté de la femme : « Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses, /Moisir parmi les ossements » (vers 43-44).

II – Le détournement d’une scène amoureuse traditionnelle

A – Le détournement des « clichés » romantiques

Pour détourner la célébration de la femme aimée, Baudelaire emprunte des expressions romantiques et élogieuses typiques de la poésie traditionnelle, telles que : « mon âme » (v. 1), « Etoile de mes yeux » et « soleil de ma nature » (v. 39), ou « mon ange et ma passion » (v. 40).

L’interpellation de l’objet aimé à travers le vocatif et l’apostrophe (« Rappelez-vous », v. 1 ; « ô la reine des grâces », « Vous, mon ange », « Oui ! telle vous serez », v. 40-41, « ô ma beauté », v. 45) apporte également une tonalité lyrique au poème.

Mais en faisant rimer « âme » avec « infâme » (vers 1 et 3), « nature » avec « ordure » (vers 37 et 39) et « passion » avec « infection » (vers 40 et 38), le poète détourne avec cynisme les marques de l’amour courtois.

Les diérèses aux termes « pa/ssi/on » et « in/fec/ti/on »  soulignent bien l’ironie du poète, dont on perçoit l’humour grinçant dans l’appui sur le « i ».

De même, l’homonymie entre « grâces » et «grasses » (vers 41 et 43) dénonce le cynisme du poète envers la femme dont la beauté est vouée à s’évaporer.

B – La disparition progressive de la femme

Alors que le premier vers du poème faisait songer à un poème d’amour traditionnel (« Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme« ), la femme aimée disparaît progressivement du poème.

On peut constater la disparition du « nous » et du « vous » à la fin du poème, remplacés par la première personne : « j’ai gardé » et « mes amours » (vers 47-48).

Par ailleurs, le jeu de rimes entre « s’épanouir » (v. 14) et « évanouir » (v. 16) marque la domination de la charogne par rapport à la femme.

Par une simple permutation de lettres (interversion entre le « p » et le « v »), le poète rapproche deux mouvements inverses : l’un tourné vers la vie (s’épanouir) et l’autre vers la mort (s’évanouir).

Paradoxalement, la charogne revit et s’anime tandis que la femme tend à disparaître et à devenir elle-même charogne.

III – Une réflexion sur l’Art et la poésie

A – Une charogne : la composition d’un tableau imagé et animé

La description de la charogne est imagée et animée.

Alors que la rencontre avec la charogne se présente comme un souvenir aux images fuyantes (« Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve », v. 29), de nombreuses comparaisons permettent de rendre l’image de la charogne nette et vivante : « comme une femme lubrique » (v. 5), « Comme afin de la cuire à point » (v. 10), « Comme une fleur s’épanouir » (v. 14), « Comme l’eau courante et le vent » (v. 26-27), etc.

La scène racontée s’anime petit à petit : on passe de la fixité (« rayonnait », v. 9 ; « regardait », v. 13) au mouvement (« sortaient », « coulaient », v. 18-19 ; « s’élançait en pétillant », « Vivait en se multipliant », v. 22 et 24 ; « mouvement rythmique », v. 27).

La vie se multiplie et se propage massivement dès la cinquième strophe, dans laquelle on trouve une métaphore guerrière : « D’où sortaient de noirs bataillons » (v. 18).

Tout cela donne l’impression qu’un tableau s’anime progressivement sous nos yeux.

B – La métaphore du peintre : une mise en abyme de la création poétique

Le poème « Une charogne » est aussi une réflexion sur le travail de l’artiste.

On note ainsi le champ lexical de l’art : « musique » (v. 25), « mouvement rythmique » (v. 27), « ébauche » (v. 30), « toile » et « artiste » (v. 31).

Mais c’est plus précisément au travail du peintre que Baudelaire fait référence (« <em>sur la toile », v. 31).

Cette métaphore nous oriente sur le sens du poème :

Le poète doit, comme le peintre, décomposer le réel pour ensuite le recomposer à partir de l’imagination et de la mémoire (voir à ce propos l’essai de Baudelaire : « Le Peintre de la vie moderne »).

Car si ce poème se présente comme le récit d’un souvenir (voir la première strophe « Rappelez-vous« , et la huitième « le souvenir » v.37), il s’agit d’un souvenir aux images fuyantes :
« Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve », v. 29.

Le travail du poète est de faire revivre ce souvenir par la mémoire (« que l’artiste achève/Seulement par le souvenir », v. 31-32).

Cette naissance du poème est soulignée par une métaphore du mouvement respiratoire (« Tout cela descendait, montait », v. 21) et une référence au souffle signifiant un retour vers la vie : « le corps enflé d’un souffle vague » (v. 23).

A la fin du poème, Baudelaire met en évidence la capacité de sublimation de l’art, qui seul peut préserver la beauté de la femme : « Que j’ai gardé la forme et l’essence divine/De mes amours décomposés ! » (v. 47-48).

« Une charogne » : conclusion

« Une Charogne » illustre le projet poétique de Baudelaire dans Les Fleurs du Malextraire la beauté du mal ou de l’horrible.

Il démontre ici la force sublimatoire de l’Art, qui fait sa supériorité. Le poète prouve ici sa modernité, en détournant les clichés de la poésie traditionnelle.

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