Le cageot, Francis Ponge : commentaire

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ponge le cageotVoici une analyse du poème « Le cageot » issu du Parti pris des choses de Francis Ponge (1942).

 Le cageot, Ponge : Introduction

Lorsqu’il publie, en 1942, Le Parti pris des choses, Francis Ponge rompt avec la tradition de la poésie lyrique, qui plaçait au cœur de l’écriture poétique le « je » du poète, sa sensibilité et ses émotions.

Bien au contraire, Le Parti pris des choses se concentre sur la matérialité du quotidien : le recueil se présente comme une suite de poèmes descriptifs, chacun étant centré sur un objet familier (le pain, la cigarette, la bougie, le cageot), ou sur un élément minéral (la pluie), végétal ou animal (l’huitre, l’escargot).

« Le cageot » propose ainsi la description d’un objet banal et insignifiant. Saisi par le langage poétique, il  prend pourtant vie pour acquérir un sens nouveau.

Lire « Le cageot » de Ponge (le texte)

Questions possibles sur « Le cageot » à l’oral de français :

♦ Comment le cageot est-il transformé par l’écriture poétique de Ponge ?
♦ Pourquoi peut-on considérer que le texte « Le cageot » est un poème ?
♦ Qu’est-ce qui est nouveau dans le regard que Ponge porte sur les choses ?
♦ Dans quelle mesure Francis Ponge « prend-il parti » pour le cageot ?

Le cageot, objet trivial et familier (I) devient une réalité réenchantée par le langage poétique de Ponge (II) qui fait du cageot le symbole tragique du caractère éphémère de toute chose (III).

I – La définition d’un objet trivial et familier

Le poème de Ponge est singulier : il se présente comme la brève définition d’un objet prosaïque.

A – Un « poème-définition »

Le poème « le cageot » fournit une définition de l’objet appréhendé.

Le titre, où le nom commun « cageot » est introduit par l’article défini « le », le dit bien : il s’agit de décrire « le cageot » en général, et non un cageot parmi d’autres ; il s’agit donc bien de saisir l’essence de l’objet.

Le présent de vérité générale, employé tout au long du texte (« Il ne sert pas deux fois », « il luit »), souligne également cette volonté de définir la réalité générale de l’objet.

En ce sens, le texte joue avec la forme de la notice de dictionnaire ou de l’article d’encyclopédie. Très bref, il se structure autour de trois paragraphes :

♦ Le premier fournit une courte définition du sens du mot « cageot », « simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits » ;

♦ Le second s’attarde sur sa fonction et son utilité ;

♦ Le troisième, enfin, nous offre une image du cageot « en situation », abandonné sur la chaussée, comme une illustration de la définition.

D’ailleurs, Francis Ponge part du mot et de sa réalité phonétique. « A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot » : le poète semble ici feuilleter les pages du dictionnaire pour y sélectionner le mot, d’abord appréhendé à travers sa réalité sonore (phonétiquement, « cageot » semble être le mélange de « cage » et de « cachot »).

B – Le cageot : un objet prosaïque

Ce « poème-définition » se concentre sur un objet trivial et prosaïque : le cageot. L’ensemble du poème insiste sur son insignifiance et sur sa modestie.

Le cageot est en effet décrit comme une « simple caissette », le suffixe « -ette » insistant ici sur la petitesse de l’objet.

Son « éclat sans vanité » lui confère un caractère particulièrement humble, celui de ces choses que l’on peut trouver « à tous les coins de rues ».

Il est avant tout appréhendé sous l’angle de l’utilité. Le cageot est d’abord fonctionnel : il est « [voué] au transport » des fruits, il a un « usage », il « sert ».

Surtout, le cageot est un objet jetable, détruit après utilisation : « il ne sert pas deux fois », et son existence est si  brève qu’il dure moins longtemps encore que les « denrées » pourtant périssables qu’il transporte.

Objet rebut, il est « à la voirie jeté sans retour », et devient ainsi déchet aussitôt qu’il a cessé d’être utile.

Il faut noter à quel point la forme du texte s’accorde avec son sens : abandonnant le poème en vers qui a longtemps été la forme privilégiée de la poésie, Ponge choisit ici le poème en prose, plus proche du langage courant et mieux à même de saisir cette réalité familière et quotidienne.

Transition : Le poème « le cageot » se présente donc comme la définition très brève d’un objet prosaïque, et se rapproche en cela de l’article de dictionnaire.

L’enjeu n’est pourtant pas de se contenter d’une description objective de l’objet, mais bien de saisir le « parti pris des choses », la façon dont elles s’animent et s’engagent dans le réel. Il s’agit donc de renouveler le regard porté sur l’objet.

II – Le cageot réenchanté

A – Révéler la beauté singulière du cageot

Objet trivial et insignifiant à première vue, le cageot va devenir une réalité surprenante, réenchantée par le langage poétique.

Un ensemble de notations contribuent en effet à en révéler la beauté insoupçonnée.

Ainsi la locution « à claire-voie », employée pour qualifier la « simple caissette », pourrait être  simplement destinée à souligner le fait que le cageot est composé d’un assemblage de planches disjointes et écartées les unes des autres. Cependant, l’emploi du terme est surprenant : on parle plutôt d’une fenêtre ou d’un volet « à claire-voie », pour désigner une structure qui laisse passer le jour. La réalité grossière du cageot acquiert alors une dimension tout autre : on ne voit plus une simple structure en bois, mais un assemblage quasiment aérien où circulent l’ombre et la lumière.

De même, la foule des cageots abandonnés sur la voirie acquiert une beauté singulière, puisque chaque cageot « luit (…) de l’éclat sans vanité du bois blanc », comme autant de lucioles ou d’étoiles parsemant la chaussée.

Enfin, le cageot n’est pas une simple structure : il contient des « denrées fondantes ou nuageuses ». La périphrase utilisée pour désigner les fruits ou les pâtisseries que peut contenir le cageot enrichit la description de l’objet d’une dimension sensorielle : le poème ne mobilise pas seulement la vue mais également la sensibilité gustative du lecteur, amené à s’imaginer en train de faire fondre les « denrées » dans sa bouche.

Ces « denrées » semblent ici désigner une forme de nourriture rare et précieuse, et fait de ce cageot une sorte de malle au trésor emplie de richesses insoupçonnées.

B – Le cageot humanisé

Le cageot semble également acquérir un caractère proprement humain.

La structure du poème s’organise en effet autour d’une humanisation progressive du cageot :

♦ Il est d’abord désigné comme une « simple caissette vouée au transport », le participe passé soulignant ici sa passivité ;

♦ Il devient dans le second paragraphe sujet des verbes d’action (il «sert », il «dure ») ;

♦ Enfin, le dernier paragraphe du poème repose sur une personnification de l’objet : qualifié par l’adjectif « légèrement ahuri », il se dote ici de sentiments humains.

Humanisé, l’objet cesse d’être décrit de manière distancée et objective, il devient une réalité affective : « cet objet est en somme des plus sympathiques ».

L’objet banal et prosaïque devient touchant, l’adjectif « sympathique » (étymologiquement « souffrir ensemble ») révélant bien une communauté de sentiments entre l’homme et le cageot.

Transition : objet banal et familier, le cageot devient ici une réalité à la beauté insoupçonnée, qui s’anime d’une vie proprement humaine.

L’enjeu de la démarche poétique semble être alors de déceler ce que cet objet apparemment insignifiant a à nous dire de la condition humaine.

III – Une vanité ? Le cageot, symbole tragique

Le poème « Le cageot » fait songer à une vanité.

La vanité est une forme de peinture qui a dominé la période baroque de la première moitié du XVIIème siècle : une nature morte représentant des réalités quotidiennes (fruits, objets familiers, etc.) placés à côté d’une tête de mort, soulignant alors le caractère éphémère et périssable de toute chose.

vanité ponge

vanite cageot

« Le cageot » participe ici de cette esthétique, puisqu’il est avant tout caractérisé par la brièveté de son existence.

A – Une réalité inquiétante

Objet trivial et familier à première vue, le cageot fait pourtant l’objet d’une description parcourue de signes inquiétants.

Le jeu de mot qui ouvre le poème est en effet troublant : à partir de l’appréhension phonétique du mot, le poète rapproche le cageot de la « cage » et du « cachot ».

Au cœur de l’objet familier et fonctionnel s’ouvre alors un univers plus sombre, celui de l’emprisonnement, comme si toute réalité, même la plus triviale, contenait en elle sa face cachée, plus noire et plus inquiétante, le risque d’un enfermement.

De même, les fruits contenus par le cageot ne sont pas seulement d’agréables « denrées fondantes », ils comportent aussi un risque vital, celui de l’étouffement, puisque « de la moindre suffocation » ils peuvent faire « à coup sûr une maladie ».

B – Une dimension tragique

Le cageot acquiert alors une dimension tragique : il devient le signe du caractère éphémère de toute existence.

Le poème ne cesse de rappeler la brièveté de sa durée de vie : « il ne sert pas deux fois », il ne « dure » pas.

Le vocabulaire employé rappelle celui du registre tragique : le cageot est « voué au transport de ces fruits », comme s’il s’agissait là d’un destin inéluctable, il est soumis à un « sort ».

Le poème confère au cageot un statut singulier, entre sujet (qui devient presque humain) et objet (extrêmement passif, soumis à toutes les volontés, il peut « être brisé sans effort » ou « à la voirie jeté sans retour »).

Ce statut hybride incarne bien la fragilité de la vie humaine : doté de sentiments propres, le cageot est pourtant soumis aux caprices du sort et voué à disparaître. En ce sens, il joue ici le rôle d’un véritable memento mori (en latin : « souviens-toi que tu dois mourir »).

C – Tragédie et humour

On ne peut cependant se contenter de lire le texte que comme un constat tragique. Le poème « Le cageot » est en effet teinté d’humour.

Le texte s’achève ainsi sur une pointe comique, un jeu de mot léger. Lorsque le poète évoque « le sort » du cageot, sur lequel « il convient toutefois de ne pas s’appesantir longuement », il joue bien sur la polysémie (un terme polysémique est un terme qui a plusieurs sens) du verbe « s’appesantir », qui peut avoir un sens figuré (ne pas s’attarder sur un sujet) mais aussi un sens propre (ne pas peser de tout son poids sur le fragile cageot, prêt à céder à tout moment).

La dimension tragique se teinte alors d’une légèreté et d’un humour caractéristique du Parti pris des choses : l’objet insignifiant recèle un sens plus riche et plus profond que ce que l’on veut bien croire, mais il convient aussi de le traiter avec humour.

Le cageot, Ponge, conclusion :

Le poème « Le cageot » opère bien un renouvellement du regard propre à Ponge, dont la poésie cherche à réenchanter le monde muet des choses inanimées : objet familier et insignifiant, le cageot révèle une beauté insoupçonnée, et acquiert une dimension symbolique, puisqu’il devient le signe du caractère éphémère et périssable de toute réalité.

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