Tout cela n’est pas sérieux, Francis Ponge : analyse

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Voici une analyse linéaire du poème « Tout cela n’est pas sérieux » issu de La Rage de l’expression (1952) de Francis Ponge.

L’extrait étudié va du début du poème à « d’y perdre mon temps comme j’ai fait » .

Tout cela n’est pas sérieux, Francis Ponge, introduction

Dix ans après son célèbre recueil en prose Le Parti pris des choses, qui s’attachait à décrire les choses le plus fidèlement possible, Francis Ponge fait paraître en 1952 La rage de l’expression.

La réflexion sur l’écriture poétique est au centre de ce nouveau recueil à l’expression tantôt familière, tantôt très travaillée.

Les sept sections qui le composent s’apparentent à des exercices de descriptions littéraires et à des réflexions linguistiques sur le monde animal, le monde végétal ou les lieux affectionnés par l’auteur.

L’objectif affiché de l’écrivain est d’aboutir à l’expression la plus juste possible, d’où le titre, La rage de l’expression.

Ne cachant rien de la difficulté et la complexité de sa tâche, il rompt avec la figure traditionnelle du poète inspiré.

« Tout cela n’est pas sérieux » constitue l’avant-dernière partie du poème « Le Carnet du Bois de Pins ». Ponge y fait un bilan de son travail.

Problématique

En quoi le ton varié de ce texte permet-il à Francis Ponge de s’interroger sur le processus de création et de déconstruction de son écriture ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, de « Tout cela n’est pas sérieux » à « mouches sans sommeil », Francis Ponge fait le bilan de son travail poétique.

Dans un seconde temps, de « Si je n’ai gagné que cela » à « comme j’ai fait », nous verrons qu’il pose les fondements de la nouvelle poésie pongienne.

I – Le bilan du travail poétique

De « Tout cela n’est pas sérieux » à « mouches sans sommeil »

Le poème s’ouvre par un vers éponyme au ton humoristique : « Tout cela n’est pas sérieux ». Le lecteur peut être désarçonné et comprendre que rien de ce qu’il a lu n’a été sérieux, comme si l’auteur lui avait fait un pied-de-nez.

Le sujet « Tout cela« , vague et englobant, marque une certaine distance voire même un certain dédain et souligne la déception et désillusion de l’auteur vis-à-vis de son travail.

Ainsi, Francis Ponge brise les codes de la poésie traditionnelle pour juger sa propre écriture.

La question rhétorique qui suit développe cette boutade tandis que le passé composé ancre l’écriture dans la situation d’énonciation : « Qu’ai-je gagné pendant ces quinze pages…?  »

L’auteur précise « ces quinze pages (pp. 119 à 141) et ces dix jours ». Le lecteur est bien arrivé à la 142ème page et comprend donc que l’écriture a pris du temps. La répétition de l’adjectif démonstratif « ces » met l’accent sur la durée écoulée.

Cette indication sera répétée à plusieurs reprises, si bien que le lecteur est loin de l’image du poète inspiré : Ponge répète que l’écriture poétique est un labeur chronophage.

Ensuite, la question en apparence humoristique (« qu’ai-je gagné ») pose en réalité la question de l’utilité de l’écriture poétique.

La réponse arrive de façon grinçante : « Pas grand-chose pour la peine que je me suis donnée. » Là encore, Francis Ponge souligne l’écart entre le travail du poète, le temps passé et le résultat.

Puis intervient une énumération de six éléments écrits sous la forme d’un catalogue, annoncés par des chiffres comme une liste à puces et précédés de la mention ironique « seulement ceci ».

Ces six éléments, à la syntaxe différente, visent à éclairer le lecteur sur les apports de l’écriture poétique. La présentation sous forme de liste à puces est toutefois surprenante pour un poème car elle semble davantage relever de l’écriture scientifique.

En apparence anodins, voire provocateurs, ces points sont également didactiques : ils rappellent des découvertes réalisées dans les poèmes précédents, offrant un véritable récapitulatif de la section « Le carnet du bois de pins ».

En effet, le premier point est un écho à la comparaison des cieux aux miroirs et aux glaces qui entourent le bois de pins. Francis Ponge insère d’ailleurs une parenthèse pour rappeler le numéro de page concerné, comme un chercheur citant ses sources.

De façon laconique, le second élément rappelle une expression justement trouvée (« haut touffue »), sans autre commentaire.

Le troisième comprend une auto-citation d’un vers qui revient à de multiples reprises, avec des variations de présentation, dans le « Carnet du Bois de Pins » (de la page 125 à 140) : « secouées là par tant de cimes négligentes ». L’auteur commente d’emblée avec une forme de satisfaction (« ce qui est assez joli ») nuancée d’une pointe d’humour (« il me va falloir chercher négligent dans le Littré… »).

Le quatrième point s’intéresse à l’image et à la polysémie mot « peignoir », qui est à la fois un vêtement et un objet.

Le cinquième explore le mot « entaché » et loue son « sens péjoratif », son « indication d’imperfection du sujet ».

Enfin, le sixième point commence avec une typographie particulière en majuscule, comme s’il annonçait le paroxysme de la révélation de l’écriture poétique par la locution : « ET SURTOUT« .

Le contenu peut apparaître énigmatique pour le lecteur car il repose sur plusieurs antithèses. Tout d’abord, l’antithèse entre « idée » et « réalité » : Ponge rappelle que la poésie (l’idée) ne vient que d’une observation attentive des choses (« la réalité »). Puis l’antithèse entre « soleil » et « pénombre » : le bois de pins apparaît comme un endroit mystérieux et sombre, à l’abri du soleil. Les images convoquées sont particulièrement poétiques (« rubans obliques tendus » , « mouches sans sommeil » )

Ce premier mouvement hétéroclite interroge les apports du travail poétique pour l’auteur. Pour ce dernier, les sens d’un mot, son apparence sur le papier et les images qu’il suscite sont un enrichissement.

II – Les fondements d’une nouvelle poésie 

De « Si je n’ai gagné que cela » à « comme j’ai fait »

Francis Ponge revient sur ces apports qui lui semblent bien pauvres compte tenu du « travail ininterrompu et acharné » fourni.

La typographie en italiques sur le mot « acharné » met l’accent sur cet adjectif et rompt une fois encore avec l’image traditionnelle du poète inspiré. Francis Ponge présente l’écriture poétique comme un labeur pénible et difficile.

La négation restrictive « ne..que » dévalue le résultat de son travail, mis à distance par le pronom démonstratif « cela » : « Si je n‘ai gagné que cela en dix jours« 

Il va même jusqu’à conclure de façon péremptoire : « c’est donc que j’ai perdu mon temps ».

L’auteur superpose ensuite deux temporalités : la sienne (« j’ai perdu mon temps« ) et celle de son objet poétique, comme en témoigne la tournure oralisée : « Je serais même tenté de dire, le temps du bois de pins ».

Le bois des pins bénéficie donc de sa temporalité propre. Il est d’ailleurs personnifié puisqu’il est « pressé d’être exprimé » et ressent « l’espoir » .

Le bois de pins est donc mû par ses désirs propres et indépendants. Le poète n’est qu’un intermédiaire qui communique avec l’objet poétique pour le sortir du « monde muet« 

Une question rhétorique surgit : « Pourquoi ce dérèglement, ce déraillement, cet égarement ? » L’énumération au rythme ternaire restitue l’errement du poète.

Aucune réponse n’est apportée. Seul subsiste le souvenir de l’écriture d’un poème en prose, p. 119-120. La référence aux pages de l’ouvrage désacralise les poèmes, qui sont désignés non par un titre mais par une situation dans le livre que tient le lecteur.

Ponge cite également Paulhan : « Désormais le poème en prose n’est plus pour toi ». Il analyse l’échec de sa propre pratique poétique qui a consisté à mettre en vers un poème en prose. La répétition à quatre reprises de « poèmes en prose » montre le souci de Ponge pour cette forme poétique.

Ponge exprime alors ses regrets au conditionnel passé : « Alors que j’aurais dû défaire ce poème en prose pour intégrer les éléments intéressants qu’il contenait dans mon rapport objectif (sic) sur le bois de pins ».

L’abbréviation latine « (sic ») signale l’incongruité des termes « rapport objectif« . Ponge sous-entend ainsi, avec une dose d’autodérision, qu’il n’est pas parvenu à l’objectivité souhaitée

L’écrivain réaffirme sa position, d’une manière qui peut paraître provocatrice : « Mais ici mon dessein n’est pas de faire un poème ». Il ancre sa démarche dans la situation d’énonciation avec le présent d’énonciation et l’adverbe de lieu « ici » .

En écrivant « Le Carnet du Bois de Pins », il refuse donc les codes d’une poésie traditionnelle : ses sujets de prédilection, un certain sens de l’esthétique, une forme poétique convenue.

Son objectif est tout autre : il s’agit « d’avancer dans la connaissance et l’expression », « d’y gagner [lui-même] quelque chose ».

Cet objectif noble, mis en relief par le champ lexical du progrès (« avancer », « connaissance », « gagner ») est aussitôt déconstruit par une conclusion qui rappelle son échec de façon humoristique, grâce à l‘expression imagée et populaire « m’y casser la tête » .

Tout cela n’est pas sérieux, la Rage de l’expression, conclusion

Dans cette partie « Tout n’est pas sérieux », Francis Ponge désacralise la notion de poésie, de poète et d’écriture poétique.

Il prouve ainsi qu’en écrivant il peut interroger le cadre de la poésie, remettre en cause le topos du poète inspiré qui écrit par fulgurances.

Les apports de son travail poétique sont tangibles : l’exploration des sens d’un mot, l’attention portée à sa sonorité, la variation sur des vers.

Par son ton désinvolte, comique, laconique ou explicatif, il joue avec le lecteur et l’enjoint à aller plus loin dans l’expression, seule porte d’entrée à la connaissance des choses.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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