La guêpe, La Rage de l’expression, Ponge : analyse

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Voici une lecture linéaire du poème « La guêpe » issu de La Rage de l’expression de Francis Ponge.

L’extrait étudié va du début du poème à « je ne m’avancerai pas beaucoup plus loin en ce sens ».

La guêpe, La Rage de l’expression, introduction

Francis Ponge (1899-1988) est l’un des poètes français les plus marquants du XXème siècle.

Dans Le Parti pris des choses paru en 1942, il cherche à restituer les choses muettes le plus fidèlement possible, en échappant au prisme de la subjectivité.

Dix ans plus tard, dans La rage de l’expression, il ne se contente pas d’expérimenter de nouveaux objets à décrire : il propose une réflexion sur l’écriture poétique. (Voir la fiche de lecture sur La Rage de l’expression pour le bac)

Ce recueil hybride à l’expression tantôt familière, tantôt très travaillée, comporte sept pièces.

Francis Ponge y questionne les représentations traditionnelles de la poésie et l’exercice de la description littéraire.

En jouant avec les registres et les typographies, Ponge se présente en scientifique qui observe, expérimente, doute, remet en question son projet poétique et linguistique.

Il n’a de cesse de chercher le mot juste pour cerner des objets, attentif à leur musicalité.

« La guêpe », poème dédié à Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, ouvre le recueil.

Problématique

En quoi ce poème qui emprunte à la démarche scientifique permet-il à Francis Ponge d’interroger la langue française pour cerner l’insecte ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, du titre « La guêpe » à « son contact dangereux », le poète a recours à l’observation scientifique pour décrire l’insecte.

Dans un deuxième temps, de « Elle pompe » à « aimantation au sucre », il étudie le rapport entre la guêpe et le sucre.

Dans un troisième temps, de « Analogie de la guêpe » à « par les rails », Ponge compare la guêpe à un tramway électrique.

Dans un quatrième temps, de « Un petit siphon » à « basculant en vol », le poète soulève le paradoxe de la guêpe, machine dotée de vie.

Enfin, dans un cinquième temps, de « Il fallait bien » à « plus loin en ce sens », Francis Ponge s’inspire de l’étymologie des mots.

I – Le recours à l’observation scientifique

De « La guêpe » à « son contact dangereux »

Les premiers vers proposent une définition qui peut surprendre le lecteur tant elle relève de l’observation scientifique, biologique.

Le nom savant est en effet immédiatement mentionné (« hyménoptère »), le vol et la couleur de la guêpe sont analysés.

Les comparatifs (« plus lourd que« , « plus petites« ) permettent de comparer le poids de son corps à celui du moustique; la taille des ailes et la vitesse de vibration sont évoquées, en comparaison de la mouche. L’approche est donc semblable à celle d’un scientifique.

Mais la guêpe reste pourtant difficilement saisissable, comme le suggèrent la métaphore filée du « vol félin » dont le corps est « tigré« , ou la comparaison à la mouche qui lutte pour se défaire du miel ou du papier tue-mouches ». À l’approche scientifique se mêle une vision poétique de l’insecte.

Le lecteur se trouve donc face à un essai de définition en apparence scientifique, mais qui emprunte à l’imaginaire populaire.

De l’observation, on passe à l’interprétation, qui transparaît dans le verbe d’état « elle semble vivre » ou le modalisateur « une sorte de ».

Francis Ponge se montre particulièrement attentif aux sonorités. Ici, les allitérations de la fricative « v » et de la vibrante « r » restituent auditivement la vibration de la guêpe : « la guêpe vibre à chaque instant des vibrations nécessaires à la mouche dans une position ultracritique » .

L’auteur souligne le mouvement incessant de la guêpe qui se trouve « dans un état de crise continue qui la rend dangereuse ».

Mais le choix des mots « frénésie » ou « forcènerie » qui désignent une activité trépidante, presque déraisonnable, ne semble pas fortuit. Cette paronomase (= jeu de mot fondé sur un rapprochement phonétique) ouvre la voie à une définition poétique de la guêpe.

Ainsi, les adjectifs utilisés pour la décrire (« brillante, bourdonnante, musicale ») ne sont pas suffisants pour faire comprendre au lecteur la dangerosité de l’insecte. Vient alors la comparaison à une corde tendue dont les vibrations engendrent une sensation de brûlure, de piqûre.

Dans cette deuxième strophe, la forte allitération en « r » et l’assonance en « an » restitue le bruit du vol de l’insecte : « aussi brillante, bourdonnante, musicale qu’une corde fort tendue, fort vibrante et dès lors brûlante ou piquante » .

II – L’étude du rapport entre la guêpe et le sucre

De « Elle pompe » à « aimantation au sucre »

Dans une démarche d’entomologiste, Francis Ponge passe à l’étude de l’activité de la guêpe lorsqu’elle s’attaque aux prunes.

Mais l’analyse qui en résulte est subjective : « elle pompe avec ferveur et coups de reins ».

L’enthousiasme du poète se lit dans l’expression « c’est riche à voir ».

Au terme scientifique de « dard », le poète préfère la périphrase « un petit appareil extirpeur particulièrement perfectionné » qui fait davantage appel à l’imagination.

Ensuite, les nouveaux adjectifs choisis pour définir la guêpe jouent avec la langue française : « miellée » relève du goût, « soleilleuse », dans un français littéraire, renvoie à l’astre avec lequel elle semble jouer. Les deux adjectifs semblent être associés parce qu’ils partagent une sonorité commune.

« hypocrite » et « hydromélique » ont aussi en commun un préfixe grec (hypo et hydro) mais le second terme « hydromélique » semble être un néologisme. Francis Ponge joue donc avec le plaisir des mots et des sonorités.

Le poète convoque ensuite des images communes à tous : « la guêpe sur le bord de l’assiette ou de la tasse mal rincée (ou du pot de confiture) ».

Il en vient presque à dépeindre une situation amoureuse, comme l’illustre le champ lexical de l’amour : « attirance », « irrésistible », « désir », « faites l’une pour l’autre », « aimantation ». La guêpe prend le visage d’une amante passionnée.

III – Le train et la guêpe : une métaphore filée

De « Analogie de la guêpe » à « par les rails »

Au-delà de ce goût prononcé pour le sucre, Ponge a recours à la métaphore filée « du tramway électrique » pour mettre en évidence le bruit réalisé par la guêpe.

Ainsi, la première phrase nominale se comprend aisément : « Quelque chose de muet au repos et de chanteur en action ».

Puis sa recherche passe par la référence aux classes « premières et secondes » d’un train, pour aussitôt être écartée au profit de deux adjectifs qui semblent plus justes à l’auteur : « motrice et baladeuse ».

L’anaphore « quelque chose » souligne les tâtonnements de Ponge pour décrire le bruit de l’insecte. La location adverbiale « ou plutôt » permet aussi de rectifier l’affirmation précédente.

La succession de phrases nominales marque également la volonté d’aller à l’essentiel pour saisir les particularités de la guêpe.

Mais la retranscription en mots d’un son perçu par l’homme s’avère complexe. Ponge poursuit donc l’analogie, par métaphore et comparaison, pour saisir les particularités identifiables de l’insecte : « trolley grésilleur ».

Le poète joue avec les sonorités, pour restituer le bruit du vol de la guêpe. Ainsi, l’allitération en « r » et l’assonance en « i » permettent au lecteur d’entendre l’insecte voler : « Et trolley gresilleur. Grésillante comme une friture, une chimie (effervescente) »).

Mais la comparaison de la guêpe à un train présente des limites, notamment lors du choc entre l’insecte et l’homme.

L’auteur formule un adage avec une certaine familiarité : « si ça touche, ça pique ». La juxtaposition des deux propositions et la répétition du pronom « ça » restitue la quasi concomitance des deux actions (toucher et piquer). L’effet produit n’est alors plus « un choc mécanique » mais « un contact électrique, une vibration venimeuse ».

La dernière différence avec le train est le corps de la guêpe « plus finement articulé » que des voitures-compartiments dans un train.

L’écrivain s’arrête enfin sur la course de la guêpe et du train, en ayant recours à une tournure comparative : « son vol plus capricieux, imprévu, dangereux que la marche rectiligne des tramways déterminée par les rails ».

Par l’énumération d’adjectifs, il parvient à restituer l’absence de calcul, de régularité qui caractérise le vol de la guêpe.

IV – Le paradoxe de la guêpe : une machine douée de vie

De « Un petit siphon » à « basculant en vol »

Francis Ponge use pour décrire la guêpe d’une cascade de périphrases : « un petit siphon », « un petit alambic à roues et à ailes », « une petite cuisine volante », « une petite voiture de l’assainissement public ».

Plusieurs points communs relient ces métaphores :

  • La guêpe est à chaque fois comparée à une machine (siphon, alambic, cuisine…)
  • L’adjectif épithète « petite » relie toutes ces métaphores, instant sur la petite taille de l’insecte.
  • La machine évoquée est toujours en mouvement : « ambulant », « à roues et à ailes », « volante » .
  • Sa propriété, que le poète met à jour, est de l’ordre des « véhicules qui se nourrissent eux-mêmes et fabriquent en route quelque chose ».

L’observation de la guêpe crée un sentiment « de merveilleux ».

Francis Ponge explicite le sens de ce terme dans une proposition subordonnée circonstancielle de cause : « parce que leur raison d’être n’est pas seulement de se déplacer, ou de transporter, mais qu’ils ont une activité intime, généralement assez mystérieuse.« 

Si la guêpe suscite l’émerveillement, c’est parce qu’elle renvoie à une dimension spirituelle de l’existence : ce n’est pas seulement une machine (comme le suggère les verbes à l’infinitif « se déplacer », « transporter »), mais c’est un être vivant et énigmatique puisqu’elle a « une activité intime » et même « une vie intérieure« .

À cette expression, le poète adjoint deux adjectifs : « mystérieuse » et « savante ». Sous sa plume, la guêpe accède ainsi à un rang plus noble qu’une machine.

Pourtant, la strophe suivante vient déconstruire la définition qui progressait.

En effet, Francis Ponge mêle ses trouvailles pour en faire une définition de dictionnaire pour le moins originale, et humoristique : « un chaudron à confitures volant, hermétiquement clos mais mou, le train arrière lourd basculant en vol ».

Cette définition reprend avec humour chaque élément développé dans les strophes précédentes : la comparaison avec le tramway (« le train arrière lourd basculant en vol » – avec le jeu de mot sur « train » qui renvoie à la partie postérieure d’un animal ou au moyen de locomotion); la gourmandise passionnée de l’insecte (« un chaudron à confitures« ), sa proximité avec une machine (« volant« , « hermétiquement clos« ).

Les termes prosaïques (« chaudron », « train arrière lourd ») se mêlent à des termes plus aériens (« volant », « en vol »), pour tenter de définir un insecte insaisissable, entre terre et ciel.

V – Ponge, l’archéologue des mots

De « Il fallait bien » à « plus loin en ce sens »

« Pour classer les espèces », Francis Ponge rappelle que l’aile est considérée comme l’élément central permettant l’identification de la guêpe.

Mais il prend de la distance avec ce choix de classification comme le marquent le pronom impersonnel « on » qui met les entomologistes à distance (« Ainsi a-t-on choisi » ) et la double négation qui souligne son doute : « Peut-être avec raison : je n’en sais rien, n’en jurerais nullement ».

Il explique donc le procédé d’entomologiste sans y adhérer, sans être certain. Il adopte un doute méthodique parce que sa posture est autre.

Dans la strophe suivante, il reprend le nom scientifique savant d’hyménoptère qui ouvrait le poème.

Avec humour, il donne raison à l’étymologie grecque (hymen : membrane ; ptère : aile) en émettant un avis personnel sous forme de litote : ce mot « n’est pas tellement mauvais ».

Il joue sur les ressources du langage en commençant par éloigner une ressemblance physique entre l’hymen féminin et l’aile de la guêpe, malgré la paronomase (proximité phonétique entre les deux mots).

Mais il continue à chercher l’origine de ce mot savant, comme en témoigne la phrase « voilà un mot abstrait qui tient ses concrets d’une langue morte ». Il joue ici sur l’association des contraires et adopte une expression oralisée – l’interjection « eh bien » en est l’exemple – pour s’expliquer.

En effet, pour lui « l’abstrait est du concret naturalisé » : l’usage du présent à valeur de vérité générale fait de cette expression une définition.

Puis le lecteur découvre le choix d’adjectifs qualificatifs hétéroclites : « naturalisé, diaphanisé – à la fois mièvre et tendu, prétentieux, doctoral ». Le lien logique n’est pas évident : si les deux premiers termes peuvent qualifier une membrane, les quatre derniers sont plus appropriés pour décrire le caractère d’un être humain. Ponge fait ainsi appel à notre imagination.

À la suite de ces adjectifs, la conclusion du poète peut interloquer : « voilà qui convient assez à l’aile des guêpes… » Le lecteur se trouve face à une comparaison originale qui lui fait percevoir l’aile de la guêpe d’une nouvelle façon.

Mais Ponge n’impose pas cette lecture ; sa position reste humble, comme l’illustre la phrase finale de l’extrait étudié, négative : « je ne m’avancerai pas beaucoup plus loin en ce sens ».

La guêpe, Francis Ponge, conclusion

Francis Ponge explore la langue française pour donner à voir la guêpe dans toutes ses facettes.

Comme entomologiste, il s’intéresse au corps de l’animal, à ses ailes, à ses activités, à son vol.

Comme linguiste, il s’intéresse au nom scientifique.

Comme poète, il crée des métaphores pour interroger le rapport entre la machine et la guêpe.

Pour le lecteur, cette nouvelle définition de la guêpe peut paraître juste, déstabilisante ou humoristique. Francis Ponge aura réussi à s’intéresser à l’infiniment petit, bien loin des poncifs de la poésie.

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Amélie Vioux

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