Le carnet du bois de pins, Francis Ponge : analyse

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Voici une analyse de la fin de la section « Le carnet du bois de pins » issu du recueil La Rage de l’expression de Francis Ponge.

L’extrait étudié va de « Parlons simplement : lorsqu’on pénètre dans un bois de pins » à la fin de la section.

Le carnet du bois de pins, Francis Ponge, introduction

Francis Ponge (1899-1988) fait paraître La rage de l’expression en 1952, recueil de poèmes en prose qui arrive dix ans après Le Parti pris des choses.

L’expression hybride de ce recueil peut décontenancer un lecteur, habitué aux représentations traditionnelles de la poésie. En effet, le poète y révèle ses efforts pour trouver le mot juste et ses multiples essais de formulations pour saisir l’essence des choses. (Voir la fiche de lecture sur La Rage de l’expression pour le bac de français)

Les sept sections qui composent ce recueil sont tour à tour des description littéraires ou des expériences linguistiques sur le monde animal, le monde végétal ou les lieux affectionnés par l’auteur.

Ponge, qui a toujours refusé le statut de poète, assume celui d’ouvrier scientifique, qui cherche le mot juste pour cerner ses objets, sans rien cacher de la difficulté de son projet.

Le texte étudié, « Le carnet du bois de pins », est dédié à Michel Pontremoli, ami de l’auteur.

Francis Ponge tente d’y saisir les caractéristiques essentielles du bois de pins.

Problématique

En quoi ce poème réinvente-t-il le topos de la Nature, entre tradition et modernité ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, de « Parlons simplement » à « vibration musicale et chanteuse« , nous étudierons la comparaison entre le bois de pins et l’intimité d’une salle de bain.

Dans un deuxième temps, de « À la fois brosses et peignes » à « paroi de miroirs », nous analyserons les aspects fascinants du paysage et les évocations mythologiques qu’il suscite.

Enfin, dans un troisième temps, de « Voilà un tableau » à la fin, nous commenterons les choix poétiques clairement assumés par Francis Ponge.

I – Une comparaison sensuelle entre le bois de pins et l’intimité d’une salle de bain

De « Parlons simplement » à « vibration musicale et chanteuse »

Le poème s’ouvre sur la mention d’une date : 21 août 1940.

Aussitôt, le poète inclut le lecteur dans une relation familière, voire badine, grâce au recours à l’impératif présent (« parlons simplement »), au pronom « on » et au présent à valeur d’habitude.

Il est question d’un lieu (« dans un bois de pins »), d’une période de l’année (« en été ») et de conditions particulières (« par grande chaleur »).

Ce cadre spatio-temporel est à l’origine du plaisir ressenti par le poète. La forte allitération en « p » dans cette première phrase accompagne par le son cette promenade dans le bois de pins : « Parlons simplement : lorsqu’on pénètre dans un bois de pins, en été par grande chaleur, le plaisir qu’on éprouve…« 

Le poète prend alors des repères surprenants pour décrire la Nature. En effet, deux décors se superposent. D’une part, Francis Ponge souligne le pouvoir enivrant du bois de pins et d’autre part, il fait surgir l’intimité d’une salle de bains par une première comparaison : « le plaisir qu’on éprouve ressemble beaucoup à celui que procurerait le petit salon attenant à la salle de bain…« 

En résulte le champ lexical des objets de beauté : « brosserie », « baignoire », « miroirs », « brosses », « peignes », « épingles », « coiffeuse ».

À première vue, ces deux décors peuvent sembler aux antipodes. En réalité, les sens s’éveillent et s’aiguisent peu à peu.

Ainsi, la première comparaison du plaisir du bois de pins à celui d’un salon de coiffure dégage une forme de sensualité féminine, accentuée par l’antéposition des adjectifs « sauvage mais noble ».

Par la suite, le poète délaisse l’utilisation de verbes conjugués au profit de phrases nominales où les sonorités jouent un rôle essentiel.

Le rythme de ces phrases nominales permet d’aller à l’essentiel pour capter ce qui relie le plaisir de la nature et le plaisir des sens.

Comme pour mimer le vent dans les arbres, ou le son du peigne dans une chevelure, les allitérations en « s », « f » et « r » sont légion : « brosserie odoriférante dans une atmosphère surchauffée ».

L’analyse du plaisir procuré par le bois de pins passe donc par la sollicitation des sens : ici l’odorat (« odoriférante« ) et la sensation corporelle (« atmosphère surchauffée » )

Un peu plus loin, il est question de nouveau de l’odeur « des cheveux, de leurs peignes et de leurs épingles », ou encore de la « transpiration naturelle et parfums hygiéniques mélangés ».

Les deux univers, celui des bois de pins et celui de la salle de bains, se mêlent inextricablement.

En effet, les cieux sont comparés à « des morceaux de miroirs » et les pins à des « brosses à longs manches fin tout ciselés de lichens ». Le choix de ces comparaisons révèle un sens aigu de l’esthétique.

Le double décor s’enrichit au gré des phrases. La vue est sollicitée, comme en témoigne l’expression « de grosses pierres ornementales ».

De plus, l’ouïe capte peu à peu la présence de « ce pétillement animal, ce million d’étincelles animales, cette vibration musicale et chanteuse ». Par cette gradation ternaire et l’allitération en « l » le lecteur pourrait presque percevoir la présence de grillons.

II – Un endroit fascinant

De « À la fois brosses et peignes » à « paroi de miroirs »

Les vers suivants interrogent la coexistence des brosses et des peignes et les similitudes qui les relient : leur forme et leur brillance : « À la fois brosses et peignes. Brosses dont chaque poil a la forme et le brillant d’une dent de peigne. » Les phrases nominales permettent ici d‘aller à l’essentiel, comme des coups de pinceaux, pour saisir l’essence des choses.

L’interrogation directe qui suit porte sur la présence d’une mystérieuse femme qui sous-tend ce poème, désignée par le pronom « elle ».

Le poète souligne l’alliance audacieuse de couleurs grâce à l’expression « des brosses à poils verts et à manches de bois violets tout ciselés de lichens vert-de-gris ».

La réponse, sous forme de proposition subordonnée circonstancielle de cause, montre le pouvoir de l’imagination. En effet, le poète se plaît à donner vie au paysage naturel en imaginant la chevelure de cette femme « rousse peut-être » et ses activités (« qui se trempera ensuite » ).

De plus, il semble jouer avec les codes traditionnels de la poésie : les références mythologiques à Vénus, la déesse de la beauté, et à Phébus, équivalent masculin, perdent leur aura sacrée. En effet, Ponge leur accole des objets triviaux : « le salon de coiffure de Vénus », « l’ampoule Phébus ».

Provocation légère ou acte de transgression ? Une chose est sûre : cet acte poétique garde de la mythologie son pouvoir évocateur tout en la ramenant sur terre.

III – L’affirmation de choix poétiques

De « Voilà un tableau » à la fin

Le dernier mouvement de ce poème s’achève sur une litote qui prête à sourire puisque le poète commente son propre texte : « Voilà un tableau dont je ne suis pas mécontent ». L’auteur évalue donc positivement le résultat de son travail.

Francis Ponge n’emploie toutefois par le terme de « texte » ou de « poème » mais de « tableau« , plus à même de rendre compte de l’expérience synesthésique qu’il a créée. En effet, les couleurs, la lumière, les effluves, le toucher, tous les sens sont aiguisés par ce bois de pins l’été.

Ponge fait une distinction humoristique : « Un poète mineur, voire un poète épique s’en contenterait peut-être ». De toute évidence, la référence à l’épopée est dévaluée : Francis Ponge sous-entend que ce registre est inadapté pour exprimer le bois de pins.

Avec la double assertion « nous sommes autre chose qu’un poète et nous avons autre chose à dire », la répétition de « autre chose » et le pluriel de majesté, Ponge assène sa position et la rend unique.

Il explicite sa démarche poétique par la suite en conservant la métaphore filée du bois comme salle de bains : « nous sommes entrés dans la familiarité de ces cabinets particuliers de la nature ».

Par l’emploi de la troisième personne du singulier « nous« , Ponge suggère que le lecteur s’est lui aussi immiscé dans cette intimité et a pu constater que les bois ont eu « la chance de naître à la parole ».

Francis Ponge précise aussitôt son double objectif : rendre « anthropomorphiquement compte de ce plaisir sensuel » et faire émerger « une co-naissance plus sérieuse ». En d’autres termes, il assume la révélation de la sensualité des pins et utilise un jeu de mot lié à la typographie (co-naissance/connaissance).

Ainsi, il fait exister deux objets en parallèle (le bois et la salle de bains) et invite le lecteur à découvrir l’essence de ce bois de pins.

Par l’emploi de l’impératif présent, la dernière phrase, « allons donc plus au fond », fait écho à la première phrase du poème (« Parlons simplement« ) et constitue une invitation à poursuivre ce chemin.

Le carnet du bois de pins, La Rage de l’expression, conclusion

Francis Ponge donne une orientation nouvelle à la description du bois de pins l’été.

En effet, il en fait un véritable tableau où tous les sens sont sollicités et associés. La synesthésie ainsi créée fait surgir un décor autre : une salle de bains qui dit l’intimité et la sensualité féminine. Cette comparaison filée audacieuse fait sortir le lecteur de la réalité.

Le renouvellement du topos de la nature se lit également dans le ton employé, souvent humoristique, et dans l’art de la provocation : nul besoin des mythes pour exprimer le plaisir devant un paysage.

Francis Ponge a ainsi su faire naître un plaisir presque charnel et appelle le lecteur à aller plus loin dans la connaissance de ce bois de pins.

Un peu plus loin dans cette section, dans le poème « Tout cela n’est pas sérieux« , il fera toutefois un bilan sévère de son travail poétique.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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