Des coches, Montaigne : commentaire

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Voici un commentaire du chapitre « Des coches » des Essais de Montaigne.

L’extrait commenté va de « En côtoyant la mer à la quête de leurs mines » à « Voilà un exemple de balbutie de cette enfance« .

« Des coches », Montaigne, introduction

Montaigne est un écrivain du 16ème siècle qui publie ses Essais en 1580 mais ne cesse de les enrichir jusqu’à la fin de sa vie en 1592.

La fin du 16ème siècle est marquée par les guerres de religion entre catholiques et protestants dont le point d’orgue est le massacre de la saint Barthélemy en 1572. Ces guerres ainsi que les guerres de colonisation ont profondément heurté les penseurs du XVIème siècle.

Dans le chapitre 6 du livre III des Essais (« Des coches » ), Montaigne, de manière très prosaïque, aborde le problème des transports mais glisse très rapidement vers le faste des anciens empereurs et vers l’idée de justice. Il aborde la conquête de l’Amérique pour s’interroger sur la légitimité de la colonisation.

(Voir mon résumé et mon analyse des chapitres « Des cannibales » et « Des coches » )

Questions possibles à l’oral sur le chapitre « Des coches »

♦ En quoi ce texte se rattache-t-il au courant humaniste ?
♦ Quelle est l’image qui est donnée des Amérindiens dans ce chapitre « Des coches » ?
♦ « Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie » (Montaigne, Des cannibales, Essais, I) En quoi cette phrase s’applique-t-elle à votre extrait ?
♦ En quoi ce chapitre « Des coches » est-il une critique de la colonisation ?
♦ A travers ce texte, Montaigne nous offre une leçon de relativisme. Quelle est-elle ?
♦ Quelle est la stratégie argumentative de Montaigne dans cet extrait ?

Annonce du plan :

Cet extrait du chapitre « Des coches », qui se présente de prime abord comme un récit de voyage, se transforme en un essai à visée argumentative (I) pour critiquer la colonisation (II) et faire émerger un nouveau modèle de civilisation (III).

I – Un genre littéraire protéiforme au service de l’argumentation

A – Un récit de voyage

Le début de l’extrait place le lecteur dans l’univers du récit de voyage : « une contrée fertile et plaisante ».

Il s’agit d’un topos (lieu commun) faisant référence à un lieu paradisiaque comme le montre l’adjectif « fertile ». En effet, dans les récits de voyage, les voyageurs accostent dans une terre maternelle et accueillante.

La mention des Espagnols fait référence à la découverte des « Indes » qui contient une forte charge exotique et pour laquelle le 16ème siècle éprouve une fascination.

Le déterminant indéfini « une » ainsi que le terme « contrée » suggère une terre lointaine et inconnue, la terra incognita des récits de voyage très lus au XVIème siècle comme ceux de Jean de Lery (Histoire d’un voyage fait en terre de Brésil en 1578) ou de Jacques Cartier (Voyages au Canada en 1540).

La mention de l’or « qu’ils mettent en nulle estime » est également un topos de la littérature de voyage où l’indien est détaché de la cupidité et des richesses matérielles.

Mais le récit de voyage laisse très rapidement place au discours qui fait de ce texte un essai à visée argumentative.

B – Un essai à visée argumentative

Cet extrait du chapitre « Des coches » présente deux discours en miroir.

Il est en effet composé du discours des Espagnols auquel répond rigoureusement le discours des Amérindiens.

Dans les deux discours sont abordés dans un ordre rigoureusement identique les thèmes suivants :
♦ Les intentions pacifiques des Espagnols;
♦ Le roi;
♦ Les vivres;
♦ L’or;
♦ La question religieuse;
♦ Les menaces.

L’effet de miroitement des deux discours est accentué par la répétition de la locution adverbiale « quant à » qui reprend méticuleusement les arguments des Espagnols.

Cet effet de miroir est renforcé par la brièveté de la transition « La réponse fut telle ».

Mais ces deux discours ne sont pas directement énoncés par les Espagnols et par les Amérindiens.

En fait, à travers le discours indirect libre initié par les propositions subordonnes conjonctives « Qu’ils étaient gens paisibles […] que s’ils voulaient lui être tributaires […] », Montaigne prend en charge l’intégralité des discours pour les fondre en une seule voix, la sienne.

Cette stratégie montre que ces deux discours ne sont que l’exemple d’un argument exprimé à la fin du texte :« Voilà un exemple de la balbutie de cette enfance ». La visée du texte est bien argumentative.

Le premier temps fort de l’argumentation est la critique de la civilisation européenne.

II – Une critique de la civilisation européenne

A – Une critique de la colonisation

Le chapitre « Des coches » dénonce le requirimiento qui impose aux Amérindiens la religion catholique et la domination du roi d’Espagne.

La critique de la colonisation repose sur le jeu des possessifs utilisés par Montaigne de manière ambigüe :
« en côtoyant la mer à la quête de leurs mines, aucuns espagnols prirent terre […] ».
Syntaxiquement le possessif « leurs » désigne les Espagnols. Or les véritables propriétaires des mines sont les Amérindiens. Montaigne joue avec le terme « leur » qui est tour à tour déterminant possessif et complément d’objet indirect (« leur remontraient au demeurant la créance d’un seul Dieu et la vérité de notre religion laquelle ils leur conseillaient d’accepter »). Cette anaphore du terme « leur », presque lancinante dans le texte montre bien que la colonisation est un vol régi par un rapport de force.

Ce rapport de force n’est pas dénué de violence comme en témoigne la formule euphémistique « y ajoutant quelques menaces ». La force est présente à travers le verbe ironique « conseillaient d’accepter » qui suggèrent une violence indirecte et cynique.

De plus, les menaces ne sont qu’évoquées très succinctement dans le discours des Espagnols. Or, les amérindiens lui consacrent toute une phrase destinée à expliciter cette violence cachée : « Quant aux menaces, c’était signe de faute de jugement, d’aller menaçant… » L’ampleur des menaces est mise en relief dans discours des Amérindiens par le polyptote « menaces », «aller menacer » (Le polyptote est la répétition de termes de même racine).

La colonisation est fondée sur la conviction que la civilisation européenne est supérieure à la civilisation amérindienne.

Montaigne fait apparaître ce mépris à travers la demande d’or « pour le besoin de quelque médecine ». L’utilisation du minéral pour la médecine ainsi que l’adjectif indéfini « quelque » dévoile le mépris des espagnols pour un peuple qu’ils jugent ignorant, superstitieux et crédule. Les espagnols cherchent en effet à duper les Amérindiens en tentant de leur cacher la valeur qu’a l’or à leurs yeux.

Au delà de la colonisation, c’est la civilisation européenne elle-même qui est visée par Montaigne.

B – Une critique de l’organisation des pouvoirs en Europe : une civilisation sens dessus-dessous

La civilisation européenne est présentée comme une civilisation de la duplicité et du théâtre.

La juxtaposition des deux discours manifeste cette dimension théâtrale : le discours des Espagnols est le discours de l’apparence comme en témoignent les termes « qu’ils étaient gens paisibles », « très bénignement traités »  et le discours des Amérindiens est le discours de la vérité qui déconstruit l’image laudative que se donnent les Espagnols (« quant à êtres paisibles, ils n’en portaient pas la mine »).

Les Espagnols sont des acteurs de théâtre ainsi que le Pape, leur chef spirituel.

Ainsi, Montaigne joue avec la polysémie du verbe représenter dans l’expression « représentant Dieu en terre ». Le verbe représenter suggère au sens littéral l’incarnation de la sainteté en la personne du pape mais il suggère aussi et surtout la représentation théâtrale. Le discours des Amérindiens lève dès lors le masque d’une société dont l’apparence et la réalité sont contraires.

Les Espagnols cherchent à donner une image méliorative du roi à travers la périphrase laudative « roi de Castille, le plus grand prince de la terre habitable ».

Mais derrière la grandeur se cache la médiocrité d’un roi mendiant dont la position de demandeur est dénoncée ironiquement par le Amérindiens :
« Quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux » .

Les adjectifs « indigents et nécessiteux » sont ironiquement employés : ils rappellent les pauvres de la Bible et ne conviennent pas du tout au roi d’Espagne et à sa cour fastueuse.

Pire que cela, le Pape, évoqué de manière grandiloquente dans le discours des Espagnols (« le pape représentant Dieu en terre ») est effacé derrière le pronom indéfini « celui qui » dans le discours des Amérindiens : « celui qui avait fait cette distribution homme aimant dissension » .

Le pape est ainsi présenté ironiquement comme celui qui divise et qui « aime dissension ». Or, celui qui divise, dans la religion catholique, c’est le diable (diabolus en latin : celui qui divise, qui désunit).

L’assimilation des deux figures montre l’ironie de Montaigne à l’égard d’une civilisation dont les valeurs sont inversées : les rois y sont médiocres et les ecclésiastiques opposés aux valeurs évangéliques.

La civilisation européenne, violente, guerrière, cupide et mensongère, est opposée aux Amérindiens qui représentent une humanité idéale, telle qu’elle devrait être aux yeux de l’humaniste qu’est Montaigne.

III – La peinture d’une humanité idéale

 A – Emergence du mythe du bon sauvage

Tout comme le bon sauvage qui fait progressivement son apparition dans la littérature du 16ème siècle, l’amérindien est désintéressé.

L’or est pour lui une matière sans valeur comme le montre les négations grammaticales ou lexicales qui s’y rapportent ; «  ils en avaient peu », « en nulle estime », « inutile au service de leur vie ».

De plus, l’Amérindien est généreux « qu’ils le prissent hardiment » et a surtout le sens de la tolérance : « le discours leur en avait plu ». Son relativisme et son ouverture d’esprit le rapproche du bon sauvage ouvert et simple.

Cette simplicité se lit à travers la morale épicurienne (du philosophe grec Epicure : borner ses désirs pour atteindre plus facilement le bonheur) exprimée par la proposition   « seulement à la passer heureusement et plaisamment » . Le parallélisme des deux adverbes « heureusement » et « plaisamment » inspire l’équilibre et la sérénité.

L’utilisation de formules restrictives (« seulement », « ne …que ») suggère le comportement épicurien consistant à borner ses ambitions ou ses désirs pour atteindre le bonheur dans une vie simple.

Les Amérindiens, comme le bon sauvage, sont attachés à leur terre et à leurs traditions : « Quant à un seul Dieu, le discours leur en avait plu mais qu’ils ne voulaient changer leur religion s’en étant si utilement servis si longtemps et qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissants ».

Cette attitude des Amérindiens montre l’attachement à la terre, une valorisation de la proximité et du familier contre la fascination orgueilleuse des Espagnols pour l’inconnu et le lointain. On retrouve là le conservatisme de Montaigne qui considère qu’une civilisation ne prospère que dans des mœurs stables et dans le respect des coutumes.

Dans ce chapitre « Des coches » Montaigne pose les bases d’une civilisation nouvelle. Et c’est bien aux européens que ce discours s’adresse.

B – Le bon sauvage, modèle d’une civilisation nouvelle

La réponse des Amérindiens est structurée et reprend méticuleusement tous les arguments des Espagnols.

Ils font ainsi preuve de sens de l’écoute, d’analyse et de synthèse, autant de capacités intellectuelles qui contredisent le caractère prétendument sauvage des Amérindiens.

Par ailleurs, ils dénoncent les « fautes de jugement » des Espagnols comme le ferait un philosophe ou un sage.

L’ironie est d’ailleurs de leur côté : « ils n’étaient pas accoutumés à prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armes et étrangers ». Le terme « honnêtetés » crée un décalage avec la dimension guerrière et barbare des Espagnols suggérée par le groupe nominal « gens armés ».

S’opère ainsi un renversement : la « balbutie de l’enfance » évoquée par Montaigne concernerait davantage les Européens que les Amérindiens qui sont tolérants, polis et civils.

Les Amérindiens sont finalement les modèles d’une humanité ouverte et généreuse. Montaigne opère une inversion ironique : les civilisés sont barbares et les sauvages sont civilisés.

« Des coches », Montaigne, conclusion :

Le sauvage n’est pas celui que l’on croit. A travers cet extrait issu du chapitre « Des coches », Montaigne opère un renversement des valeurs.

La critique est finalement adressée aux Européens qui dispensent des mœurs barbares dans le Nouveau Monde intact et pur et en définitive beaucoup plus civilisé que l’Ancien Monde.

Cette leçon de relativisme, que l’on retrouve dans d’autres chapitre des Essais, et notamment dans le chapitre « Des cannibales« , est une illustration de la démarche humaniste de Montaigne.

Analyse des chapitres « Des cannibales » et « Des coches » :

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Chapitre 8 de Pantagruel, Rabelais
Heureux qui comme Ulysse, Du Bellay
Lettre Persane 24, Montesquieu
Voltaire, Le mondain
Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, Section III, l’aumônier
Le discours du vieillard, Supplément au voyage de Bougainville, Diderot : analyse

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Amélie Vioux

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19 commentaires

  • Bonsoir, j’ai une question : « Qu’ils étaient gens paisibles » et « que quand à être paisibles », ce sont des conjonctives circonstancielles ou des conjonctives complétives ?
    Merci beaucoup pour la réponse, votre blob est super !

  • Bonjour,
    dans ce commentaire, vous écrivez que « la balbutie de l’enfance » évoquée par Montaigne concerne les Européens et non les Amérindiens. Cependant, j’ai vu le contraire dans d’autres ressources ainsi que dans mon livre des Essais, où est disponible une traduction en français moderne.
    Pour ce passage, la traduction est la suivante :  » Voilà un exemple des balbutiement de ces prétendus « enfants »! « . Ici, je comprends que les « enfants » seraient donc les Amérindiens vivant dans ce monde dit « enfant », et que Montaigne aurait donc utilisé de l’ironie…?
    Peut-être pourrez-vous m’éclairer sur ce point.
    Merci en tout cas pour ce commentaire qui m’a aidé pour ma lecture linéaire 🙂

    • Bonjour Cla,
      Tu n’as pas tout à fait compris mon analyse. « Le balbutiement de l’enfance » est une expression qui s’applique aux amérindiens. Mais Montaigne opère un renversement de perspective : il souligne que finalement, les amérindiens sont plus civilisés que les européens.

    • Bonjour Isabelle,
      Je reprends quelques uns de mes commentaires en lecture linéaire, mais je ne te garantis rien car j’ai rédigé près de 300 commentaires et je ne peux pas tous les réécrire en quelques mois. Tu peux en revanche t’aider de mon commentaire pour recréer / compléter la lecture linéaire réalisée en classe.

    • Bonjour Théo,
      Dans ce commentaire, je n’analyse qu’un passage du chapitre et non l’intégralité. C’est la raison pour laquelle je n’évoque pas la digression du début. D’autres analyses vont suivre !

  • J’aurais 2 question mais je pense pas que tu me répondras à temps:
    Quelles conseille donne t’il au princes dans son livres « des coches » et qu’elles sentiments suscite en Montaigne la conquête du Nouveau monde ?

  • Bonjour j’ai pas compris à la conclusion quand vous dite » la critique est finalement adressé au européen qui dispense des moeurs barbares « 

    • Bonjour,
      En faite nous pouvons constater que les européens amènent leur terreur en quelque sorte chez un peuple qui ne demandaient rien. À la fin tous les pays ne seront plus colonisé car les peuples ne pouvaient accepter les nombreuse lois et violences causées.

      Voilà ce que je pense.

  • Il y a une petite erreur au debut de la seconde sous-partie du premier axe. Vous avez écrit : « Il est en effet est composé du discours des Espagnols ». C’est un détail mais je préfère le signaler.
    ps : J’adore votre site =)

  • Bonjour, êtes-vous sure que dans un discours indirect où il y a une subordonnée, ce discours soit libre ? (Cf paragraphe I.B. ci-dessus) ? Je ne pense pas. C’est justement pour cela que ce genre de discours est qualifié de libre, c’est parce qu’il ne respecte pas les règles du discours indirect classique

    Merci pour votre site qui est d’une grande aide

    Bien cordialement

    • Les subordonnées conjonctives sont souvent présentes dans le discours indirect libre. Le critère pour distinguer discours indirect et discours indirect libre est la présence ou non de verbe déclaratif. En supprimant les marques qui annoncent un discours rapporté, la voix du personnage qui parle se fond avec celle du narrateur qui raconte, comme dans cet extrait.

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