Montaigne, De l’expérience (« Quand je danse, je danse ») : commentaire

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sur l'expérience montaigneVoici une analyse d’un extrait issu du chapitre « Sur l’expérience » des Essais de Montaigne (« Quand je danse, je danse »).

L’extrait étudié va de « Quand je danse, je danse » à « Notre grand et glorieux chef-d’oeuvre, c’est vivre à propos » .

Montaigne, « Quand je danse, je danse », introduction:

Montaigne est un écrivain du 16ème siècle. Il publie ses essais en 1580 mais ne cesse de les enrichir jusqu’à la fin de sa vie en 1592.

Les Essais sont une réponse à la violence des guerres de religion et proposent une vision nouvelle de l’homme dans le cadre d’un courant nouveau : l’humanisme.

Le chapitre 13 «De l’expérience» du troisième et dernier livre des Essais évoque l’art de vivre heureux. Montaigne mentionne, juste avant le texte, un sage grec, Socrate, qui fondait son bonheur sur la simplicité et la recherche de la vérité.

Questions possibles à l’oral de français sur « De l’expérience » de Montaigne : 

♦ En quoi ce texte (« quand je danse, je danse » ) relève-t-il du courant humaniste ?
♦ A partir de cet extrait, quelle définition pourriez-vous donner du genre des Essais?
♦ Comment pourrait-on qualifier la morale que défend Montaigne ?
♦ Quelle définition du bonheur Montaigne propose-t-il dans ce texte « quand je danse, je danse » ?
♦ Que Montaigne critique-t-il dans ce texte et que propose-t-il ?

Annonce du plan :

Dans cet extrait (« quand je danse, je danse » ), Montaigne critique les vanités humaines (I) pour proposer une morale humaniste (II) à travers laquelle Montaigne forge un homme nouveau. Pour peindre cet homme nouveau, Montaigne crée un genre nouveau, les Essais (III).

I – La critique des vanités

A – La critique de l’orgueil humain

Dans le chapitre « De l’expérience », Montaigne critique vivement l’orgueil humain car il engendre barbarie et violence.

Montaigne parsème ainsi son texte du champ lexical du combat : « César », « Alexandre », « grande besogne », « vigueur », « courage », « violentes occupations », « grands maniements », « batailles », « provinces », « grand et glorieux ».

Le texte est également marqué par le registre épique qui fait référence aux conquêtes et aux guerres qui ont marqué le 16ème siècle, non seulement les guerres de religion mais aussi les grandes découvertes qui ont été suivies de nombreux combats contre les populations locales.

Ce registre épique est systématiquement minoré par des termes prosaïques qui rabaissent la prétention héroïque des hommes.

En effet, Montaigne use d’une stratégie déceptive (faire attendre beaucoup et donner peu). Il ouvre le deuxième paragraphe de l’extrait par « César et Alexandre » : le lecteur s’attend donc à un récit épique émaillé d’évènements glorieux et de gestes exceptionnels. Or, la répétition de l’adjectif « ordinaire » (l. 11-12) détruit la tension épique. Cette stratégie déceptive est résumée à la dernière phrase : « Notre grand et glorieux chef d’œuvre, c’est vivre à propos ».

L’égarement auquel conduit l’orgueil humain est mis en relief par une anacoluthe (rupture de construction syntaxique) : « Sages, s’ils eussent cru que c’était là leur ordinaire vacation, celle-ci l’extraordinaire ». La rupture syntaxique de la phrase nous fait sentir, jusqu’au sein de l’écriture elle-même, l’égarement des hommes.

Montaigne se fait moraliste et oppose la sagesse à la folie de ces hommes épris d’actions héroïques : « Nous sommes de grands fols ».

En effet l’orgueil et la violence sont en procès dans ce texte. La voix de Montaigne se fait accusatoire.

B – Le procès de l’homme orgueilleux

Comme un procureur, Montaigne fait le procès de l’orgueil humain.

Il part des faits ou d’actions concrètes comme le montre l’ouverture des paragraphes par des compléments circonstanciels de temps (« Quand je danse je danse … / Quand je vois César » ) jusqu’à asséner sa sentence en fin de paragraphe « c’est injustice de corrompre ses règles ».

Le champ lexical de la justice montre que Montaigne passe en jugement la barbarie et la violence des hommes : « raison », « injustice », « règles », nécessaires et justes », « roidir », « sages », « ordre et tranquillité à notre conduite ».

Montaigne utilise une rhétorique judiciaire employée dans les prétoires, comme la formule « non seulement … mais aussi… » qui donne un caractère solennel à son propos.

Le dialogue fictif entre « nous » et l’auteur montre que Montaigne passe au crible nos préjugés, se fait l’accusateur de l’héroïsme violent et de l’orgueil mais aussi l’avocat de la vie ordinaire.

Plus qu’un procureur ou un avocat, il est un juge des actions humaines qu’il soumet à la pesée de la balance, symbole de la justice. Les phrases du texte sont d’ailleurs souvent animées par le rythme binaire de la balance :

♦ «Je ne dis pas que ce soit relâcher son âme, / je dis que c’est la roidir »
♦ «[Composer nos mœurs est notre office, / non pas composer des livres] et gagner [non pas des batailles et des provinces / mais l’ordre et tranquillité à notre conduite»

Montaigne pèse les actes comme le ferait un juge et prononce son verdict par le présent de vérité générale et le caractère universel assuré par le pronom possessif « notre » : « Notre grand et glorieux chef d’œuvre, c’est vivre à propos

Cette critique de l’orgueil humain dont Montaigne se fait le juge sévère est destinée à dessiner un homme nouveau dans le sillage du courant humaniste.

II – Une nouvelle image de l’homme

A – Une morale épicurienne

A la morale guerrière et héroïque illustrée par le registre épique, Montaigne substitue une morale épicurienne (du philosophe grec Epicure), qui consiste à borner ses désirs pour atteindre le bonheur.

Montaigne nous place d’emblée dans un univers de sérénité et de tranquillité en faisant référence à un lieu bucolique, champêtre : « quand je me promène solitairement en un beau verger […] je les ramène à la promenade au verger à la douceur de cette solitude et à moi ». Par le polyptote (emploi de plusieurs formes grammaticales d’un même mot dans une phrase), Montaigne dessine un paysage riant dans lequel il se plaît à rester et dont il répète les mots pour mieux suggérer le plaisir.

En effet le champ lexical du plaisir parsème l’extrait : « douceur », « maternellement », « voluptueuses » « appétit » « jouir » « plaisirs naturels ».

Par ailleurs, la morale épicurienne est fondée sur l’apprentissage des limites et de la sage modestie. Or le texte est syntaxiquement structuré par la figure du chiasme (A-B-B-A) qui souligne ce désir d’intimité :

♦ « quand je me promène solitairement en un beau verger si mes pensées (A) se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps (B), quelque autre partie je (B) les ramène à la promenade au verger a la douceur de cette solitude (A) »

♦ « Composer nos mœurs est notre office (A) non pas (B) composer des livres et gagner non pas (B) des batailles et des provinces mais l’ordre et tranquillité a notre conduite (A) »

Le chiasme est une figure de style fermée qui montre jusque dans l’écriture le désir d’enfermement, d’intimité et de tranquillité pour trouver des plaisirs à sa juste mesure. Cette vision est profondément épicurienne.

Cette morale épicurienne définit une morale de la modestie et des plaisirs simples. Montaigne offre à partir de là une nouvelle image de l’homme dans le sillage du courant humaniste.

B – Une morale humaniste

Il s’agit en effet pour Montaigne d’exposer un art de vivre heureux au quotidien, ce qui est une préoccupation majeure des humanistes comme en témoigne le champ lexical de la vie quotidienne : «plaisirs naturels », « vie ordinaire », « ordinaire vacation », « vécu », « vie », « nos mœurs », « l’ordre et tranquillité », « vivre à propos ».

Cette valorisation du banal est envisagée comme un retour à la mère Nature, un précepte fondamental de la morale humaniste.

Cet art de vivre est fondé sur une vie équilibrée. Alors que le Moyen Age valorisait la raison, la réflexion, la Renaissance essaie de réconcilier le corps et l’esprit pour que l’homme soit équilibré.

Le début de l’extrait valorise ainsi la « danse » (« quand je danse, je danse ») et l’expérience du sommeil (« quand je dors, je dors »), qui sont plus sensoriels qu’intellectuels.

La pensée de l’auteur est en cohérence avec ses actes comme en témoignent les parallélismes de construction :

♦ « Quand je danse je danse, quand je dors, je dors»
♦ « Quelque partie … quelque autre partie»

Montaigne dresse ainsi une nouvelle image de l’homme dans le sillage des humanistes.

Pour cette nouvelle image, il lui faut un nouveau genre et il se pose la question : quel livre faut-il écrire pour représenter cet homme nouveau ? Cette préoccupation apparaît dans la mention humoristique de la composition « des livres » (« non pas composer des livres« ).

III – Pour représenter l’homme nouveau, un genre nouveau : l’essai

A – Une autobiographie

Montaigne renouvelle profondément le genre autobiographique (écriture de sa propre vie).

Avant Montaigne, les autobiographies étaient essentiellement des confessions dans le cadre du christianisme (Saint Augustin), mais Montaigne utilise l’autobiographie pour parler de l’homme en toute simplicité, dans son quotidien.

Les paragraphes commençant par des propositions subordonnées conjonctives introduites par « Quand » montrent que Montaigne part du quotidien le plus prosaïque pour parler de lui.

C’est bien le « moi » qui est au centre du texte. Si la phrase «quand je me promène …la douceur de cette solitude »  est structurée par un chiasme parfait, une partie échappe à cette structure : « et à moi » qui termine la phrase et met ainsi en valeur le pronom personnel « moi » :
« Quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. » (« et à moi » : partie rejetée du chiasme et donc mise en relief)

Néanmoins, le pronom « je », omniprésent dans la première partie du texte, laisse progressivement place au pronom « nous ». Il ne s’agit donc pas tout à fait d’une autobiographie, car l’expérience de l’auteur a vocation à être partagée et universalisée.

 B – Les Essais, modèle de l’œuvre humaniste

Montaigne fait œuvre nouvelle car il explore un univers nouveau : le moi.

Il s’appuie néanmoins sur la tradition gréco-latine qui est redécouverte par les écrivains humanistes au 16ème siècle.

L’exemple de César et Alexandre plonge le lecteur dans l’univers de la Grèce et de la Rome Antique que Montaigne, par le présent et le verbe voir, fait revivre sous nos yeux : « Quand je vois et César et Alexandre (…) » .

Certaines phrases sont construites avec des ellipses ; « Sages, s’ils eussent cru que c’était là leur ordinaire vacation » Ce raccourci considérablement elliptique rappelle le style d’un auteur latin très connu à l’époque, Sénèque, célèbre pour ces expressions elliptiques et ramassées.

Revisitant grecs et latins, Montaigne revisite en fait tous les genres : le théâtre avec le dialogue mais surtout le dialogue philosophique de Platon (Philosophe grec du Vème siècle avant J.-C.) entre Socrate et son disciple.

Comme Socrate, Montaigne procède par question et déconstruit les arguments de son interlocuteur (interlocuteur qui est le lecteur lui-même, intégré à l’œuvre par le pronom personnel « Nous » !) : « Quoi ! Avez-vous pas vécu ? » .

Comme Socrate, Montaigne crée un dialogue avec le lecteur pour faire émerger la vérité (c’est ce qu’on appelle la maïeutique).

En faisant parler le lecteur, Montaigne s’amuse à brouiller les pistes.   On ne sait plus qui lit et qui écrit les Essais. Le lecteur devient co-auteur des Essais ou du moins participe à leur écriture. Avant l’heure, les Essais sont une œuvre interactive… C’est dire l’originalité de ce texte surtout au XVIème siècle !

Montaigne, « Quand je danse, je danse », conclusion :

Montaigne réalise un chef d’œuvre inclassable et composé de tous les genres littéraires : les Essais.

Dans ce chapitre « De l’expérience », il dresse le bilan d’une démarche philosophique mais aussi littéraire.

Il pose les bases de l’autobiographie pour faire émerger un homme nouveau, dans le sillage de la pensée humaniste.

Ce style littéraire nouveau ouvre la voie à des auteurs comme Rousseau dont les Rêveries du promeneur solitaire ont des accents empruntés à ce texte.

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5 commentaires

  • Le message de Montaigne semble très actuel
    (retour aux valeurs naturelles, goût de l’authenticité, plaisir de l’instant
    vécu, recherche du bien-être) : Pourquoi le monde contemporain arrive-t-il
    à la même conclusion ?

  • J’ai appris par une amie que le « quand je danse, je danse; quand je dors, je dors » est en réalité une tautologie, est-ce vrai ? Si ou,i qu’est ce que c’est ?

    Sinon super site 😉

  • Bonjour,

    Tout d’abord j’aimerai vous remercier pour tous vos commentaire qui m’ont beaucoup aidé cette année.
    J’ai par contre un problème de compréhension avec celui-ci. Dans la partie B de la seconde grand partie, je ne comprend pas vraiment comment le fait d’ « exposer un art de vivre heureux au quotidien » fait qu’il y a une morale humaniste dans ce texte. J’ai effectué des recherches mais je n’ai trouvé nul part que le mouvement humaniste était préoccupé part l’art de vivre heureux au quotidien.

    J’espère que c’était assez compréhensible et que vous pourrez m’aider,
    merci beaucoup encore!

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