Entretiens sur la pluralité des mondes, sixième soir : analyse

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Voici une analyse linéaire pour l’oral de français sur un extrait du « sixième soir » issu d’Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle.

L’extrait étudié va du début du sixième soir à « et que je les sacrifie volontiers aux moindres commodités de la société. »

Entretiens sur la pluralité des mondes, Fontenelle, Sixième soir, introduction

Les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle sont publiés en 1686 et connaissent un rapide succès. Ils témoignent de réflexions scientifiques et philosophiques essentielles dans la mesure où leur utilité sera reconnue publiquement, au moment de la nomination de Fontenelle à l’Académie des Sciences en 1697.

Dans cet ouvrage, les six entretiens se présentent comme des conversations entre un philosophe d’inspiration cartésienne et une Marquise, à l’intelligence vive.

Lors de leurs promenades au sein d’un château en Normandie, ils confrontent leurs idées sur le fonctionnement de l’univers et les phénomènes naturels. Le ton, tantôt sérieux, tantôt léger, est caractéristique d’un genre littéraire en vogue au XVIIème siècle : le dialogue philosophique.

Les entretiens de ce sixième soir confirmeront les pensées des entretiens précédents et porteront notamment sur les dernières découvertes qui ont été faites dans le ciel, comme l’indique le titre.

Extrait étudié

Il y avait longtemps que nous ne parlions plus des mondes, Madame L.M.D.G. et moi, et nous commencions même à oublier que nous en eussions jamais parlé, lorsque j’allai un jour chez elle, et y entrai justement comme deux hommes d’esprit et assez connus dans le monde en sortaient. Vous voyez bien, me dit-elle aussitôt qu’elle me vit, quelle visite je viens de recevoir ; je vous avouerai qu’elle m’a laissée avec quelque soupçon que vous pourriez bien m’avoir gâté l’esprit. Je serais bien glorieux, lui répondis je, d’avoir eu tant de pouvoir sur vous, je ne crois pas qu’on pût rien entreprendre de plus difficile. Je crains pourtant que vous ne l’ayez fait, reprit-elle. Je ne sais comment la conversation s’est tournée sur les mondes, avec ces deux hommes qui viennent de sortir ; peut-être ont-ils amené ce discours malicieusement. Je n’ai pas manqué de leur dire aussitôt que toutes les planètes étaient habitées. L’un d’eux m’a dit qu’il était fort persuadé que je ne le croyais pas ; moi, avec toute la naïveté possible, je lui ai soutenu que je le croyais ; il a toujours pris cela pour une feinte d’une personne qui voulait se divertir, et j’ai cru que ce qui le rendait si opiniâtre à ne me pas croire moi même sur mes sentiments, c’est qu’il m’estimait trop pour s’imaginer que je fusse capable d’une opinion si extravagante. Pour l’autre, qui ne m’estime pas tant, il m’a crue sur ma parole. Pourquoi m’avez-vous entêtée d’une chose que les gens qui m’estiment ne peuvent pas croire que je soutienne sérieusement ? Mais, Madame, lui répondis-je, pourquoi la souteniez-vous sérieusement avec des gens que je suis sûr qui n’entraient dans aucun raisonnement qui fût un peu sérieux ? Est-ce ainsi qu’il faut commettre les habitants des planètes ? Contentons-nous d’être une petite troupe choisie qui les croyons, et ne divulguons pas nos mystères dans le peuple. Comment, s’écria-t-elle, appelez-vous peuple les deux hommes qui sortent d’ici ? Ils ont bien de l’esprit, répliquai-je, mais ils ne raisonnent jamais. Les raisonneurs, qui sont gens durs, les appelleront peuple sans difficulté. D’autre part ces gens-ci s’en vengent en tournant les raisonneurs en ridicules, et c’est, ce me semble, un ordre très bien établi que chaque espèce méprise ce qui lui manque. Il faudrait, s’il était possible, s’accommoder à chacune ; il eût bien mieux valu plaisanter des habitants des planètes avec ces deux hommes que vous venez de voir, puisqu’ils savent plaisanter, que d’en raisonner, puisqu’ils ne le savent pas faire. Vous en seriez sortie avec leur estime, et les planètes n’y auraient pas perdu un seul de leurs habitants. Trahir la vérité ! dit la Marquise. Vous n’avez point de conscience. Je vous avoue, répondis-je, que je n’ai pas un grand zèle pour ces vérités-là, et que je les sacrifie volontiers aux moindres commodités de la société.

Problématique

En quoi cet extrait nous éclaire-t-il sur les pratiques des salons intellectuels ?

Plan linéaire

Nous analyserons d’abord l’apparence badine de la conversation, puis la position audacieuse que constitue l’adhésion à la pluralité des mondes.

Enfin, nous montrerons que le philosophe fait preuve de pragmatisme en société et qu’il entretient un rapport particulier avec la notion de vérité.

I – Une conversation en apparence badine

De « il y avait longtemps que » à « qu’on pût rien entreprendre de plus difficile« 

Le cadre de l’énonciation est rappelé : « il y avait longtemps que », suggérant que le sujet de conversation sur les mondes a été mis de côté.

Le philosophe évoque avec légèreté le fait qu’il avait presque oublié ces discussions, suggérant une familiarité avec des sujets d’ordre cosmologique ou philosophique. C’est ce que suggère le recours au subjonctif plus-que-parfait : « nous commencions même à oublier que nous n’en eussions jamais parlé ». Il donne ainsi l’impression d’une conversation reprise au hasard et cultive le naturel, la légèreté et l’oralité, loin de l’austérité d’un traité.

L’élément perturbateur est énoncé au passé simple j’allai », « y entrai ») et le narrateur mentionne qu’il croise « deux hommes d’esprit et assez connus dans le monde ».

L’entretien ne s’ouvre donc pas directement sur les planètes mais sur une situation mondaine. Cette précision donne par ailleurs à l’anecdote une tournure romanesque, qui accroche le lecteur par le pittoresque et non par l’abstraction.

La Marquise accuse le narrateur sur le ton du badinage : la visite « m’a laissée avec quelque soupçon que vous pourriez bien m’avoir gâté l’esprit » L’expression « gâter l’esprit » mêle le champ de l’éducation (gâter au sens de corrompre, fausser) à celui de la galanterie (gâter au sens de détourner, séduire).

Cette remarque de la Marquise installe le thème central de l’entretien : qu’est-ce qu’avoir bon esprit ? Faut-il chercher à raisonner scientifiquement ou à briller dans les salons ?

La réponse du narrateur se fait sur le même ton et révèle ainsi un rapport badin à la pensée.

Il adopte tout d’abord une position d’humilité – « Je serais bien glorieux […] d’avoir eu tant de pouvoir sur vous ». Cette modestie feinte flatte en réalité la Marquise avec un compliment déguisé, comme le suggère la proposition subordonnée conjonctive complétive : « je ne crois pas qu’on pût rien entreprendre de plus difficile. »

Cet échange témoigne d’un jeu mondain : l’accusation badine donne lieu à un compliment en échange. On reste dans le registre de la séduction et non de la science.

II – La défense de la pluralité des mondes : une position audacieuse

De « Je crains pourtant que vous ne l’ayez fait » à « ne peuvent pas croire que je soutienne sérieusement ?« 

La Marquise assure la transition vers un sujet plus sérieux, indiqué par la proposition subordonnée interrogative indirecte : « Je ne sais comment la conversation s’est tournée sur les mondes » Le groupe nominal au pluriel « les mondes » traite de la pluralité des mondes habités, thème sur lequel ont porté les entretiens précédents.

Dans sa prise de parole, Madame L.M.D.G. semble penser que la discussion sur les mondes a été amenée de manière intentionnelle par ses interlocuteurs : son jugement personnel transparaît dans deux adverbes : « peut-être ont-ils amené ce discours malicieusement. » Ces adverbes montre un jeu de manipulation intellectuelle dans lequel chacun essaie d’amener l’autre à exprimer ses opinions, voire à se compromettre.

Elle va plus loin en révélant sa position philosophique audacieuse : « je n’ai pas manqué de leur dire aussitôt que toutes les planètes étaient habitées. » Le « je n’ai pas manqué » et l’adverbe « aussitôt » trahissent la spontanéité de la jeune femme. La Marquise incarne un enthousiasme naïf et spontané.

La suite du récit de la conversation s’effectue au discours indirect : « l’un deux m’a dit que », « je lui ai soutenu que ». La dame rapporte ainsi la réaction des deux hommes.

L’un refuse de croire qu’elle adhère véritablement à la thèse de la pluralité des mondes. La phrase « il a toujours pris cela pour une feinte d’une personne qui voulait se divertir » sous-entend que la position de la Marquise n’est pas prise au sérieux et met en lumière le scepticisme intellectuel de cet homme.

Le second interlocuteur ne partage pas le même avis : « Pour l’autre, qui ne m’estime pas tant, il m’a crue sur ma parole. »

Paradoxalement, celui qui la respecte la croit incapable de croire à une idée qu’il juge absurde, tandis que celui qui l’estime moins n’hésite pas à penser qu’elle peut y adhérer. Ce renversement ironique dénonce la logique mondaine des jugements : les idées ne sont pas évaluées pour leur valeur rationnelle ou scientifique mais en fonction de celui qui les prononce.

III – De la nécessité d’avoir de l’esprit

De « Mais, Madame, lui répondis-je » à « les planètes n’y auraient pas perdu un seul de leurs habitants.« 

Le mouvement suivant s’ouvre avec une interrogation rhétorique de la Marquise : « Pourquoi m’avez-vous entêtée d’une chose que les gens qui m’estiment ne 0peuvent pas croire que je soutienne sérieusement ? ».

Par là, elle accuse, de façon légère, le narrateur de l’avoir influencée dans l’adoption d’une idée qui paraît extravagante. Affirmer croire en l’existence d’habitants sur d’autres planètes l’a placée dans une position intellectuellement embarrassante.Or, à ses yeux, sa crédibilité personnelle est en jeu.

Le narrateur rétorque également avec une question rhétorique : « Mais, Madame, lui répondis-je, pourquoi la souteniez-vous sérieusement avec des gens que je suis sûr qui n’entraient dans aucun raisonnement qui fût un peu sérieux ? »

Il renverse ainsi les responsabilités. En effet, pour lui, la Marquise a mal choisi son terrain de jeu. Le discours doit être adapté à l’auditoire. L’adverbe « sérieusement« , repris par l’adjectif « sérieux » met en lumière une distinction essentielle : il y a des où la pensée doit rester jeu et badinage, et d’autres où l’on peut réellement raisonner. Ce jugement quelque peu condescendant montre que toute personne n’est pas digne de participer à un débat intellectuel.

De là, pour que les échanges d’idées soient pertinents, il propose deux solutions.

D’abord, une forme d’élitisme intellectuel, matérialisé par le recours au pronom personnel de la première personne du pluriel et par un cénacle (« Contentons-nous d’être une petite troupe choisie »).

Puis, il prône la discrétion pour éviter que des idées jugées extravagantes ne soient ridiculisées. En effet, le deuxième impératif présent « ne divulguons pas nos mystères » trace une frontière nette entre ceux qui sont capables de comprendre et d’accepter des idées audacieuses (l’élite) et ceux qui ne le sont pas (le peuple).

Mais la Marquise s’offusque aussitôt, comme le souligne le verbe au passé simple « s’écria-t-elle ».

A ses yeux, les deux hommes avec qui elle s’est entretenue ne méritent pas le terme de « peuple » car elle les considère comme intelligents vu qu’elle les reçoit. Sa réaction reflète un désaccord sur la capacité de certaines personnes à participer aux discussions philosophiques.

La réponse du narrateur oppose deux formes d’intelligence : « Ils ont bien de l’esprit, répliquai-je, mais ils ne raisonnent jamais. » Pour lui, avoir de l’esprit implique la capacité de briller en société, de manier l’ironie et la légèreté, tandis que raisonner renvoie à une démarche plus rigoureuse et systématique.

Il se fait force de proposition comme l’indique le recours au conditionnel présent, « Il faudrait, s’il était possible, s’accommoder à chacune », et au conditionnel passé « il eût bien mieux valu ». Par là, il conseille de s’adapter à son auditoire.

Avec des interlocuteurs qui savent plaisanter, il vaut mieux aborder des sujets légers et éviter des discussions sérieuses. Ce conseil reflète une approche pragmatique des relations sociales. La plaisanterie est ici valorisée comme une forme d’interaction sociale qui permet d’éviter les conflits tout en maintenant l’estime des autres.

Le narrateur apporte une leçon à la Marquise sur un ton badin : « Vous en seriez sortie avec leur estime, et les planètes n’y auraient pas perdu un seul de leurs habitants. » Ainsi, par le recours au conditionnel passé, il lui montre qu’en fonction de ses interlocuteurs, elle aurait dû plaisanter et non raisonner. Cette remarque ironique souligne l’inutilité d’un débat sérieux avec des interlocuteurs non préparés à le recevoir.

IV – Le statut de la vérité

De « Trahir la vérité ! » à « aux moindres commodités de la société.« 

L’extrait s’achève sur une exclamation indignée de la Marquise – « Trahir la vérité ! » – qui exprime une réaction vive et morale.

En effet, elle prend nettement ses distances avec la suggestion du narrateur : le verbe « trahir » revêt ici une connotation négative. A ses yeux, la question de la vérité est centrale et non négociable ; elle apparaît comme une valeur absolue qui guide l’honneur intellectuel.

Cette fin montre donc le début d’un conflit de valeurs entre la Marquise et son interlocuteur. D’un côté, la Marquise privilégie la fidélité à la vérité, se plaçant dans une posture idéaliste ; de l’autre, le narrateur exprime une approche plus pragmatique, voire cynique.

En ajoutant « Vous n’avez point de conscience », la Marquise passe d’une simple exclamation à une accusation personnelle. Elle reproche sévèrement au narrateur un manque d’intégrité.

La réponse du narrateur apparaît assez désinvolte, comme l’indique le choix du mot « avouer » qui suggère une confession presque détachée. Elle se fait en deux temps.

D’abord, elle témoigne d’une acceptation de son propre pragmatisme face à l’idéalisme de la Marquise. Par la proposition subordonnée conjonctive complétive : « que je n’ai pas un grand zèle pour ces vérités-là », le narrateur minimise la valeur des vérités, qu’il met à distance avec l’adjectif démonstratifs « ces ». Son absence de « zèle » marque une mise à distance ironique de tout fanatisme intellectuel. Cette idée contraste avec la vision idéaliste de la Marquise, qui donne à la vérité une valeur inconditionnelle.

Dans un second temps, elle révèle de la part du narrateur un pragmatisme cynique comme l’indique la seconde proposition subordonnée relative : « que je les sacrifie volontiers aux moindres commodités de la société. » Ici, les « commodités » renvoient à la convivialité, la paix sociale. Pour lui, la préservation des bonnes relations sociales prime sur la vérité philosophique.

Conclusion

Cet extrait propose un éclairage sur les salons intellectuels au XVIIème siècle. Il met en évidence la légèreté des conversations qui fonctionnent par échanges ironiques, reproches taquins, procurant ainsi du plaisir au lecteur.

Ici, le sujet sérieux central – la pluralité des mondes- ne fait pas l’objet d’arguments mais de considérations sur les personnes qui en parlent. L’alliance de l’esprit et de la raison apparaît indissociable pour apprécier un sujet sérieux. Si le narrateur et la Marquise sont tous deux d’accord sur ce point, ils divergent cependant sur leur conception de la vérité : perçue de façon idéaliste ou pragmatique, le respect de vérité peut parfois être compromis selon la conscience et la vie en société.

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Amélie Vioux

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