La rage de l’expression, Francis Ponge : fiche de lecture

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Paul Cézanne, Pommes et Oranges, vers 1889

Voici une fiche de lecture complète du recueil La rage de l’expression de Francis Ponge, publié en 1952, au programme du bac de français dans le cadre du parcours « Dans l’atelier du poète » .

Ce recueil est passionnant car il propose une véritable réflexion sur l’écriture poétique elle-même.

Dans La Rage de l’expression, Francis Ponge questionne les représentations traditionnelles de la poésie, l’exercice de la description littéraire, le piège des images poétiques qui tendent à embellir leur objet parfois jusqu’à l’effacer.

Loin de l’image traditionnelle du poète, l’écrivain se présente en scientifique qui observe, expérimente, doute et remet en question son projet poétique et linguistique.

La Rage de l’expression : analyse en vidéo

Analyses linéaires de poèmes issus de La Rage de l’expression :

Dissertation :

Qui est Francis Ponge ?

Francis Ponge, né à Montpellier en 1899, est l’un des poètes français les plus importants de la seconde moitié du XXème siècle.

S’il commence à écrire à partir de 1909 et fréquente brièvement les surréalistes, il est rapidement contraint de prendre un emploi salarié, ce qui lui laisse peu de temps pour écrire.

Membre du parti Communiste dès 1937, il entre dans la résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale.

En 1942, la publication de son recueil Le Parti pris des choses lui assure une reconnaissance soudaine.

Commence alors une vie consacrée à l’enseignement, aux conférences et à l’écriture avec la publication notamment de Proêmes (1948), La Rage de l’expression (1952), Le Grand Recueil (1961), Pour un Malherbe (1965) et Le Savon (1967).

Il reçoit de nombreuses récompenses, dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1984, avant de s’éteindre en 1988.

Comment résumer La Rage de l’expression ?

La Rage de l’expression est divisé en sept sections.

Dans « Berge de la Loire », première section de ce recueil, Francis Ponge pose le principe qui va présider à son écriture : « une rectification continuelle de mon expression […] en faveur de l’objet brut ». Le poète est donc au service de l’objet de non de la forme ou de la beauté des phrases.

Dans « La Guêpe », Francis Ponge réalise une description humoristique et scientifique de l’insecte. L’écrivain tente d’approcher son objet par de nombreuses analogies : « danseuse » , « brasier pétillant » , « balle de fusil » , « forme musicale » . 

Dans « Notes prises pour un oiseau », le poète s’évertue à trouver les caractères communs à tous les spécimens de cette classe d’animaux. Il analyse les déviances symboliques qui ont été imposées à l’oiseau et souhaite revenir à l’essentiel : non ce que nous évoque l’oiseau, mais ce qui fait sa « qualité ».

Dans les deux sous-sections suivantes, « Notes prises pour un oiseau » et « Nouvelles notes pour mon oiseau », il écrit contre tout attente un texte poétique plus traditionnel, dans une alternance de décasyllabes et d’alexandrins.

Dans « L’œillet » et « Le Mimosa », Francis Ponge s’efforce d’aboutir à l’évocation le plus juste possible de chacune de ces deux plantes. Il consulte le Littré (dictionnaire de la langue française publié pour la première fois en 1863 par Émile Littré), s’essaie à des styles ou registres différents.

Dans « Le Carnet du bois de pin », il cherche à saisir les caractéristiques du bois de pins. Il utilise souvent le signe de l’accolade ({ }) pour montrer la multiplicité des expressions possibles. À la fin de la section, il relit et commente ses notes avec une sévérité impitoyable jusqu’à conclure : « Tout cela n’est pas sérieux. »

Le manuscrit du « Carnet du bois de pin » a été lu par Gabriel Audisio, une connaissance de Francis Ponge liée au milieu littéraire, (nommé G.A. dans le poème), avec qui s’ensuit une correspondance. Pour Gabriel Audisio, l’ambition de Ponge de connaître l’objet est vouée à l’échec car l’artiste « ne peut prétendre à mieux qu’éterniser le moment conjoint de la chose et de lui ». Ponge rétorque qu’il ne se veut pas poète et que « Le carnet du bois de pin » est la tentative d’assassinat d’un poème par son objet.

Dans « La Mounine », Ponge tente de rendre compte d’un ciel de Provence – au lieu-dit « La Mounine », entre Marseille et Aix, un matin d’avril – qui provoqua chez lui une émotion profonde.  Francis Ponge réfléchit au sens de son écriture : pour lui, sa démarche est proche de celle d’un scientifique. Il ne se considère pas poète, mais savant.

Quels sont les thèmes importants dans La rage de l’expression ?

La primauté de l’objet

Francis Ponge veille dans son recueil à « En revenir toujours à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut, de différent » (« Berges de la Loire »).

L’objet est donc placé au premier plan. Il prime sur toute forme verbale ou poétique.

L’auteur reproche en effet à la poésie traditionnelle de contourner l’objet, de l’invisibiliser en l’exploitant ou en l’embellissant.

Pour Francis Ponge, il convient de rendre à l’objet sa liberté : « Reconnaître le plus grand droit de l’objet, son droit imprescriptible, opposable à tout poème… » (« Berges de la Loire »). Par cette formulation humoristique, qui parodie la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le poète confère à l’objet un statut autonome qui impose un devoir à l’auteur : celui de ne pas le dénaturer.

La recherche de l’expression vraie

L’objectif de Ponge est d’aboutir à l’expression juste, vraie, qui donne une représentation complète et objective de la réalité de l’objet.

Mais cette recherche est une « conquête » comme l’écrit Francis Ponge lui-même dans l’« Appendice au « Carnet des bois de pins » ». En effet, le poète se heurte au « mutisme habituel de l’objet » (« L’Œillet »).

Sa tâche est donc complexe : « Oh ! qu’il est difficile d’approcher de la caractéristique des choses ! » s’écrit-il dans « Le Mimosa ».

Cet aveu nous fournit des pistes pour interpréter le titre du recueil, La Rage de l’expression : l’expression est-elle rageuse elle-même ou le poète est-il rageur parce que l’expression juste finit toujours par lui échapper ?

La remise en cause de la poésie traditionnelle

Francis Ponge cherche à renouveler l’art de la poésie.

Il se méfie tout d’abord de la forme poétique qu’il perçoit comme un piège, au point de se donner comme consigne de « ne jamais [s’]arrêter à la forme poétique » (« Berges de la Loire »).

Cela ne signifie pas que l’auteur refuse toute forme poétique, mais il la désacralise, la considère comme un outil, parmi d’autres, pour saisir l’essence des choses.

Francis Ponge se méfie aussi des images poétiques qui viennent s’interposer entre le poète et l’objet : « À noter que j’éprouve les plus grosses difficultés du fait du nombre énorme d’images qui viennent se mettre à ma disposition (et masquer, mettre des masques, à la réalité) […] » (« La Mounine »).

L’image, matériau poétique traditionnel par excellence, n’est donc plus considérée comme un moyen d’exprimer la réalité mais devient au contraire un « masque », une fiction mensongère qui éloigne l’écrivain de son sujet.

La figure du poète

Francis Ponge rompt avec la représentation traditionnelle du poète, être romantique et passionné, capable de capturer la beauté du monde dans des moments de fulgurance.

Il privilégie au contraire une approche objective et scientifique de la poésie.

Par exemple, il part du dictionnaire, le Littré, qu’il utilise abondamment et dont il reporte scrupuleusement les définitions comme dans « Le Mimosa » ou dans « Le Carnet du bois de pins ».

Il n’hésite pas à utiliser l’Encyclopédie ou tout ouvrage à caractère scientifique ou informatif, s’éloignant ainsi de l’inspiration par les Muses attribuée aux poètes classiques. « Je me veux moins poète que savant » écrit-il à Gabriel Audisio dans sa lettre du 19 juillet 1941.

Quelles sont les caractéristiques de l’écriture dans La rage de l’expression ?

Une réflexion sur le langage

Francis Ponge se livre dans ce recueil à une réflexion littéraire sur son art, d’où l’omniprésence du champ lexical de la langue dans ses poèmes : « trouvaille verbale », « propos », « arrangement », « expression »….

Francis Ponge se fait même critique littéraire de lui-même, parfois avec une sévérité impitoyable : « En ce qui concerne le bois de pins, je viens de relire mes notes. Peu de choses méritent d’être retenues (…) Mais il faut que je me débarrasse d’une tendance à dire des choses plates ou conventionnelles. Ce n’est vraiment pas la peine d’écrire si c’est pour cela » (Le Carnet du bois de pins).  Cette distance avec sa propre écriture relève de la fonction métalinguistique de langage : la langue est utilisée pour porter une réflexion sur elle-même.

Une méthodologie scientifique

C’est que l’ambition de Ponge est moins d’aboutir à un poème que de « fonder une science » comme il l’écrit à son ami Gabriel Audisio.

Son écriture se rapproche ainsi de celle d’un scientifique comme le montre la section « La  Guêpe » qui s’ouvre sur une terminologie savante avec le terme « Hyménoptère ». Afin de définir la guêpe, le poète procède comme un laborantin : par approximation (« Elle semble vivre… »), hypothèse, supposition, analogie (« Analogie de la guêpe et du tramway électrique »). Le champ lexical de la physique (« choc », « mécanique », « contact électrique », « vibration ») dévoile un imaginaire et une exigence scientifiques.

De façon encore plus surprenante, dans « Le carnet du bois de pins », après avoir exploré de multiples « variantes » d’expressions, Francis Ponge propose une série de dispositions combinatoires ( « 1 2 3 4 5 / 1 2 4 3 5 etc. »), comme si le poème suivait une loi mathématique.

Cette méthodologie scientifique transparaît également dans son recours systématique au Littré, dictionnaire de la langue française élaboré en 1841. En partant d’une définition et d’une étymologie, le poète adopte une approche objective des mots.

Humour et jeux de mots

La rigueur scientifique de Francis Ponge n’empêche pas l’humour ni les jeux de mots, très présents dans le recueil, allant parfois jusqu’aux calembours : « Pantomime, mimosa. / Un fervent de la pantomime osa / Enfer ! Vendre la pente aux mimosas. » (« Le Mimosa »)

Que signifie le parcours « Dans l’atelier du poète » ?

Dans ce parcours, le terme « atelier » peut surprendre

En effet, n’est-il pas paradoxal de parler d’un « atelier du poète », alors que la création poétique est traditionnellement considérée comme une activité spontanée et inspirée ?

Et pourtant ! C’est bien dans son « atelier » que Francis Ponge nous fait pénétrer.

À rebours des poètes traditionnels, il dévoile ses efforts et ses difficultés à trouver le mot juste, ses multiples essais de formulations et ses renoncements. C’est donc bien un poète à l’œuvre, en plein travail, que nous découvrons dans ce recueil.

« Écrire contre »

Tout d’abord, Ponge remet en cause les images et conventions poétiques traditionnelles : il veut « écrire contre » tout ce qui a été dit auparavant.  

On pourrait en déduire qu’il fait table rase de toute tradition littéraire. Mais il n’en est rien…

On retrouve dans La rage de l’expression de nombreux jeux d’intertextualité avec les grands poètes des siècles passés.

L’écrivain se livre par exemple à des exercices de réécriture : le 10ème poème de « L’œillet » (« Ainsi aux approches de juillet / Se déboutonne l’œillet ») s’inspire de Ronsard ; le 14ème (« O fendue en oe ») est une réécriture du célèbre poème « Voyelles » de Rimbaud. Le pin qui « plie et ne rompe pas » (p. 101) est un hommage à la fable « Le Chêne et le Roseau » de La Fontaine.

Francis Ponge, en nous invitant dans son atelier, nous emmène tout d’abord dans sa bibliothèque. Il nous montre les grandes voix de la poésie française qui l’ont nourri, inspiré et aidé à trouver lui-même sa propre voix poétique.

Une démarche scientifique

Ensuite, le poète nous livre sa méthode pour écrire un poème. À bien des égards, sa démarche s’apparente à celle d’un scientifique.

Comme un savant délimitant son sujet d’étude, le poète énonce d’abord ce que doit rechercher un écrivain : « En revenir toujours à l’objet lui-même, à ce qu’il a de brut, de différent » (« Berges de la Loire »).

Si le scientifique part toujours d’hypothèses, Francis Ponge s’appuie quant à lui sur un matériau objectif, le dictionnaire Littré, afin d’élaborer son poème à partir de définitions précises.

Pour cela, il rédige des notes qui apparaissent sous forme de fragments comme dans « L’Œillet », ou de variantes comme dans « Le Mimosa » ou « Le Carnet de bois de pins ». Ces notes ou variantes donnent parfois à lire un poème à plusieurs entrées, car les accolades proposent différentes versions d’un même poème.

L’écrivain nous ouvre ainsi les portes de son esprit puisqu’il reconstitue ses hésitations, ses choix possibles, ses éventuels renoncements (« pèse n’est pas le mot » dans « La Mounine »).

Tel un scientifique, Francis Ponge analyse et évalue le résultat de ses expériences. On peut être surpris par la distance critique avec laquelle il aborde sa propre écriture, allant jusqu’à remettre en cause l’utilité de son activité : « Ce n’est vraiment pas la peine d’écrire si c’est pour cela » (« Le Carnet du bois de pins », 17 août 1940).

En définitive, l’atelier de Francis Ponge s’apparente à un véritable laboratoire de recherche. Pour lui, le poète est un « savant » qui étudie, observe, définit, classifie, expérimente son objet, et cherche à faire disparaître les marques de subjectivité de son auteur.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Professeure et autrice chez hachette, je suis spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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