Lettres d’une péruvienne, lettre 10 : analyse linéaire

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Voici une analyse linéaire de la lettre 10 (en intégralité) de Lettres d’une Péruvienne de Françoise de Graffigny.

Lettres d’une Péruvienne, lettre 10, Introduction

Françoise de Graffigny publie les Lettres d’une Péruvienne en 1747 après avoir tenté une carrière dans l’écriture théâtrale et fréquenté les salons où elle a rencontré Voltaire, Marivaux, Rousseau, d’Alembert et Diderot.

Ce roman épistolaire met en scène Zilia, jeune péruvienne capturée par les espagnols, qui, à l’aide de quipo, écrit des lettres à Aza, l’homme qui lui était destiné. (Voir la fiche de lecture complète de Lettres d’une Péruvienne)

Le vaisseau espagnol qui la maintenait captive a été attaqué par un vaisseau français, celui du chevalier Déterville.

Dans la lettre 9, Déterville adopte à l’égard de Zilia des postures galantes qu’elle ne parvient pas encore à décoder.

La lettre 10 correspond à la découverte par Zilia d’une ville française : Marseille. Le regard naïf de Zilia va permettre à Graffigny de dresser un portrait satirique de la civilisation française mais aussi de souligner l’attrait de cette nouvelle civilisation sur sa personne.

Problématique

En quoi la lettre 10 souligne-t-elle la séduction progressive et lente opérée par la civilisation occidentale sur le personnage de Zilia ?

Plan linéaire

Tout d’abord, de « Je suis enfin arrivée » à « les prodiges dont elles sont remplies», Zilia porte un regard naïf et surpris sur la civilisation française.

Ensuite, de « En entrant dans la chambre » à « un espace fort étendu », la jeune Péruvienne découvre son reflet dans un miroir, ce qui marque symboliquement son entrée dans le monde.

Enfin, de « L’étonnement me tenait immobile… » à la fin de la lettre 10, le trouble de Zilia souligne la séduction progressive qu’opère la civilisation française sur son esprit.

I – Un regard neuf sur la civilisation française

De « Je suis enfin arrivée » à « les prodiges dont elles sont remplies»

La lettre 10 commence par un moment de plénitude : « Je suis enfin arrivée à cette terre, l’objet de mes désirs…« . L’apposition périphrastique « l’objet de mes désirs » utilise même une métaphore amoureuse qui peut surprendre.

Cette phrase « je suis enfin arrivée à cette terre » place Zilia dans une situation de conquérante. Françoise de Graffigny opère ici une inversion ironique car le personnage colonisé et extirpé de sa terre natale a finalement l’illusion de conquérir une terre.

Néanmoins, la conjonction de coordination « mais » vient rapidement casser l’optimisme du début de la lettre. La négation « mais je ne vois encore rien » met le bonheur attendu hors de portée.

La première réaction de Zilia à la vue des côtes française est la surprise, mise en relief par la redondance exprimée dans le rythme ternaire « tout ce qui s’offre à mes yeux me frappe, me surprend, m’étonne ».

Cette surprise permet à Graffigny d’insister sur la naïveté du regard de Zilia qui constituera un excellent témoin pour juger de la civilisation française.

Le champ lexical du doute (« impression vague », « perplexité », « erreurs », « incertaine« , « je doute », « presque ») n’exprime pas une fascination mais plutôt un scepticisme sur ce que voit Zilia.

On retrouve chez Zilia la démarche du philosophe du XVIIème siècle Descartes qui met le doute au centre de sa pensée : « je demeure incertaine, je doute presque de ce que je vois ». Cette phrase rappelle en effet le doute méthodique de Descartes qui affirme devoir de méfier de ses sens pour découvrir les vérités premières. Cette approche rationnelle et philosophique de Zilia pour décoder la société française lui donne de la crédibilité auprès du lecteur du XVIIIème siècle.

Zilia est encore rattachée à sa culture d’origine. Elle utilise ainsi la périphrase « la maison flottante » pour désigner le vaisseau ou « une ville bâtie sur le rivage de la mer » pour désigner Marseille.. Graffigny utilise ce procédé comique pour distraire le lecteur et, plus sérieusement, pour montrer la distance lexicale des deux civilisations.

II – La découverte par Zilia de son reflet dans le miroir

De « En entrant dans la chambre » à « un espace fort étendu« 

Zilia adopte une méthodologie comparative afin de mettre en regard la civilisation Inca et la civilisation européenne, comme le montre le champ lexical de la comparaison : « même nation que », « ressemblance », « surpassent », « au-dessus ».

Cette attitude démontre la rationalité du regard de Zilia, mais la comparaison entre la civilisation inca et la civilisation française opère aussi une inversion ironique savoureuse : la civilisation inca est caractérisée par « la richesse des ornements » qui est traditionnellement la marque de l’art français, tandis que la civilisation française se distingue par les « prodiges » dont les maisons « sont remplies », ce qui place le peuple français dans la superstition et la magie.

La mention du « peuple qui nous suivait en foule » illustre aussi cette crédulité du peuple français qui semble adopter une attitude de prosélytes superstitieux.

Zilia reste dans une condition de captive comme le montre l’espace clos de la « chambre » et le complément d’objet direct « où il m’a logée ».

Mais cette prison nouvelle permet la rencontre du monde. La découverte du miroir est emblématique de l’entrée de Zilia dans le monde, et particulièrement dans la civilisation française, marquée par l’amour-propre et la coquetterie.

Zilia est d’abord choquée comme le montre le verbe « a tressailli ».

Puis, dans un style galant, Graffigny entraîne son lecteur et son personnage dans une énigme, un peu comme dans un salon mondain.

Le complément circonstanciel de lieu « dans l’enfoncement » place le lecteur dans la profondeur de l’énigme. La périphrase « une jeune personne habillée comme une vierge du Soleil » donne rapidement l’indice au lecteur qu’il s’agit de Zilia.

À partir de là, le lecteur en sait plus que le personnage et la phrase « j’ai couru à elle les bras ouverts » prend une dimension comique. L’épanaphore (répétition d’une même formule au début d’une phrase ou de segments de phrases) « Quelle surprise » souligne l’a découverte le grand étonnement du miroir.

Mais le comique cesse car Zilia décrit un univers minéral plus inquiétant (« résistance impénétrable ») qui se substitue à l’humain (« je voyais une figure humaine »).

Françoise de Graffigny illustre le caractère néfaste du miroir, avec le substantif « ombre » qui fait signe vers un monde parallèle plus sombre.

Zilia est comme pétrifiée (« L’étonnement me tenait immobile ») ce qui fait songer à la scène biblique de la transformation de la femme de Loth en statue de sel après qu’elle eut regardé en arrière vers Sodome (Genèse, 19, 26).

Le miroir devient ainsi la métaphore du mal qui pétrifie l’homme et réveille son amour-propre, son orgueil.

Ce passage rappelle le style des moralistes du Grand Siècle (17ème siècle) comme La Rochefoucauld ou La Bruyère, qui dénoncent les méfaits de l’amour-propre et de la coquetterie.

III – Un trouble qui marque la séduction progressive de la civilisation française sur Zilia

De « L’étonnement me tenait immobile… » à la fin de la lettre 10

Françoise de Graffigny utilise l’épisode du miroir pour introduire un passage galant.

En effet, le Chevalier Déterville se joint à la vision que Zilia a de sa propre image (« quand Déterville m’a fait remarquer sa propre figure ») : « Je le touchais, je lui parlais, et je le voyais en même temps fort près et fort loin de moi ».

Plusieurs sens de Zilia sont convoqués : le toucher, la vue, l’ouïe; et le complément circonstanciel de lieu « fort près » crée l’atmosphère d’une scène amoureuse.

L’épisode du miroir est hautement symbolique. Le miroir est un objet à la fois fascinant et diabolique puisqu’il est en train de diviser Zilia : le dédoublement de son image montre la fracture entre « la vierge du Soleil » et la jeune fille qu’elle s’apprête à devenir, attirée par les mondanités séduisantes.

C’est l’occasion pour Françoise de Graffigny de dénoncer subtilement les illusions des mondanités.

Ainsi Zilia, pourtant cartésienne jusque-là, avoue elle-même : « Ces prodiges troublent la raison, ils offusquent le jugement ». Le mode interrogatif (« que faut-il penser des habitants de ce pays ? Faut-il les craindre, faut-il les aimer ? ») traduit le trouble et la suspension de son jugement.

Zilia n’a pas encore trouvé la grille de lecture pour bien appréhender les mœurs du peuple français.

L’antithèse « craindre / aimer » révèle l’indécision totale concernant le jugement porté sur ce peuple. Zilia adopte une ligne de conduite ferme exprimée par le futur : « Je me garderai bien de rien déterminer là-dessus ».

Déterville prend le rôle d’initiateur au monde nouveau que rencontre Zilia. Il décode en effet le réel : « Le cacique m’a fait comprendre que la figure que je voyais était la mienne ». Il joue par Zilia un rôle de « cacique », chef amérindien détenteur du savoir.

Mais Zilia n’accueille pas cette connaissance avec soulagement. Au contraire, le mode interrogatif afflue à nouveau : « de quoi cela m’instruit-il ? Le prodige en est-il moins grand ? » . Avec le terme « prodige », Zilia place la France et sa civilisation dans l’ordre de la superstition.

Zilia établit de nouveau une comparaison entre sa civilisation Inca et la civilisation européenne. Mais cette fois-ci, le champ lexical de la connaissance  (« esprit », « erreurs », « ignorances », « moins habiles » – « plus savants », « Amautas » – qui signifie « maître » dans la langue inca – ) ne s’applique plus à la civilisation inca mais à la civilisation européenne.

Zilia découvre avec désespoir, dans un registre tragique, l’ignorance de sa civilisation sur le monde.

Le champ lexical de la douleur (« mortifiée », « douleur », « erreurs », « ignorances ») place Zilia dans une posture pathétique où elle commence à prendre de la distance avec son propre modèle civilisationnel.

Elle demeure malgré tout dans le système de dénomination inca (« Le cacique m’a donné une china jeune et fort vive »). La présence de termes incas rappelle que Zilia se situe à cheval entre sa civilisation d’origine et la civilisation française.

Les termes laudatifs suggèrent toutefois que Zilia est progressivement happée par la douceur de vivre des français.

Le champ lexical du bien-être (« m’a donné », « grande douceur », être servie », « me rendre des soins ») opère comme une séduction orchestrée par Déterville pour amener Zilia à adopter les codes de sa civilisation.

Zilia demeure néanmoins sur ses gardes et la différence entre les deux civilisations est encore intériorisée. Ainsi, le regard (« À la façon dont elles me regardent ») trahit toujours une distance entre les deux peuples. La référence à « Cuzco », capitale de l’empire des Incas, rappelle l’imaginaire colonial puisque cette ville était censée dans l’imaginaire occidental regorger d’énormes richesses, ce qui a justifié la colonisation par les Espagnols.

La métaphore de la « mer » (« mon esprit flotte toujours dans une mer d’incertitudes ») suggère certainement, symboliquement, que Zilia est en train de passer d’une rive à une autre, de l’Amérique à l’Europe.

« mon cœur seul » suggère que si le corps et l’esprit sont en train de basculer, le cœur et les valeurs morales restent ancrés dans sa civilisation d’origine.

Le rythme ternaire « ne désire, n’espère et n’attend qu’un bonheur » accentue la solitude de Zilia dans un univers qui lui est étranger et hostile. La lettre se clôt sur la souffrance de Zilia, avec la négation restrictive « tout ne peut être que » ainsi que le terme « peines » au pluriel.

Lettre 10, conclusion

À travers la lettre X, Graffigny souligne la séduction progressive et lente opérée par la civilisation occidentale sur le personnage de Zilia.

L’épisode du miroir symbolise l’entrée dans une nouvelle civilisation, fondée sur l’amour-propre et la coquetterie.

Le personnage de Zilia résiste pour l’instant mais le lecteur devine aisément que c’est ce processus qui se met en place, ce qui crée une attente et un intérêt romanesque supplémentaire.

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Amélie Vioux

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