Lettres d’une péruvienne, lettre 4 : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire pour l’oral de français de la lettre 4 des Lettres d’une péruvienne de Françoise de Graffigny.

L’extrait analysé va de « Hélas ! Je croyais déjà entendre quelques mots de sauvages espagnols » à « à peine me reste-t-il assez de force pour nouer mes quipos. » 

Lettres d’une péruvienne, lettre 4, introduction

Françoise de Graffigny publie les Lettres d’une Péruvienne en 1747 après avoir tenté une carrière dans l’écriture théâtrale et fréquenté les salons où elle a rencontré Voltaire, Marivaux, Rousseau, d’Alembert et Diderot.

Marquée par un esprit classique, elle demeure attentive à la modernité des Lumières et explore dans les Lettres d’une Péruvienne de nombreuses thématiques communes à l’esprit des Lumières, notamment la rencontre de la civilisation européenne avec les autres civilisations. 

Dans les premières lettres, Zilia raconte à Aza qu’elle a été faite prisonnière par les Espagnols, décrits comme particulièrement cruels. Par la suite, le navire espagnol est attaqué par un vaisseau français. Devenue captive des Français, Zilia en profite pour comparer les deux nations.

Problématique

Comment le regard naïf de Zilia permet-il déjà, dans la lettre 4, de dresser un premier portrait ironique de la civilisation européenne ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, de « Hélas ! je croyais » à « le chevet de mon lit« , Zilia compare les Espagnols et les Français.

Dans un deuxième temps, de « L’un, que j’ai jugé être le cacique » à « tournent toujours à mon désavantage », elle met en valeur, sans en comprendre les codes, la galanterie et le libertinage des Français.

Dans un troisième temps, de « Cette espèce de cérémonie » à  » « mes quipos », elle dresse une rapide satire de la médecine européenne.

I – La comparaison des Espagnols et des Français

de  « Hélas ! je croyais  » à « le chevet de mon lit« 

Zilia commence son récit sur un ton pathétique, avec l’interjection « Hélas ! », qui plonge aussitôt le lecteur dans une atmosphère tragique.

Son enfermement dans le vaisseau représente par ailleurs un monde clos, semblable à celui de la tragédie.

L’adjectif « sauvages », utilisé pour qualifier les Espagnols, renforce cette idée d’un univers brutal et inhumain, où l’innocence est abandonnée.

Mais son enlèvement par les français, désignés comme de « nouveaux tyrans », la pousse à comparer les deux peuples.

On retrouve ainsi dans sa lettre 4 le champ lexical de la comparaison (« rapports », « même avantage », « même nation », « à la différence de » ) .

Elle place sa civilisation inca au sommet de la hiérarchie comme l’atteste l’adjectif « auguste » précédé du déterminant possessif « notre ».

Alors que la civilisation espagnole est rejetée pour sa barbarie colonisatrice, la civilisation française est jugée plus positivement : la préposition « avec » et le déterminant possessif « mes » dans l’expression « avec mes nouveaux tyrans » crée une dimension relationnelle qui affaiblit considérablement le sens sémantique péjoratif du terme « tyrans ».

Néanmoins, pour Zilia, la confusion règne comme le souligne la négation : « je ne distingue pas même les inflexions de leur voix ».

L’approche de la civilisation française reste confinée à l’apparence : « leur caractère apparent » précise Zilia dans sa lettre.

Le terme « disproportion » met en relief une disharmonie dans une civilisation française qui se targue pourtant d’harmonie, d’urbanité et d’élégance. Ironiquement, Françoise de Graffigny donne déjà à Zilia un regard lucide qui perce à jour les contradictions des européens.

Zilia adopte une démarche proche de l’ethnographie : elle cherche à comprendre l’esprit d’un peuple en observant son apparence, son comportement et ses coutumes.

Le regard naïf et païen de Zilia transparaît quand elle décrit les Espagnols en les comparant à deux des quatre éléments naturels : « il n’avait encore assemblé que l’air et le feu ». Cette image renvoie en effet aux anciennes cosmologies, où un « Créateur » compose les êtres à partir d’éléments primordiaux.

Par la négation restrictive « ne… que », les Espagnols sont décrits comme des créatures incomplètes, encore brutes, alors qu’eux-mêmes se considèrent comme le symbole du raffinement.

Zilia part de l’apparence extérieureyeux », « mine ») pour remonter jusqu’à la nature morale du peuple espagnol, comme le montre le champ lexical de la cruautécruels », « sang-froid », « inhumanité »). Le verbe « montraient » traduit cette démarche inductive : le caractère des espagnols est déduit à partir de leurs traits physiques.

Puis Zilia compare les Français aux Espagnols. C’est le champ lexical de la politesse qui domine pour qualifier les Français (« riant », « douceur », « empressement », « bienveillance ») et qui contraste avec la rudesse du caractère espagnol.

La France est un espace accueillant mais le verbe d’état « paraît » vient jeter un doute sur cette politesse. Zilia perçoit intuitivement une duplicité dans le caractère français, la politesse n’étant qu’une apparence et une couverture.

Ainsi, la conjonction de coordination « Mais » vient marquer une opposition : « mais je remarque des contradictions dans leur conduite qui suspendent mon jugement.« 

Le terme « contradictions » souligne que l’impression initiale est peut-être trompeuse.

L’expression « suspendent mon jugement » rappelle la méthode du philosophe Descartes (XVIIème siècle) qui, dans les Méditations métaphysiques, suspend son jugement pour ne pas se laisse tromper par les illusions (« Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée ; et si, par ce moyen, il n’est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d’aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement. » (Méditations métaphysiques, I). Zilia, loin de n’être qu’une « sauvage », adopte donc une méthode rationaliste et cartésienne pour étudier le caractère des Français et se dote donc d’une crédibilité scientifique et philosophique auprès du lecteur.

Le substantif « sauvages » est utilisé pour caractériser les Français. Graffigny crée ici une inversion des valeurs ironique : ce n’est pas la jeune Inca captive qui est sauvage, mais les Français !

On retrouve dans la phrase (« Deux de ces sauvages ne quittent presque pas le chevet de mon lit ») toute l’ambiguïté du caractère français : d’un côté l’attention et la bienveillance mais d’un autre côté la surveillance dans un univers fermé, oppressant et presque carcéral.

II – Une saynète galante et libertine

« L’un, que j’ai jugé être le cacique » à « tournent toujours à mon désavantage »

Zilia fait ensuite la description des deux personnages à son chevet dans un portrait en action.

Le premier portrait est celui de Déterville. Zilia l’a « jugé être le cacique à son air de grandeur« . Partant de l’apparence (« son air de grandeur »), elle en déduit donc son rôle social à s’appuyant sur ses propres références culturelles (« cacique »), ce qui crée une touche humoristique pour le lecteur du XVIIIème siècle.

Mais une ombre apparaît à ce portrait plutôt laudatif : l’incise « je crois » rappelle la suspension du jugement, comme si Zilia ne parvenait à se déterminer définitivement sur le caractère du Français.

De plus, le complément circonstanciel de manière « à sa façon » souligne que le respect qu’il manifeste est en décalage avec les codes du respect selon Zilia. Les mœurs françaises, même positives en apparence, heurtent Zilia.

L’autre portrait est contrasté : le champ lexical de la bienveillance (« secours », « bonté », « secours », « familiarité ») entre en conflit avec celui de la tyrannie (« dure », « cruels », « impérieuse »). Cette ambivalence suggère la duplicité du caractère du personnage qui empêche de tirer une conclusion ferme.

Le complément circonstanciel de temps « Dès le premier moment où » donne une intensité dramatique à la scène.

Zilia insiste sur la lucidité de son regard (« revenue de ma faiblesse » accentué par « car je l’ai bien remarqué »). Le substantif précédé du déterminant possessif « leur puissance » rappelle le champ lexical de la tyrannie et ramène sa situation de Zilia à celle d’une captive. Le lit et la maladie prennent alors une dimension symbolique : ils deviennent une prison dans laquelle Zilian est enfermée.

Graffigny joue aussi sur l’ambiguïté du geste de Déterville : « voulut prendre ma main » peut se lire de deux manières. C’est peut-être un geste tendre, comme celui d’un soupirant, mais aussi un geste de contrôle, comme celui d’un geôlier.

Le geste de liberté de Zilia (« que je retirai avec une confusion inexprimable ») fait basculer le texte dans le registre amoureux. On se croit dans une scène galante, presque théâtrale.

Très vite, le vocabulaire devient plus militaire. Les mots « résistance », « la reprit », « faible », « mourante » font de Zilia non plus une simple une amoureuse, mais une sorte de forteresse assiégée.

Déterville, lui, agit comme un conquérant : il « la reprit à l’instant » (la main), ce qui montre la rapidité de son action.

L’écriture de Zilia devient alors pathétique. Le rythme ternaire et ascendant (2/3/5/12) dans la phrase : « Faible /, mourante / et ne prononçant /que des paroles qui n’étaient point entendues » retranscrit une montée en tension de la scène. L’expression « pouvais-je l’en empêcher ? » a des accents mélodramatiques et confirme que toute rébellion est impossible.

Enfin, l’expression « tout autant qu’il voulut » souligne la domination de Déterville sur Zilia.

Le champ lexical de la conquête (« reprit », « garda », « je la lui donne ») fait de Zilia une captive politique mais aussi amoureuse qui paie un tribut régulier à l’envahisseur libertin (« il faut que je la lui donne moi-même plusieurs fois par jour »).

III – Une satire de la médecine

« Cette espèce de cérémonie … mes quipos »

Dans la suite de l’extrait, Françoise de Graffigny dresse une satire de la médecine.

Le terme « cérémonie« , qui désigne ici la médecine, transforme en effet une science en superstition.

L’expression « Cette espèce de cérémonie» renforce la dimension satirique : elle donne l’impression que les pratiques médicales sont extravagantes, floues et relèvent plus de la magie que de la science.

Les déterminants démonstratifs (« Cette espèce », « ces peuples ») ont une charge ironique puisqu’ils mettent à distance.

L’adverbe « apparemment » est lui aussi ironique car, avec une innocence feinte, Zilia parvient à décrédibiliser la médecine française en soulignant l’inefficacité de ses traitements : « car je n’en éprouve aucun ».

Après ce court passage satirique, Zili revient à un registre lyrique. Elle évoque sa souffrance d’être séparée d’Aza avec la métaphore du feu intérieur qui évoque à la fois le désir et la souffrance amoureuse : « Je souffre toujours également d’un feu intérieur qui me consume » .

Le langage reste l’arme de Zilia : même affaiblie, elle continue d’écrire. La phrase « à peine me reste-t-il assez de force pour nouer mes quipos » illustre combien l’acte d’écriture est vital pour elle. Le quipo, cordelette nouée servant à transmettre un message, devient ici un symbole : chaque nœud représente le lien avec Aza, mais aussi le fil qui la relie encore à la vie.

Conclusion

Cette lettre 4 de Lettres d’une Péruvienne est l’occasion pour Françoise de Graffigny de dresser un portrait des personnages importants qui vont avoir un rôle dans l’intrigue mais aussi un premier portrait de la civilisation européenne, en particulier espagnole et française.

Zilia ne pose pas qu’un regard naïf sur le monde : elle observe, décode, suspend parfois son jugement. Cette approche quasi scientifique renforce sa crédibilité auprès du lecteur.

Le regard acéré de Zilia sur la civilisation européenne va d’ailleurs se renforcer tout au long du roman jusqu’à atteindre son apogée dans les dernières lettres à teneur philosophiques, comme les lettres XXIX ou XXXIV.

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Amélie Vioux

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