Au lecteur, Essais, Montaigne : commentaire

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au lecteur montaigne commentaireVoici une analyse de la préface « Au lecteur » des Essais de Montaigne.

L’extrait commenté est l’avertissement au lecteur de « C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. » à « Adieu donc »

Au lecteur, Montaigne, introduction

Dès la première édition des Essais en 1580, Montaigne écrit à l’attention du lecteur une préface qui donne le ton de cette œuvre originale.

Ce texte « Au lecteur » est ambigu dans son genre et son intention. Est-ce une préface, c’est-à-dire une introduction extérieure à l’œuvre destinée à la présenter ou est-ce déjà une partie de l’œuvre où Montaigne fait déjà ce qu’il dit qu’il va faire : parler de lui-même ?

En effet, si le texte « Au lecteur » se présente comme une simple préface des Essais (I), Montaigne y fait déjà un portrait de lui-même (II). Nous verrons également qu’il utilise une stratégie littéraire pour séduire son lecteur (III)

Questions possibles à l’oral de français sur « Au lecteur » de Montaigne

♦ A quel genre ce texte appartient-il ?
♦ Que nous apprend ce texte sur Montaigne ?
♦ En quoi ce texte appartient-il au courant humaniste ?
♦ Quel relation Montaigne entretient-il avec le lecteur ?

I – Une préface à une œuvre d’une forme nouvelle : l’essai

 A – L’omniprésence du « je »

Montaigne s’adresse « Au lecteur » et lui promet une œuvre qui porte sur lui-même.

Ainsi, Les Essais sont écrits à la première personne comme en témoigne l’omniprésence lexicale et grammaticale de la première personne. Souvent sujet place en tête de phrases (« Je n’y ai eu nulle considération de ton service », « Je l’ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis », «  Je veux qu’on m’y voie en ma façon »), la première personne apparaît aussi avec les déterminants possessifs « ma gloire », «  Mes forces », «  mes parents et amis », «  ma façon », « Mes défauts ».

En outre, le « je »  est sujet mais aussi objet (« je veux qu’on m’y voie », « je ne m‘y suis proposé », «  je m‘y fusse très volontiers peint » ).

Le « je » sujet et objet d’une même phrase crée un effet de miroir et suggère le caractère atypique de la démarche de Montaigne : il est à la fois l’auteur et le sujet de son livre.

La signature « de Montaigne » montre une légère mise à distance de Montaigne par lui-même, une mise à distance qui est un préalable nécessaire à la connaissance de soi.

 B – Une démarche sincère

Montaigne adresse au lecteur un véritable pacte de lecture : « Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre ».

Montaigne pose par cette phrase le « je » écrivant et le « moi-même » mis à distance, raconté, observé, analysé voire moqué.

Ces deux « je » sont réunis dans « mon livre » l’œuvre littéraire faisant l’unité de la personne.

L’allitération en [m] (« Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre« ) fait entendre l’initiale de Michel et de Montaigne, accentuant l’effet de miroitement lié à l’autoportrait.

Montaigne s’engage à la sincérité comme le montre le champ lexical de la sincérité : «livre de bonne foi », « façon simple », « naturelle », « ordinaire », «  sans contention et artifice », « vif », « ma forme naïve », « tout entier », « tout nu ».

Ce champ lexical abondant montre la transparence de l’auteur. Le livre sera un vrai miroir et non un miroir déformant. Ce champ lexical est doublé d’un champ lexical de la nature qui renforce la sincérité de l’écrivain (« naturelle« , « sans contention et artifice« , « ma forme naïve« , « tout nu« ).

Cette sincérité est accentuée par le rejet du registre épique et tout ce qui est de l’ordre du théâtre : « service », « gloire », « mes forces ne sont pas », « faveur du monde », «artifice ».

Loin du théâtre et de l’amour des grandeurs du monde, Montaigne adopte une démarche fondée sur la sincérité et la bonne foi.

II – Le portrait humaniste de l’auteur

À travers cette œuvre d’un nouveau genre, l’essai, Montaigne commence à dresser un portrait humaniste de lui-même. Ce texte n’est pas une simple adresse au lecteur : il est le début de l’œuvre elle-même.

Le champ lexical de la peinture montre que Montaigne dresse un portrait de lui-même : « traits », « étudiée », «je peins », « forme naïve », « peint ». Que peint-il ?

 A – Un sage humaniste

Le portrait que peint Montaigne est celui d’un humaniste, d’un sage qui sait que « vivre c’est apprendre à mourir ».

En effet, il veut dans ses Essais faire le portait d’une personne qui ne fait que passer dans la vie : « à ce que m’ayant perdu (ce qu’ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altière et plus vive, la connaissance qu’ils ont eue de moi. »

Par cette parenthèse, Montaigne rattache sa préface à la tradition des vanités ou memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir ») très en vogue pendant l’humanisme du 16ème siècle puis dans le courant baroque. L’adjectif « vain » employé par Montaigne à la fin de la préface fait subtilement référence à ce genre littéraire.

Cette sagesse se rapproche aussi de la sagesse grecque qui valorise la connaissance de soi comme le mentionne le précepte gravé a l’entrée du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même ».

Montaigne se situe dans cette recherche philosophique et socratique d’une meilleure connaissance de soi-même. C’est donc le portrait d’un philosophe humaniste qui se détache de ce préambule.

B – Une ouverture humaniste à soi et au monde

Montaigne dresse aussi un autoportrait humaniste par son attachement à l’intimité et à l’intériorité comme le montre le champ lexical de l’intimité : « domestique », « privée », « particulière », « parents et amis », « Mes défauts ».

La signature « de Montaigne » montre son attachement à la particule nobiliaire mais surtout son enracinement et son désir d’appartenance à une lignée familiale.

Outre l’attachement à soi, cette dimension humaniste apparaît dans l’ouverture à l’autre.

Ainsi, Montaigne s’intéresse aux civilisations lointaines et primitives : « si j’eusse été entre ces nations qu’on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature ». En 1578, soit juste deux ans avant l’écriture de ce texte, Jean de Lery publie L’Histoire d’un voyage faict en terre de Brésil qui porte un regard à la fois ethnographique, linguistique et sociologique sur les Indiens du Brésil. Montaigne se fait l’écho de cet intérêt humaniste pour le nouveau monde.

Montaigne livre une préface à une œuvre d’un nouveau genre, tournée vers la connaissance de soi. Mais elle déploie surtout une stratégie littéraire pour séduire le lecteur.

III – Une stratégie littéraire pour séduire le lecteur

 A – Une œuvre sans lecteur ?

Paradoxalement, alors que cette préface est adressée « Au lecteur« , Montaigne laisse entendre au lecteur que son œuvre littéraire n’a pas besoin de lui.

Tout d’abord, l’apostrophe « Lecteur » à deux reprises et le tutoiement (« Il t’avertit », « ton service », « je t’assure ») marque une désinvolture et une familiarité à l’égard du lecteur qui peuvent le surprendre voire le choquer.

Ensuite, Montaigne ne se place pas sous la dépendance du lecteur et n’attend pas son approbation : « Je n’y ai eu nulle considération de ton service ».

De manière générale d’ailleurs, son œuvre est caractérisée par la forme négative : « je ne m’y suis proposé aucune fin », « Je n‘y ai eu nulle considération », « Mes forces ne sont pas capables ».

L’abondance de la forme négative place le livre sous le signe du manque et de l’insuffisance : Montaigne adopte une stratégie pour dissuader son lecteur.

Il va jusqu’à le décourager de continuer sa lecture en qualifiant son livre de « frivole » et de « vain » adjectifs péjoratifs qui se rattachent à l’univers de la poésie de circonstance ou à des œuvres sans hauteur ni grandeur.

Il va même jusqu’à le congédier par un « Adieu donc ».

Cette contrepublicité (publicité qui dessert ce qu’elle veut vanter) est bien sur ironique et relève d’une stratégie du paradoxe pour mieux intriguer et attirer le lecteur.

B – Une stratégie de séduction littéraire

Montaigne souhaite en effet attirer le lecteur vers son œuvre.

Tout d’abord, le titre « Au lecteur » et les deux apostrophes (« lecteur ») rapprochent cette préface d’une lettre adressée au lecteur et crée de ce fait une proximité plutôt favorable entre l’auteur et le lecteur.

Le tutoiement peut être envisagé comme une complicité que Montaigne essaie d’instaurer avec le lecteur.

Par ailleurs cette préface est très construite comme en attestent les connecteurs logiques qui émaillent en particulier la fin du texte : « car », « Ainsi », « Adieu donc ». L’auteur tente d’enchaîner le lecteur pour l’inciter à poursuivre la lecture.

Le terme « Adieu » est une antiphrase car il entre en contradiction avec le terme ouvert d’ « entrée » que Montaigne évoque au début du texte.

La tournure restrictive « que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privée » est une stratégie rhétorique destinée à rassurer le lecteur et à l’accueillir dans un univers modeste.

Même la mention qui pourrait sembler désinvolte pour le lecteur « Je n’y ai eu nulle considération de ton service » affirme la liberté de l’auteur mais aussi celle du lecteur qui n’a aucune dette envers l’auteur et vice versa.

Au lecteur, Montaigne, conclusion

Montaigne ouvre les Essais par un préambule au lecteur, une démarche traditionnelle destinée à avertir le lecteur de ce qu’il va lire.

Mais parce que cette préface est déjà tournée vers l’autoportrait, elle s’apparente davantage un prologue ou même un prélude : une petite œuvre servant d’introduction à une autre œuvre.

En rejetant apparemment le lecteur Montaigne l’attire d’autant et symbolise bien l’esprit des Essais : une œuvre accueillante et hospitalière.

Rousseau dira malicieusement dans le préambule aux Confessions : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple ». Il savait très bien pourtant que Montaigne, dès le XVIème siècle, avait par ce texte ouvert la voie à l’aventure littéraire de l’autobiographie.

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Amélie Vioux

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21 commentaires

  • Bonjour Amélie,
    Votre commentaire m’aide beaucoup mais je ne comprends pas ce que vous voulez dire avec  » l’effet miroir  » , pouvez- vous m’éclaircir sur ce point ? Merci d’avance .

  • Bonjour, votre site est genial, tout est clair et bien expliqué
    Mais en classe on a vu que Montaigne faisait semblant d’écrire une autobiographie avec « comportement » « humeur » alors qu’en vrai, il s’agit d’essais et j’ai pas compris le but de faire ça
    Merci d’avance pour votre réponse

  • Cette année, j’ai comme lecture analytique « peindre l’humaine condition » de Montaigne. Pourriez-vous faire une fiche sur ce texte,car je n’est pas très bien compris les explications de mon professeur.
    Merci

  • Bonjour,
    J’adore votre site que je viens de découvrir il y a seulement quelques semaines, je compare vos plans à ceux de ma professeur de français, ce qui est bénéfique pour moi. Mais depuis que nous sommes passés au deuxième chapitre (l’humanisme), ma prof de français ne nous donne plus de problématiques, ni de plans pour nos lectures analytiques, elle dit que c’est à nous de faire le travail, sachant qu’elle se contredit énormément, j’ai du mal à lui faire confiance. Donc est-ce-que si je prend vos plans pour mes lectures analytiques, ce n’est pas compté comme du plagiat?
    Et si je veux faire des fiches, je ne peux pas mettre tous ce que vous avez écris, donc comment je peux sélectionner le plus important de chaque sous-parties?
    Merci d’avance.

    • Bonjour Julie,

      Oui, tu peux reprendre mes commentaires pour tes lectures analytiques. J’ai d’ailleurs écrit cet article à ce sujet (qui t’explique pourquoi reprendre mes commentaires pour l’oral n’est pas du plagiat).

      Quand tu fais des fiches, tu ne vas en effet pas recopier l’intégralité de mon commentaire : tu vas sélectionner les éléments qui te semblent les plus pertinents et rédiger ta fiche sous forme de notes.

      Il n ‘y a pas de recette particulière : ta fiche va être le fruit de ta propre compréhension de mon commentaire. Elle peut ne pas être parfaite, mais une fiche que tu as réalisée toi-même sera toujours 100 fois plus utile qu’une fiche faite par une autre personne. L’intérêt de la fiche, c’est surtout de la faire : c’est un exercice de digestion du contenu du cours !

  • Bonjour j’ai adoré votre travaillant il m’aide beaucoup pour l’oral du bac seulement je me demande avec quel texte nous pourrions faire une comparaison des essais de montaigne. Merci pour tout ce que vous faites.

  • Bonjour, vos commentaires m’aident beaucoup car je prépare le bac de français, et j’ai cette oeuvre pour mon oral qui est dans une quinzaine de jours. Nous avons vu en classe qu’il y avait une « non incitation à la lecture » mais vous n’en avez pas du tout parlé dans votre commentaire, alors je voulais savoir si ma réflexion suivante est bonne?
    Dans le texte, on peut dire que la dernière phrase « ce n’est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain: adieu donc », est en contradiction avec tout le reste du texte, car ici Montaigne ne nous incite pas à lire son oeuvre mais le fait qu’il déconseille le lecteur pourrait être une technique afin de nous influencer à le faire quand même. Car il est vrai qu’en général quand on nous interdit ou déconseille explicitement de faire quelque chose on en a encore plus l’envie et on le fait malgré tout.
    Je voudrais savoir si cette réflexion est absurde ou si je peut le dire dans mon oral?

  • Bonjour ! ce commentaire est super mais je n’ai pas bien compris en quoi l’adjectif  » vain » fait référence au courant baroque ?

  • Bonjour, votre commentaire m’a été beaucoup utile étant donné que je ne comprends absolument pas cette oeuvre. Mais j’ai une question, comment faire pour trouver une ouverture sur l’humanisme alors que je ne comprends rien..? Quels conseils me donneraient vous ? Merci par avance

    • Il est difficile de commenter un texte de Montaigne si tu n’as pas de notion sur l’humanisme. On vous fait étudier Montaigne parce qu’il est représentatif de l’esprit humaniste. Revois les caractéristiques de ce mouvement : ce te sera utile pour toute la lecture analytique ( et pas seulement pour la conclusion).

    • Bonjour Max,
      Le jour de l’oral, tu peux reprendre sans souci mes commentaires composés.

      Bien sûr, si ton professeur te demande de réaliser un travail écrit sur ce texte, il ne faut pas lui rendre mon commentaire : ce serait du plagiat.

      Vous devez simplement distinguer les exigences de vos professeurs à l’écrit et à l’oral. J’espère que cela te semble plus clair !

  • franchement je trouve que c’est bien fait à part quelques éléments manquants dans l’introduction et une conclusion pas tip-top, ce commentaire est vraiment bien fait! je pense que je vais prendre ce plan pour le bac; il me rassure vraiment.

  • Votre commentaire est super et complète bien le travail fait en classe. On se sent beaucoup plus rassurés pour le bac. Je suis sûr que vous aidez beaucoup d’autres personnes comme ça. Continuez, c’est génial !

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