Le bateau ivre, Arthur Rimbaud : analyse

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le bateau ivre rimbaud analyseVoici une analyse du poème « Le bateau ivre » d’Arthur Rimbaud.

Lire « Le bateau ivre » de Rimbaud (le texte)

Le bateau ivre, introduction :

« Le Bateau ivre », écrit en 1871 et paru dans le recueil Poésies, fait partie des poèmes de jeunesse d’Arthur Rimbaud où se mêlent révolte, dérive et expérimentation poétique.

Ici, Rimbaud se sert du symbole bien connu du bateau pour exprimer son désir de liberté mais aussi sa conception de la poésie.

Partant de son expérience personnelle, le poète représenté par ce bateau ivre (I) entreprend un voyage paradoxal et mouvementé (II), métaphore de l’aventure poétique (III).

Questions possibles sur « Le bateau ivre » :

♦ Que représente le motif du  »bateau ivre » ?
♦ Étudiez la progression du poème.
♦ Montrez en quoi « Le Bateau ivre » reflète la conception de la poésie de Rimbaud.
♦ Dégagez l’originalité du poème.

I – Le bateau ivre : une représentation du poète

A – Un « Je » ambigu : le bateau ou le poète ?

Dans ce poème à la première personne, le « je » est ambiguë.

Le sujet principal du poème  semble être  le bateau : « guidé par les haleurs » (v. 2), « l’eau verte pénétra ma coque » (v. 18), « dispersant gouvernail et grappin » (v. 20), « la mer dont le sanglot faisait mon roulis doux » (v. 62), « je voguais » (v. 67), « O que ma quille éclate ! » (v. 92).

Mais ce bateau est personnifié à travers des verbes ou adjectifs désignant des actes ou des états humains : « Je ne me sentis » (v. 2), « J’étais insoucieux » (v. 5), « je voulais » (v. 8), « sourd », « Je courus » (v. 10-11), « Je sais » (v. 29-30), « J’ai vu » (v. 32-33, 49), « J’ai rêvé » (v. 37), « Je regrette » (v. 84), « J’ai trop pleuré » (v. 89), « Je désire » (v. 93).

De plus, le poète emploie la prosopopée (figure de style qui consiste à donner la parole à un être absent ou mort, un animal ou une abstraction) pour faire du bateau l’énonciateur, ce qui est explicitement marqué au vers 69 : « Or moi, bateau ».

Mais ce « moi » souligne l’identification entre le poète et le bateau. On ne sait finalement pas si c’est le bateau qui devient personne ou  le poète qui devient objet par un procédé de réification (fait de devenir une chose).

B – De l’enfance à l’ adolescence

Le poète, représenté métaphoriquement par le bateau ivre, évoque dans ce poème son passage de l’enfance à l’adolescence.

L’enfance est évoquée à plusieurs reprises dans le texte.

On trouve ainsi plusieurs références directes aux enfants : « les cerveaux d’enfants » (v. 10), « Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures » (v. 17), « J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades » (v. 57), « Un enfant accroupi plein de tristesses » (v. 95).

Par ailleurs, l’imaginaire enfantin est suggéré dans les premières strophes, où le début de l’aventure est décrit comme un jeu d’enfants : « Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles/Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs » (v. 3-4).

On retrouve l’insouciance enfantine (« J’étais insoucieux », v. 5) ainsi que l’euphorie et l’excitation des jeux d’enfants : « furieux », « Je courus ! », « tohu-bohus », « triomphants » (v. 9 à 12).

La sauvagerie de ces jeux est aussi traduite par les sonorités, notamment les assonances en « i » (accentuées par la diérèse sur « in-sou-ci-eux », « fu-ri-eux » et « ni-ais ») et en « k » : « impassibles », « sentis », « guidé », « criards », « pris », « cibles », « cloués », « couleurs » (v. 1 à 4), « insoucieux », « équipages », « cotons », « Quand », « fini » (v. 5 à 7), « clapotements furieux », « hiver », « courus », « subi », « triomphants » (v. 9 à 12), « bén», « maritimes », « victimes », « dix nuits », « niais » (v. 13 à 16).

De plus, l’apparition de créatures bibliques peut faire écho aux lectures de jeunesse de Rimbaud (Jules Verne, Victor Hugo, entre autres) : « Léviathan » (v. 50), « serpents géants » (v. 55), « le rut des Béhémots » (v. 82).

Le poète évoque également de manière implicite sa propre enfance à travers le terme « flache » (v. 14), dialecte des Ardennes (où Arthur Rimbaud a passé son enfance) pour désigner une « flaque ».

A partir de la troisième strophe, le rythme, jusque-là régulier, est rompu.

En effet, l’alexandrin est divisé en coupes multiples et irrégulières aux vers 9 et 10.

Le rejet du vers 11 (« Je courus ! ») suggère le passage à l’adolescence chaotique tandis que la suite d’enjambements (v. 11 à 12, 14 à 15, 21 à 22, 23 à 24, 25 à 26) marque la dérive du poète-bateau.

La structure irrégulière (trimètre : 4/4/4) et les sonorités (l’assonance en « u ») du vers 12 traduisent le ballottement du bateau ivre par l’océan, comme une métaphore possible de la crise adolescente.

A la fin du poème, après l’ivresse de la liberté, le poète déçu et insatisfait regrette son enfance et évoque le désir de retourner dans la région de son enfance : « Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache » (v. 93).

Transition : Ce retournement de situation est le bilan d’un voyage paradoxal et mouvementé.

II – Un voyage paradoxal et mouvementé

A – Un naufrage libérateur

On distingue plusieurs mouvements dans le récit de ce bateau ivre.

Les quinze premières strophes correspondent à l’euphorie du départ et sont marquées par l’ivresse de la liberté (v. 1 à 57).

Paradoxalement, le naufrage du bateau est libérateur. Il équivaut à une bénédiction et à une purification : « La tempête a béni mes éveils maritimes » (v. 13), « L’eau verte pénétra ma coque de sapin/Et des taches de vins bleus et des vomissures/Me lava » (v. 18 à 20).

Le naufrage, comme un baptême, permet l’accès à un nouveau monde, un monde supérieur où la pureté de la nature nettoie le poète de l’impureté humaine.

Cette pureté est symbolisée par la couleur blanche : « lactescent », « flottaison blême » (v. 22-23).

Ainsi la violence du naufrage mène le poète vers le bonheur et la délivrance : « Dans les clapotements furieux des marées » (v. 9) // « Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,/Je courus ! » (v. 10-11), « Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots » // « Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes » (v. 14-15), « Dévorant les azurs verts » // « flottaison blême/Et ravie » (v. 23-24), « les cieux crevant en éclairs, et les trombes » (v. 29) // « L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes » (v. 31).

Ce paradoxe est souligné par des associations quasi-oxymoriques comme « tohu-bohus triomphants » (v. 12), « Des écroulements d’eau au milieu des bonaces » (v. 51), ou sonores comme dans « rythmes lents sous les rutilements du jour » (v. 26). On a presque ici une paronomase (figure de style qui rapproche deux mots de sens différents mais de sonorités voisines) entre « rythmes lents » et « rutilements ».

Mais très vite l’ivresse de la liberté laisse place au regret et au désenchantement.

B – Le désenchantement du poète

Un second mouvement allant du vers 57 au vers 89 correspond au regret et au désenchantement du poète.

A la quinzième strophe, le regret apparaît, souligné par le conditionnel : « J’aurais voulu » (v. 57).

Dans les strophes suivantes, le changement de ton est marqué par un changement de temps : on passe du présent et du passé composé à l’imparfait : « faisait », « Montait », « je restais » (v. 62 à 64), « Et je voguais » (v. 67), « Moi qui trouais » (v. 74), « Qui courais » (v. 77), « Moi qui tremblais » (v. 81).

En faisant le récit au passé, le poète prend ses distances avec l’aventure.

Le poète exprime ensuite directement sa nostalgie et son « mal du Pays » : « Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! » (v. 84).

Le retour brutal au présent contraste avec le récit passé de l’épopée sublime du bateau et souligne la déception du poète désormais amer et désenchanté.

La nature est colorée par ce désenchantement : « L’Aube exaltée » (v. 31) devient « navrante[s] » (v. 89) tandis que les « soleils d’argent » (v. 53) font place à un « soleil amer » et à une « lune atroce » (v. 90).

L’amertume d’Arthur Rimbaud se traduit également par le martèlement du discours, marqué par l‘allitération en « t » : « monté », « violettes », « trouais », « porte », « confiture », « poètes », « taché », « électriques », « escorté », « triques », « ultramarins », « entonnoirs », « tremblais », « sentant », « cinquante », « rut », « éternel », « immobilités », « regrette », « navrantes », « tout», « atroce », « tout », « torpeurs enivrantes », « éclat», « tristesses » (v. 73 à 96).

Un bref espoir est mis en évidence à la strophe 22 par les tirets, qui encadrent les vers 87-88 et les détachent du reste du texte, et la référence à l’avenir à travers le terme « future » (v. 88).

Cet espoir est de courte durée. En effet, l’emploi de la conjonction « Mais » (v. 89) signale une nouvelle rupture.

Le troisième mouvement du poème (du vers 89 à la fin) correspond à un bilan du voyage, marqué par un désir de retour (« Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache », v. 93) et de néant O que ma quille éclate ! », v. 92).

Ainsi, dans l’avant-dernière strophe, plusieurs termes connotent la mort : « Noire et froide », « embaumé » (v. 94), « tristesses », « frêle » (v. 95-96).

L’espoir se transforme en désespoir : « Je ne puis plus » (v. 97). Ce sentiment est accentué par l’anaphore des derniers vers : « Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes/Ni nager sous les yeux horribles des pontons. » (v. 99-100).

Transition : Le naufrage de ce bateau ivre ne serait autre que la métaphore de l’aventure poétique de Rimbaud, ponctuée de constats d’échec par le poète.

III – Le bateau ivre : une métaphore de l’aventure poétique

A – L’expérience du Voyant

L’idée du bateau comme métaphore du poète et de l’aventure poétique est mise en évidence à travers l’emploi de majuscules aux vers 21-22 : « Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème/De la Mer, infusé d’astres, et lactescent ». Le terme« lyres » (v. 27) connote également la poésie.

L’aventure poétique est avant tout une expérience de voyant, faite de visions inédites Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir », v. 32) et de « délires » (v. 25).

Ces visions délirantes et hallucinatoires, aussi sublimes qu’horribles, se juxtaposent dans une longue énumération (redondance et anaphore du « et » aux v. 21, 30, 32, 40, 52, 60, 64, 66, 67) et s’expriment dans un discours hyperbolique ponctué de points d’exclamation : « Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres » (v. 26-27), « horreurs » (v. 33), « drames très antiques » (v. 35), « neiges éblouies » (v. 37), « sèves inouïes » (v. 39), « des mois pleins », « Hystériques » (v. 41-42), « poussifs » (v. 44), « incroyables » (v. 45), « marais énormes », « tout un Léviathan » (v. 49-50), « serpents géants » (v. 55), « Planche folle » (v. 78), « cieux ultramarins » (v. 80), « archipels sidéraux », « cieux délirants » (v. 85-86), « Million d’oiseaux d’or » (v. 88), « j’ai trop pleuré » (v. 89), « horribles » (v. 100).

Le poète insiste cependant sur la véracité et l’exactitude de ses visions à travers la répétition de « J’ai vu » (v. 32-33, puis vers 49 et 85) et l’emploi du verbe « » (« Je sais », v. 29).

L’ivresse poétique se distingue de l’ivresse alcoolique (« Plus fortes que l’alcool », v. 27).

Elle donne accès à un ailleurs, un monde supérieur où les sensations se fondent dans des correspondances : « les rousseurs amères » (v. 28), « sèves inouïes », « l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs » (v. 39-40), « pieds lumineux » (v. 43), « Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux/D’hommes ! » (v. 46-47), « soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises » (v. 53), « noirs parfums » (v. 56), « Des écumes de fleurs » (v. 59), « les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds » (v. 66), « soleil amer » (v. 90).

Pour Rimbaud, la poésie est quête de liberté et d’inconnu, à travers la création d’un nouveau monde et d’un nouveau langage.

B – Le renouveau du monde et de la langue grâce à la poésie

Les néologismes présents dans le poème traduisent la volonté de Rimbaud d’inventer un nouveau langage : « cataractant » (v. 52), « dérades » (v. 59).

De même, les multiples hypallages (figure de style qui consiste à rattacher à certains mots des attributs qui se rattachent d’ordinaire à d’autres mots) confirment son désir de créer un nouveau monde, une nouvelle réalité : « Fleuves impassibles » (v. 1), « frissons de volets » (v. 36), « la nuit verte » (v. 37), « yeux des mers » (v. 38), « pieds lumineux » (v. 43), « poissons chantants » (v. 58), « yeux blonds » (v. 66), « Des lichens de soleil et des morves d’azur » (v. 76), « lunules électriques » (v. 77), « ardents entonnoirs » (v. 80), « immobilités bleues » (v. 83), « lune atroce », « soleil amer » (v. 90), « crépuscule embaumé » (v. 94).

Cette naissance d’un monde neuf se manifeste au début du poème. L’eau de la mer est une eau bénite au contact de laquelle le bateau ou le poète (re)naît, comme un baptême poétique : « éveils maritimes » (v. 13).

De plus, l’image de « L’Aube exaltée » (v. 31) renforce l’idée de renouveau (L’Aube représente la naissance du jour)

Pour Rimbaud, le poète est comme l’alchimiste qui transforme le plomb en or (voir le poème « Voyelles »).

Le bateau ivre, conclusion :

C’est un voyage paradoxal et chaotique qu’entreprend le bateau ivre de Rimbaud.

Métaphore du poète et de sa quête poétique, le bateau imite à travers son rythme et ses sonorités les états successifs de ce navire naufragé, allégorie du poète exalté puis désenchanté.

Dans ce nouvel exercice de style qui se clôt sur un échec, le jeune Rimbaud exprime une fois encore sa vision de la poésie et du poète.

Ce poème n’est pas sans faire songer au poème « Les Voiles » de Lamartine, dans lequel le poète romantique fait également de la mer le lieu de l’expression complexe des sentiments.

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Amélie Vioux

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11 commentaires

  • Bonjour Amélie, merci pour cet excellent site qui j’espère aidera mon fils à passer son bac de français.
    Je voulais rajouter concernant ce poème de Rimbaud , ne pensez vous pas qu’il y aurait de sa part une évocation de ses désirs homosexuels avec Verlaine dans le double sens que le mot  » presqu’île » – » presqu’il » peut revêtir ?Aussi dans « Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…. » qui précède juste ces vers. Par ailleurs le vers « Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
    Des lichens de soleil et des morves d’azur » ne sont t-ils pas une description physique de Rimbaud lui même ? » Les lichens de soleil » correspondant à ses cheveux et les « morves d’azur » à ses yeux de « morveux » ( puisque jeune comparé à Verlaine. Enfin, je pense qu’il y a une allusion biblique au serpent de la tentation dans « Où les serpents géants dévorés des punaises
    Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !  »
    En vous remerciant pour votre partage.

  • Moi y md fait penser à un adolescent,naif,perdus ds un monde adulte durant une longue traversé ou il aurait étais abusé sexuellement,fort de mes propos,reprenez le texte du début

  • Moi j’ai ouvert sur les lettres du voyant écrites par Rimbaud, dans ces textes on essaie de définir le Poète Symboliste, un être explorant l’inconnu et les Extrêmes prêt à risquer sa vie pour extraire la poésie du monde.

  • Bonjour Amélie,
    Je ne fais pas partie de votre cible habituelle (les étudiants en Terminale). Pourtant, même à 64 ans, je prends beaucoup de plaisir à lire vos analyses littéraires qui sont d’une clarté remarquable. J’aurais aimé avec une professeure comme vous quand j’étais jeune !

  • Bonjour Amélie; je veux vous remercier de tout coeur pour votre superbe blog qui m’a aidé à obtenir 18 à l’oral de français, je n’y serais pas arrivée sans vous 🙂 vraiment merci !!!

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