Première soirée, Rimbaud : lecture linéaire

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Voici une analyse linéaire du poème « Première soirée » issu des Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud.

Première soirée, introduction

Arthur Rimbaud, né en 1854 à Charleville, a 16 ans lorsqu’il réunit, à l’automne 1870, vingt-deux de ses premiers poèmes pour en confier le manuscrit à un ami, Paul Demeny.

Ces 22 poèmes ont été publiés après sa mort sous le nom de Cahiers de Douai ou Recueil Demeny.

Inspirés du mouvement poétique nommé le « Parnasse », ces premiers textes de Rimbaud recherchent perfection et virtuosité formelle.

Mais se dessine déjà, au-delà de l’imitation des maîtres parnassiens, une verve satirique propre au jeune poète dont la révolte contre toutes conventions, sociales comme poétiques, ne cesse ensuite de s’affirmer. (Voir la fiche de lecture des Cahiers de Douai pour le bac de français)

Le poème « Première soirée », intitulé tout d’abord « Comédie en trois baisers », puis « Trois baisers » lors de sa première parution dans la revue La Charge (13 août 1870), présente huit strophes d’octosyllabes.

Il reflète les premiers émois sensuels de l’adolescent, mais fait aussi une satire de l’amour mièvre.

Problématique

Par quels procédés poétiques le jeune auteur ironise-t-il sur la « comédie » amoureuse qui se joue dans l’adolescence ?

Poème étudié

Première soirée

– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

– Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, – mouche au rosier.

– Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !

Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…

– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, 1870

Annonce du plan linéaire

Nous étudierons tout d’abord, dans les trois premières strophes, le tableau d’une tentation sensuelle réciproque, prise entre désir et retenue.

Nous verrons ensuite comment ces trois baisers sont les trois « actes » de cette « comédie » amoureuse qui se clôt par l’assouvissement du désir.

I – Le tableau d’une tentation sensuelle réciproque

Strophes 1 à 3

Le titre « Première soirée » évoque l’initiation des jeunes gens, en raison de l’adjectif « première ». Le poème se place donc d’emblée sous le signe de la découverte de la sensualité, avec tout ce qu’elle peut avoir à la fois de frais mais aussi de naïf et de mièvre.

Le tiret initial semble marquer un silence tendu après le titre. Il peut surprendre car il n’introduit pas ici un dialogue, mais il fait signe vers le théâtre.

La première vision qui s’impose, « elle était fort déshabillée » (v. 1) est sensuelle et montre que la « soirée » est déjà entamée.

Aussitôt pourtant, par apparente pudeur mais surtout par jeu et ironie, le regard, comme s’il n’osait pas s’attarder sur cette image sensuelle, glisse vers la fenêtre (v. 2-4). Ce sont alors les « grands arbres » qui, par personnification, sont accusés d’indiscrétion (v. 2) et de malice (« malinement », v. 4).  

« Leur feuillée » (v. 3), en rimant avec « déshabillé » est associé à la sensualité du vêtement ôté.

Leur feuillée s’approche « tout près, tout près » des vitres (v. 4) comme pour voir ce qu’il n’est pas convenable de voir.

La répétition « tout près, tout près », malicieuse, peut exprimer la tension de l’amant vers cet objet de désir qu’est la jeune femme. Elle semble faire entendre un chuchotement de désir.

Mais cette répétition peut aussi marquer l’ironie du poète qui se détache de ce désir et s’en amuse en lui donnant un caractère mièvre.

Dans la deuxième strophe, le regard du jeune homme revient sur sa maîtresse : « Assise sur ma grande chaise / Mi-nue » (v. 5 et 6) : la nudité de la jeune femme est à nouveau mise en valeur avec le rejet de « mi-nue » en tête du vers 5.

Ce rejet suggère l’émoi sensuel qui monte chez le jeune homme à la vision de cette demie nudité installée chez lui.

Le déterminant possessif « ma » dans « ma grande chaise », renforcée par l’allitération en « m » souligne que la jeune femme touche des objets qui sont quotidiens au poète, comme si elle le frôlait lui-même : « Assise sur ma grande chaise, / mi-nue, elle joignait les mains ».

Mais l’attitude mièvre de la jeune femme (« elle joignait les mains », v. 6), qui rappelle une posture de prière, donne l’impression qu’elle cherche à résister – ou à faire semblant de résister, dans un jeu d’apparences.

Cette attitude de supplication est en effet en contradiction avec le mouvement incontrôlé de ses pieds (v. 7 et 8), qui expriment le désir : ils sont nus eux aussi, au contact direct du « plancher » et « frisonn[e]nt d’aise » (v. 7).

La répétition « si fins, si fins » (v. 8) fait écho à la répétition du vers 4, rythmiquement (2/2) mais aussi pour l’effet de sens : en faisant mine d’exprimer l’admiration pour le corps de sa maîtresse, cette répétition ironise sur la niaiserie du cliché éculé de la beauté du petit pied.

Plusieurs indices suggèrent cette ironie : les adjectifs employés sont très simples : « petits », « fins », et les allitérations en « p » et « s » semblent restituer les échanges niais des amoureux : « Sur le plancher frissonnaient d’aise / Ses petits pieds si fins, si fins.« 

Après un nouveau silence marqué par le tiret du vers 9, le jeune homme prend corps au début de la troisième strophe, par l’utilisation de la première personne sujet « je », et y assume la direction de son regard : « je regardai ».

Mais il ne désigne pas immédiatement l’objet de son attention, et commence par une comparaison, « couleur de cire » (v. 9), pour en signaler la blancheur.

Au vers 10, on comprend qu’il s’agit d’« un petit rayon » de lumière qui attire son œil, étrangement qualifié de « buissonnier », c’est à dire non conventionnel, espiègle et léger. Le retardement du COD « un petit rayon » restitue l’attente et le désir du poète.

Animé par le verbe « papillonner » (v. 11), ce rayon palpite, aérien, « dans son sourire » (v. 11). Ce malicieux éclat du sourire trahit chez la jeune femme, comme le frisson des pieds, le désir.

Mais le regard gourmand de l’amant ne s’arrête pas là : se laissant conduire par la ligne du rayon, son œil descend « sur son sein » où la lumière s’agite : « mouche au rosier » (v. 12).

La métaphore, qui survient après un le silence imposé par le tiret et compare la jeune femme à une rose, est ironiquement convenue et mièvre, tandis que l’image de la mouche complète celle du papillon (v. 11) pour exprimer le mouvement aérien de la lumière.

Dans ces premières strophes, trois éléments du corps féminins retiennent donc particulièrement l’attention de l’amoureux : les pieds (v. 8), le sourire (v. 11), la poitrine (v. 12). Ces trois éléments orientent les « trois baisers » qui vont suivre.

II – Les trois baisers comme les trois actes d’une comédie amoureuse

Strophes 4 à 8

Comme le suggérait le premier titre du poème, « Comédie en trois baisers », ceux-ci sont les trois « actes » qui conduisent progressivement les jeunes gens à l’assouvissement de leur désir.

Après un nouveau silence tendu, marqués par le tiret du vers 13, l’amant se jette aux pieds de la jeune femme : « Je baisai ses fines chevilles ».

Cette attitude peut prêter à sourire car elle imite la posture des amants dans la littérature romantique, en signe de dévotion passionnée à l’aimée.

Mais l’adjectif « fines », qui fait écho au vers 8 (« ses petits pieds si fins si fins »), signale l’aspect charnel et tactile de cette scène.

Les trois vers suivants (v. 14-16) sont consacrés à la réaction de la jeune femme, paradoxalement douce et nerveuse comme le suggère la formule oxymorique « un doux rire brutal » (v. 14) et la rime entre « brutal » et « cristal » (v. 16).

Finalement l’aspect flûté et léger du rire féminin domine : le verbe « s’égrenait » (v. 15) évoque des sons clairs et détachés ; les « claires trilles » font penser au chant d’un oiseau.

La comparaison précieuse et traditionnelle au « cristal » (v. 16) confirme la clarté de ce rire « joli » et lumineux, qui évoque la nervosité du désir, mais aussi la féminité dans un aspect un peu niais.

La cinquième strophe est un prolongement de la précédente. Comme l’imposent les conventions, la jeune femme cherche toujours à feindre la résistance : « Les petits pieds sous la chemise / Se sauvèrent » (v. 17-18).

La mièvrerie est à nouveau moquée par l’emploi de l’adjectif « petits » et par le verbe « se sauvèrent », qui personnifient les pieds, et donnent à voir l’adoration toute niaise de l’amant pour sa maîtresse.

Celle-ci prend la parole pour la première fois, avec une formule convenue de fausse défense : « Veux-tu finir ! » (v. 18), qui rime avec « punir » (v. 20).

Mais l’amant ne s’y trompe pas : il sait qu’il a vaincu la première résistance (« la première audace permise », v. 19), et détecte la feinte (« feignait », v. 20). Le « rire » (v. 20) de la jeune femme, quant à lui, se poursuit dans ce jeu amoureux.

La mièvrerie s’affirme ouvertement dans la strophe suivante, avec l’adjectif « pauvrets » (v. 21), qui qualifie les yeux « palpitants », objet du second baiser.

L’adjectif « mièvre » apparaît lui-même pour qualifier la « tête » de la jeune femme, et probablement son expression (v. 23).

Le poète fait preuve de douceur comme l’indique l’adverbe « doucement » au vers 22, mais le geste fougueux de la jeune femme, signalé par le verbe d’action au passé simple « elle jeta » (v. 24), montre que le désir bat son plein.

L’interjection « Oh ! », l’exclamation de plaisir « c’est encore mieux !… » et les trois points marquent une suspension de la pensée et expriment l’abandon au plaisir.

Le discours de la jeune femme est interrompu par le changement de strophe, qui mime un silence.

Ce discours reprend par une formule gauche en raison de la dissonance entre l’appellation « Monsieur » et le tutoiement : « j’ai deux mots à te dire » (v. 25).

Cette dissonance signale-t-elle l’éducation populaire de la belle – prostituée, fille du peuple ? ou est-elle le fait d’un jeu amoureux ?

La fougue du jeune amant ne permet pas d’en savoir davantage : il coupe court à toute parole par les baisers brusques qu’il « jette » (« je lui jetai le reste », v. 26) sur la poitrine de la jeune femme, cédant au désir charnel.

Le passé simple (« je lui jetai« ) souligne la spontanéité de l’action.

L’anadiplose du terme « rire » (=reprise du terme à la fin et en début de proposition suivante) crée un effet de rebond joyeux, signe du consentement final de la jeune maîtresse : « Dans un baiser qui la fit rire, / D’un bon rire qui voulait bien… » (v. 28).

Le jeu sur l’adjectif « bon » et l’adverbe « bien » ainsi que l’allitération en [b] qui fait résonner le baiser marquent également la franchise et la bonne volonté de la jeune femme : « Dans un baiser, qui la fit rire / D’un bon rire qui voulait bien… »

Le « rire » (v. 27) remplace ainsi le « dire » (v. 25) avec lequel il rime. Les points de suspension finaux laissent deviner ce qu’il ne convient pas d’écrire.

La strophe finale, identique à la première, revient à la fois comme un refrain, un souvenir, ou un voile faussement pudique jeté sur les ébats amoureux.

Première soirée, Rimbaud, conclusion

Ce poème fait passer l’amant d’une position de contemplation de l’objet de son désir à un rapprochement physique qui passe par ces trois étapes que sont les trois baisers.

Ambigu, il donne à voir à la fois la découverte naïve mais réelle de la sensualité chez des jeunes gens, et une prise de recul ironique face à cette « comédie » amoureuse où les attitudes peuvent paraître convenues et risibles : gestes brusques et passionnés, faux refus et mièvrerie de l’aimée, adoration niaise de l’amant pour ses « petits pieds », métaphores et comparaisons attendues.

La qualification de « comédie », dans le premier titre, montre cette volonté de dérision, voire d’autodérision de Rimbaud.

Ce poème peut être rapproché d’autres poèmes de Cahiers de Douai qui évoquent les premiers émois amoureux, comme « Rêvé pour l’hiver », « Au Cabaret-vert » ou « La Maline« .

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Amélie Vioux

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