Ophélie, Rimbaud : analyse

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ophélie rimbaud analyse

Odilon Redon, « L’enfant prédestinée »

Voici une analyse linéaire du poème « Ophélie«  d’Arthur Rimbaud.

« Ophélie« , écrit en 1870, est paru dans le Recueil de Douai.

Ce recueil rassemble les poèmes de jeunesse qu’Arthur Rimbaud, en pleine révolte adolescente avait confié à son ami Paul Demeny.

D’émancipation géographique en émancipation sociale, Arthur Rimbaud cherche également son esthétique, conscient de devoir réinventer le lyrisme romantique.

Adressé à Théodore de Banville (le « maître du Parnasse »), le poème « Ophélie » appartient aux essais parnassiens de Rimbaud, pour qui la poésie est objet de recherche et d’expérimentation.

Son titre – Ophélie – fait écho au personnage shakespearien dans Hamlet. En tuant le père de son amante, Hamlet conduira Ophélie à la folie puis à la noyade.

Problématique

Comment Rimbaud transforme-t-il Ophélie, figure centrale du romantisme ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous analyserons le caractère ambivalent d’Ophelia, puis nous verrons que le poète se livre à une véritable défense de la jeune femme. Enfin, nous verrons que Rimbaud crée ici une véritable légende moderne.

Poème étudié

Ophélie

I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
– On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
– Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

II
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
– C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits;

C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !

Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
– Et l’infini terrible effara ton oeil bleu !

III
– Et le poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai

I – Ophélia, une figure ambivalente (premier mouvement)

D’emblée, le lecteur est plongé dans un cadre naturel, où le champ lexical des Éléments domine : « l’onde », « les étoiles », « flotte », « les bois ».

À première vue, une certaine quiétude se dégage de ce premier quatrain comme l’illustre la personnification « où dorment les étoiles », ou encore le complément circonstanciel de manière « très lentement ».

Mais cette sérénité est ambivalente car elle renvoie implicitement à la mort.

En effet, les deux adjectifs qualificatifs épithètes « calme et noire » donnent un ton funèbre.

La personnification « où dorment les étoiles » peut également être lue comme un euphémisme, désignant ainsi la disparition des étoiles.

De plus, le choix de l’adjectif « blanche » et de la comparaison dans le vers « La blanche Ophélia flotte comme un grand lys » renvoie à un idéal d’innocence et de pureté mais aussi à la pâleur d’un cadavre.

Par un effet de reprise, le vers suivant ajoute encore une connotation plus sombre : Ophélia est « couchée en ses longs voiles » : ces derniers pourraient faire songer à des linceuls. Cette interprétation est confirmée par le dernier vers qui évoque « des hallalis », c’est-à-dire les sonneries des cors indiquant la présence des animaux chassés.

La strophe suivante exprime une mélancolie immense, mise en valeur par l’anaphore lancinante « Voici plus de mille ans ».

Visiblement, « La triste Ophélie » accède à un statut d’éternité – que le lecteur peut mettre sur le compte de la pièce de théâtre de Shakespeare et sur l’utilisation de ce personnage dans la peinture romantique.

Les contrastes de ce tableau sont frappants : contraste entre les couleurs (« fantôme blanc », « fleuve noir ») de part et d’autre de la césure à l’hémistiche ; contraste entre les émotions, avec l’oxymore « douce folie ».

Cette douceur se traduit dans le dernier vers par une action mystérieuse (« murmure sa romance »). L’allitération en « m » semble faire entendre ces chuchotements : « Voici plus de mille ans que sa douce folie / Murmure sa romance à la brise du soir. »

De « la brise du soir », le lecteur passe au vent qui est personnifié : il « baise ses seins et déploie […] ses grands voiles ».

Une certaine sensualité se dégage de cette scène, soulignée par les assonances en liquides (« déploie », « corolle », « voiles », « mollement », « les »).

La nature communie avec Ophélia, dans une tristesse partagée, au point que les saules sont, eux aussi, personnifiés : ils « pleurent sur son épaule ». La femme apparaît ainsi majestueuse, respectée de tous les Éléments.

La dernière strophe de ce premier mouvement poursuit cette alliance : la personnification des nénuphars qui « soupirent autour d’elle » souligne combien elle attire les Éléments.

Même fantôme, sa puissance est telle qu’Ophélia est capable d’agir : « Elle éveille parfois […] / Quelque nid ». La proposition subordonnée relative qui suit (« d’où s’échappe un petit frisson d’aile ») révèle la fragilité de cette femme. Le dernier vers, à la typographie originale, consacre le pouvoir d’Ophélia : «  Un chant mystérieux tombe des astres d’or. »

II – La défense acharnée d’Ophélia (deuxième mouvement)

Avec le deuxième mouvement, le rythme change brutalement.

En effet, le premier vers, à la tournure nominale et exclamative, s’ouvre sur une apostrophe solennelle (« O pâle Ophélia ! »).

Le sujet lyrique s’affirme en s’adressant directement à Ophélia au tutoiement : « Oui tu mourus ».

Avec l’adjectif « pâle » et la comparaison à la neige, l’accent est mis sur la beauté diaphane d’Ophélia, associée à l’innocence de l’enfance.

L’emploi de l’adverbe oral « Oui », du pronom de la deuxième personne du singulier et de l’apposition affectueuse « enfant » changent de la description plus classique d’Ophélia et confère une certaine intimité à cette adresse.

Désormais, le poète cherche des explications à la mort d’Ophélia (« C’est que les vents ») et remonte son destin tout shakespearien (« monts de Norwège »), grâce au recours au plus-que-parfait de l’Indicatif.

Les explications se poursuivent, avec la tournure grammaticale « c’est que ». Après les vents, le poète évoque « un souffle » qui anime la jeune fille, comme le signale le verbe tordre au participe présent (« tordant ta grande chevelure »).

La jeune Ophélia s’anime sous nos yeux : son esprit est qualifié de « rêveur » puis son cœur est sujet d’un verbe d’action : « que ton cœur écoutait ». La description physique laisse donc place à une femme plus spirituelle, en communion avec la nature.

La strophe suivante comprend deux nouvelles explications. La première responsable est « la voix des mers // folles », dont l’adjectif qualificatif après la césure est d’autant plus fort. Rimbaud souligne un contraste entre, d’une part, la violence de la voix des mers, capable de réduire à néant Ophélia, et d’autre part, la douceur de cette enfant mise en valeur par la répétition de l’intensif « trop humain et trop doux ».

La seconde explication concerne l’arrivée d’« un beau cavalier pâle », Hamlet pour ne pas le citer. Mais aussitôt, le poète le qualifie de « pauvre fou » : sa prise de position est évidente. Il s’érige avec virulence – la tournure exclamative en témoigne – contre la cour faite par ce cavalier à Ophélia.

Dès lors, l’emportement du poète s’accentue à travers les exclamations et la gradation rythmique des trois idéaux : « Ciel ! » (synérèse : 2 syllabes), « Amour ! » (2 syllabes), « Liberté ! » (3 syllabes).

En l’apostrophant par l’expression « ô pauvre folle ! », il condamne le choix d’Ophélia d’aimer ce cavalier. En effet, le danger est né de cette union des contraires, soulignée par la comparaison antithétique « comme une neige au feu ».

Ophélia semblait aspirer à des idéaux si violents qu’ils la réduisirent au silence comme le suggère la violence du verbe étrangler : « Tes grandes visions étranglaient ta parole ».

Le dernier vers, par l’étymologie du lexique (« terrible » inspire la terreur et « effarer » renvoie au fait d’effrayer et de rendre sauvage), consacre la fin inéluctablement tragique d’Ophélia, réduite à la synecdoque « ton œil bleu ».

III – La création d’une légende (troisième mouvement)

La dernière strophe se détache nettement par un changement d’énonciation : le recours à la troisième personne du singulier (« le poète dit ») dénote une mise à distance, comme si Arthur Rimbaud se contentait désormais de rapporter une légende.

La fragilité d’Ophélia n’est plus : elle accède au statut de légende éternelle. C’est elle qui traverse les siècles et hante les poètes.

Cette strophe crée un effet circulaire dans la mesure où elle reprend, mot pour mot, deux expressions : « couchée en ses longs voiles » et « comme un grand lys ».

Les Éléments restent présents : le ciel, grâce « aux rayons des étoiles », la terre dans le groupe nominal « les fleurs », l’eau à travers notamment le verbe « flotter ».

Conclusion

Au terme de cette analyse, la figure d’Ophélia innerve le poème. Empruntée au théâtre shakespearien, elle permet à Rimbaud de livrer sa réflexion sur la création esthétique. En effet, la jeune femme apparaît comme un être ambivalent, condensant la vie et la mort, l’éphémère et l’éternel, la puissance et la fragilité. Elle est présentée comme un être mystérieux, guetté par la folie et communiant avec les Éléments de la Nature, cette dernière constituant son dernier tombeau.

Rimbaud va plus loin en condamnant son histoire d’amour avec Hamlet et en prenant sa défense, avec virulence.

Peut-être Arthur Rimbaud reprend-il le thème shakespearien de la belle noyée qui a sombré dans la folie et le désespoir pour évoquer sa propre expérience de jeune poète.

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Amélie Vioux

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5 commentaires

  • bonsoir moi je suis en premiere annee de lettre moderne j aimerais savoir commentn doit on etudier le poeme de rimbaud c est a dire l opheli de facon connotative et denotative

  • Bonjour Amélie,
    Je souhaiterais savoir si il est possible de faire une ouverture avec une composition pour piano ? (il s’agit d’un mélange entre plusieurs arts, je ne sais pas si cela est autorisé).

    Il s’agirait de l’Ondine, de Maurice Ravel (issue du triptyque Gaspard de la Nuit), pour piano. En effet, Ravel a composé cette oeuvre en s’inspirant d’un poème d’ Aloysius Bertrand (http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/aloysius_bertrand/ondine.html). Il s’agit d’un drame romantique, tout comme l’histoire d’Ophélie, de Shakespeare, dont Rimbaud s’est inspiré pour écrire ce poème.

    Merci d’avance, Pierre Berne.

  •  »veritable exercice de style parnassien », pourriez vous me dire en quelques mots en quoi je peux argumenter sur l’origine parnassienne de ce texte?

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