Le port de Palerme, Anna de Noailles : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire des trois premières strophes du poème “Le port de Palerme” d’Anna de Noailles, publié en 1913.

Le port de Palerme, Anna de Noailles, introduction

Le texte présenté est extrait du poème “Le port de Palerme”, publié dans le recueil Les Vivants et Les Morts, en 1913.

Ce recueil a marqué le triomphe littéraire de la poétesse et romancière gréco-roumaine Anna de Noailles (1876-1933). Elle reçut de hautes distinctions publiques.

Sa poésie trouve ses racines dans le lyrisme romantique tout en s’écartant des formes classiques.

Nous étudierons ici un extrait de trois strophes.

Problématique

Comment la description du port permet-elle à Anna de Noailles d’exprimer une quête spirituelle ?

Poème étudié

Je regardais souvent, de ma chambre si chaude,
Le vieux port goudronné de Palerme, le bruit
Que faisaient les marchands, divisés par la fraude,
Autour des sacs de grains, de farine et de fruits,
Sous un beau ciel, teinté de splendeur et d’ennui…

J’aimais la rade noire et sa pauvre marine,
Les vaisseaux délabrés d’où j’entendais jaillir
Cet éternel souhait du cœur humain : partir !
– Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine
Dans ces cieux où le soir est si lent à venir…

C’était l’heure où le vent, en hésitant, se lève
Sur la ville et le port que son aile assainit.
Mon coeur fondait d’amour, comme un nuage crève.
J’avais soif d’un breuvage ineffable et béni,
Et je sentais s’ouvrir, en cercles infinis,
Dans le désert d’azur les citernes du rêve.

Plan linéaire :

Nous verrons que dans la première strophe, Anna de Noailles pose d’abord un regard réaliste et pittoresque sur le port sicilien.

Puis, dans la deuxième strophe, par un regard mélancolique, elle oscille entre réalisme et idéalisation.

Enfin, dans la troisième strophe, le lecteur prend la mesure de la métamorphose du paysage en quête spirituelle.

I – Un regard réaliste sur un cadre pittoresque

La première strophe

Cette première strophe composée de cinq vers se structure autour d’un objet d’étude : le port sicilien de Palerme.

La description du port naît du regard de la poétesse qui surplombe la ville, comme l’indique le pronom personnel sujet inaugural « je regardais ».

L’imparfait d’habitude, associé à l’adverbe « souvent », suggère une scène empruntée au quotidien.

Le rythme binaire du premier vers, un alexandrin avec la césure à l’hémistiche, crée un balancement apaisant et familier.

Le complément d’objet directLe vieux port goudronné de Palerme” est rejeté au vers 2, ce qui lui confère plus d’importance.

Le recours à l’adjectif “goudronnéau vers 2 surprend car il ne fait pas partie du vocabulaire traditionnel poétique. Mais il marque une volonté de retranscrire avec fidélité le monde environnant, sans idéalisation.

La poétesse décrit le port en convoquant des sensations presque palpables pour le lecteur :

  • Le toucher qui apparaît implicitement dans l’expression “ma chambre si chaude
  • La vue à travers l’imparfait “regardais”.
  • L’ouïe, omniprésente dans cette scène, mise en valeur notamment grâce au contre-rejetle bruit/ Que faisaient les marchands”. Par ailleurs, la multiplication de l’allitération en “r” (port, goudronné, Palerme, marchands, fraude, grains, farine, fruits) matérialise un joyeux brouhaha.

Cette strophe souligne l’agitation qui règne sur le port, grâce à l’activité commerciale “Autour des sacs de grains, de farine et de fruits”. Cette énumération retranscrit avec force la couleur locale.

Mais quelques discordances se glissent dans la peinture de cette vie quotidienne mouvementée.

D’abord, l’expression “divisés par la fraude” (vers 3) remet en question la symbiose parfaite du poète avec son sujet poétique. La vie quotidienne est rapportée, dans tous ses désaccords.

De plus, si le dernier vers propose un cadre en apparence idyllique, comme en témoigne l’adjectif épithète “Sous un beau ciel”, une apposition vient aussitôt ternir l’idée d’une projection lyrique parfaite, dans la mesure où ce ciel est “teinté de splendeur et d’ennui”. Le paysage, aussi beau soit-il s’inscrit donc dans une torpeur certaine, que les points de suspension laissent deviner.

II – Un regard mélancolique sur le port

La deuxième strophe

La deuxième strophe s’ouvre également sur la présence du poète qui ne cache pas son émotion : “J’aimais”.

Le port n’est pas idéalisé, au contraire, comme en témoigne le complément d’objet direct “la rade noire et sa pauvre marine, / Les vaisseaux délabrés”.

Une certaine mélancolie se dégage de ces adjectifs qualificatifs. Mais le choix du terme “vaisseaux” renvoie à une image presque antique des bateaux et symbolise le voyage.

L’importance de l’ouïe se rappelle à nous à travers l’expression “j’entendais jaillir”.

L’infinitif « jaillir » provoque ici un effet de surprise, de mouvement.

L’enjambement entre les vers 7 et 8 met en relief « l’éternel souhait » humain de voyager et restitue, par l’élan créé, l’aspiration à la liberté.

Le détachement du verbe « partir » à l’infinitif en fin de vers et la forme exclamative concrétise la joie de l’appel au départ et à l’aventure.

Cette quête presque existentielle est néanmoins coupée brutalement par la typographie, avec le tiret au début du vers 9. Ainsi, la soif de liberté n’a pas vocation à être développée.

À cet idéal succède une réalité triviale : “- Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine”. L’agitation liée aux mouvements des bateaux reste omniprésente.

Cette strophe fait donc émerger des paradoxes : d’un côté, l’appel du large, du lointain, de l’autre, l’ancrage dans une chambre qui surplombe le port. D’un côté, l’agitation d’une foule de marchands et de bateaux en contrebas et de l’autre, la solitude du poète isolé en hauteur.

De là, l’impression pour la poétesse que “le soir est si lent à venir…”. L’adverbe intensif « si » souligne la lenteur et la torpeur tandis que l’allitération en « s » semble restituer le son des sifflets dans la soirée : « Dans ces cieux où le soir est si lent à venir… »

III – Vers un voyage spirituel

Troisième strophe

Cette troisième strophe, qui est un sizain, ouvre une perspective nouvelle : la ville semble s’effacer au profit d’un voyage spirituel.

Par le gérondif “en hésitant”, le vent est personnifié et devient un élément naturel central.

Tel un oiseau symbole de liberté et de pureté, il est doté d’une « aile », “se lève”, puis se déploie “sur la ville et le port”.

Les allitérations en « s » et « l » font entendre l’action enveloppante et purificatrice du vent : « C’était l’heure où le vent, en hésitant, se lève, / Sur la ville et le port que son aile assainit ».  

Le présent à valeur de vérité générale « se lève » tend à donner une dimension universelle, voire idéale à ce paysage.

L’alexandrin suivant surprend à la fois par sa facture classique en deux hémistiches (“Mon cœur fondait d’amour / comme un nuage crève.”) et par sa comparaison.

Le cœur de la poétesse est comparé à un nuage qui crève. L’image de la pluie qui transperce un nuage évoque donc les larmes d’amour de la poétesse, sans les nommer comme telles. La poétesse fusionne ici avec la nature, reprenant un topos du romantisme.

Le paysage n’est plus seulement un objet d’étude : il est le déclencheur d’aspirations plus profondes comme en témoigne la proposition “j’avais soif d’un breuvage ineffable et béni”.

Le champ lexical de l’infini apparaît : “ineffable et béni”, “infinis”, “d’azur”, “rêve”.

Les termes concrets des premières strophes laissent ainsi place à un vocabulaire abstrait évoquant une quête de vérité et de transcendance.

Ces derniers vers empruntent à une forme de religiosité, notamment à travers le verbe « s’ouvrir ».  

Le Port de Palerme, Anna de Noailles, conclusion

Anna de Noailles pose sur le port de Palerme un regard tour à tour réaliste, mélancolique et imaginaire.

Elle rend compte de l’agitation pittoresque qui y règne, en ayant recours à des sensations pour décrire la vie quotidienne.

Puis elle pose un regard empreint de mélancolie pour rappeler la soif de liberté propre à l’homme, grâce à l’opposition entre la foule et l’isolement.

Enfin, son regard se fait de plus en plus métaphysique, pour laisser place à une soif d’Idéal.

Anna de Noailles modernise un thème romantique, celui d’une quête existentielle, face à un idéal inaccessible. Cette soif d’évasion n’est pas sans faire penser à « L’invitation au voyage » de Baudelaire.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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