Discours de la servitude volontaire, les ruses des tyrans pour maintenir le peuple en servitude : analyse

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Voici une analyse linéaire pour le bac de français d’un extrait clé de Discours de la servitude volontaire de La Boétie.

Dans cet extrait, La Boétie évoque les ruses utilisées par les tyrans pour abêtir leurs sujets et les maintenir en servitude.

L’extrait étudié va de « Mais ce qu’il y a de sûr et certain, c’est que le tyran ne croit jamais sa puissance assurée » à « et ne remuait pas plus qu’une souche.« 

Comment les tyrans abêtissent leurs sujets, introduction

Dans un passage précédent de son Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie (1530-1563), philosophe humaniste de la Renaissance, évoquait la déshumanisation des hommes mis en esclavage par le tyran.

Dans le passage étudié, il est question de la manière dont les tyrans organisent l’abêtissement de leurs sujets pour mieux les dominer.

Menant son essai au gré de ses idées et fondant son analyse sur ses souvenirs de l’histoire antique, le jeune philosophe mène une double critique : la critique des ruses immorales du tyran pour parvenir à ses fins, et la critique de la bêtise du peuple qui se laisse prendre au piège.

Extrait étudié

Mais ce qu’il y a de sûr et certain, c’est que le tyran ne croit jamais sa puissance assurée, tant qu’il n’est pas parvenu à ce point de n’avoir plus pour sujets que des hommes sans valeur aucune. On pourrait donc lui dire, à juste titre, ce que Thrason, chez Térence, se vante d’avoir reproché au maître des éléphants :

« Pour cela si brave vous êtes

Que vous avez charge des bêtes. »

Mais cette ruse des tyrans* consistant à abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus* envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de Sardes, capitale de la Lydie, et qu’il eut pris et emmené prisonnier Crésus*, ce roi si riche. On lui rapporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés ; il eût tôt fait de les ramener sous son pouvoir ; mais, ne voulant pas saccager une aussi belle ville, ni être toujours obligé d’y tenir une armée pour la contrôler, il eut l’idée d’un génial expédient pour s’en assurer la possession : il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et fit publier une ordonnance obligeant les habitants à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette espèce de garnison, que jamais, depuis, contre les Lydiens, il ne fallut tirer un coup d’épée. Ces pauvres et misérables gens s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux, si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons « passe-temps », qu’ils nommaient, eux, ludi, comme s’ils voulaient dire Lydi. Les tyrans* n’ont pas tous déclaré aussi expressément leur volonté d’efféminer leurs sujets* ; mais, ce qui est vrai, c’est que ce que celui-là ordonna formellement et effectivement, la plupart d’entre eux ont cherché à le faire secrètement.

À vrai dire, c’est assez le penchant naturel* du petit peuple*, dont le nombre est toujours plus grand dans les villes, que d’être soupçonneux à l’encontre de celui qui l’aime, et sans méfiance envers celui qui le trompe. Ne pensez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, friand du ver, ne s’accroche plus vite à l’hameçon, que tous les peuples* qui se laissent promptement allécher par la servitude*, à la moindre plume qu’on leur passe, comme on dit, devant la bouche ; et c’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si rapidement, pourvu seulement qu’on les chatouille. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres drogues analogues étaient, pour les peuples anciens, les appâts de la servitude*, le prix de leur liberté* ravie, les outils de la tyrannie*. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient le système qu’employaient les anciens tyrans* pour endormir leurs sujets* dans la servitude*. Ainsi, les peuples*, abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui leur passait sous les yeux, s’habituaient à servir* aussi niaisement, mais plus mal encore, que les petits enfants qui, habitués à voir les images luisantes des livres illustrés, apprennent quand même à lire.

Les tyrans* romains s’avisèrent d’ajouter cet autre moyen : ils offraient souvent des festins aux dizaines publiques, en abusant comme il fallait cette canaille qui se laisse aller, plus qu’à toute autre chose, au plaisir de la bouche. Aussi le plus sage et compétent d’entre eux n’eût pas quitté son assiette de soupe pour récupérer la liberté* de La République de Platon. Les tyrans* faisaient ample largesse d’un quart de blé, d’un sestier de vin, d’un sesterce ; et alors, c’était pitié d’entendre crier : « Vive le roi ! » Les lourdauds ne s’apercevaient pas qu’en recevant toutes ces choses, ils ne faisaient que récupérer une part de leur propre bien ; et que cette portion même qu’ils en récupéraient, le tyran* n’aurait pu la leur donner, si, auparavant, il ne l’eût enlevée à eux-mêmes. Tel qui avait ramassé aujourd’hui le sesterce et s’était empiffré au festin public, en bénissant Tibère* et Néron* de leur belle libéralité, était contraint, le lendemain, d’abandonner ses biens à leur avarice, ses enfants à leur débauche, son sang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs, mais il ne disait mot, pas plus qu’une pierre, et ne remuait pas plus qu’une souche.


Problématique

Comment la culture et la connaissance de l’Histoire éclairent-elles la réflexion politique menée par Étienne de La Boétie ?

Annonce du plan linéaire

L’auteur propose tout d’abord l’exemple de Cyrus le Grand, roi de Perse, parangon du tyran rusé.

Le « petit peuple » de l’Antiquité est ensuite dépeint comme la proie la plus facile et la plus crédule face aux flatteries et mensonges du tyran.

Enfin, avec un exemple pris à l’Antiquité romaine, La Boétie s’indigne de la passivité du peuple et de son incapacité à se révolter.

I –La ruse du tyran pour mieux asservir son peuple (De « Mais ce qu’il y a de sûr et certain » à « ont cherché à le faire secrètement. »)

A – Préambule : le tyran triomphe d’hommes sans valeur

Le tyran, conscient de sa solitude et de sa fragilité, est un personnage fondamentalement inquiet : « Mais ce qu’il y a de sûr et certain, c’est que le tyran ne croit jamais sa puissance assurée, tant qu’il n’est pas parvenu… ».

Cette angoisse du tyran apparaît comme un fait constant, valable en tout temps et en tout lieu. En effet, le discours de La Boétie est affirmatif et général. Il emploie le présent de vérité générale, l’article défini « le tyran » qui a une valeur universelle, et les adjectifs « sûr et certain ».

Pour maintenir son pouvoir, le despote cherche alors à étouffer l’intelligence. Il veut « parvenir » « à ce point de n’avoir plus pour sujets que des hommes sans valeur aucune ». Le verbe « parvenir » et la négation restrictive « ne plus… que » (« de n’avoir plus pour sujets que… ») suggèrent une véritable transformation du peuple, une dévalorisation et un amoindrissement des hommes. L’expression « à ce point de » souligne l’aspect extrême de ce processus.

Mais avant de détailler les méthodes du tyran, La Boétie se permet une moquerie appuyée sur une référence littéraire. Il cite Thrason, personnage d’une comédie de Térence (IIe siècle av. J.-C.), et dresse un parallèle entre le tyran et le « maître des éléphants » d’une comédie. La Boétie fait comprendre à son lecteur que le tyran n’est lui-même qu’un homme ridicule qui se croit glorieux d’avoir dompté des « bêtes » : il n’y a là en réalité aucune gloire. Par cette moquerie, La Boétie tempère par avance les propos qui vont suivre et qui vont mettre en avant l’intelligence du tyran face à la naïveté du peuple.

B – Un exemple particulier : Cyrus le Grand

Pour expliquer le présent, La Boétie fait encore appel à l’Antiquité en citant Cyrus le Grand, roi perse du VIe siècle av. J.-C. Il dénonce explicitement « cette ruse des tyrans consistant à abêtir leurs sujets ». Le verbe « abêtir » fait écho aux « bêtes » de la citation précédente.

Cyrus est présenté comme un exemple parfait de tyran, comme en témoigne l’expression « cette ruse […] n’a jamais été plus évidente que … » L’adjectif comparatif « plus évidente que » lié à la négation « ne jamais » crée un effet hyperbolique, soulignant l’ampleur de la ruse.

Or, pour préparer son récit, La Boétie donne quelques repères à ses lecteurs. Il situe politiquement et géographiquement son exemple en nommant les « Lydiens » (l. 7), peuple antique d’Asie mineure. Il donne des repères temporels : « après qu’il se fut emparé de Sardes, capitale de la Lydie », en précisant la situation géographique de la ville.

C – Récit : l’intelligence du tyran

On entre ensuite dans le récit proprement dit. La Boétie se fait narrateur et utilise le passé simple : « on lui rapporta », « il eut tôt fait », « il eut l’idée », « il y établit ». Le récit est rapide, constitué de propositions brèves placées en asyndète : « On lui rapporta… ; il eut tôt fait… » (l’asyndète correspond à l’absence de mots de liaison entre les propositions). La toute-puissance de Cyrus se lit dans cette rapidité et cette efficacité : il agit facilement et avec succès, comme le montre la phrase « il eut tôt fait de les ramener en son pouvoir ».

Cyrus est aussi sujet de tous les verbes de la ligne 9 à la ligne 12. Toute action vient de lui.

Il est présenté en homme intelligent et rusé car il parvient à éviter deux écueils : le « saccage » d’une ville « aussi belle », par respect pour la culture, et l’installation d’une armée permanenteni être toujours obligé d’y tenir une armée pour la contrôler »).

Il trouve ainsi une troisième solution : « il eut l’idée d’un génial expédient », expression où l’adjectif « génial » trahit malgré tout l’admiration de La Boétie pour ce brillant esprit. Mais cette intelligence sert surtout son appétit de puissance et de « possession ».

La Boétie énumère alors les moyens choisis par Cyrus pour répondre à la révolte : « il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics ». Ces trois éléments flattent les instincts les plus bas : le plaisir sexuel, la boisson et la distraction, afin de détourner l’intelligence des citoyens. Enfin, en tyran absolu, il « fit publier une ordonnance obligeant les habitants à s’y rendre », pour que personne ne puisse échapper à ce contrôle.

La phrase suivante présente la situation finale et la victoire du tyran sur la révolte. L’expression « espèce de garnison », qui désigne métaphoriquement les prostituées et taverniers envoyés, souligne ironiquement la méthode paradoxale de Cyrus : les « combattants » ont en réalité distrait le peuple avec des plaisirs.

L’efficacité de cette méthode est soulignée par l’adverbe « jamais » qui indique l’aspect définitif de la victoire : « jamais, depuis, contre les Lydiens, il ne fallut tirer un coup d’épée ».

C’est avec pitié et condescendance que La Boétie évoque dès lors les Lydiens vaincus, « ces pauvres et misérables gens », qui poursuivent eux-mêmes l’œuvre de Cyrus, sans conscience du mal qu’ils se font à eux-mêmes : ils « s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux ».

Pour souligner la décadence des Lydiens, La Boétie s’appuie sur une étymologie populaire : le nom grec « Lydi » aurait donné le latin « ludi », qui signifie « passe-temps » ou « jeux ». Ainsi, les Lydiens deviennent le symbole de la distraction et de de la dissolution des mœurs et de la pensée critique.

D – Concession, conclusion et généralisation

Enfin, l’auteur quitte l’anecdote pour formuler une réflexion plus générale. Le pluriel « les tyrans » et le retour au passé composén’ont pas tous déclaré »), puis au présent (« ce qui est vrai, c’est que »), annoncent cette généralisation.

La Boétie nuance son récit en concédant que l’exemple de Cyrus n’est pas totalement universel : « Les tyrans n’ont pas tous déclaré aussi expressément leur volonté d’efféminer leurs sujets ».

Le verbe « efféminer » est péjoratif. Il renvoie à l’amollissement des esprits, dans un contexte où les femmes étaient vues comme moralement plus faibles que les hommes. La concession est cependant très légère puisqu’elle ne concerne que le degré auquel le tyran laisse apparaître ses intentions, et non ses intentions elles-mêmes.

La phrase suivante revient sur l’exemple de Cyrus : « mais, ce qui est vrai, c’est que ce que celui-là ordonna formellement et effectivement, la plupart d’entre eux ont cherché à le faire secrètement ». La Boétie affirme que, même si tous les tyrans n’agissent pas comme Cyrus, l’objectif reste le même pour chacun d’eux : affaiblir et abêtir le peuple. L’antithèse entre « formellement et effectivement » et « secrètement » souligne cette idée. Cyrus agit ouvertement, tandis que la plupart des tyrans agissent dans l’ombre. Le contraste entre « celui-là » (Cyrus, singulier et exemplaire) et « la plupart d’entre eux » (pluriel) souligne également que l’abêtissement du peuple est une stratégie constante et universelle des tyrans.

II – La bêtise du « petit peuple »

A – La plus facile des proies

La Boétie introduit alors une nouvelle concession, signalée par l’expression « à vrai dire ». Il se tourne vers la victime de la ruse, le « petit peuple », et lui reproche ses faiblesses.

L’adjectif « petit » a une connotation dévalorisante : il qualifie une populations pauvre « dont le nombre est toujours plus grand dans les villes ».

Cette masse nombreuse et non éduquée a un comportement soumis à la croyance plutôt qu’à la rationalité et à la réflexion : « c’est assez le penchant naturel du petit peuple […] que d’être soupçonneux à l’encontre de celui qui l’aime, et sans méfiance envers celui qui le trompe ». Le parallélisme syntaxique met en valeur le comportement paradoxal du peuple : « soupçonneux » s’oppose à « sans méfiance », et « celui qui l’aime » à « celui qui le trompe ». Cette construction renforce l’idée que le peuple se trompe lui-même en se laissant manipuler par le tyran.

Pour illustrer ce « penchant naturel », La Boétie choisit des comparaisons tirées du monde animal et de la chasse : l’oiseau attiré par l’appeau (« nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée », et le poisson piégé par le ver et pris à l’hameçon (« friand du ver »).

Mais l’auteur ne se contente pas de simples comparaisons. Il interpelle le lecteur par un impératif négatif : « ne pensez pas qu’il y ait… ». Il affirme avec ironie qu’il n’existe pas de proie plus facile que ces « peuples ».

Les peuples sont en effet trompés par les apparences et sensibles à la moindre flatterie : « à la moindre plume qu’on leur passe, comme on dit, devant la bouche ». Cette « moindre plume », légère et volatile, représente la promesse trompeuse : séduisante, mais qui s’envole et disparaît aussitôt. L’adjectif superlatif « la moindre » souligne la faiblesse et la crédulité extrême de ces peuples, incapables de résister.

La rapidité avec laquelle les peuples se laissent prendre surprend l’auteur, comme le montrent les adverbes « plus vite » (l. 21), « promptement » (l. 21) et « si rapidement » (l. 22-23), ainsi que l’expression « et c’est chose merveilleuse » (l. 22).

La métaphore finale, « pourvu seulement qu’on les chatouille » rappelle les flatteries que l’on fait à un chat pour l’amadouer, et l’adverbe « seulement » montre que le tyran n’a besoin que d’un tout petit effort pour les manipuler, révélant ainsi la fragilité morale du peuple.

B – Conclusions générales sur les méthodes antiques

Mettant fin aux métaphores, la pensée de La Boétie devient plus générale. Il attaque les « jeux publics » avec une longue énumération et des pluriels : « Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres drogues analogues étaient, pour les peuples anciens, les appâts de la servitude ».

À cette longue énumération de divertissements répondent trois expressions qui constituent une gradation : « les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie ». L’effet est solennel : ces trois notions – « servitude », « liberté » et « tyrannie » – mettent en relation le peuple asservi avec le tyran.

Le mot « prix » et le verbe « ravie » dénoncent une injustice : la liberté est volée, échangée contre de vils spectacles. Les peuples sont donc spoliés.

La métaphore de la chasse réapparaît avec les expressions « les appâts de la servitude » et « ces allèchements ». Le peuple est attiré comme une proie, puis « endormi dans la servitude », c’est-à-dire privé de vigilance, de raison et d’esprit critique. En parlant de ce « système qu’employaient les anciens tyrans », La Boétie conclut implicitement l’exemple de Cyrus, qui reste toujours en arrière-plan.

La phrase est construite sur une série d’épanorthoses Ce moyen, cette pratique, ces allèchements »). Ces reprises et reformulations montrent une pensée en train de se chercher et de s’affiner, comme si l’auteur voulait préciser sans cesse son idée pour la rendre plus juste.

Enfin, La Boétie revient aux « peuples » pour tirer ses conclusions à leur sujet. Il les qualifie par trois expressions péjoratives : « abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui leur passait sous les yeux ». Ces trois appositions reposent sur des participes. Les participes passés « abrutis » et « amusés » insistent sur la passivité et la simplicité d’esprit du peuple. Le participe présent « trouvant beaux » signale la faiblesse de leur jugement puisque ces « passe-temps » n’ont aucune consistance.

La Boétie réaffirme ensuite une idée déjà développée plus haut : le poids de l’habitude. Il explique que les peuples « s’habituaient à servir », comme les « petits enfants » s’habituent « à voir les images luisantes des livres illustrés ».

La comparaison avec les enfants est déjà dévalorisante, car elle assimile le peuple à une masse naïve et influençable. Mais La Boétie va plus loin : il place les peuples au-dessous même des enfants sur le plan de l’intelligence. En effet, malgré leur attirance pour les images, « les enfants apprennent quand même à lire ». Les peuples, eux, ne tirent rien de positif de leur habitude : ils servent « niaisement » et « plus mal encore » que les enfants n’apprennent à lire.

III – Indignation de l’auteur face à l’inertie des peuples (De « À vrai dire » à la fin de l’extrait)

A – Entre anecdote et réflexion générale

Puis La Boétie convoque l’histoire romaine. Il complète ainsi la liste des ruses utilisées par les despotes pour asservir leurs peuples : « Les tyrans romains s’avisèrent d’ajouter cet autre moyen », les « festins » .

Il replonge dans les récits historiques, mais en restant cette fois-ci dans la généralité. Ainsi, aucun nom propre n’apparaît : il ne s’agit pas d’individus précis, mais de pluriels généraux : « les tyrans romains », ou « les tyrans », toutes époques et toutes personnalités confondues .

B – Liberté ou gourmandise

Encore une fois, ce sont les plaisirs du corps – ici la gourmandise – que les tyrans romains utilisent pour « appâter » le peuple. Ce peuple est désigné par La Boétie avec mépris : il l’appelle « cette canaille », puis « les lourdauds ». L’idée est toujours la même : montrer leur manque d’intelligence et leur incapacité à résister aux tentations.

Le verbe « se laisse aller », dont la « canaille » est sujet, dénonce cette faiblesse face aux appétits du corps : « qui se laisse aller, plus qu’à toute autre chose, au plaisir de la bouche ». L’expression comparative, « plus qu’à toute autre chose » est renforcée par l’adjectif « toute », qui en fait une hyperbole : elle signale le pire vice des peuples.

Pour frapper davantage l’esprit, La Boétie imagine une scène aussi méprisante qu’ironique : même le combat pour la liberté, idéalisé par la référence à La République de Platon, ne fait pas le poids face à une « assiette de soupe » Et cela vaut, précise-t-il, même pour « le plus sage et le plus compétent d’entre eux ». C’est dire tout le mépris que La Boétie éprouve pour les masses non éduquées, sans culture et sans idéal.

L’auteur poursuit son portrait de la médiocrité du peuple en imaginant une nouvelle scène, symbolique et générale : celle des acclamations enthousiastes lorsque les tyrans leur distribuent… presque rien. L’ironie est évidente : l’expression « ample largesse » est employée de façon antiphrastique, puisqu’elle désigne en réalité des dons ridiculement petits, énumérés avec précision : « un quart de blé », « un sestier de vin », « un sesterce ».

Mais c’est une ironie tragique, car les victimes participent sans s’en rendre compte à leur malheur. D’où un sentiment de « pitié » : « et alors, c’était pitié d’entendre crier : « Vive le roi ! » »

C – Déception et indignation

La Boétie revient ensuite sur un paradoxe : les peuples accueillent comme des dons généreux des choses qui leur appartiennent : « en recevant toutes ces choses, ils ne faisaient que récupérer une part de leur propre bien ». La négation restrictive « ne …que » ramène les choses à leur juste valeur : ce que le peuple croit recevoir en cadeau n’est en réalité qu’un retour partiel de ce qui lui appartient de droit.

La Boétie termine ses réflexions par une dernière scène qui exprime toute sa colère. On y voit une silhouette anonyme, désignée seulement par le pronom indéfini « tel » : elle représente l’homme ordinaire, le simple citoyen romain : « Tel qui avait aujourd’hui ramassé le sesterce ». Ce personnage se laisse guider par son ventre et cède à la gourmandise, comme le souligne le verbe péjoratif « s’empiffrer ». Mais le plus révoltant, c’est qu’il remercie et admire malgré tout les pires tyrans, « Tibère et Néron », sans comprendre qu’il est victime de leur manipulation.

La Boétie oppose ici deux moments : « aujourd’hui », la joie d’avoir reçu un sesterce, et « le lendemain », quand tout bascule dans la contrainte (« était contraint »). L’illusion s’évanouit donc aussitôt, remplacée par des sacrifices immenses : « abandonner ses biens à leur avarice, ses enfants à leur débauche, son sang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs ». L’énumération suit une gradation, allant des biens matériels à la descendance, puis à la vie elle-même. Les biens les plus précieux et les plus intimes ne sont donc pas épargnés.

Mais pour La Boétie, le pire reste l’absence de réaction du peuple. Les négations, dans un parallélisme frappant, soulignent son silence et son immobilité : « il ne disait mot, pas plus qu’une pierre », « et ne remuait pas plus qu’une souche ». Ainsi réduit à l’état d’objet, le peuple perd toute humanité.

Conclusion

Étienne de La Boétie cherche à comprendre pourquoi un peuple peut accepter volontairement l’esclavage. Pour cela, il s’appuie sur sa vaste culture antique et sur l’histoire, où il observe deux constantes : l’intelligence du tyran et la naïveté du peuple. Ces figures, selon lui, sont intemporelles et relèvent de la nature humaine.

Son analyse avance au fil de ses lectures et de ses réflexions : en érudit, il exprime à la fois son mépris pour le tyran et, malgré lui, une certaine admiration pour son habileté à dominer.

En revanche, il ne cache pas son indignation devant la faiblesse du peuple, réduit par ses propres appétits et par la flatterie. L’abêtissement est tel qu’il entraîne une véritable déchéance : de l’enfant à l’animal, puis jusqu’à la pierre et à la souche, le peuple perd peu à peu toute humanité.

Le propos de La Boétie trouve un écho dans des œuvres plus récentes, comme 1984 de George Orwell, où l’asservissement du peuple, entretenu par la peur et la manipulation, rappelle combien les mécanismes de domination et de soumission restent intemporels et universels.

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Amélie Vioux

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