La femme gelée, Annie Ernaux : analyse linéaire

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Voici une analyse linéaire d’un extrait issu de La femme gelée (1981), d’Annie Ernaux.

Ce texte et particulièrement intéressant à étudier dans le cadre du parcours « Écrire et combattre pour l’égalité » associé à la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges.

Introduction

L’œuvre romanesque d’Annie Ernaux, née en 1940, est largement autobiographique, et cherche à expliciter les dynamiques sociales qui ont forgé son identité.

Dans La femme gelée publié en 1981, elle raconte son mariage avec un jeune homme tout aussi idéaliste qu’elle.

Mais dans la France des années soixante, le progressisme affiché par l’époux se heurte rapidement à l’oppression patriarcale insidieusement dictée par la société.

Extrait étudié

Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac, je donne des cours de latin. Le soir descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles, l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m’attendrir si je me laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s’enlise, doucettement. En y consentant lâchement. D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mètres l’un de l’autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L’un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence.

Par la dînette. Le restau universitaire fermait l’été. Midi et soir je suis seule devant les casseroles. Je ne savais pas plus que lui préparer un repas, juste les escalopes panées, la mousse au chocolat, de l’extra, pas du courant. Aucun passé d’aide-culinaire dans les jupes de maman ni l’un ni l’autre. Pourquoi de nous deux suis-je la seule à me plonger dans un livre de cuisine, à éplucher des carottes, laver la vaisselle en récompense du dîner, pendant qu’il bossera son droit constitutionnel. Au nom de quelle supériorité. Je revoyais mon père dans la cuisine. Il se marre, « non mais tu m’imagines avec un tablier peut-être ! Le genre de ton père, pas le mien ! ». Je suis humiliée. Mes parents, l’aberration, le couple bouffon. Non je n’en ai pas vu beaucoup d’hommes peler des patates. Mon modèle à moi n’est pas le bon, il me le fait sentir. Le sien commence à monter à l’horizon, monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison, lui si disert, cultivé, en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c’est tout. À toi d’apprendre ma vieille. Des moments d’angoisse et de découragement devant le buffet jaune canari du meublé, des œufs, des pâtes, des endives, toute la bouffe est là, qu’il faut manipuler, cuire. Fini la nourriture-décor de mon enfance, les boîtes de conserve en quinconce, les bocaux multicolores, la nourriture surprise des petits restaurants chinois bon marché du temps d’avant. Maintenant, c’est la nourriture corvée.

Je n’ai pas regimbé, hurlé ou annoncé froidement, aujourd’hui c’est ton tour, je travaille La Bruyère. Seulement des allusions, des remarques acides, l’écume d’un ressentiment mal éclairci. Et plus rien, je ne veux pas être une emmerdeuse, est-ce que c’est vraiment important, tout faire capoter, le rire, l’entente, pour des histoires de patates à éplucher, ces bagatelles relèvent-elles du problème de la liberté, je me suis mise à en douter. Pire, j’ai pensé que j’étais plus malhabile qu’une autre, une flemmarde en plus, qui regrettait le temps où elle se fourrait les pieds sous la table, une intellectuelle paumée incapable de casser un œuf proprement. Il fallait changer. À la fac, en octobre, j’essaie de savoir comment elles font les filles mariées, celles qui, même, ont un enfant. Quelle pudeur, quel mystère, « pas commode » elles disent seulement, mais avec un air de fierté, comme si c’était glorieux d’être submergée d’occupations. La plénitude des femmes mariées. Plus le temps de s’interroger, couper stupidement les cheveux en quatre, le réel c’est ça, un homme, et qui bouffe, pas deux yaourts et un thé, il ne s’agit pas d’être une braque. Alors, jour après jour, de petits pois cramés en quiche trop salée, sans joie, je me suis efforcée d’être la nourricière, sans me plaindre. « Tu sais, je préfère manger à la maison plutôt qu’au restau U, c’est bien meilleur ! » Sincère, et il croyait me faire un plaisir fou. Moi je me sentais couler.

Version anglaise, purée, philosophie de l’histoire, vite le supermarché va fermer, les études par petits bouts c’est distrayant mais ça tourne peu à peu aux arts d’agrément. J’ai terminé avec peine et sans goût un mémoire sur le surréalisme que j’avais choisi l’année d’avant avec enthousiasme. Pas eu le temps de rendre un seul devoir au premier trimestre, je n’aurai certainement pas le capes, trop difficile. Mes buts d’avant se perdent dans un flou étrange. Moins de volonté. Pour la première fois, j’envisage un échec avec indifférence, je table sur sa réussite à lui, qui, au contraire, s’accroche plus qu’avant, tient à finir sa licence et sciences po en juin, bout de projets. Il se ramasse sur lui-même et moi je me dilue, je m’engourdis. Quelque part dans l’armoire dorment des nouvelles, il les a lues, pas mal, tu devrais continuer. Mais oui, il m’encourage, il souhaite que je réussisse au concours de prof, que je me « réalise » comme lui. Dans la conversation, c’est toujours le discours de l’égalité. Quand nous nous sommes rencontrés dans les Alpes, on a parlé ensemble de Dostoïevski et de la révolution algérienne. Il n’a pas la naïveté de croire que le lavage de ses chaussettes me comble de bonheur, il me dit et me répète qu’il a horreur des femmes popotes. Intellectuellement, il est pour ma liberté, il établit des plans d’organisation pour les courses, l’aspirateur, comment me plaindrais-je. Comment lui en voudrais-je aussi quand il prend son air contrit d’enfant bien élevé, le doigt sur la bouche, pour rire, « ma pitchoune, j’ai oublié d’essuyer la vaisselle… » tous les conflits se rapetissent et s’engluent dans la gentillesse du début de la vie commune, dans cette parole enfantine qui nous a curieusement saisis, de ma poule à petit coco, et nous dodine tendrement, innocemment.

La femme gelée (1981), Annie Ernaux

Problématique :

Comment la narratrice dresse-t-elle l’autoportrait ironique et critique du jeune couple faussement égalitaire qu’elle forme avec un autre étudiant ?

Annonce de plan linéaire :

Tout d’abord, la narratrice dresse l’autoportrait ironique d’un jeune couple faussement égalitaire (I).

Elle montre ensuite comment l’époux refuse insidieusement de prendre en charge les tâches ménagères (II), ce qui la pousse à capituler (III).

Enfin, elle dénonce le progressisme hypocrite affiché par son époux, malgré l’inégalité de fait dans le couple (IV).

I – L’autoportrait ironique d’un couple faussement égalitaire

(Premier paragraphe)

La narratrice énonce le cadre spatio-temporel de l’action : «Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac».

Le présent de l’indicatif confère de la vivacité au récit. La référence au nombre de mois rappelle que la relation maritale est très récente.

La narratrice dépeint ensuite son couple : « on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles, l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. »  

Le couple forme un duo sérieux et convenu.  Le néologisme « moderno-intellectuel » suggère que ce couple constitue le modèle du couple issu de la déconstruction des stéréotypes de genre dans les années soixante et soixante-dix. Néanmoins, ce néologisme presque comique et l’adjectif « attendrissante »  trahissent une distance critique à l’égard de cette image stéréotypée.

Car la narratrice avoue rapidement on s’enlise, doucettement.» Le verbe « s’enliser » métaphorise l’échec de ce couple, assimilé à un naufrage. L’adverbe inventé « doucettement » traite ce naufrage conjugal avec une tendresse ironique.

Paradoxalement, Annie Ernaux s’attribue une part de cet échec : «En y consentant lâchement.» La très courte phrase et la notion de consentement surprennent et créent un effet d’attente chez les lecteurs.

Annie Ernaux revient sur la description du couple dont le fonctionnement est apparemment égalitaire : «D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui».

L’adverbe « D’accord » marque la concession : Annie Ernaux admet l’apparente parité de son couple. On constate par ailleurs que la narratrice étudie des auteurs classiques difficiles d’accès – « La Bruyère ou Verlaine » – et témoigne donc d’aptitudes et d’ambitions.

Mais l’adverbe « D’accord » suggère déjà la contestation qui va suivre et le pronom personnel complément « lui » souligne une distance entre les époux.

Car Annie Ernaux illustre par la suite l’inégalité des faits : «La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance.» Elle use d’ironie pour souligner le cadeau empoisonné qu’est la cocotte-minute («cadeau si utile»).

C’est alors que «L’un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte». L’indétermination du sujet (« l’un des deux ») crée une relation de complicité avec le lecteur qui comprend immédiatement que c’est la jeune fille qui se lève.

«la toupie folle» de la cocotte-minute pourrait symboliser cette crise latente, ce cri enfoui de l’épouse étouffée.

Après cette interruption, Annie Ernaux parvient difficilement à replonger dans ses lectures : «revient à ses bouquins en se demandant où il en était resté.» Le registre familier de « bouquins » souligne déjà la prise de distance avec les études, entravées par les charges domestiques.

Ce long paragraphe s’achève sur un constat laconique: «Elle avait démarré, la différence» La phrase est disloquée, coupée par une virgule. Cette brusque rupture restitue la rupture au sein du couple, mais également la rupture qui s’opère en Annie Ernaux elle-même.

II – La dénonciation du refus masculin de prendre le charge la cuisine domestique

(Deuxième paragraphe)

Le deuxième paragraphe ouvre sur un groupe nominal qui explicite la «différence» dans le couple : «Par la dinette.».

Le terme enfantin de « dinette » rappelle que l’infériorisation des femmes s’opère à travers des tâches en apparence anodines. De plus, la dinette mobilise l’univers du jeu et suggère que que les corvées domestiques ne sont pas un véritable travail.

Ces tâches ménagères se révèlent pourtant être un véritable calvaire : « Midi et soir je suis seule devant les casseroles. » Le présent de l’indicatif exprime ici une habitude, ce qui amplifie le sentiment d’oppression.

La narratrice est doublement enfermée : elle subit un enfermement temporel, souligné par l’encadrement «Midi et soir» et un enfermement spatial, puisqu’elle se retrouve coincée dans la cuisine, « devant » ce face-à-face avec les casseroles.

Pourtant, elle précise : «Je ne savais pas plus que lui préparer un repas», d’où l’interrogation légitime : «Pourquoi de nous deux suis-je la seule à me plonger dans un livre de cuisine.» Le pronom personnel «lui» souligne sans cesse la distance de l’époux par rapport à la cuisine domestique.

La question invite le lecteur à prendre conscience des inégalités de genre.

L’absence de point d’interrogation et les phrases nominales renforcent l’impression d’être plongé dans le flux de conscience d’Annie Ernaux : «Aucun passé d’aide-culinaire dans les jupes de maman ni l’un ni l’autre.», «Au nom de quelle supériorité.» Ces phrases courtes restituent la révolte intérieure mais étouffée de la narratrice.

Annie Ernaux s’affaire donc à accomplir les tâches domestiques «pendant qu’il bossera son droit constitutionnel.»

Le contraste entre l’épluchage des carottes et le droit constitutionnel souligne une inégalité d’autant plus injuste qu’Annie Ernaux a remis en cause l’idée selon laquelle les femmes seraient «naturellement» disposée à cuisiner.

Annie Ernaux remonte ensuite dans ses souvenirs et se souvient de son père cuisinant : «Je revoyais mon père dans la cuisine.»

Mais son mari a vite fait de lui rappeler qu’un homme qui cuisine n’est pas conforme à l’image du couple renvoyée par la société : «Le genre de ton père, pas le mien».

Le couple de ses parents, où le père cuisine, est donc caricaturé et déprécié par le mari, qui se réfère à une autre norme familiale et sociale.

Annie Ernaux emploie le discours indirect libre pour faire entendre les objections dépréciatives de son époux : «ce serait cocasse, délirant, un point c’est tout.» C’est la voix de l’époux, et tout son mépris, que nous entendons dans cette gradation.

Même ses encouragements prennent une forme méprisante, avec l’apostrophe «À toi d’apprendre ma vieille.» L’expression «À toi de» rejette la culpabilité sur Annie Ernaux, accusée de ne pas correspondre aux stéréotypes de genre et sommée de s’y conformer.

L’époux veut en effet imposer son modèle familial qui correspond davantage aux attentes de la société : «monsieur père laisse son épouse s’occuper de tout dans la maison». Les individus s’effacent pour laisser place à leur rôle social : «Monsieur le père», «son épouse».

L’énumération d’aliments, termes prosaïques, souligne l’enlisement de la jeune fille dans une existence rythmée par les tâches ménagères : «des œufs, des pâtes, des endives». La nourriture, source de vie et de contentement, est transformée en «nourriture corvée». Par ce néologisme, Annie Ernaux forge des concepts nouveaux pour mieux dénoncer l’enfermement des femmes dans les tâches ménagères.

III – La capitulation de la narratrice

(Troisième paragraphe)

Pourtant, Annie Ernaux ne se révolte pas, comme elle le reconnaît au début du paragraphe : «Je n’ai pas regimbé, hurlé ou annoncé froidement, aujourd’hui c’est ton tour, je travaille La Bruyère.»

La révolte ne prend que les formes timides (« des allusions, des remarques acides »), avant de s’éteindre.

Cette soumission contraste donc vivement avec la révolte intérieure.

Annie Ernaux tente d’expliquer ce paradoxe : «je ne veux pas être une emmerdeuse». Ce mot vulgaire fait entendre la voix de la société, prête à traiter d’ « emmerdeuse » celle qui suscite des tensions là où il ne devrait pas y en avoir.

Le regard des autres pousse donc Annie Ernaux à se remettre en question : « est-ce que c’est vraiment important, tout faire capoter, le rire, l’entente, pour des histoires de patates à éplucher, ces bagatelles relèvent-elles du problème de la liberté, je me suis mise à en douter. »

L’autrice montre que la domination masculine repose sur un double mécanisme. Les hommes déprécient les tâches ménagères attribuées aux femmes, ce qui pousse les femmes à taire leurs difficultés afin de maintenir une bonne atmosphère au sein du couple.

Annie Ernaux va plus loin dans la déconstruction de la soumission, puisqu’elle explique qu’elle s’est remise en cause au lieu de remettre en cause la société : «Pire, j’ai pensé que j’étais plus malhabile qu’une autre, une flemmarde en plus».

Plutôt que de dénoncer la domination de son époux, elle se dévalorise et critique ses propres prétentions intellectuelles, une intellectuelle paumée incapable de casser un œuf proprement». Le patriarcat rend ainsi les femmes complices de leur propre soumission car il les pousse à se remettre en question si elles ne correspondent pas au modèle imposé.

Cette autocritique conduit l’autrice à prendre une décision importante : Il fallait changer.»

La tournure impersonnelleil fallait») restitue l’injonction sociale.

Annie Ernaux interroge ses camarades féminines à l’université, qui toutes reconnaissent leurs difficultés, mais «avec un air de fierté, comme si c’était glorieux d’être submergée d’occupations.» On retrouve ici le même mécanisme dénoncé plus haut : les femmes craignent de ne pas se conformer au modèle imposé, ce qui les pousse à accepter leur situation malgré les difficultés.

La phrase nominale «La plénitude des femmes mariées.» est ironique : elle dénonce les apparences trompeuses que veulent renvoyer les femmes qui en réalité étouffent sous les tâches ménagères.

La fatigue liée aux corvées quotidiennes est telle que les femmes n’ont «Plus le temps de s’interroger». La domination masculine, en ôtant aux femmes la possibilité même d’interroger leur condition, les prive des moyens de se révolter.

La locution adverbiale «jour après jour» rend compte de la transformation progressive de la narratrice en épouse soumise : je me suis efforcée d’être la nourricière, sans me plaindre.»

La souffrance éprouvée s’exprime par le verbe «s’efforcer»: le rôle censé naturellement échoir aux femmes est une source de souffrance. Il n’a donc rien de naturel.

Le contentement du mari ne vient qu’accroître cette souffrance, et marque une antithèse tragique : «Sincère, et il croyait me faire un plaisir fou. Moi je me sentais couler.» Les stéréotypes de genre empêchent la communication au sein du couple.

IV – La dénonciation du progressisme hypocrite de son époux

(Quatrième paragraphe)

Le quatrième paragraphe s’ouvre sur une parataxe (=suppression des connecteurs logiques) qui restitue le rythme de vie haché d’Annie Ernaux : «Version anglaise, purée, philosophie de l’histoire, vite le supermarché va fermer, les études par petits bouts c’est distrayant mais ça tourne peu à peu aux arts d’agrément.»

L’énumération, chaotique et désorganisée, donne à voir une existence qui perd son sens, avec des études sans cesse interrompues qui finissent par devenir une charge plus qu’une source d’épanouissement.

Annie Ernaux abandonne alors progressivement ses ambitions : «Mes buts d’avant se perdent dans un flou étrange. Moins de volonté.»

En devenant une épouse, elle a perdu une part d’elle-même, qu’elle sacrifie à son époux : «Pour la première fois, j’envisage un échec avec indifférence, je table sur sa réussite à lui».

Les époux embrassent deux dynamiques antithétiques : «Il se ramasse sur lui-même et moi je me dilue, je m’engourdis.» Cette dilution, qui la transformera en «femme gelée», est la perte de son identité individuelle.

Et malgré cette inégalité de fait, «Dans la conversation, c’est toujours le discours de l’égalité.» Mais si l’époux est bien «pour [s]a liberté», ce n’est qu’Intellectuellement». L’époux représente l’hypocrisie des progressistes aux postures libertaires et égalitaristes, mais qui n’appliquent pas dans leur existence les idéaux qu’ils proclament.

Mais cette contradiction est si bien menée, et si bien jouée par cet époux comédien, qu’Annie Ernaux en est désarmée : Comment lui en voudrais-je aussi quand il prend son air contrit d’enfant bien élevé, le doigt sur la bouche, pour rire, « ma pitchoune, j’ai oublié d’essuyer la vaisselle… »» L’époux, en jouant à l’enfant, fait du couple une relation mère-enfant qui le décharge de toute responsabilité.

Annie Ernaux dénonce ainsi l’apparente tendresse amoureuse qui n’est qu’un appas, un prétexte pour maintenir une relation inégalitaire où l’époux exploite l’épouse.

L’amour à l’origine du couple, « la gentillesse du début de la vie commune », ne subsiste plus que «dans cette parole enfantine qui nous a curieusement saisis, de ma poule à petit coco, et nous dodine tendrement, innocemment.» Annie Ernaux semble dire que l’amour est également au service de l’oppression des femmes.

La femme gelée, Annie Ernaux, conclusion

Nous avons vu comment la narratrice dresse l’autoportrait ironique et critique du jeune couple faussement égalitaire qu’elle forme avec un autre étudiant.

Le jeune époux, derrière ses postures progressistes, se révèle n’être que l’énième représentant des conventions sociales.

Annie Ernaux est insidieusement amenée à sacrifier ses études pour se consacrer à son époux.

L’écriture restitue le flux de conscience de l’autrice pour mieux rendre compte de l’enfermement progressif qu’elle subit.

Avec finesse, ce texte déconstruit les mécanismes de l’oppression féminine. L’autobiographie constitue un témoignage courageux à même de questionner lectrices et lecteurs sur leurs comportements, et leurs rôles dans le couple.

Dans Passion simple (1992), il n’est plus question de l’époux, mais de l’homme aimé et de la passion douloureuse qui en découle. Et là encore, même hors-mariage, Annie Ernaux montre que la relation à l’homme est source de tourments.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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