Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire d’un extrait issu de Cinq mémoires sur l’instruction publique publié en 1791 par Nicolas de Condorcet.

L’extrait analysé va de « Il est nécessaire que les femmes partagent l’instruction donnée aux hommes » à « à devenir pour leurs enfants un objet ridicule ou de mépris ?« 

Condorcet, cinq mémoires sur l’instruction publique, introduction

Mathématicien, philosophe et homme politique, Nicolas de Condorcet (1743-1794) a marqué le siècle des Lumières en collaborant à l’Encyclopédie.

Par sa défense active de la cause des femmes, il a soutenu leur droit de vote.

Les Cinq mémoires sur l’instruction publique sont publiées en 1791, soit la même année que la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges.

Problématique

Comment Condorcet prône-t-il une instruction égale entre femmes et homme dans un texte argumentatif qui s’apparente presque à un discours politique ?

Texte étudié

Il est nécessaire que les femmes partagent l’instruction donnée aux hommes.

1 – Pour qu’elles puissent surveiller celle de leurs enfants. L’instruction publique, pour être digne de ce nom, doit s’étendre à la généralité des citoyens, et il est impossible que les enfants en profitent si, bornés aux leçons qu’ils reçoivent d’un maître commun, ils n’ont pas un instituteur domestique qui puisse veiller sur leurs études dans l’intervalle des leçons, les préparer à les recevoir, leur en faciliter l’intelligence , suppléer enfin à ce qu’un moment d’absence ou de distraction a pu leur faire perdre. Or, de qui les enfants des citoyens pauvres pourraient-ils recevoir ces secours, si ce n’est de leurs mères qui, vouées aux soins de leur famille, ou livrées à des travaux sédentaires, semblent appelées à remplir ce devoir ; tandis que les travaux des hommes, qui presque toujours les occupent au-dehors, ne leur permettraient pas de s’y consacrer ? Il serait donc impossible d’établir dans l’instruction cette égalité nécessaire au maintien des droits des hommes […] si, en faisant parcourir aux femmes au moins les premiers degrés de l’instruction commune, on ne les mettait en état de surveiller celle de leurs enfants.

2 – Parce que le défaut d’instruction des femmes introduirait dans les familles une inégalité contraire à leur bonheur. D’ailleurs on ne pourrait l’établir pour les hommes seuls sans introduire une inégalité marquée, non seulement entre le mari et la femme mais entre le frère et la soeur et même entre le fils et la mère ; or, rien ne serait plus contraire à la pureté et au bonheur des mœurs domestiques. L’égalité est partout, mais surtout dans les familles, le premier élément de la félicité, de la paix et des vertus. Quelle autorité pourrait avoir la tendresse maternelle, si l’ignorance dévouait les mères à devenir pour leurs enfants un objet ridicule ou de mépris ?

Nicolas de Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique, 1791.

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous verrons que Condorcet s’engage en faveur de l’instruction des femmes pour que celles-ci puissent endosser le rôle d’instituteur domestique.(1er paragraphe)

Dans un second temps, l’auteur met en évidence que l’instruction de la femme est la seule voie d’accès au bonheur domestique.(2ème paragraphe)

I – De la nécessité pour la femme d’être instituteur domestique

1er paragraphe

Le texte étudié s’ouvre sur l’énoncé de la thèse de Condorcet : « Il est nécessaire que les femmes partagent l’instruction donnée aux hommes ».

L’argumentation de l’auteur est particulièrement structurée. En effet, le premier paragraphe développe le but (« pour qu’elles puissent ») tandis que le second développe la cause (« parce que le défaut d’instruction »).

Le premier paragraphe énonce donc le but de l’instruction des femmes : « Pour qu’elles puissent surveiller celle de leurs enfants. »

Condorcet affirme avec force et au présent de vérité générale sa vision de l’instruction publique qui, « pour être digne de ce nom, doit s’étendre à la généralité des citoyens », sans distinction de sexe, comme le suggère l’expression englobante « la généralité des citoyens » qui désigne ici les hommes et les femmes.

Condorcet suggère donc qu’une égalité qui n’inclut pas les femmes n’est pas une égalité réelle.

Par un mouvement inverse, il démontre qu’en l’absence de l’instruction des femmes, celle des enfants serait impossible.

La femme apparaît dès lors comme « un instituteur domestique » : cette métaphore valorisante est révélatrice du rôle que Condorcet confère à la femme dans son espace domestique.

En effet, l’instructeur domestique joue un rôle actif dans l’éducation des enfants.

Condorcet lui attribue ainsi quatre fonctions, sous forme d’énumération de verbes à l’infinitif :

  • Il est capable de « veiller sur leurs études » entre des leçons, c’est-à-dire qu’il pourra superviser la bonne exécution des apprentissages et exercices ;
  • Il sera capable de « les préparer à les recevoir », ses facultés lui permettront d’éveiller les esprits de ses enfants
  • Il sera capable de « leur en faciliter l’intelligence », car il pourra aider à la compréhension des leçons ;
  • Il sera capable de « suppléer », c’est-à-dire qu’il pourra apporter ses connaissances dans le cadre d’une leçon incomplète.

Jusqu’ici, Condorcet décrit le rôle essentiel d’un « instituteur domestique ».

Il poursuit alors son argumentation avec une opposition, marquée par la conjonction de coordination « Or » : si les citoyens riches ou aisés peuvent s’offrir les services d’un instructeur domestique, tel n’est pas le cas des familles pauvres.

La femme doit donc être capable de jouer ce rôle pour préserver l’égalité de l’instruction entre tous les enfants de citoyens.

La logique de son argumentation est implacable. Condorcet montre que la femme étant un élément central dans l’éducation des enfants, son instruction est nécessaire pour former les futurs citoyens.

Le texte prend alors des allures de discours politique.

En effet, la question rhétorique soulève un débat sociologique profond : la différence entre les femmes et les hommes réside dans le fait que les unes sont « vouées aux soins de leur famille, ou livrées à des travaux sédentaires », pendant que les autres ont des travaux qui « presque toujours les occupent au-dehors ». Cette description antithétique souligne la différence des activités attribuées aux hommes et aux femmes à cette époque.

Condorcet pointe ainsi la nécessité pour les femmes d’être instruites afin d’aider leurs enfants, en l’absence des hommes. La conjonction de coordination « donc » souligne la logique de cette conclusion: « Il serait donc impossible… ».

L’emploi du conditionnel à valeur d’irréel du présent « Il serait donc impossible », associé à la proposition subordonnée circonstancielle de condition « si…on ne les mettait en état de surveiller celle de leurs enfants » souligne qu’en l’état actuel des choses, « l’égalité nécessaire au maintien des droits des hommes » n’est pas acquise.

L’égalité entre hommes et femmes passe donc par l’accès à l’instruction, que Condorcet nuance toutefois par l’expression « en faisant parcourir aux femmes au moins les premiers degrés de l’instruction commune. » La locution adverbiale « au moins » et l’adjectif « premiers » dans le groupe nominal « les premiers degrés de l’instruction commune » indique que Condorcet ne demande pour les femmes qu’une instruction élémentaire.

Cela fait sans doute partie de la stratégie argumentative de Condorcet : une demande modérée et raisonnable est davantage susceptible d’être acceptée par ses opposants.

II – L’instruction des femmes, pilier du bonheur familial

2nd paragraphe

Dans le second paragraphe, Concorcet poursuit son argumentation en évoquant les raisons, qui justifient l’éducation des femmes : « parce que le défaut d’instruction des femmes introduirait dans les familles une inégalité contraire à leur bonheur. »

Il montre les dégâts que pourrait occasionner un « défaut d’instruction », comme l’indique l’utilisation du conditionnel présent : « introduirait », « on ne pourrait », « rien ne serait ».

Tout d’abord, sans instruction, les femmes ne pourraient donc s’épanouir ni être heureuses. La connexion que Condorcet instaure entre accès à l’instruction et bonheur est novatrice. La question de bonheur est en effet nouvelle au 18ème siècle, où les philosophes commencent à s’interroger sur les conditions d’une vie heureuse.

Pour Condorcet, l’instruction est la clé de l’égalité entre les hommes et les femmes, qui est elle-même la clé du bonheur au sein des foyers.

Au terme « inégalité marquée » répond un peu plus loin le substantif « L’égalité ». Condorcet fait donc appel à un principe révolutionnaire clé, celui d’égalité, qui est apparu dans la Déclaration des droit de l’Homme et du Citoyen de 1789. Il suggère implicitement que la révolution de 1789 est incomplète puisque son principe clé d’égalité des citoyens n’est pas appliquée.

La nécessité d’une égalité hommes-femmes est suggérée par la série de parallélisme entre les deux sexes, renforcée par l’anaphore de la préposition « entre » : « entre le mari et ma femme », « entre le frère et la sœur », « entre le fils et la mère ».

Les termes relatifs aux membres masculins et féminins de la famille sont coordonnées par la conjonction de coordination « et » qui les met sur le même plan. La syntaxe utilisée par Condorcet prône implicitement une égalité entre les sexes.

Pour Condorcet, l’accès à une instruction égalitaire est la condition du bonheur, comme en témoigne le champ lexical du bonheur : « pureté », « bonheur », « félicité », « paix, « vertus ».

L’énumération au rythme ternaire « le premier élément de la félicité, de la paix et des vertus » suggère l’équilibre des relations fondées sur l’égalité, dans un cadre familial sécurisant.

Le texte étudié s’achève sur une question rhétorique, bousculant ainsi le lecteur dans ses représentations.

Elle fonctionne implicitement comme un syllogisme, en trois temps. En effet, afin d’être une figure d’autorité tendre et légitime, une mère se doit d’être respectée par ses enfants (1). Or l’ignorance ne peut que conduire à la considérer comme « un objet ridicule ou de mépris » (2). Donc une mère doit accéder à l’instruction (3).

Outre la logique irrésistible de ce syllogisme, la périphrase péjorative « un objet ridicule ou de mépris », pour désigner les femmes, rend compte de la cruauté qu’il y a à nier aux femmes l’instruction : cela revient à leur faire perdre leur dignité humaine en les réduisant à l’état d’ « objet ».

L’expression « tendresse maternelle » renvoie quant à elle à l’émotion du lecteur. Cette question rhétorique finale montre l’adresse de Condorcet qui mêle habilement deux stratégies argumentatives : il parvient à convaincre en faisant appel à la raison et à persuader en faisant appel aux sentiments.

Cinq mémoires sur l’instruction publique, Condorcet, conclusion

Cette analyse a permis de montrer que Nicolas de Condorcet construit son argumentation autour de sa thèse : les femmes doivent accéder, comme les hommes, à l’instruction.

Il souligne la nécessité d’une telle mesure par l’aide précieuse que les femmes apporteront à leurs enfants. Cette disposition serait seule garante d’un cadre heureux et vertueux au sein de la famille. Grâce à elle, la mère serait respectée de tous.

Par le recours aux questions rhétoriques, à la preuve par le contraire et au syllogisme, ce texte relève presque du discours politique.

Rien d’étonnant puisqu’en 1791, le marquis de Condorcet est élu député de Paris et présentera l’année suivante un projet de réforme du système éducatif.

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Amélie Vioux

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