Les Femmes savantes, Molière, Acte II, scène 7 : analyse

Tu passes le bac de français ? CLIQUE ICI et deviens membre de commentairecompose.fr ! Tu accèderas gratuitement à tout le contenu du site et à mes meilleures astuces en vidéo.

Voici une analyse linéaire de la tirade de Chrysale dans l’acte II scène 7 des Femmes savantes de Molière.

L’extrait étudié va de « C’est à vous que je parle, ma sœur. » à « Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé. »

Cet extrait est intéressant à étudier dans le cadre du parcours « Ecrire et combattre pour l’égalité » associé à la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges.

Les femmes savantes, acte II scène 7, introduction

La question de la place de la femme dans la société est importante dans l’oeuvre de Molière (1622-1673).

Déjà, dans L’Ecole des femmes (1662), Le Tartuffe (1664) ou L’Amour médecin (1665), le dramaturge s’intéresse aux rapports de force entre l’homme et la femme, notamment lors du mariage où les sentiments n’ont pas leur place.

En 1672, avec Les Femmes savantes, deux familles s’affrontent pour juger de l’éducation des femmes.

Dans cette tirade issue de la scène 7 de l’acte II, Chrysale répond à sa sœur Bélise et exprime son désaccord : une femme n’a pas besoin d’avoir accès au savoir.

Extrait étudié

Chrysale, à Bélise.
C’est à vous que je parle, ma sœur.
Le moindre solécisme en parlant vous irrite ;
Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.
Vos livres éternels ne me contentent pas ;
Et, hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,
Et laisser la science aux docteurs de la ville ;
M’ôter, pour faire bien, du grenier de céans,
Cette longue lunette à faire peur aux gens,
Et cent brimborions dont l’aspect importune ;
Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune,
Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous,
Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.
Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu’une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,
Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,
Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
À connaitre un pourpoint d’avec un haut de chausse.
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien ;
Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.
Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs :
Elles veulent écrire, et devenir auteurs.
Nulle science n’est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde :
Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,
Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne et Mars, dont je n’ai point affaire ;
Et, dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot, dont j’ai besoin.
Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire.
Raisonner est l’emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison… !
L’un me brûle mon rôt, en lisant quelque histoire ;
L’autre rêve à des vers, quand je demande à boire :
Enfin, je vois par eux votre exemple suivi,
Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m’était restée,
Qui de ce mauvais air n’était point infectée ;
Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,
À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse ;
Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse.
Je n’aime point céans tous vos gens à latin,
Et principalement ce Monsieur Trissotin :
C’est lui qui, dans des vers, vous a tympanisées ;
Tous les propos qu’il tient sont des billevesées.
On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé ;
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.

Les femmes savantes, acte II scène 7


Problématique

En quoi Molière fait-il de Chrysale le porte-parole comique d’une éducation révolue pour mieux défendre l’accès des femmes à la culture ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, de « c’est à vous » à « tant de choses », nous étudierons l’opposition faite par Chrysale entre les savoirs livresques et la gestion d’une maison.

Dans un deuxième temps, de « Former aux bonnes mœurs » à « dont j’ai besoin », Chrysale fait l’éloge de la vie domestique.

Enfin, de « Raisonner est l’emploi » à la fin de l’extrait, nous approfondirons l’analyse des ressorts comiques de cette tirade.

I – L’opposition entre savoirs livresques et gestion d’une maison

De « C’est à vous » à « et sache tant de choses »

Chrysale s’adresse à sa sœur sur un ton accusatoire comme en témoigne la structure emphatique qui met en avant la destinataire de sa tirade : « C’est à vous que je parle ».

La deuxième personne du pluriel « vous » est d’ailleurs martelée 4 fois dans les trois premiers vers. L’adresse est directe et insistante.

Chrysale fait allusion au renvoi de la servante pour motif de vocabulaire et grammaire incorrects : « Le moindre solécisme en parlant vous irrite » (un solécisme est une faute de syntaxe).

Par symétrie, il reproche à sœur de faire des erreurs « étranges en conduite » et il s’en explique.

Ainsi, il affirme sa position de façon presque provocatrice : « Vos livres éternels ne me contentent pas ». Les livres sont immédiatement mis à distance par l’emploi du déterminant possessif « vos » : il ne s’agit pas de lectures partagées mais de celles de Bélise uniquement.

Seul « un gros Plutarque » trouve grâce à ses yeux car il peut être utile pour ses « rabats » : la littérature grecque est doublement désacralisée, par l’antonomase moqueuse « un gros Plutarque » (L’antonomase est une figure de style qui consiste à utiliser le nom d’une personne célèbre pour désigner une œuvre ou un objet associé à cette personne) et parce que le livre est réduit à l’état d’objet pratique du quotidien.

Il poursuit en donnant des conseils, sous forme de propositions subordonnées juxtaposées : « Vous devriez brûler… et laisser… m’ôter… ne point aller chercher… et vous mêler ».

Son rejet radical concerne à la fois la littérature, la science, l’astronomie. Il désigne d’ailleurs cette dernière par des périphrases effrayantes : « Cette longue lunette à faire peur aux gens, /Et cent brimborions dont l’aspect importune ».

Il met en garde sa sœur sur sa propension à fuir dans le savoir plutôt qu’à s’occuper de la bonne tenue de sa maison. Ainsi, s’opposent deux expressions antithétiques en fin de vers : « ce qu’on fait dans la lune » et « ce qu’on fait chez vous » pour ridiculiser les ambitions de Bélise.

Puis Chrysale reproche à sa sœur le désordre qui règne dans son espace domestique, comme l’illustre la proposition « Où nous voyons aller tout sens dessus dessous. » L’allitération en « s » restitue ici le désordre supposé de foyer de Bélise.

Il conclut par deux vers énoncés au présent de vérité générale qui fonctionnent comme un proverbe, avec le pronom « il » employé sous une forme impersonnelle : « Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, / Qu’une femme étudie et sache tant de choses. » Par là, il montre à sa sœur que le savoir est inutile, voire dangereux.

II – De l’éloge de la vie domestique, seul salut de la femme

De « Former aux bonnes mœurs » à « dont j’ai besoin »

Par une succession d’énoncés à l’infinitif, Chrysale rappelle les conduites à suivre pour une femme. Ce véritable « mode d’emploi » indique que la femme doit s’occuper de l’éducation de ses enfants, de l’épanouissement de son couple, de la surveillance de ses domestiques et de la bonne gestion financière.

Pour Chrysale, il doit s’agir de « son étude et sa philosophie ». Le choix de ces deux termes abstraits indique l’importance qu’il accorde à la vie quotidienne dans la maison mais enferme également la femme dans la seule sphère domestique.

Mais sa tirade ne peut que susciter le rire chez le lecteur-spectateur.

En effet, Chrysale recourt à un pseudo argument d’autorité en convoquant ce que disaient ses ancêtres, qu’il qualifie de « gens bien sensés ».

Le contenu est exprimé au présent de vérité générale et veut passer pour universel : « […] une femme en sait toujours assez /Quand la capacité de son esprit se hausse /À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse. »

Le registre comique repose ici sur le rapprochement et l’écart entre des termes abstraits (« sait », « capacité », « esprit ») et des termes triviaux (« un pourpoint », « un haut de chausse »).

Ainsi, Molière ridiculise Chrysale au moment où celui-ci tente de justifier son point de vue.

Aux yeux du personnage, nul besoin de lire pour vivre, comme l’indiquent les vers suivants : « Leurs ménages étaient tout leur docte entretien ; / Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles ».

Par un mouvement inverse, après avoir loué l’éducation prônée par ses pairs, Chrysale dénonce celle des « femmes d’à présent ».

Ces dernières apparaissent presque présomptueuses car elles aspirent aux mêmes tâches que les hommes : « Elles veulent écrire, et devenir auteurs. »

De plus, elles se comportent de façon pédante au point qu’à ses yeux, elles se trompent, comme l’illustre l’opposition entre les deux hémistiches, dans une structure chiasmique «  Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir. »

Sa prise de distance avec ces nouvelles mœurs se lit dans l’énumération « lune, étoile polaire, / Vénus, Saturne et Mars » qui restitue un « vain savoir » bien éloigné des considérations du quotidien, qu’il résume en un vers : « On ne sait comme va mon pot, dont j’ai besoin. » Le contraste entre les termes cosmiques et de considérations triviales est source de comique.

III – Les ressorts comiques

« Mes gens à la science » à « le timbre un peu fêlé »

Par un habile jeu sur les mots et les sonorités (la raison entendue à la fois comme logique et bon sens), Chrysale souligne l’absurdité de ce qui se passe dans sa maison : « Raisonner est l’emploi de toute ma maison, /Et le raisonnement en bannit la raison… ! »

Le polyptote sur le terme « raison » restitue avec humour la folie qui règnerait au domicile de Chrysale. (Le polyptote correspond à l’emploi d’un mot sous différentes formes grammaticales, comme ici raisonner, raisonnement, raison).

De là, il rapporte des anecdotes plus savoureuses et concrètes les unes que les autres pour révéler l’absurdité qui règne dans sa maison.

Ainsi la structure en chiasme restitue avec humour le désordre qui règne chez Chrysale. : « L’un me brûle mon rôt (A : concret), en lisant quelque histoire (B : abstrait) ; /L’autre rêve à des vers (B : abstrait) quand je demande à boire (A : concret)».

Il reproche à sa sœur de contaminer ses gens (« je vois par eux votre exemple suivi », « de ce mauvais air n’était point infectée »), ce qui conduit à négliger les affaires courantes basiques.

Le polyptote sur le terme « servir » (« serviteurs », « servi », « servants ») rend compte encore une fois de la confusion qui règne parmi les domestiques, devenus inopérants.

Il rappelle l’éviction de sa servante pour un prétexte fallacieux : « A cause qu’elle manque à parler Vaugelas », grammairien et membre de l’Académie française. L’allitération en « q » restitue le fracas avec lequel la servante a été congédiée, ce qui est source d’amusement : « Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas / À cause qu’elle manque à parler Vaugelas. »

Il réaffirme sa position avec force et autorité, comme l’indique la répétition de la première personne « je » : « Je vous le dis », « comme j’ai dit », « je m’adresse », « je n’aime point ».

De plus, il utilise le personnage de Trissotin, poète médiocre et pédant, pour se moquer de l’érudition de « tous vos gens à latin ».

Si Molière ridiculise Chrysale pour ses excès, il place néanmoins dans ce dernier des éclairs de lucidité : Chrysale critique ainsi Trissotin car il a tympanisé les jeunes filles par ses vers et ses propos « sont des billevesées ».

Sa conclusion est sans appel : Trissotin a « le timbre un peu fêlé », ce qui n’est pas loin de la vérité.

Les femmes savantes, acte II scène 7, conclusion

Molière fait de Chrysale l’ardent défenseur d’une éducation traditionnelle des femmes, surtout construite sur la bonne gestion de la vie domestique, par opposition à sa sœur Bélise qui ne jure que par l’accès au savoir.

Mais si l’un et l’autre s’opposent, ils sont aussi tous deux dans l’exagération.

La tirade est construite sur un registre comique omniprésent qui permet à Molière de prôner la lecture, l’ouverture aux sciences pour les femmes.

Le théâtre est donc un genre littéraire qui peut, à l’instar de l’apologue, sensibiliser le lecteur-spectateur à l’émancipation de la femme.

Tu étudies Olympe et Gouges et le parcours « Ecrire et combattre pour l’égalité » ? Regarde aussi :

Print Friendly, PDF & Email

Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

Sur mon site, tu trouveras des analyses, cours et conseils simples, directs, et facilement applicables pour augmenter tes notes en 2-3 semaines.

Je crée des formations en ligne sur commentairecompose.fr depuis 12 ans.

Tu peux également retrouver mes conseils dans mon livre Réussis ton bac de français 2024 aux éditions Hachette.

J'ai également publié une version de ce livre pour les séries technologiques ici.

Laisse un commentaire !