Femmes, soyez soumises à vos maris, Voltaire : analyse

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Voici une analyse du pamphlet « Femmes, soyez soumises à vos maris » de Voltaire.

Le passage étudié va de « L’abbé de Châteauneuf la rencontra » à « oser suivre ce modèle »

Femmes, soyez soumises à vos maris, introduction

Le Siècle des Lumières a vu naître le combat de nombreux écrivains-philosophes contre l’obscurantisme et les injustices.

Voltaire, auteur notamment de contes philosophiques (Candide, Zadig), du Dictionnaire philosophique, est l’un d’eux.

Dans son œuvre Mélanges, il dénonce la place laissée aux femmes dans la société et les inégalités engendrées.

Le pamphlet « Femmes, soyez soumises à vos maris » est fondé sur un récit enlevé et polémique.

Juste avant l’extrait étudié, le narrateur rapporte une discussion qu’il a eue avec l’abbé de Châteauneuf au sujet de Mme la maréchale de Grancey.

Voltaire dresse le portrait mélioratif d’une femme respectueuse, honnête, généreuse mais enfermée pendant quarante ans dans un cercle restreint d’amis et de lectures mondaines.

Sa soif de lire a alors commencé par Racine, Montaigne et Plutarque, jusqu’à ce que Saint Paul la mette hors d’elle.

Extrait analysé

L’abbé de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère. « Qu’avez-vous donc, madame ? » lui dit-il.
— J’ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c’est, je crois, quelque recueil de lettres ; j’y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris ; j’ai jeté le livre.
— Comment, madame ! Savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul ?
— Il ne m’importe de qui elles sont ; l’auteur est très-impoli. Jamais Monsieur le maréchal ne m’a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très-difficile à vivre. Était-il marié ?
— Oui, madame.
— Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j’avais été la femme d’un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s’il s’était contenté de dire : Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? Quand j’épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d’être fidèles : je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d’obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-ce pas assez qu’un homme, après m’avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle ? N’est-ce pas assez que je mette au jour avec de très-grandes douleurs un enfant qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très-désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d’une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort sans qu’on vienne me dire encore : Obéissez ?
« Certainement la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n’a pas prétendu que l’union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! Quoi ! Parce qu’un homme a le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très-humblement ? Je sais bien qu’en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu’ils peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j’ai peur que ce ne soit là l’origine de leur supériorité.
« Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d’être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d’une princesse allemande qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de lumières. Son courage égale ses connaissances ; aussi n’a-t-elle pas été élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre. Pour moi, si j’avais un État à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle. »

« Femmes, soyez soumises à vos maris », Voltaire

Problématique

En quoi ce texte constitue-t-il, pour Voltaire, un véritable plaidoyer pour la défense de la condition féminine ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous analyserons les deux positions antagonistes de l’abbé et de la maréchale.

Dans un deuxième temps, nous analyserons le discours polémique de la maréchale de Grancey.

Puis, nous étudierons les arguments lui permettant de défendre la condition féminine.

Enfin, dans un quatrième temps, nous verrons que Voltaire va jusqu’à repenser l’éducation de la femme.

I – Deux positions antagonistes

De « L’abbé de Châteauneuf la rencontra » à « oui madame »

Le narrateur rapporte la rencontre, puis la discussion entre l’abbé de Châteauneuf et la maréchale dont l’attitude décrite par une hyperbole (« toute rouge de colère ») est inhabituelle et apporte une touche comique et théâtrale au récit.

La maréchale explique son état par la découverte d’écrits dont Voltaire retarde savamment la révélation. En effet, l’article indéfini « un livre qui traînait… » permet de ne pas nommer immédiatement l’ouvrage.

La maréchale évoque d’ailleurs le livre en question avec désinvolture comme le suggère l’expression « par hasard » et le verbe modalisateur « je crois ».

Puis elle rapporte la nature de ces écrits de façon nonchalante, avec l’emploi de l’adjectif indéfini « quelque«  qui met l’ouvrage à distance : « quelque recueil de lettres ».

En revanche, elle restitue précisément les propos qu’elle a lus : « Femmes, soyez soumises à vos maris ».

La succession des propositions juxtaposées très courtes souligne l’indignation grandissante de la maréchale et la violence de son rejet, catégorique : « j’y ai vu ces paroles : femmes, soyez soumises à vos maris; j’ai jeté le livre.« 

L’abbé s’offusque d’un tel acte, comme le souligne la ponctuation expressive de sa réplique : « Comment madame ! Savez-vous bien que ce sont les épîtres de Saint Paul ? »

La découverte de l’auteur de l’ouvrage, un apôtre, est comique car l’attitude de la maréchale ne laissait pas présager un auteur d’une telle autorité.

La maréchale, libre d’esprit, assume son propos : « il ne m’importe de qui elles sont ».

Sa franchise est patente car elle ne cache pas son jugement ; elle va jusqu’à affirmer que « l’auteur est très impoli ».

Aussitôt, elle compare la lettre lue aux échanges épistolaires qu’elle peut avoir avec son mari : les deux auteurs sont aux antipodes à ses yeux.

Voltaire fait de la maréchale une femme simple mais forte, capable d’exprimer le fond de sa pensée, même devant un homme d’église.

L’adverbe de négation « Jamais », mis en exergue en début de phrase, laisse transparaître un caractère affirmé et déterminé : « Jamais Monsieur le maréchale ne m’a écrit dans ce style« .

Elle fait également preuve d’une certaine malice, en associant l’apôtre à des considérations terre-à-terre : « je suis persuadée que votre Saint-Paul était très difficile à vivre ».

Par sa question fermée (« était-il marié ? »), elle cherche à comparer sa situation conjugale à la relation que prône Saint Paul.

II – Le recours au registre polémique

De « Il fallait que sa femme fût » à « me dire encore : Obéissez ? »

Voltaire met en évidence l’exaspération grandissante de la maréchale.

Elle prend d’abord la femme de Saint-Paul en pitié, comme l’indique la phrase : « il fallait que sa femme fût une bien bonne créature ».

Puis elle compare la vie maritale de Saint-Paul avec la sienne, comme le souligne la proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse : « Si j’avais été la femme d’un pareil homme…« .

L’expression « un pareil homme » souligne le mépris et la colère de la maréchale, qui met Saint-Paul à distance.

Sa passion transparaît dans son vocabulaire familier : « je lui aurais fait voir du pays ».

Elle répète la phrase qui l’a marquée : « Soyez soumises à vos maris ! ». La répétition de cette injonction à la forme exclamative souligne sa colère.

Afin de persuader son interlocuteur, elle imagine une phrase qui lui semble plus appropriée, comme en témoigne l’énumération de qualités  : « Soyez douces, complaisantes, attentives, économes ».

Mais elle récuse le choix du terme « soumises » qu’elle remet en cause dans une question : « et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? » .

L’exemple qu’elle convoque est audacieux, voire irrévérencieux, tant elle désacralise la condition de la femme.

En effet, elle rappelle le vœu de fidélité qu’elle a prononcé en épousant M. de Gracey mais ajoute aussitôt « je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne ».

Face à l’abbé de Châteauneuf, cet aveu d’adultère résonne avec force.

Mais ce n’est qu’une étape dans le raisonnement de la maréchale. Elle ajoute une nuance lexicale importante : « ni lui ni moi ne promîmes d’obéir ».

La double négation (ni…ni) et les parallélismes dans ces deux phrases indiquent que la maréchale se positionne dans une situation d’égalité et de réciprocité avec son mari.

La suite de sa réplique est structurée par des questions interro-négatives, inaugurées par une question fermée : « Sommes-nous donc des esclaves ? »

D’emblée, par le terme « esclave« , elle montre que cette injonction à la soumission féminine est contre-nature.

Les interrogations suivantes visent à pousser l’interlocuteur, pour qui Saint Paul est un éminent disciple, dans ses retranchements et à condamner fermement la soumission de la femme.

La suite de son raisonnement est à la fois empreint d’humour et révélateur de son ressenti.

La maréchale de Grancey rappelle en effet les sacrifices qu’une épouse fait lorsqu’elle est enceinte, période désignée avec esprit par la périphrase « une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle.« 

Puis, elle rappelle les « très grandes douleurs » de l’enfantement, ainsi que la récurrence des menstruations, désignées par la périphrase précieuse « des incommodités très désagréables pour une femme de qualité » et par l’expression « douze maladies ».

Absurdité supplémentaire, la suppression de ces menstruations peut tuer la femme : « et que, pour comble, la suppression d’une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort » .

Grâce à ces propos à la fois virulents et empreints d’humour, Voltaire montre que la femme donne de sa personne et fait preuve de courage tout au long de sa vie.

L’attitude des hommes est ainsi implicitement désignée comme ingrate et cruelle par l’expression « sans qu’on vienne me dire encore : Obéissez ? »

III – La défense de la condition féminine

De « Certainement la nature » à « l’origine de leur supériorité »

Après cette rhétorique polémique, la maréchale reprend une argumentation directe plus calme.

Elle ne se révolte pas sans raison. En effet, elle affirme que la nature « nous a fait des organes différents de ceux des hommes » et qu’il y a bien une complémentarité biologique (« en nous rendant nécessaires les uns les autres » )

Mais admettre cette différence physiologique ne permet pas de conclure à la soumission de la femme à l’homme. C’est ce dont témoigne la phrase : « elle [la nature] n’a pas prétendu que l’union formât un esclavage ». La soumission dans laquelle les femmes sont tenues correspond donc à une situation contre-nature.

Elle cite un célèbre vers de L’École des femmes de Molière (Acte III, scène 2), lancé par le barbon Arnolphe à Agnès : « Du côté de la barbe est la toute-puissance ».

Voltaire, par l’intermédiaire de la maréchale, se moque du premier degré de l’attribut masculin : « Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! »

Sous la plume de Voltaire, la maréchale ironise en effet comme le souligne l’antiphrase « plaisante raison » .

Elle tourne en ridicule ce vers, par l’interjection « quoi ! » et la description triviale et péjorative du physique masculin : « le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près ».

Sur un ton humoristique, elle montre l’absurdité qu’il y a d’instaurer une sujétion de la femme à l’homme pour un motif aussi prosaïque.

Avec ironie, elle prétend accepter la supériorité physique des hommes, par un comparatif de supériorité (plus forts que) : « je sais bien qu’en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres».

Mais cette concession permet de mieux saper les fondements d’une telle opinion : « J’ai peur que ce ne soit là l’origine de leur supériorité. » . Autrement dit, la supériorité masculine ne repose que sur la force physique et n’est donc pas légitime.

IV – La nécessaire refondation de l’éducation féminine

De « Ils prétendent avoir aussi » à « oser suivre ce modèle »

La maréchale dénonce un autre lieu commun qui sert d’argument fallacieux pour justifier la soumission de la femme : la « tête mieux organisée » des hommes leur permettrait d’accéder à des fonctions politiques et d’êtres d’habiles gouverneurs.

Le choix des verbes introducteurs suggère d’emblée que ces arguments sont le fruit de l’orgueil masculin : « Ils prétendent« , « Il se vantent » .

Puis, la force de caractère de la maréchale éclate dans l’usage du pronom de la première personne (je) et le futur à valeur de certitude : « je leur montrerai des reines qui valent bien des rois ».

Elle convoque l’exemple de Catherine II à l’appui de sa démonstration, servant ainsi d’argument d’autorité pour apporter du crédit à sa thèse.

Par le présent à valeur d’habitude, elle énumère les actions menées par la princesse allemande : son réveil matinal, son objectif (« travailler à rendre ses sujets heureux »), sa capacité à gouverner (« dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres »), son ouverture artistique.

L’amplitude de la phrase, avec trois propositions relatives successives, et la triple répétition du déterminant « toutes » restituent la grandeur et le rayonnement des actions de la princesse : « qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de lumières » .

Avec la dernière proposition subordonnée « qui répand autant de bienfaits qu’elle a de lumières », Voltaire loue l’intelligence et la raison d’une princesse accomplie.

Le portrait mélioratif se conclut sur la phrase, « son courage égale ses connaissances », qui met en valeur deux qualités traditionnellement attribuées aux hommes (le courage et le savoir).

En regard de ce portrait mélioratif, la maréchale dénonce l’attitude des hommes, en France, qui laissent les femmes dans un couvent, élevées « par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre ».

La structure en chiasme (apprennent/ignorer/ignorer/apprendre) restitue l’enfermement intellectuel dans lesquelles sont tenues les jeunes filles.

Le vocabulaire cru (« imbéciles » ) renforce l’indignation de la maréchale.

Son combat se situe donc sur l’éducation de la femme : elle s’érige contre ceux qui la maintiennent dans l’obscurantisme.

Dans sa dernière réplique, la maréchale de Grancey se positionne non plus seulement en épouse, mais se projette en femme de pouvoir, comme en témoigne la phrase : « Pour moi, si j’avais un État à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle ».

Le présent de l’indicatif (« je me sens capable » ) à la place du conditionnel attendu (je me sentirais capable) suggère que les femmes sont prêtes à endosser un rôle politique immédiatement.

Femmes, soyez soumises à vos maris, Voltaire, conclusion

Ce texte écrit au XVIIIè siècle est un véritable coup d’éclat.

Voltaire s’empare de la condition féminine. Il dénonce le fait qu’elle soit déterminée par l’éducation religieuse, par le mariage et par des stéréotypes.

L’abbé, représentant de la tradition et du sexe masculin, prend peu la parole. Seule la maréchale condamne avec virulence les propos de Saint Paul qui enjoignent à la soumission de la femme à son mari.

Voltaire a recours à l’argumentation indirecte, aux registres polémique et ironique, au rythme soutenu, au noble exemple d’une princesse afin de réduire à néant l’idée qu’une subordination de la femme à l’homme soit possible.

Ce texte s’achèvera sur la victoire de la maréchale qui qualifiera Saint Paul d’hérétique.

Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791, Olympe de Gouges défendra également la condition de la femme en soulignant que sa soumission à l’homme est contre-nature.

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Amélie Vioux

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un commentaire

  • Bonjour, merci beaucoup pour cette analyse. Juste une petite précision historique, Catherine II était bien née allemande, mais elle était impératrice de Russie, à l’époque où Voltaire écrivit le texte. bonnes révisions à tous !

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