Condition de la femme en France, Etienne de Neufville : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire du chapitre IX de Physiologie de la femme d’Etienne de Neufville, publié en 1842.

L’extrait étudié s’intitule « Condition de la femme en France » .

Condition de la femme en France, Neufville, introduction

Cinquante ans après la rédaction par Olympe de Gouges de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), la lutte pour l’émancipation des femmes n’est pas acquise.

Parues entre 1840 et 1842, ces neuf études de mœurs, appelées physiologie de la femme, ont été écrites par Etienne de Neufville, de son vrai nom Eugène Villemin (1815-1869).

Dans ce recueil, l’auteur assume un ton humoristique : il se joue des préjugés sur les femmes pour mieux les renverser et ainsi participer à la lutte pour leur émancipation.

Problématique

En quoi l’ironie de ce texte argumentatif est-elle un ressort puissant pour dénoncer la condition des femmes ?

Extrait étudié

Condition de la femme en France

EN fait de liberté, les Françaises n’ont pas leurs pareilles.

Jeunes filles, elles sont parfaitement libres d’aller se cloîtrer dans le pensionnat d’un couvent, jusqu’à leur dix-huitième printemps.

Libres d’aller à la messe et à la promenade escortées de leur femme de chambre, qui ne les quitte pas plus que leur ombre.

Et enfin un beau jour, libres d’épouser le premier magot titré ou doré, auquel leurs père et mère trouveront très-raisonnable de les accoupler.

Après leur doux hyménée, elles sont, plus que jamais, libres de suivre un mari maussade, quelquefois même brutal, en Cochinchine, si bon lui semble.

Libres de lui apporter en sus de leur personne une dot assez rondelette, dont elles seront libres également de ne disposer d’aucune sorte, dans le cas même où leur mari ne leur eût apporté que des dettes en échange.

Libres, quand elles ont l’effronterie de se soustraire à ce joug plein de charmes, de suivre deux gendarmes qui s’empressent de leur tenir compagnie jusqu’au domicile dit conjugal, où elles retrouvent leurs charmants époux.

En un mot, les Françaises ont une liberté tellement exorbitante, que c’en est effrayant !

Etienne de Neufville, Physiologie de la femme, chapitre IX (1842)

Plan linéaire

Dans un premier temps, du début du texte à « de les accoupler », nous verrons que Neufville dénonce la dépendance religieuse et éducative des femmes.

Dans un second temps, de « après leur doux hyménée » jusqu’à la fin de l’extrait, nous montrerons que l’auteur critique la dépendance financière et conjugale consacrée par le mariage.

I – Une dépendance religieuse et éducative

Du début à « de les accoupler »

Le texte étudié s’ouvre sur l’énoncé clair de la thèse : « En fait de liberté, les Françaises n’ont pas leurs pareilles ».

D’emblée, le lecteur s’attend donc à lire un développement sur les conditions d’expression de la liberté des Françaises.

Or, il n’en est rien.

L’auteur renverse la situation avec ironie puisqu’il utilise tout au long du texte la figure de style de l’antiphrase, qui consiste à utiliser un mot pour suggérer par ironie son contraire.

Le lecteur comprend donc rapidement que Neufville souligne au contraire l’absence de liberté des Françaises.

D’ailleurs, il procède sous la forme d’une litanie où le mot « libres » est scandé si régulièrement, qu’il finit par être vidé de son sens.

Chaque assertion de ce chapitre est donc à lire comme une antiphrase.

La première assertion concerne l’éducation religieuse des jeunes filles qui s’effectue au couvent jusqu’aux 18 ans.

Neufville condamne cet enfermement, souligné par le champ lexical correspondant (« se cloîtrer », « pensionnat », « couvent »).

Les termes relatifs à la jeunesse (« jeunes filles », « dix-huitième printemps », où le terme « printemps » met l’accent sur la vitalité des jeunes filles), souligne par contraste l’absurdité de cet enfermement mortifère à un si jeune âge : « aller se cloîtrer dans le pensionnat d’un couvent ».

Ensuite, l’obligation de piété est elle aussi dénoncée : l’expression « libres d’aller à la messe » sous-entend l’emprise patriarcale qui oblige les femmes à pratiquer la foi.

De plus, l’ironie se lit dans le fait qu’elles ne sont à aucun moment libres de se déplacer. En effet, la femme de chambre est assimilée à un geôlier par la proposition relative « qui ne les quitte pas plus que leur ombre ». La négation totale (« ne…pas ») souligne l’absence de liberté réelle.

La conclusion de cette vie de liberté semble être le mariage, qualifié ironiquement de « beau jour ».

Plusieurs éléments sont moqués : le statut du mari, qualifié péjorativement de « premier magot titré ou doré ». Sa fortune (« doré ») ou son rang titré ») priment donc sur le sentiment amoureux.

D’ailleurs, le mari ne résulte pas du choix de la femme mais de ses parents qui « trouveront très-raisonnable de les accoupler. » La liberté d’expression et le libre consentement sont donc niés.

La crudité du terme « accoupler » qui désigne normalement la reproduction des animaux, suggère la violence et la brutalité de ce choix pour la femme.

II – Une dépendance financière et conjugale

De « Après leur doux hyménée » à la fin

Compte tenu de ce qui précède, le lecteur perçoit l’ironie dans les expressions « doux hyménée » ou « si bon lui semble ».

L’auteur dénonce la dépendance de l’épouse vis-à-vis de son mari puisque son devoir conjugal lui impose de le suivre, jusque dans des contrées exotiques (« en Cochinchine »).

Cette pointe d’humour complète le tableau peu flatteur du mari, auquel sont apposées les épithètes de « maussade » et « brutal ».

En outre, l’auteur s’érige contre la dépendance financière souvent injuste de la femme à son mari. En effet, l’injustice résulte du décalage entre la « dot assez rondelette » apportée par les femmes et les « dettes » que peuvent apporter leurs maris, antithèse qui souligne le déséquilibre dans le couple, au détriment de la femme.

La liberté de la femme est niée, car à aucun moment celle-ci ne peut disposer de son propre bien comme le montre la proposition relative : « dont elles seront libres également de ne disposer d’aucune sorte ». Ici, l’idée de liberté est immédiatement contredite par la négation qui entoure le verbe disposer « de ne disposer d’aucune sorte ». Le terme liberté est donc, encore une fois, vidé de son sens.

L’ironie se poursuit au paragraphe suivant dans l’expression « quand elles ont l’effronterie » qui montre que la réaction légitime des femmes face à l’injustice de leur situation est perçue comme une impudence choquante par la société (une effronterie).

L’oxymore « ce joug plein de charmes » confirme la position d’Etienne de Neufville : la condition des femmes est assimilée à un joug, c’est à dire à un asservissement total. L’adjectif « libres » ne peut donc, là encore, pas être pris au premier degré.

En effet, si la femme tente d’échapper à son sort, son intimité est bafouée par « deux gendarmes qui s’empressent de leur tenir compagnie jusqu’au domicile dit conjugal ». De façon implicite, l’auteur fait allusion à l’obligation de procréer qui réduit la femme à n’être qu’un objet utile pour une descendance.

La proposition relative « qui s’empressent de leur tenir compagnie » qui complète l’antécédent « gendarmes » est ironique : la violence exercée par les forces de l’ordre est assimilée avec humour à un geste de galanterie (« tenir compagnie ») exécutée avec ardeur, pour plaire comme le suggère le verbe « s’empressent ».

De même, le terme « dit » dans « domicile dit conjugal » suggère que l’adjectif « conjugal » ne reflète pas la réalité vécue de la femme : il s’agit d’une étiquette juridique qui ne correspond pas au ressenti de l’intéressée.

On devine en effet que le « charmant époux » désigne, par antiphrase, un mari brutal.

La chute du texte étudié souligne l’efficacité de l’ironie : « En un mot, les Françaises ont une liberté tellement exorbitante, que c’en est effrayant ! » L’usage de l’exclamation et de l’antiphrase réduisent à néant le contenu de la phrase et le lecteur a donc bien compris l’inverse : les Françaises ont une liberté tellement insignifiante que c’en est scandaleux.

Physiologie de la femme, Etienne de Neufville, conclusion

L’ironie fonctionne dans ce texte comme un levier puissant pour tourner en dérision la dépendance des femmes.

Cette dépendance dénoncée par Etienne de Neufville est de plusieurs ordres : éducative, religieuse, patriarcale, financière.

Le recours à l’ironie permet à l’auteur d’atteindre un objectif double : divertir le lecteur par le rire que suscitent les antiphrases et l’instruire en dénonçant l’injustice et l’absurdité de la condition des femmes.

Pour le lecteur d’aujourd’hui, cet apologue résonne de façon avant-gardiste dans le cadre de la lutte pour l’émancipation des femmes.

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Amélie Vioux

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