Rêvé pour l’hiver, Rimbaud : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire pour l’oral de français du poème « Rêvé pour l’hiver » issu des Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud.

Rêvé pour l’hiver, introduction

« Rêvé pour l’hiver« , publié pour la première fois en 1891, l’année même de la mort de Rimbaud (1854-1891), a été rédigé lors d’une de ses fugues d’adolescent vers la Belgique, en octobre 1870.

Arthur Rimbaud n’a alors que 16 ans, et beaucoup de ses poèmes de jeunesse, regroupés dans Cahiers de Douai font part des premiers émois amoureux du jeune homme, avec une certaine légèreté, une pointe d’ironie et d’autodérision.

Ce poème joue sur un rappel de la forme du sonnet, avec ses deux quatrains suivis de deux tercets et son schéma de rimes (abab, cdcd, eef, ggf).

Mais il instaure une variation originale de vers de longueurs et de factures différentes : des alexandrins classiques alternent avec des hexasyllabes ou des octosyllabes.

Cette alternance de vers longs et courts peut rappeler l’élégie latine, souvent consacrée à l’expression amoureuse et érotique dans l’Antiquité romaine – Rimbaud était fin latiniste.

Dédié à une femme peut-être imaginaire (« A ***Elle »), ce poème « rêve » d’un voyage amoureux à la fois plein de douceur, de réconfort et d’espièglerie.

Poème étudié

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras :  » Cherche !  » en inclinant la tête,
– Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
– Qui voyage beaucoup…

En wagon, le 7 octobre 1870

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai

Problématique

Comment s’expriment, dans cette forme poétique originale, le désir d’amour, de liberté et de réconfort de Rimbaud ?

Annonce du plan linéaire

Nous étudierons tout d’abord, dans les quatrains (v. 1 à 8), la naissance d’un rêve de confort, d’intimité et de chaleur en lien avec l’imaginaire du voyage en train.

Nous verrons ensuite, dans les deux tercets (v. 9 à 14) avec quelle espièglerie le jeune poète met en vers sa stratégie de séduction et le récit de ses jeux amoureux.

I – Un rêve de confort et d’intimité (v. 1 à 8)

A – Premier quatrain : un intérieur propice à l’idylle amoureuse (v. 1 à 4)

C’est un « rêve » de douceur, de réconfort et de liberté qui naît dans la pensée du jeune homme.

Le titre, avec son participe passé (« rêvé ») et son complément de but (« pour l’hiver »), évoque l’imagination d’un projet, l’expression d’une volonté relative à cette saison particulière.

Le futur omniprésent (« nous irons », v. 1 ; « nous serons », v. 3 ; « tu fermeras », v. 4…) témoigne du caractère encore non réalisé de ces intentions.

La première image de ce voyage idéal est celle du réconfort apporté par l’étroitesse du compartiment du wagon : « dans un petit wagon rose » (v. 1).

La couleur est chaleureuse, féminine, et compose, avec le bleu des coussins (v. 2), un intérieur un peu naïf et enfantin, plein de douceur.

Les rimes croisées soulignent cette sensation apportée par les couleurs : « rose » rime avec « repose » (v. 1 et 3), « bleus » avec « moelleux » (v. 2 et 4).

La métaphore du « nid » (v. 3), l’expression « nous serons bien » (v. 3), l’aspect « moelleux » de « chaque coin » (v. 4) confirment cette impression de confort et d’intimité chaleureuse.

La thématique amoureuse et sensuelle ne se fait pas attendre : la métaphore du « nid de baisers fous » (v. 3) laisse imaginer la passion des ébats amoureux qui peuvent avoir lieu en « chaque coin » de ce compartiment.

On observe enfin que, comme pour évoquer les cahotements du train ou pour donner une touche d’espièglerie et d’ironie au poème, ce quatrain instaure un jeu rythmique qui oscille entre déséquilibre et rétablissement de l’équilibre. Ainsi, le vers 1, avec un enjambement interne – la préposition « dans » amenant son complément sans tenir compte de la césure 6/6 – tend vers un rythme 5/7, mais l’hexamètre du vers 2 rétablit le rythme de six syllabes. Le vers 3 peut constituer un alexandrin de facture romantique, avec sa coupe 4/8, tandis que l’hexamètre du vers 4 rétablit à nouveau le rythme des six syllabes.

B – Second quatrain : les chimères de la nuit au-dehors (v. 5-8)

Du pronom « nous », désignant le couple, nous passons à un « tu » (v. 5) qui fait soudain apparaître le visage de la jeune femme (« tu fermeras l’œil », v. 5).

Telle que l’imagine Rimbaud, cette jeune femme est impressionnable, enfantine : elle a peur du noir.

L’alexandrin est à nouveau déséquilibré et tend vers un rythme 5/4/3, comme s’il était haletant : « Tu fermeras l’oeil, / pour ne point voir, / par la glace » .

L’obscurité extérieure est mise en valeur par le jeu des rimes dans l’ensemble du quatrain : la répétition de l’adjectif « noirs » à l’hémistiche et à la rime du vers 8, s’associe à la rime du vers 6 (« soirs »), tout en faisant écho au verbe « voir » du vers 5.

Quant au danger, fictif et chimérique, il reste au-dehors : « pour ne point voir, par la glace / Grimacer les ombres du soir » (v. 5-6).

Le rythme des vers se stabilise avec l’octosyllabe du vers 6, puis l’alexandrin romantique (8/4) du vers 7 et l’octosyllabe final (v. 8) : les monstres imaginés ne sont que vaines et inoffensives chimères.

C’est donc par jeu que le jeune homme imagine tout ce peuple de figures dignes des contes de fées ou des gargouilles : « monstruosités hargneuses », « populace / De démons noirs et de loups noirs » (v. 7-8).

Ces chimères sont caractérisées par leur aspect grimaçant (« grimacer », « hargneuses »), et leur nombre, avec l’usage du pluriel et du terme « populace ». L‘allitération en « s » évoque les susurrement inquiétant : « Grimacer les ombres des soirs, / Ces monstruosités hargneuses, populaces /« 

Mais la répétition de l’adjectif « noirs » dans le vers 8 semble trahir un jeu et un certain amusement.

Car ces monstres évoqués par le poète pour effrayer la jeune femme ont-ils d’autres buts que de lui faire fermer les yeux pour préparer les jeux amoureux ?

II – Jeux amoureux (v. 9 à 14)

A – Premier tercet : les avances du poète (v. 9 à 11)

La belle ayant fermé les yeux, les taquineries et surprises amoureuses peuvent commencer.

Le poète, sans décrire ses propres gestes, imagine la sensation physique de la jeune femme sous ses baisers : « Puis tu te sentiras la joue égratignée… » (v. 9).

Le premier contact semble un peu brusque, comme le signale le participe « égratignée », qui trahit la fougue et le désir du jeune homme.

La suite est plus légère et joueuse comme le montrent l’adjectif « petit » qualifiant « baiser » (v. 10) et la comparaison à la « folle araignée » (v. 10), légère, qui « courra par le cou… » (v. 11).

L’adjectif « folle » rappelle les « baisers fous » du vers 3 et signale l’espièglerie du poète qui chatouille sa belle par ses baisers. L’image de l’araignée, par la fausse frayeur qu’elle procure, prolonge celle des monstres imaginés à la vitre.

Les points de suspension des vers 9 et 11 suspend le discours pour laisser imaginer les gestes.

B – Second tercet : La complicité de la belle (v. 12 à 14)

Le poète imagine la réaction complice de la jeune femme : « Et tu me diras : « Cherche » » (v. 12).

La belle l’autorise ainsi à chercher cette fictive araignée, et donc à poursuivre ses baisers.

Le gérondif « en inclinant la tête » (v. 12) laisse supposer que la jeune femme lui tend même le cou.

L’espièglerie et le désir sensuel des jeunes gens se lisent encore dans la petite phrase mise entre tirets : « Et nous prendrons du temps à trouver cette bête » (v. 13) qui n’existe pas, mais qui sert de prétexte aux ébats amoureux.

Le retour au pronom « nous », qui avait disparu dans les strophes 2 et 3, évoque la réunion et l’harmonie des amants dans ce jeu.

La dernière précision, chute du poème, met un comble à l’espièglerie et à la sensualité, puisque « cette bête » « voyage beaucoup… » : les baisers se répandront donc sur le corps de l’aimée.

Par cette image, et en terminant sur la précision « En wagon », Rimbaud donne à son poème une structure circulaire, retrouvant ici le thème du voyage par métaphore, avec ironie et amusement.

Rêvé pour l’hiver, conclusion

« Rêvé pour l’hiver », poème espiègle et joueur, fait donc état d’un rêve de jeune homme écrit au futur, mêlant amour, liberté, voyage et réconfort.

Il se situe entre jeu poétique et sensuel et tendresse.

Le thème du voyage y est doublement exploité, au sens propre, certes, mais aussi au sens figuré avec une connotation érotique. Il donne également une structure circulaire au poème, de même que le jeu des pronoms, qui s’ouvre avec « nous », passe à « tu » et reviens au pluriel « nous ».

Maniant légèreté de la forme – avec ses jeux rythmiques inattendus, l’irrégularité de ses vers et son alternance de vers longs et brefs –, et légèreté du fond – avec ses amours légères, joueuses et complices –, ce poème garde très probablement le souvenir de l’élégie érotique romaine.

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Amélie Vioux

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