La Maline, Rimbaud : lecture linéaire

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Voici une analyse ligne par ligne du poème « La Maline » issu des Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud.

La Maline, Rimbaud, introduction

Le recueil Cahiers de Douai, paru pour la première fois après la mort d’Arthur Rimbaud, est composé des poèmes d’adolescence du jeune prodige, rédigés en 1870, lorsqu’il avait 16 ans.

Le jeune poète y montre à la fois son admiration pour la littérature classique, sa volonté d’imitation et de maîtrise de formes poétiques telles que le sonnet, mais aussi son goût pour l’expérimentation formelle, le rejet des conventions, la satire, l’ironie et même l’autodérision.

Le sonnet intitulé « La Maline », composé en 1870, présente, comme d’autres poèmes (« Première soirée » par exemple), les rencontres et premiers émois amoureux et sensuels du poète, dans sa ville natale de Charleroi.

La scène se passe presque sans mots dans une salle à manger, entre l’adolescent de 16 ans et une jeune servante.

Poème étudié

Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise.

En mangeant, j’écoutais l’horloge, – heureux et coi.
La cuisine s’ouvrit avec une bouffée,
– Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser ;
– Puis, comme ça, – bien sûr, pour avoir un baiser, –
Tout bas :  « Sens donc, j’ai pris ‘une’ froid sur la joue… » 

« La maline », Cahiers de Douai, Arthur Rimbaud

Problématique

Quelle image Rimbaud donne-t-il, en quatorze vers, du jeu de séduction qui se déroule entre les deux adolescents ?

Annonce du plan linéaire

Nous verrons tout d’abord que les deux quatrains font chacun le portrait de l’un des protagonistes de cette scène de séduction : l’un (« je ») dans toute sa rudesse désinvolte ; l’autre, la « maline », à la fois naïve et rusée.

Nous verrons ensuite comment opère la séduction, à partir d’un gros plan sur la joue de la jeune femme, jusqu’à la chute finale.

I- Deux jeunes gens du peuple

A – Premier quatrain : un dîneur solitaire et désinvolte (v. 1 à 4)

Le premier vers, comme pour donner le ton ironique et léger du poème, rompt d’emblée avec les conventions poétiques : la césure classique devrait en effet passer après le verbe « manger » (à la sixième syllabe), mais l’adjectif « brune » est rejeté dans l’hémistiche suivant. Ce rejet interne donne à l’oreille une impression d’étrangeté rythmique, brisant le rythme classique de l’alexandrin (6/6) pour un rythme bancal 7/4.

Le déséquilibre du vers se poursuit avec un enjambement du vers 1 sur le vers 2 où il faut aller chercher le sujet du verbe « parfumait » (v. 1).

Cet inconfort rythmique contraste cependant avec l’aspect accueillant et chaleureux de l’intérieur décrit.

Si la pièce est sombre et intime (« brune », v. 1), elle est aussi odorante (« que parfumait », v. 1 ; « une odeur », v. 2) de senteurs qui évoquent à la fois le vieux bois des meubles (« vernis ») et la douceur sucrée des « fruits » (v. 3).

Le verbe « parfumait » (v. 1) rime par ailleurs, dans un schéma de rimes croisées, avec « met » (v. 3), évoquant les saveurs du dîner.

Dans cette atmosphère chaleureuse, où les sens sont d’emblée sollicités, prend place une première personne un peu rude et sans gêne.

Le langage familier qui accompagne la première personne contraste avec la versification, et signale une certaine désinvolture : « à mon aise » (v. 2), « je ramassais un plat » (v. 3).

L’adolescent se sert sans autorisation – ; « je ne sais quel met » (v. 3) – il semble ne pas prêter grand intérêt à ce qu’il mange.

Le rejet au vers 4 de l’adjectif « belge », qui qualifie « met » et déséquilibre l’alexandrin classique du vers 3, illustre encore cette désinvolture.

Le verbe « je m’épatais » (v. 3) – au sens de « s’élargir », « prendre toute la place » – clôt le tableau de cet adolescent qui dévore seul, à même le plat, un « met » dont il ignore le nom, dans une « immense chaise » (v. 4) qui rime avec « aise » (v. 2).

B – Deuxième quatrain : entrée en scène de la « maline » (v. 5 à 8)

Le premier vers de ce second quatrain ajoute une indication sonore : « En mangeant, j’écoutais l’horloge » (v. 5), avec un nouveau rejet du complément d’objet de « j’écoutais » (premier hémistiche) dans le second hémistiche (« l’horloge »).

Le déséquilibre de l’alexandrin est dû à ce rejet interne et au rythme 3/3/2/4 qu’il provoque.

Dans ce silence marqué uniquement par les battements du balancier, le mangeur se dit « heureux et coi » (v. 5), dans la simple satisfaction de son appétit.

Les trois alexandrins suivants jouent en revanche à rétablir un rythme parfaitement classique (6/6).

Le passé simple (« s’ouvrit », v. 6 ; « vint », v. 7) fait irruption au milieu des imparfaits pour marquer l’arrivée soudaine de la servante.

C’est une nouvelle vague odorante qui marque tout d’abord son arrivée : « La cuisine s’ouvrit avec une bouffée » (v. 6).

Le tiret du vers 6 marque un temps de surprise et d’interruption de la part du dîneur, qui relève la tête à l’entrée de la servante : « Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi » (v. 7).

Étonné de cette entrée subite, il l’est aussi de la mise de la jeune femme : « Fichu moitié défait, malinement coiffée » (v. 8).

Cet accoutrement la rend suspecte : a-t-elle défait son fichu volontairement, dans un but de séduction ?

L’adverbe « malinement », qui fait écho au titre du poème, semble le confirmer, puisque, « maline », la jeune femme se trouve liée au « mal » et à la ruse.

La coiffure semble donc également arrangée pour séduire.

L’adolescent, lui, veut montrer une certaine innocence : « je ne sais pas pourquoi » (v. 7).

II – Séduction adolescente et naïve

A – Premier tercet : sensualité du visage (v. 9-11)

Commence alors entre les deux jeunes gens un jeu de séduction dont la servante a l’initiative.

Elle attire tout d’abord l’œil du jeune homme sur son visage par le geste de ce « petit doigt tremblant » (v. 9) qui semble témoigner d’une certaine nervosité, ou jouer la fragilité.

« Tremblant » rime, avec une rime riche, avec « blanc » au vers suivant, qui donne une indication sur la fraîcheur de la peau.

Le rejet du complément de lieu « sur sa joue » (v. 10) montre l’attention du poète soudain fixée sur cette peau d’« un velours de pêche rose et blanc » (v. 10).

Cette métaphore sensuelle réunit trois des cinq sens : le toucher, avec l’idée de la douceur du velours ; la vue, avec le galbe de la joue, sa rondeur, ses couleurs fraîches comme le fruit ; le goût, avec l’idée du sucre du fruit.

Cette image exprime donc implicitement le désir physique qui naît dans le cœur du jeune homme.

De la joue, on passe ensuite à la « lèvre enfantine » (v. 11). La césure n’étant pas respectée après la sixième syllabe, l’adjectif « enfantine » est mis en valeur.

La lèvre annonce la « moue » (v. 11) et témoigne du jeu de séduction de la jeune femme, qui compose son visage pour séduire mais cherche en même temps à paraître innocente.

B – Second tercet : rapprochement physique, ruse et naïveté finales (v. 12-14)

Le rapprochement physique se fait finalement dans le second tercet.

Tout en ayant l’air de s’affairer à sa tâche (« elle arrangeait les plats », v. 12), la servante s’approche du jeune homme (« près de moi », v. 12), avec pour prétexte de mettre à l’aise son invité : « pour m’aiser » (v. 12).

La chute du poème, constituée par la petite phrase qu’elle lui chuchote à l’oreille au vers 14 (« tout bas »), est préparée dès le vers 13. Ainsi, l’expression « comme ça » (v. 13) indique l’apparente innocence et le détachement avec lesquels cette phrase est prononcée.

Mais les tirets qui suivent montrent que le jeune poète n’est pas dupe de cette feinte innocence. Il la décode en effet pour son lecteur : « bien sûr, pour avoir un baiser » (v. 13).

Le « baiser » rime d’ailleurs avec « m’aiser » (v. 12), ce qui sans doute indique que le jeune homme n’est pas incommodé par cette tentative de séduction.

Avec un sourire final, le poète dévoile enfin cette phrase à la fois séductrice, rusée et pleine d’une maladresse naïve et linguistique : « Sens donc : j’ai pris une froid sur la joue » (v. 14).

L’impératif « sens donc » indique le rapprochement physique : la jeune fille se met à portée de baiser, penchée vers le jeune homme.

Mais la surprise finale est surtout causée d’une part par la naïveté du prétexte – avoir pris froid sur la joue – et par l’expression elle-même : « une froid », au féminin, qui sans doute signale un parler spécifiquement nordique et populaire, et donne un aspect particulièrement naïf à la jeune fille.

La Maline, Rimbaud, conclusion

Jouant sur la forme classique du sonnet et le rythme de l’alexandrin, qui se trouvent tantôt respectés tantôt malmenés, ce poème se situe entre harmonie et ironie, équilibres et déséquilibres, confort et tension.

Rimbaud y met en scène un jeu de séduction à la fois charmant et ridicule, frais et niais, naïf mais sans finesse entre les deux adolescents.

Ce jeu de séduction est cependant plein de sensualité, le poème faisant constamment appel aux sens. L’environnement de la salle à manger, obscure et odorante, prépare la rencontre dès les premiers vers.

Enfin, la satire touche autant la jeune femme, ses stratégies et ses ruses, son parler naïf et populaire, que cet adolescent qui dit « je », autoportrait du poète, ses manières désinvoltes, sa fausse innocence.

C’est cependant sur la surprise créée par le parler populaire de la jeune servante que se referment le sonnet et l’amusement implicite du jeune homme.

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Amélie Vioux

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