Le Châtiment de Tartufe, Rimbaud : analyse

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Voici une lecture linéaire pour l’oral du bac de français du poème « Le Châtiment de Tartufe » issu des Cahiers de Douai (ou Recueil Demeny) d’Arthur Rimbaud.

Le châtiment de Tartufe, Rimbaud, introduction

Le recueil Cahiers de Douai regroupe des œuvres de la fin de l’adolescence d’Arthur Rimbaud.

S’y expriment à la fois l’admiration pour la littérature classique, l’imitation des maîtres (notamment ceux du mouvement nommé « Parnasse »), la recherche de la perfection formelle, mais aussi une verve satirique, un refus des conventions et une révolte qui sont propres au jeune Arthur Rimbaud. (Voir la fiche de lecture pour le bac de Cahiers de Douai)

Dans « Le Châtiment de Tartufe », poème daté de 1870, on reconnaît bien sûr la référence au personnage de Molière (Tartuffe ou l’imposteur, 1669).

On voit avec quelle maîtrise le jeune Rimbaud manie le sonnet en alexandrins, forme poétique en usage depuis la Renaissance, mais aussi quelles libertés il prend avec elle.

Enfin, on lit aussi son anticléricalisme radical et son goût pour l’ironie et la caricature virulente.

Poème étudié

Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous
Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée,
Un jour qu’il s’en allait, effroyablement doux,
Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée,

Un jour qu’il s’en allait,  » Oremus « , – un Méchant
Le prit rudement par son oreille benoîte
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite !

Châtiment !… Ses habits étaient déboutonnés,
Et le long chapelet des péchés pardonnés
S’égrenant dans son coeur, Saint Tartufe était pâle !…

Donc, il se confessait, priait, avec un râle !
L’homme se contenta d’emporter ses rabats…
– Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas !

« Le châtiment de Tartufe », Cahiers de Douai, Rimbaud

Problématique

Comment Rimbaud exploite-t-il le personnage de Molière – deux cents ans après la création de la comédie – pour renchérir dans la dénonciation de l’hypocrisie cléricale ?

Annonce du plan linéaire

Nous étudierons tout d’abord, dans les deux premiers quatrains, le portrait de l’hypocrite démasqué (v. 1 à 8).

Nous verrons ensuite dans les deux tercets (v. 9 à 14) quel « châtiment » lui est réservé, la nudité physique devenant métaphore de la confession et de l’aveu.

I – L’hypocrite démasqué (v. 1 à 8)

A – Premier quatrain : Portrait d’un personnage répugnant d’hypocrisie (v. 1 à 4)

Le premier quatrain dresse un portrait grinçant et peu franc du personnage, tout en jouant sur les codes de la versification classique.

Le thème de la passion ardente apparaît le premier (v. 1), avec la métaphore du feu, portée par le participe présent « tisonnant ».

La répétition de ce participe en tête de vers donne au personnage un aspect torturé, comme ressassant toujours cet amour caché (« son cœur amoureux »), cherchant à l’aviver. Le lecteur se souvient du désir inavouable du Tartuffe de Molière pour Elmire.

Le rejet inattendu du complément « sa chaste robe noire » (v. 2), ainsi séparé de la préposition « sous » (v. 1) qui l’introduit, met bien vite en scène le paradoxe du personnage : cette passion est secrète, cachée « sous » une « robe noire » qui indique pourtant la « chasteté » et l’austérité du prêtre.

La couleur noire est métaphorique du secret et du masque, tout comme l’image de la « main gantée » (v. 2) : c’est une main qui ne dévoile pas son identité.

Le personnage, « heureux » (v. 2), trouve donc son bonheur dans cet état de tension et d’opposition entre l’aspect extérieur – chasteté – et l’intériorité – passion dévorante.

La deuxième moitié du quatrain, au lieu de donner la proposition principale, avance une subordonnée : « Un jour qu’il s’en allait » (v. 3), reprise au début du second quatrain (v. 5).

Tout en amorçant un récit, avec une situation initiale à l’imparfait (« il s’en allait »), le poète s’amuse à retarder l’action principale et ainsi à ménager le suspense.

Aux vers 3 et 4, on n’en sait pas plus sur la destination de ce Tartufe, ni sur ce qui va lui arriver, puisqu’une succession de qualifications viennent retarder l’action.

Ces qualifications accentuent le paradoxe du personnage, qui en devient inquiétant et répugnant.

Ainsi, l’expression « effroyablement doux » (v. 3) relève de l’oxymore, alliant paradoxalement l’effroi à une douceur qui paraît alors excessive et douteuse.

La couleur de son teint, « jaune », lui donne un aspect malsain, de même que « sa bouche édentée » (v. 4).

Quant à l’expression « bavant la foi » (v. 4), elle semble à la fois concrète – le manque de dents le fait baver quand il parle et prêche –, et métaphorique : sa manière d’enseigner la foi paraît pleine d’hypocrisie doucereuse et visqueuse.

B – Deuxième quatrain : Tartufe mis à nu (v. 5 à 8)

Au début du second quatrain, le poète n’a toujours pas posé la proposition principale. Il reprend son récit en répétant au vers 5 la subordonnée du vers 3, qu’il augmente d’un « Oremus » ( « prions » en latin).

Comme pour caricaturer cette foi « baveuse », il y a enjambement et comme débordement du premier quatrain sur le second. Arthur Rimbaud instaure ainsi dans la versification même un jeu de tensions.

Le jeu de tensions s’accentue avec le tiret qui sectionne le deuxième hémistiche en son milieu, rompt la phrase commencée (rupture de construction), brise la béatitude tranquille du prêtre hypocrite.

Ce tiret introduit un nouveau personnage, sujet inattendu de la proposition principale : « un Méchant », mis en valeur en fin de vers, car séparé de son verbe qui est rejeté au vers 6 : « Le prit rudement ».

Ce « Méchant », qui fait irruption dans le poème, est caractérisé par la violence de ses gestes et de ses paroles, comme le montrent l’adverbe « rudement » (v. 6), le verbe « lui jeta » au passé simple, les « mots affreux », le participe « en arrachant » (v. 7) – qui rime avec « Méchant » (v. 5) – et la tonalité exclamative de la phrase (v. 8).

Ce nouveau personnage contraste avec l’apparente béatitude de Tartufe et sa douceur, symbolisées ironiquement par son « oreille benoîte » (v. 6).

Or l’agresseur le prend par l’oreille comme on faisait autrefois d’un enfant qui aurait menti et aurait été pris sur le fait : en « arrachant / Sa chaste robe noire » (v. 7-8), il démasque l’imposteur, et montre la « peau moite » de l’hypocrite.

Cette moiteur est une métaphore de la passion qu’il cache sous l’allure de la chasteté.

Ce « Méchant » semble donc désigné ainsi par ironie, et du point de vue de Tartufe : en réalité, il représente l’homme lucide et franc, celui qui dénonce l’hypocrisie.

II – Le châtiment de l’hypocrite

Les deux tercets, comme il est de règle dans le sonnet, contrastent avec les quatrains, en présentant la déchéance du personnage.

Nudité physique et mise à nu psychologique vont de pair et se construisent en chiasme sur les deux tercets.

A – Premier tercet : de la nudité physique à la mise à nu de la confession

L’exclamation « Châtiment !… » (v. 9) résonne comme un cri de victoire et de vengeance de la part du poète.

C’est une réjouissance de dresser le portrait de l’hypocrite dans sa déchéance, alors qu’il ne peut plus tromper personne : sa demie nudité (« Ses habits étaient déboutonnés », v. 9) lui donne un piteux aspect.

Or ce vêtement ouvert, symbole de la mise à nu psychologique, laisse entrevoir le « long chapelet des péchés pardonnés », métaphore de toutes les fautes commises par Tartufe.

La participiale « s’égrenant dans son cœur » (v. 11) confirme la métaphore : le vêtement ouvert donne accès à l’intériorité du personnage.

Sa défaite et son abattement sont signalés par sa pâleur (« était pâle », v. 9), tandis que le narrateur, exultant, le nomme « Saint Tartufe » (v. 9) par ironie et antiphrase, selon une intonation exclamative.

B – Second tercet : de la confession à la pitoyable nudité physique

L’adjectif « pâle », à la rime au vers 9, appelle la rime du vers 10 (« râle »), liant ensemble les deux tercets. 

Ce « râle » est l’agonie de l’hypocrite.

Sa confession et sa prière (v. 1), qui demandent le pardon, sont peut-être les seuls moments de sincérité – douloureuse – du personnage.

Le vers 12 en revient au « Méchant », dénommé ici simplement par « l’homme » : on sort du point de vue de Tartufe, et ce personnage reprend sa place morale réelle.

Il n’accable pas Tartufe, comme le montre le verbe « se contenta » (v. 13), mais il « emporta ses rabats » (v. 13), en le laissant à sa nudité à la fois physique et psychologique, qui sert de tableau final : « – Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas ! » (v. 14).

L’interjection « peuh ! », mimant presque le crachat, signale en revanche le profond mépris du narrateur qui toise Tartufe de la tête aux pieds dans un dernier regard de dégoût.

Le châtiment de Tartufe, Rimbaud, conclusion

Arthur Rimbaud reprend donc le personnage de Molière, dont il dresse un portrait exacerbé, répugnant et caricatural, dans une surenchère véhémente sur la critique de l’hypocrisie cléricale.

Il joue sur la contradiction entre l’apparence extérieure et l’intériorité, sur l’image du dénudement et la métaphore de la nudité psychologique.

L’inavouable passion est signifiée par la métaphore du feu et la moiteur du corps ; l’hypocrisie et le secret par l’habit noir du prêtre, l’image des gants qui cachent cette passion.

La cruauté de ce sonnet grinçant, qui se fonde autant sur les tensions créées par les rejets et enjambements, rupture de construction et rimes, que sur les images employées, tient aussi dans l’exultation du narrateur : après le portrait répugnant des quatrains, le narrateur se réjouit de la déchéance de ce Tartufe dans les deux tercets, et use partout d’ironie et d’antiphrases pour dénoncer un type de personnage qu’il hait et méprise ouvertement.

Outre la référence à Molière, on peut aussi entendre ici un écho de l’ironie de La Bruyère dans certains portraits de ses Caractères.

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Amélie Vioux

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