Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, lettre 26 : analyse

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Voici une analyse linéaire d’un extrait de la lettre XXVI de Mémoires de deux jeunes mariées (1842) d’Honoré de Balzac.

L’extrait étudié va de « Je te veux heureuse » à « En voilà bien assez pour toi.« 

Mémoires de deux jeunes mariées, lettre 26, introduction

Dans le roman épistolaire Mémoires de deux jeunes mariées, deux personnages féminins – Louise et Renée – échangent autour de l’amour et du mariage.(Voir la fiche de lecture de Mémoires de deux jeunes mariées)

Cependant, cette lettre XXVI nous donne à lire un troisième point de vue féminin : celui de Madame de Chaulieu, mère de Louise.

En effet, par un procédé classique du roman par lettres, Louise, à la veille de ses noces avec Felipe de Macumer, rapporte à Renée les propos tenus par sa mère.

Cet extrait présente donc le classique discours de la mère de la mariée, qui se doit d’éclairer sa fille sur son rôle d’épouse et d’amante, la veille de la nuit de noces.

Certes, si elle aborde les « recommandations sérieuses » de rigueur, l’originalité du discours repose cependant sur un exposé surprenant des codes maritaux.

Mme de Chaulieu met en garde sa fille contre ses illusions romanesques et lui conseille de s’approprier à son avantage certaines règles matrimoniales.

Extrait étudié

Je te veux heureuse. Écoute-moi donc. L’amour que tu ressens est un amour de petite fille, l’amour naturel à toutes les femmes qui sont nées pour s’attacher à un homme ; mais, hélas ! ma petite, il n’y a qu’un homme dans le monde pour nous, il n’y en a pas deux ! et celui que nous sommes appelées à chérir n’est pas toujours celui que nous avons choisi pour mari, tout en croyant l’aimer. Quelque singulières que puissent te paraître mes paroles, médite-les. Si nous n’aimons pas celui que nous avons choisi, la faute en est et à nous et à lui, quelquefois à des circonstances qui ne dépendent ni de nous ni de lui ; et néanmoins rien ne s’oppose à ce que ce soit l’homme que notre famille nous donne, l’homme à qui s’adresse notre cœur, qui soit l’homme aimé. La barrière qui plus tard se trouve entre nous et lui, s’élève souvent par un défaut de persévérance qui vient et de nous et de notre mari. Faire de son mari son amant est une œuvre aussi délicate que celle de faire de son amant son mari, et tu viens de t’en acquitter à merveille. Eh ! bien, je te le répète : je te veux heureuse. Songe donc dès à présent que dans les trois premiers mois de ton mariage tu pourrais devenir malheureuse si, de ton côté, tu ne te soumettais pas au mariage avec l’obéissance, la tendresse et l’esprit que tu as déployés dans tes amours. Car, ma petite commère, tu t’es laissée aller à tous les innocents bonheurs d’un amour clandestin. Si l’amour heureux commençait pour toi par des désenchantements, par des déplaisirs, par des douleurs même, eh! bien, viens me voir. N’espère pas trop d’abord du mariage, il te donnera peut-être plus de peines que de joies. Ton bonheur exige autant de culture qu’en a exigé l’amour. Enfin, si par hasard, tu perdais l’amant, tu retrouverais le père de tes enfants. Là, ma chère enfant, est toute la vie sociale. Sacrifie tout à l’homme dont le nom est le tien, dont l’honneur, dont la considération ne peuvent recevoir la moindre atteinte qui ne fasse chez toi la plus affreuse brèche. Sacrifier tout à son mari n’est pas seulement un devoir absolu pour des femmes de notre rang, mais encore le plus habile calcul. Le plus bel attribut des grands principes de morale, c’est d’être vrais et profitables de quelque côté qu’on les étudie. En voilà bien assez pour toi.

Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, lettre 26

Problématique

Quelle vision de l’amour et du mariage Madame de Chaulieu expose-t-elle dans cette lettre ?

Annonce de plan linéaire

Nous pouvons distinguer deux mouvements dans cet extrait.

D’abord, la mère de Louise explique à sa fille que l’amant et le mari représentent deux figures du mariage.

Elle lui prodigue ensuite ses conseils afin d’être heureuse en mariage.

I – L’amant et le mari : les deux figures du mariage

De « Je te veux heureuse. » à « et tu viens de t’en acquitter à merveille. »

La première phrase de Madame de Chaulieu est une déclaration d’amour implicite à sa fille.

Elle souhaite son bonheur, qui selon elle passe par l’accomplissement matrimonial. Le verbe « vouloir » au présent d’énonciation exprime en effet une volonté profonde : « Je te veux heureuse.« 

Le lien entre mère et fille repose sur un rapport d’autorité exprimé par le verbe à l’impératif « écoute-moi » ainsi que la conjonction de coordination « donc », qui souligne un rapport entre la cause (le fait d’écouter) et la conséquence exprimée dans la phrase précédente (le fait d’être heureuse).

La périphrase « petite fille » souligne l’immaturité de Louise.

La mère est placée dans une position de savoir, exprimée par des tournures affirmatives comme « tu ressens ». La mère n’écoute pas sa fille mais analyse à sa place ce qu’elle ressent.

Le champ lexical de l’amour nourrit toute la lettre. Il est présent dès le début de l’extrait : « amour » (répété trois fois), « mari», « aimer ». Ces répétitions sous-entendent que les perceptions de l’amour sont multiples.

La proposition relative « qui sont nées pour s’attacher à un homme » souligne le caractère inné de l’amour d’une femme pour un homme. C’est leur destin.

La conjonction de coordination « mais » suivie de l’interjection « hélas » et de la tournure exclamative exprime cependant un regret, une fatalité que Louise ne peut encore connaître.

En effet, l’apostrophe « ma petite » souligne une fois de plus l’inexpérience de Louise dans ce domaine.

La locutrice exprime alors une première partie de sa thèse : « il n’y a qu’un homme pour nous dans le monde ». La négation restrictive (ne…que) et l’opposition entre le substantif « homme » précédé d’un déterminant indéfini et le pronom nous » qui englobe toutes les femmes, donnent à ses propos la forme d’une maxime.

Une deuxième négation « il n’y en a pas deux » est redondante : à travers la tournure exclamative, la mère souhaite faire comprendre à sa fille qu’il n’existe qu’une seule âme sœur. Madame de Chaulieu estime donc que l’amour se place sous le sceau de la destinée.

Dans une deuxième partie de sa thèse, Madame de Chaulieu différencie l’amant du mari.

En effet, le pronom « celui que » suivi de la relative désigne l’amant. Le verbe « chérir » insiste sur la tendresse nourrie pour un amant.

La répétition de la même structure avec le pronom « celui que », du pronom « nous » qui désigne l’ensemble des femmes et du verbe « choisir », suggère bien que l’amant et le mari peuvent être deux hommes différents.

Il est intéressant de relever l’emploi du verbe « choisir ». La famille de Louise ne lui impose pas un époux, comme lors d’un mariage arrangé.

Enfin, les sentiments amoureux peuvent se révéler une illusion, surtout avec le temps.

Nous lisons au travers de l’expression participiale « croyant l’aimer » l’expérience de Madame de Chaulieu, qui n’aime plus son mari et entretient d’ailleurs une relation extraconjugale avec son amant.

L’adjectif « singulières » est mis en valeur car détaché en début de phrase. La mère semble être consciente que sa conception de l’amour ne va pas être comprise par sa fille, encore trop jeune. Il s’agit donc d’une mise en garde d’où l’impératif : « médite-les ».

Pour se faire comprendre au mieux, la locutrice a recours à une série de propositions subordonnées circonstancielles hypothétiques,. ces dernières, introduites par « si », exposent les situations futures auxquelles peut être confrontée Louise.

Madame de Chaulieu distingue deux visions du mariage.

D’abord, le mariage de raison dans le respect des codes, qui s’oppose au mariage passionnel où les codes sont transgressés. On remarquera que ce sont d’ailleurs ces deux options qui sont illustrées par le destin des deux protagonistes du roman.

Elle évoque d’abord le manque d’amour dans le mariage, lié à deux raisons.

Soit les deux parties sont responsables, ce qu’elle exprime dans une structure symétrique en utilisant les pronoms « nous » et « lui ».

Soit le manque d’amour est lié aux circonstances, c’est-à-dire aux mariages arrangés très courant à l’époque. Le choix des pronoms « nous, lui » oppose systématiquement les hommes et les femmes.

L’adverbe « néanmoins » introduit cependant une nuance : il est possible que l’amour se développe au sein d’un mariage arrangé.

Trois périphrases désignent l’homme : « que notre famille nous donne », « à qui s’adresse notre cœur », « qui soit l’homme aimé ». La dernière périphrase, rejetée en fin de phrase, semble être la plus importante pour la locutrice.

Le manque d’amour est enfin évoqué à l’aide d’une métaphore « la barrière ».

À travers le présent de vérité générale « s’élève » et l’adverbe « souvent », Madame de Chaulieu évoque ce qui apparaît comme une généralité pour la plupart des couples.

Elle clôt ici ses mises en garde en alertant sa fille sur le « défaut de persévérance », soit l’absence d’implication au sein du couple.

L’équivalence entre le mari et l’amant est soulignée par la structure en chiasme de la phrase : « Faire de son mari son amant est une oeuvre aussi délicate que celle de faire de son amant son mari.« . La proposition infinitive « faire de… » est comparée à une « œuvre ». Entretenir son couple est un travail d’artiste.

Louise a déjà déjoué les conventions : son amant devient son mari, ce qui est perçu comme rare par Madame de Chaulieu.

Le verbe « acquitter », qui appartient au domaine du droit, suivi de l’hyperbole « à merveille » montre que sa mère souligne avec admiration l’habileté de sa fille.

II – Les conseils matrimoniaux d’une mère à sa fille

De « Eh ! bien, je te le répète » à « En voilà bien assez pour toi ».

Madame de Chaulieu prodigue ensuite des conseils pratiques à sa fille.

Les premières paroles du discours sont répétées. Encore une fois, elle l’invite à se projeter dans le futur, à l’aide du verbe à l’impératif « songe » et de l’adverbe « dès à présent ».

Selon Madame de Chaulieu, tout se joue dès « les trois premiers mois ». Le conditionnel « pourrais » et l’adjectif « malheureuse » indique l’urgence de la prise de conscience, qui pourrait sinon avoir des conséquences tragiques.

La locutrice tourne ses conseils comme des avertissements en utilisant de nouveaux des propositions subordonnées circonstancielles hypothétiques, introduites par « si ». Elle expose à sa fille les risques encourus si elle transgresse les codes du mariage.

L’adverbe « de ton côté » indique que l’épouse joue un rôle essentiel dans l’accomplissement d’un mariage heureux.

Elle se doit d’être soumise, comme l’indiquent les termes « soumettais » et « obéissance ». « Les amours » passés s’opposent ici au « mariage ».

La conjonction de coordination « car » indique la cause de cet éventuel malheur : avant les fiançailles, sa relation avec Felipe de Macumer s’affranchissait de tout devoir. Il s’agissait d’un « amour clandestin », sous le signe de l’innocence.

L’apostrophe affectueuse « ma petite commère » indique que la mère de Louise a bien conscience des capacités de sa fille à parvenir à ses fins.

La conjonction de subordination « si » introduit une nouvelle hypothèse : « Si l’amour heureux commençait pour toi… » .

Dans une antithèse, la périphrase « amour heureux », qui désigne le mariage, s’oppose à l’énumération ternaire structurée par la préposition « par ». Ces trois termes négatifs « par des désenchantements, par des déplaisirs, par des douleurs » visent à prévenir Louise d’éventuelles déceptions.

L’interjection « eh ! bien » traduit la fatalité.

Madame de Chaulieu revêt ici un rôle de conseillère plus expérimentée comme l’indique l’impératif « viens me voir ».

À travers un nouvel impératif « n’espère pas », elle invite Louise à reconsidérer ses illusions.

Une nouvelle antithèse entre « peines » et « joies » insiste sur cette vision pessimiste du mariage : « il te donnera peut-être plus de peines que de joie.« 

Les conseils prodigués par Madame de Chaulieu prennent ensuite la forme de maximes, grâce à des structures syntaxiques symétriques, au polyptote du verbe « exiger », et l’emploi des verbes au présent de vérité générale : « Ton bonheur exige autant de culture qu’en a exigé l’amour. » , « Sacrifier tout à son mari n’est pas seulement un devoir absolu pour des femmes de notre rang, mais encore le plus habile calcul.« 

La mère de Louise évoque enfin une dernière possibilité dans une dernière subordonnée conditionnelle. Une troisième figure masculine survient dans son discours : celle du « père de tes enfants » dans une troisième périphrase qui désigne Felipe de Macumer.

C’est, selon elle, l’évolution naturelle du mariage, résumé par le présentatif «  ». La paternité est présentée dans son discours comme le statut le plus important dans un mariage.

Enfin, la paternité est associée à la « vie sociale » : « Là, ma chère enfant, est toute la vie sociale. » La femme n’existe donc socialement que lorsqu’elle a donné un enfant à son époux. C’est le but ultime du mariage pour la mère de Louise.

Le mariage est placé sous le sceau du sacrifice, thème nourri par le champ lexical du devoir moral : « sacrifice, honneur, considération, sacrifier, devoir absolu, grands principes de morale ».

Trois propositions relatives définissent ensuite le futur mari, toutes introduites par le pronom « dont ». Elles confirment que le statut social de la femme dépend de son époux : « l’homme dont le nom est le tien, dont l’honneur, dont la considération…« 

L’hyperbole « affreuse brèche » avertit Louise que tout écart de son comportement aura des répercussions sur son mari. La transgression des codes du mariage entraînent des conséquences graves pour une femme.

La maxime, qui commence par une proposition infinitive « sacrifier tout à son mari », repose sur une structure adversative « non seulement… mais encore ». Elle enjoint Louise à tirer profit de cette soumission, grâce à l’opposition entre les hyperboles « un devoir absolu » et « le plus habile calcul ».

L’institution du mariage est présentée comme une vitrine sociale, dont les deux parties tirent des bénéfices.

Le lien entre le mariage et les « grands principes de la morale » est étroitement souligné. De façon surprenante, Madame de Chaulieu semble penser qu’il faut respecter les principes moraux du mariage parce qu’ils sont « profitables » et non parce qu’il est honorable de mener une vie exemplaire. Son discours se clôt sur cette chute, qui paraît presque cynique.

Mémoires de deux jeunes mariées, lettre XXVI, conclusion

Cette lettre 26 livre pour la première fois les pensées de la mère de Louise, personnage qui semblait pourtant se désintéresser de sa fille au début du roman.

Le lecteur découvre une mère qui de loin, a bien cerné le personnage de Louise. Inquiète, soucieuse du bonheur de son enfant, elle l’encourage à respecter les codes du mariage, ce qui jouera à son avantage.

Les propos de Madame de Chaulieu ne sont pas sans rappeler ceux de Madame de Merteuil dans la lettre 81 des Liaisons Dangereuses de Laclos, à savoir jouer des codes moraux à l’insu des hommes pour servir sa propre cause.

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Amélie Vioux

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