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Voici une analyse linĂ©aire de Acte I scène 2 de On ne badine pas avec l’amour de Musset.
L’extrait analysĂ© va de « Perdican entre d’un cĂ´tĂ©, Camille de l’autre
 » jusqu’Ă la fin de la scène.
On ne badine pas avec l’amour, acte I scène 2, introduction
Appartenant au genre littĂ©raire du drame romantique, la pièce de théâtre d’Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, est publiĂ©e en 1834 puis paraĂ®t dans Un spectacle dans un fauteuil. Elle ne fut jouĂ©e qu’en 1861 Ă la ComĂ©die Française, soit quatre ans après la mort du dramaturge. (Voir la fiche de lecture complète sur On ne badine pas avec l’amour)
Le premier acte marque les retrouvailles entre Perdican et Camille, deux cousins qui ont vécu, ensemble, enfants, au château puis ont été séparés et ont suivi une éducation différente.
Conformément aux vœux de la mère de Camille énoncés dans son testament, le Baron, père de Perdican, souhaite marier les jeunes gens.
Maître Blazius, le précepteur de Perdican, et Bridaine, le curé du village doivent mettre ce mariage en œuvre.
La scène 2 de l’Acte I fait partie de la scène d’exposition.
Extrait étudié
Le baron
(Perdican entre d’un côté, Camille de l’autre.) Bonjour, mes enfants ; bonjour, ma chère Camille, mon cher Perdican ! embrassez-moi, et embrassez-vous.Perdican
Bonjour, mon père, ma sœur bien-aimée ! Quel bonheur ! que je suis heureux !Camille
Mon père et mon cousin, je vous salue.Perdican
Comme te voilĂ grande, Camille ! et belle comme le jour.Le Baron
Quand as-tu quitté Paris, Perdican ?Perdican
Mercredi, je crois, ou mardi. Comme te voilà métamorphosée en femme ! Je suis donc un homme, moi ? Il me semble que c’est hier que je t’ai vue pas plus haute que cela.Le Baron
Vous devez être fatigués ; la route est longue, et il fait chaud.
Perdican
Oh ! mon Dieu, non. Regardez donc, mon père, comme Camille est jolie !
Le Baron
Allons, Camille, embrasse ton cousin.Camille
Excusez-moi.Le Baron
Un compliment vaut un baiser ; embrasse-la, Perdican.Perdican
Si ma cousine recule quand je lui tends la main, je vous dirai à mon tour : Excusez-moi ; l’amour peut voler un baiser, mais non pas l’amitié.
Camille
L’amitié ni l’amour ne doivent recevoir que ce qu’ils peuvent rendre.Le Baron, à maître Bridaine.
Voilà un commencement de mauvais augure, hé ?Maître Bridaine, au baron.
Trop de pudeur est sans doute un défaut ; mais le mariage lève bien des scrupules.Le Baron, à maître Bridaine.
Je suis choqué, — blessé. — Cette réponse m’a déplu. — Excusez-moi ! Avez-vous vu qu’elle a fait mine de se signer ? — Venez ici, que je vous parle. — Cela m’est pénible au dernier point. Ce moment, qui devait m’être si doux, est complètement gâté. — Je suis vexé, piqué. — Diable ! voilà qui est fort mauvais.Maître Bridaine
Dites-leur quelques mots ; les voilĂ qui se tournent le dos.Le Baron
Eh bien ! mes enfants, Ă quoi pensez-vous donc ? Que fais-tu lĂ , Camille, devant cette tapisserie ?Camille, regardant un tableau.
Voilà un beau portrait, mon oncle ! N’est-ce pas une grand’tante à nous ?
Le Baron
Oui, mon enfant, c’est ta bisaïeule, — ou du moins la sœur de ton bisaïeul, — car la chère dame n’a jamais concouru, — pour sa part, je crois, autrement qu’en prières, — à l’accroissement de la famille. C’était, ma foi, une sainte femme.Camille
Oh ! oui, une sainte ! c’est ma grand’tante Isabelle. Comme ce costume religieux lui va bien !Le Baron
Et toi, Perdican, que fais-tu lĂ devant ce pot de fleurs ?Perdican
Voilà une fleur charmante, mon père. C’est un héliotrope.Le Baron
Te moques-tu ? elle est grosse comme une mouche.Perdican
Cette petite fleur grosse comme une mouche a bien son prix.Maître Bridaine
Sans doute ! le docteur a raison. Demandez-lui à quel sexe, à quelle classe elle appartient, de quels éléments elle se forme, d’où lui viennent sa sève et sa couleur ; il vous ravira en extase en vous détaillant les phénomènes de ce brin d’herbe, depuis la racine jusqu’à la fleur.Perdican
On ne badine pas avec l’amour, Musset, acte I scène 2
Je n’en sais pas si long, mon révérend. Je trouve qu’elle sent bon, voilà tout.
Problématique
En quoi cette scène d’exposition rĂ©vèle-t-elle des informations essentielles sur le caractère des personnages, l’intrigue qui va se nouer et le genre de la pièce de théâtre ?
Plan linéaire
Dans un premier temps, nous analyserons comment ces retrouvailles intimes en public sont décevantes.
Dans un deuxième temps, nous mettrons en lumière le refus de Camille et ses effets sur le Baron.
Enfin, dans un dernier temps, nous montrerons que les deux jeunes gens sont diamétralement opposés.
I – Des retrouvailles dĂ©cevantes
De « Perdican entre d’un cĂ´tĂ©, Camille de l’autre » jusqu’à « Excusez-moi
»
L’extrait Ă©tudiĂ© s’ouvre sur l’arrivĂ©e de Perdican et Camille de part et d’autre. Cette didascalie permet dĂ©jĂ de suggĂ©rer l’opposition Ă venir des deux jeunes gens.
Le Baron les accueille en les saluant avec affection comme en témoignent les expressions hypocoristiques « mes enfants », « ma chère Camille », « mon cher Perdican
».
Le recours à l’impératif présent (« embrassez-moi, et embrassez-vous
») souligne son enthousiasme.
Mais les réponses des deux jeunes gens apparaissent d’emblée aux antipodes.
En effet, d’une part Perdican se montre enthousiaste : c’est ce que matérialisent la ponctuation expressive, et la tournure exclamative « que je suis heureux !
».
Les phrases nominales (« Bonjour, mon père, ma soeur bien-aimée ! Quel bonheur !
« ) traduisent la spontanéité et la joie sincère de Perdican.
D’autre part, la réponse de Camille se fait plus sèche, plus laconique et convenue et sans expression de sentiments : « Mon père et mon cousin, je vous salue.
»
Perdican ne cache pas son admiration pour sa cousine et loue sa transformation physique : « Comme te voilà grande, Camille ! et belle comme le jour.
»
Son enthousiasme est tel qu’il ne répond que très brièvement aux questions du Baron (« Mercredi, je crois, ou mardi », « Oh ! mon Dieu, non
»). Ce dernier se prĂ©occupe d’informations factuelles – une date de retour, un long trajet, la chaleur- pendant que Perdican n’a d’yeux que pour Camille.
Ces retrouvailles lui font redécouvrir sa cousine et son émotion est palpable, comme l’illustrent les deux phrases « Comme te voilà métamorphosée en femme ! Je suis donc un homme, moi ?
»
La surprise de Perdican se mesure à l’aune de ses multiples exclamations : « Regardez donc, mon père, comme Camille est jolie !
».
La remarque « que c’est hier que je t’ai vue pas plus haute que cela
» permet au spectateur de prendre la mesure du changement : les jeunes gens se sont quittés enfants et se retrouvent adultes.
À l’enthousiasme de Perdican et du Baron répond le silence de Camille. Le premier mouvement s’achève donc sur un déséquilibre d’émotions entre les personnages au point que Camille n’obéit pas à l’invitation du Baron d’embrasser Perdican.
Elle répond « Excusez-moi », comme pour échapper à ce baiser et affirmer son choix.
II – Le refus de Camille
De « Un compliment vaut un baiser
» à « <em>les voilà qui se tournent le dos.
»
Le deuxième mouvement s’ouvre sur la réplique du Baron, tierce personne, qui œuvre au rapprochement des jeunes gens par une pirouette : « Un compliment vaut un baiser
« . Il tente ainsi de dédramatiser la situation.
Par un verbe Ă l’impĂ©ratif, il enjoint son fils d’embrasser Camille : « Embrasse-la, Perdican.
«Â
Perdican use d’un syllogisme qui lui permet d’envisager d’abord une relation amicale : « Si ma cousine recule quand je lui tends la main (première partie du syllogisme), je vous dirai à mon tour : Excusez-moi (deuxième partie); l’amour peut voler un baiser, mais non pas l’amitié (troisième partie) ». Cette courtoisie permet de ne pas brusquer Camille.
Camille demeure toutefois inflexible comme en témoigne l’adage énoncé au présent de vérité générale, « L’amitié ni l’amour ne doivent recevoir que ce qu’ils peuvent rendre
».
La double nĂ©gation (l’amitiĂ© ni l’amour) et le vocabulaire liĂ© au devoir (devoir, rendre) permettent de refuser un baiser, quelle qu’en soit la raison.
Le présent de vérité générale ne laisse transparaître aucune émotion car le propos vise une portée universelle.
L’échange qui s’ensuit entre le Baron et maître Bridaine constitue un aparté. Le premier s’inquiète de ce refus par l’interrogation nominale : « Voilà un commencement de mauvais augure, hé ?
».
Mais le curé apparaît plus optimiste : s’il convient que « trop de pudeur est sans doute un défaut
», il exprime toute sa confiance dans le sacrement du mariage pour gommer les différences.
L’inquiétude du Baron va grandissant comme en témoigne le champ lexical de l’émotion : « choqué », « blessé », « pénible », « vexé », « piqué », « mauvais »
. Les nombreux adverbes ou intensifs utilisés témoignent de son vif émoi : « au dernier point », « si », « complètement », « fort ».
Cette insistance dans des rĂ©pliques en apartĂ© inscrit ce passage dans le registre comique. L’Ă©nervement du baron, son manque de charisme et d’autoritĂ© prĂŞtent en effet Ă sourire.
Ainsi, il reprend les propos de Camille, comme le souligne la graphie en italique « Excusez-moi », ce qui peut donner lieu à un jeu de scène amusant.
De plus, il ne comprend pas les motifs de Camille comme en tĂ©moigne l’expression « a fait mine de » dans la proposition subordonnĂ©e conjonctive complĂ©tive « qu’elle a fait mine de se signer
» . Si le Baron reste perplexe, le spectateur comprend que le refus de Camille s’appuie sur un précepte religieux.
Maître Bridaine, qui ne saisit pas non plus le sérieux de la situation, est réduit également à un rôle comique.
Il encourage le Baron à poursuivre la conversation pour que les jeunes gens se rapprochent physiquement : « Dites-leur quelques mots ; les voilà qui se tournent le dos.
»
III – Perdican et Camille : deux personnages diamĂ©tralement opposĂ©s
De « Eh bien ! Mes enfants, à quoi pensez-vous donc
» à la fin de la scène
Le troisième mouvement de l’extrait conforte des liens affectueux entre les personnages, comme on peut le voir à travers les groupes nominaux « mes enfants », « mon oncle », « mon enfant »
.
Le spectateur perçoit mieux la scène, d’après les compléments circonstanciels de lieu « là » et « devant cette tapisserie » et par la didascalie « Camille, regardant un tableau
».
L’attitude de Camille peut surprendre car elle prête plus d’attention à la tapisserie et en loue les détails (« Voilà un beau portrait
») plutôt qu’à son cousin.
Le Baron en détaille la représentation : « c’est ta bisaïeule, — ou du moins la sœur de ton bisaïeul
», et fait l’éloge de cette femme à travers les expressions hypocoristiques « la chère dame », « une sainte femme
».
Mais il souligne un élément important : cette femme était dévote et a fait vœu de célibat : elle « n’a jamais concouru, — pour sa part, je crois, autrement qu’en prières, — à l’accroissement de la famille.
»
Il s’agit d’une critique dĂ©tournĂ©e de la religion : les prières sont stĂ©riles et la dĂ©votion Ă©loigne les femmes de leur devoir maternel. Cette bisaĂŻeule n’a donc pas fait « sa part« . L’incise « je crois » participe Ă©galement au comique de la rĂ©plique car ce modalisateur met en doute le cĂ©libat de cette ancĂŞtre.
Mais Camille ne relève pas cette critique. Au contraire, elle exprime ses émotions pour la première fois par les exclamations suivantes : « Oh ! oui, une sainte ! c’est ma grand’tante Isabelle. Comme ce costume religieux lui va bien !
» Le champ lexical de la religion imprègne sa réplique.
Le Baron ne peut donc que constater, impuissant, les intérêts divergents des jeunes gens : l’une est plongée dans la contemplation d’un portrait presque religieux, l’autre observe un pot de fleurs.
Le Baron s’Ă©tonne d’une activitĂ© aussi prosaĂŻque : « que fais-tu lĂ devant ce pot de fleurs ?
 » . Alors qu’il ne perçoit que le contenant (« le pot de fleurs« ), Perdican s’intĂ©resse Ă la beautĂ© de ce qu’il contient : « une fleur charmante« , « C’est un hĂ©liotrope
« . Perdican apparaît comme un garçon sensible à la beauté simple du monde et à la terre.
Le Baron demeure indifférent à la puissance évocatrice du nom de cette fleur comme en témoigne sa comparaison triviale : « elle est grosse comme une mouche
« .
Mais Perdican a une réponse : « Cette petite fleur grosse comme une mouche a bien son prix.
» Cette assertion peut prendre une portée symbolique si l’on rapproche « cette petite fleur
» ou, plus loin, « ce brin d’herbe
» de Camille elle-mĂŞme. Perdican montre une capacitĂ© Ă s’Ă©merveiller et Ă saisir la beautĂ© cachĂ©e des choses.
Pour tenter de maintenir une conversation naturelle, MaĂ®tre Bridaine prend le relais. Il enjoint le Baron d’interroger son fils sur cette fleur.
Mais l’accumulation de propositions subordonnĂ©es interrogatives indirectes est assommante. MaĂ®tre Bridaine ne cherche en effet qu’Ă classifier, catĂ©goriser et expliquer les phĂ©nomènes naturels comme un scientifique : « Demandez-lui Ă quel sexe, Ă quelle classe elle appartient, de quels Ă©lĂ©ments elle se forme, d’oĂą lui viennent sa sève et sa couleur
».
Pourtant, Perdican ne cherche pas Ă se glorifier comme l’indique la nĂ©gation : « Je n’en sais pas si long, mon rĂ©vĂ©rend. Je trouve qu’elle sent bon, voilĂ tout.
» Cette réponse simple et humble concourt à faire de Perdican un personnage romantique, sensible à la beauté du monde.
On ne badine pas avec l’amour, acte I scène 2, conclusion
Cette scène d’exposition est essentielle pour comprendre comment l’intrigue se noue.
Initialement prévue par le Baron et Maître Bridaine comme un moment de grande félicité, les retrouvailles entre les cousins leur échappent.
Loin de se dérouler dans un cadre intime, elle sont données à voir en public. A l’enthousiasme de Perdican répond la froideur de Camille.
Le Baron et le curé auront beau tout mettre en œuvre, cette dernière refuse un baiser à son cousin, point de départ de la pièce.
Le lecteur-spectateur comprend alors que les personnages sont diamétralement opposés : les deux images du portrait de l’aïeule dévote et de la fleur renforcent le fait qu’ils sont aux antipodes. L’une est attirée par la religion, par le ciel, pendant que l’autre est attiré par des choses plus prosaïques, par la terre. Dans la suite de la pièce, ce décalage va nourrir l’amertume, la rancœur puis le désir de vengeance de Perdican qui utilisera la jeune paysanne Rosette comme pièce de son stratagème.
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