Pour un oui ou pour un non, Sarraute, deux conceptions opposées du bonheur : analyse linéaire

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Voici une analyse linéaire issue de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute.

Le passage étudié est tiré des pages 37-38 de l’édition Folio Théâtre, de H.2 : « Tiens, si tu en veux un, en voici des des mieux réussis… » à « H2 : « cachée au fond de la forêt, une petite princesse… » de Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute.

Cet extrait met en scène les deux conceptions du bonheur opposées de H1 et H2.

Pour un oui ou pour un non, Sarraute, deux conceptions du bonheur opposées : introduction

Nathalie Sarraute a déjà une carrière de romancière et d’essayiste fournie lorsqu’elle écrit Pour un oui ou pour un non en 1982.

Très intéressée par la psychanalyse et attentive aux mouvements souvent invisibles du psychisme, elle utilise le genre théâtral pour explorer les zones inconnues de l’inconscient.

Dans Pour un oui ou pour un non, H1 est venu rendre visite à H2 pour lui demander les raisons de son éloignement.

H2 lui révèle la cause mais H1 est désarmé par l’apparente inanité du motif de rupture (le ton adopté par H1 en prononçant « C’est bien…ça » ).

H2 s’en est expliqué et estime qu’il a exprimé volontairement ou non de la condescendance mais H1 n’est pas convaincu et va demander à un couple de voisins ce qu’ils en pensent. Les voisins n’y voyant pas un grand motif de rupture, H2 se sent incompris, piégé.

Les deux personnages échangent alors sur leur conception du bonheur.

Problématique

Comment Nathalie Sarraute montre-t-elle que l’incompatibilité de H1 et H2 va bien au-delà du « c’est bien…ça… », motif apparent de la dispute ?

Plan linéaire

Après avoir vu comment H2 campe le portrait de famille de H1, véritable tableau du bonheur familial bourgeois (I), nous étudierons la lutte pour la suprématie que se livrent les deux hommes (II).

I – Le tableau du bonheur : un portrait de famille

De « Tiens, si tu en veux un » à « Et moi« 

H2 décrit le bonheur de H1 tel un tableau familial. Il place cette scène sous le signe de l’esthétique « un des mieux réussis » comme s’il s’agissait d’une œuvre picturale.

La proposition « quand tu te tenais devant moi » assimile H1 au modèle d’un portraitiste, ce que H1 comprend bien en répliquant « dis tout de suite que je posais ».

À travers ce portrait, H2 décrit avec ironie l’image d’une paternité bourgeoise, installée, engoncée dans son confort comme le suggère la figure géométrique « carré » et la préposition « entre tes genoux » suggérant une parfaite symétrie.

L’inflation des déterminants possessifs (« ton fauteuil », « ton premier-né », « tes genoux ») accentue cette satire contre l’esprit bourgeois tourné vers la possession matérielle.

Le terme « premier-né » dépeint même H1 en chef de famille soucieux de sa lignée.

Le champ lexical du regard (« voyais », « présentais », « posais », « ça se voit ») transforme le bonheur de H1 en objet d’exposition comme si H1 cherchait à narguer H2 par l’exhibition de son bonheur.

H1 vient néanmoins perturber l’intention ironique de H2 par l’imparfait « j’étais heureux » qui apporte une touche de nostalgie à ce tableau. Le bonheur de H1 se conjugue en effet au passé et s’inscrit donc dans la fragilité, dans le temps.

Mais, par le passage du « Tu » au « vous » (Tu te sentais heureux, c’est vrai … comme vous deviez vous sentir heureux »), H2 complète son tableau par un véritable portrait de famille.

L’incise « Janine et toi » dévoile les visages derrière le pronom personnel « vous » et installe le couple dans une posture de solidité et une assise toute bourgeoise.

En effet, l’expression « vous vous teniez devant moi » donne au couple l’image d’une solidité verticale, presque monumentale.

L’utilisation de pronoms réfléchis (« vous deviez vous sentir », « vous vous teniez », « vous regardant » ) accentue cet effet de miroir. Le parallélisme « bras dessus, bras dessous » renforce l’impression de complémentarité, de fusion amoureuse, suggérant la perfection de ce couple.

Le champ lexical du regard (« au fond des yeux », « votre œil », « regard », « je contemple ») évoque le croisement des yeux : H1 regarde le tableau familial mais le tableau familial le regarde aussi.

Or le regard de la famille bourgeoise met en évidence le dénuement et la solitude de H2 comme le suggère le champ lexical de la petitesse (« petit coin », « tout petit », « bout de regard », « détourné »).

Le passage du participe passé « tourné » à « détourné » suggère que H2 n’est qu’un intrus. Le vocabulaire religieux (« couple parfait », « si je contemple », « je me tends vers ça ») qui sacralise ce bonheur familial.

H2 ne se laisse pas absorber dans la contemplation de ce bonheur mais se rappelle à lui-même « Et moi ». Nathalie Sarraute joue sans doute avec les mots en laissant entendre ici « Émoi » comme si H2 ouvrait l’espace de l’émotion.

II – Une lutte pour la suprématie

De « Ah nous y sommes » à « petite princesse« 

H1 ne manque pas, comme à son habitude, de faire une investigation pour que H2 nomme ce sentiment.

Par le groupe verbal « j’ai trouvé », H1 révèle que la tirade de H2 a été pour lui un texte sur lequel il faut enquêter pour trouver l’hypotexte, celui des tropismes et du moi pulsionnel.

Les deux personnages entrent ainsi dans un schéma question / réponse : « Et moi quoi ? Qu’est-ce que j’étais ? H2 : Tu … tu étais… H2 : Allons dis-le, j’étais quoi ? ».

H1 adopte la méthode du psychanalyste qui fait parler son patient pour faire émerger la vérité de l’inconscient. La démarche est terminée. Le diagnostic est posé, froidement et directement : « Tu étais jaloux ».

L’adjectif jaloux installe un rapport de force en faveur de H1 qui est l’objet de la jalousie. Il s’agit ainsi désormais d’une guerre entre les deux personnages, l’un, comblé par le bonheur, faisant face à celui qui le regarde avec envie et jalousie.

H2 amorce sa défense. En disant « Ah nous y sommes, c’est vrai », il déjoue la stratégie de son adversaire en utilisant le champ lexical de l’intention : « tu voulais », « tu cherchais », « il te fallait que… ».

Ce champ lexical veut montrer que H1 a volontairement exhibé une image du bonheur pour déstabiliser H2 et le rendre jaloux.

Tout souligne l’opposition entre les deux personnages : même la conjonction de coordination « et » qui exprime généralement la continuité, exprime ici l’opposition : « il te fallait que je le sois et je ne l’étais pas ».

H2 se livre à une introspection et tente de porter le vrai diagnostic sur cet épisode : « J’étais content pour toi. Pour vous ». La répétition de la préposition « pour » manifeste le contraire de la jalousie.

H2 met le bonheur de H1 à distance par l’utilisation du déterminant démonstratif « ce » (« ce bonheur ») et en le ramenant a une dimension matérielle et alimentaire (« Ni cru ni cuit »).

Il réaffirme sa position face à H1 : « Je n’étais pas jaloux ! », ce qui semble clore définitivement la discussion.

Pourtant, la répétition anaphorique « Pas, pas, pas jaloux » introduit un soupçon. Il demeure quelque chose d’enfantin et de capricieux dans cette répétition obstinée de la négation comme si H2 décrétait sa non-jalousie ou voulait s’en convaincre.

La tournure négative vient accentuer cet effet : « Non, je ne t’enviais pas ».

H2 se lance dans un monologue ou plutôt un dialogue imaginaire où il met en scène les répliques de H1. Comme un acteur de théâtre, il joue ironiquement le rôle de H1 pour mieux s’en moquer : « Mais comment est-ce possible ? Ce ne serait donc pas le Bonheur ? Le vrai Bonheur, reconnu partout, recherché par tous ?». H2 mime l’incompréhension de H1 qui ne peut accepter une définition du bonheur autre que celle du bonheur bourgeois.

Par les majuscules, que la mise en scène devrait traduire par une tonalité particulière, le bonheur de H1 est mis à distance ironiquement.

La paronomase « partout », « par tous » et l’anaphore « Le Bonheur digne de tous les efforts, de tous les sacrifices » place la réplique de H2 dans l’espace rhétorique. Le but de H2 est d’imiter H1, pour dénoncer son ton pompeux et son arrogance.

Par la question « Non ? Vraiment ? », H2 reprend sa vraie voix et vient porter un coup final à H1.

Mais H2 est décidément le personnage qui se laisse déborder par son émotion. La victoire difficile sur H1 était possible mais il vient ajouter la mention du conte de Grimm, Blanche-Neige : « Il y avait donc là-bas… cachée au fond de la forêt, une petite princesse ». Cette mention du conte le place du côté du ça, de la pulsion primitive, du récit infantile.

Pour un oui ou pour un non, deux conceptions du bonheur opposé, conclusion

À travers cette scène, H2 est sur le point de remporter une victoire sur l’idéologie bourgeoise de H1.

Mais la part émotionnelle, pulsionnelle l’emporte et, face au roc de la verticalité bourgeoise. H2 finit par chavirer, ce que ne manquera pas de faire remarquer H1 par un cinglant « Tu divagues ».

Mais les choses sont claires. Pour un Oui ou pour un non est désormais une lutte entre deux visions du monde : celle du surmoi, de la raison, toujours en maîtrise, et celle du ça, du pulsionnel, de l’émotion.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Professeure et autrice chez hachette, je suis spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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