Lettres d’une PĂ©ruvienne, Graffigny, Lettre 20 : analyse linĂ©aire

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Voici une analyse linĂ©aire pour le bac de français de la lettre 20 (lettre XX) du roman Ă©pistolaire Lettres d’une PĂ©ruvienne de Françoise de Graffigny.

L’extrait Ă©tudiĂ© va de « Le gouvernement de cet empire, entièrement opposĂ© Ă  celui du tien Â» Ă  « de l’impossibilitĂ© de vivre sans honte Â» .

Lettres d’une PĂ©ruvienne, Lettre XX, introduction

Françoise de Graffigny publie les Lettres d’une Péruvienne en 1747 après avoir tenté une carrière dans l’écriture théâtrale et fréquenté les salons où elle a rencontré Voltaire, Marivaux, Rousseau, d’Alembert et Diderot.

Après avoir Ă©tĂ© capturĂ©e par les Français, la jeune hĂ©roĂŻne PĂ©ruvienne, Zilia, dĂ©couvre le monde et notamment la bonne sociĂ©tĂ© parisienne. (Voir la fiche de lecture complète pour le bac de français de Lettres d’une PĂ©ruvienne)

Le regard de Zilia perd de sa naïveté et s’affute progressivement. Elle commence à maîtriser le français et revient de certaine de ses illusions sur l’espoir d’un retour notamment.

Au gré de ses aventures, elle porte un regard critique sur les institutions religieuses puis, à la lettre 20, elle aborde les institutions politiques comme attendu dans un roman épistolaire inspiré des Lettres persanes.

Problématique

Comment le regard neuf et étranger de Zilia permet-il à Françoise de Graffigny de réaliser une critique efficace de la société et du gouvernement français ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous verrons que le regard neuf et étranger de Zilia permet une description satirique de la monarchie absolue.

Dans un second temps, nous étudierons que la satire se porte sur la société française.

I – Une satire de la monarchie absolue

de « Le gouvernement de cet empire« … » Ă  « besoins mal satisfaits Â»

La lettre 20 se propose d’étudier le « gĂ©nie Â» de la nation française, c’est-Ă -dire ce qui fait son caractère propre.

Zilia aborde d’emblĂ©e le gouvernement, ce qui est une tradition bien installĂ©e depuis Montesquieu dans les Lettres persanes oĂą le regard neuf et Ă©tranger permet de prendre une distance critique avec les institutions françaises.

Le complĂ©ment de nom «de cet empire Â» donne d’emblĂ©e une tonalitĂ© satirique. En effet, Zilia ne connaĂ®t que la forme impĂ©riale de son propre gouvernement mais Françoise de Graffigny semble se plaire Ă  rĂ©duire le gouvernement français Ă  un empire qui n’a que la force comme principe de gouvernement.

Zilia met en Ă©vidence l’opposition entre les deux modes de gouvernement (Inca et français) (« entièrement opposĂ© Ă  celui du tien Â») et justifie cette opposition par une inversion : « Au lieu que le Capa Inca est obligĂ© de pourvoir Ă  la subsistance de ses peuples, en Europe, les souverains ne tirent la leur que des travaux de leurs sujets Â».

Le syntagme Capa Inca (prononcĂ© Sapa Inca) crĂ©e un jeu de mots sur l’adjectif latin « sapiens Â» et place le gouvernement inca sous l’égide de la sagesse.

Ă€ l’opposĂ©, les gouvernements europĂ©ens s’appuient sur le travail des sujets c’est-Ă -dire sur la force physique et non sur l’intelligence, le terme « travail Â» Ă©tant issu du latin tripalium qui suggère la torture.

Ensuite, on ne peut qu’être surpris du premier verbe employĂ© pour qualifier le mode de gouvernement de l’Empire Inca : « est obligĂ© Â». Alors que les gouvernements europĂ©ens sont des monarchies absolues de droit divin, qui fixent les devoirs de leurs sujets, le gouvernement inca se caractĂ©rise d’abord et avant tout par ses devoirs envers ses peuples. Cette inversion met en lumière le caractère tyrannique des gouvernements europĂ©ens.

Françoise de Graffigny distille d’autres piques Ă  travers la dĂ©nomination du peuple : le peuple dans l’Empire Inca est dĂ©nommĂ© « ses peuples Â» . Le dĂ©terminant possessif « ses » a une charge presque affective « ses peuples Â».

Au contraire, les peuples europĂ©ens sont dĂ©nommĂ©s « leurs sujets Â», le terme « sujets Â» renvoyant Ă  la monarchie absolue et marquant un lien de sujĂ©tion entre le peuple et le souverain.

Le dĂ©terminant possessif « leurs sujets Â» n’a plus du tout un sens affectif mais prend un sens utilitaire, presque fĂ©odal, le peuple Ă©tant la propriĂ©tĂ© domaniale du souverain.

Enfin, le terme de « subsistance Â» fait l’objet d’une nouvelle inversion polĂ©mique sous la plume de Graffigny. Alors que le gouvernement Inca n’existe que pour assurer la subsistance de ses peuples, ce qui constitue une pratique de bon gouvernement, les gouvernements europĂ©ens utilisent leurs sujets pour assurer leur propre subsistance. Les sujets ne sont donc que les instruments au service de la subsistance du gouvernement europĂ©en.

II – Une étude de la société française

De « Les malheurs des nobles«  …  » Ă  « vivre sans honte Â»

Graffigny, à travers Zilia, se lance ensuite dans une étude sociologique et économique de la société française.

Elle aborde d’abord ce qu’elle considère constituer la tragĂ©die des familles de la noblesse, avec l’antithèse « magnificence apparente / misère rĂ©elle Â».

Le vocabulaire employĂ© pour qualifier la situation de ces familles nobles appartient au registre tragique : « malheurs Â», difficultĂ©s Â», « misère rĂ©elle Â».

La suite laisse transparaĂ®tre une critique de la bourgeoisie d’argent qui est en train de dĂ©classer la noblesse de sang et de mĂ©rite, Ă  travers une phrase qui prend l’allure d’une maxime par l’utilisation du prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale : « Le commun des hommes ne soutient son Ă©tat que par ce que l’on appelle commerce ou industrie : la mauvaise foi est le moindre des crimes qui en rĂ©sultent Â».

Clairement ici, l’autrice fait rĂ©fĂ©rence un changement de paradigme emblĂ©matique des tensions du XVIIIème siècle : le remplacement de la noblesse par la bourgeoisie qui, malgrĂ© sa rĂ©ussite dans le commerce et l’industrie, valeurs montantes du siècle, reste pour Graffigny « le commun des hommes Â».  

Cette rĂ©ussite rĂ©sulte d’ailleurs d’une tâche morale, « la mauvaise foi Â» qui laisse entrevoir tout un panel de vices sans qu’elle ne les mentionne : « le moindre des crimes qui en rĂ©sultent Â».

Graffigny crĂ©e ensuite un effet de zoom sur « Une partie du peuple Â», très probablement ce que l’on nomme le Tiers-Etat, les travailleurs de la sociĂ©tĂ© fĂ©odale.  

Graffigny reproche au système monarchique de compenser la prĂ©caritĂ© du Tiers-État par l’ « humanitĂ© des autres Â», c’est-Ă -dire par la charitĂ©. Mais elle condamne surtout la pingrerie des Ă©lites  qui demeure « si bornĂ©e Â».

Sur ce sujet, Graffigny a donc une conception très classique, presque médiévale de la politique sociale car elle ne remet pas en cause la charité. (Au XVIIIème siècle, on ne concevait par l’État comme pourvoyeur de sécurité sociale et il faut se garder d’appliquer des schémas qui ne sont pas ceux de l’époque !).

Puis Françoise de Graffigny reprend un thème traditionnel de la philosophie politique du XVIIème et XVIIIème siècle : la libĂ©ralitĂ© originelle de la nature (on retrouve par exemple cette idĂ©e chez FĂ©nelon dans Les Aventures de TĂ©lĂ©maque en 1699) et la rĂ©partition inique (injuste) des richesses entre les hommes.

Le champ lexical de l’économie (« acquĂ©rir Â», « donnĂ©e Â», « possĂ©der Â», « avoir Â», « recevoir Â») souligne que Graffigny aborde la question de la richesse des nations. Ce champ lexical est aussi le champ lexical de la possession comme si, dans le monde actuel, la dimension de l’être Ă©tait remplacĂ©e par celle de l’avoir.

De plus, en Ă©voquant l’ « or Â» en dĂ©but de phrase, Graffigny revient subtilement aux origines de la colonisation espagnole, et fait ironiquement de l’or le centre de tout.

L’antithèse (« une portion de cette terre que la nature a donnĂ©e Ă  tous les hommes Â») rappelle le phĂ©nomène d’accaparement des terres par un petit nombre et l’injuste et inĂ©gale rĂ©partition des biens entre les hommes.

La rĂ©pĂ©tition de l’adjectif « impossible Â» suggère la situation de blocage Ă©conomique de la France : « Sans possĂ©der ce qu’on appelle du bien, il est impossible d’avoir de l’or Â» et tĂ©moigne du cercle vicieux qui condamne les nĂ©cessiteux Ă  la pauvretĂ©.

Graffigny montre aussi subtilement qu’un nouveau lexique est en train de s’installer et de remodeler les esprits : c’est peut-ĂŞtre lĂ  que la charge satirique est la plus virulente. En effet, en prĂ©cisant « ce que l’on appelle du bien Â», elle suggère le glissement de sens du terme « bien Â» du sens moral au sens Ă©conomique, comme si l’économie et les valeurs bourgeoises Ă©clipsaient la morale et la gĂ©nĂ©rositĂ© dĂ©sintĂ©ressĂ©e.

Le bien perd sa dimension philosophique et spirituelle pour ne devenir qu’une notion Ă©conomique.

Le champ lexical de la philosophie « inconsĂ©quence Â», « lumières naturelles Â», « raison Â», « insensĂ©e Â» prĂ©cĂ©dĂ© du verbe « blesse Â» souligne le hiatus entre la raison et le fonctionnement Ă©conomique en cours dans le pays. Il ne reste plus que la « honte Â» Ă©voquĂ©e de manière anaphorique dans le texte.

À travers Zilia, Graffigny critique en effet le système économique dans la monarchie absolue.

Dans le système monarchique, tout est centrĂ© autour du Roi et de l’État ,dans un fonctionnement pyramidal reprĂ©sentĂ© par l’expression « de la honte Ă  recevoir de tout autre que du souverain ce qui est nĂ©cessaire au soutien de sa vie et de son Ă©tat Â».

En Ă©tant le seul crĂ©ateur de richesse, le souverain absolu paralyse tout : l’économie, la charitĂ© potentielle des sujets entre eux, l’initiative. Il devient le maĂ®tre de tout comme le montre les termes « vie Â» et « Ă©tat Â».

Il est comme un maĂ®tre qui dispose de sujets esclaves sur lesquels il a droit de vie et de mort. Ainsi, règne l’arbitraire et la disproportion comme le suggère l’antithèse « ce souverain rĂ©pand ses libĂ©ralitĂ©s sur un si petit nombre de ses sujets en comparaison de la quantitĂ© des malheureux Â».

L’opposition entre « petit nombre Â» et « quantitĂ© Â» rĂ©vèle une vie politique marquĂ©e par la disproportion, qui avantage les proches du souverain mais laisse les autres de cĂ´tĂ©.

Graffigny montre que la monarchie absolue a perdu le sens du bien commun et protège ses sujets à l’aide de faveurs ou d’avantages arbitraires. C’est l’anti-portrait du bon gouvernement.

Graffigny insiste sur le caractère tragique de cette situation politique Ă  travers un vocabulaire mettant en relief le caractère irrationnel et dĂ©raisonnable de ce système politique : « folie Â», « ignominie Â», « mort Â», « impossibilitĂ© Â», « honte Â».

Lettres d’une PĂ©ruvienne, Lettre 20, conclusion

Françoise de Graffigny, comme l’avait fait Montesquieu dans Lettres persanes, s’inscrit dans la tradition des Lumières en analysant le système politique et économique en France. C’est un passage attendu pour un roman épistolaire mettant en scène un personnage étranger qui découvre la France.

Derrière cette analyse, Graffigny affirme un style discrètement polĂ©mique en s’attaquant – et de manière directe – aux sources de la monarchie absolue et aux mĂ©faits Ă©conomiques qu’elle crĂ©e. La monarchie absolue est pour Françoise de Graffigny l’anti-portrait du bon gouvernement.

La critique du gouvernement français, qui n’assure sa subsistance qu’en s’appuyant sur le travail du peuple, laisse entendre la diatribe de La BoĂ©tie dans le  Discours sur la Servitude volontaire dĂ©nonçant les gouvernements tyranniques.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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