Le Menteur, acte III scène 5 : analyse

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Voici une analyse linéaire de l’Acte III scène 5 de la comédie Le Menteur de Corneille.

L’extrait analysé va du vers 984 (« C’est tout ce que mérite un homme tel que vous« ) au vers 1020 (« je me fais marié pour toute autre que vous« )

Le Menteur, acte III scène 5, introduction

« Castigat ridendo mores » – « elle corrige les mœurs par le rire » – est un adage latin qui définit le pouvoir de la comédie au théâtre.

Parmi les ressorts comiques les plus efficaces, le mensonge est un vice communément utilisé par les personnages pour parvenir à leurs fins.

En 1644, dans sa pièce en cinq actes et en vers Le Menteur, Pierre Corneille met en scène un personnage vaniteux, Dorante, qui se rit de la vérité et de la morale pour assouvir son désir. (Voir la fiche de lecture sur Le Menteur de Corneille)

Le texte étudié est un extrait de la scène 5 de l’Acte III.

Lucrèce et Clarice ont élaboré un stratagème pour confondre Dorante : elles ont échangé leurs identités. A ce stade, Dorante est donc persuadé à tort de faire sa demande en mariage à Lucrèce.

De plus, Clarice et Lucrèce ont démasqué une partie des mensonges de Dorante : elles savent qu’il n’a pas combattu en Allemagne et pensent qu’il s’est bien marié à Poitiers.

Extrait étudié

CLARICE.
C’est tout ce que mérite un homme tel que vous,
Un homme qui se dit un grand foudre de guerre,
Et n’en a vu qu’à coups d’écritoire ou de verre ;
Qui vint hier de Poitiers, et conte, à son retour,
Que depuis une année il fait ici sa cour ;
Qui donne toute nuit festin, musique, et danse,
Bien qu’il l’ait dans son lit passée en tout silence ;
Qui se dit marié, puis soudain s’en dédit :
Sa méthode est jolie à se mettre en crédit !
Vous-même, apprenez-moi comme il faut qu’on ne nomme.

CLITON, à Dorante.
Si vous vous en tirez, je vous tiens habile homme.

DORANTE, à Cliton.
Ne t’épouvante point, tout vient en sa saison.

(À Clarice.)
De ces inventions chacune a sa raison :
Sur toutes quelque jour je vous rendrai contente ;
Mais à présent je passe à la plus importante :
J’ai donc feint cet hymen (pourquoi désavouer
Ce qui vous forcera vous-même à me louer ?) ;
Je l’ai feint, et ma feinte à vos mépris m’expose ;
Mais si de ces détours vous seule étiez la cause ?

CLARICE.
Moi ?

DORANTE.
Vous. Écoutez-moi. Ne pouvant consentir…

CLITON, bas, à Dorante.
De grâce, dites-moi si vous allez mentir.

DORANTE, bas, à Cliton.
Ah ! je t’arracherai cette langue importune.

(À Clarice.)
Donc, comme à vous servir j’attache ma fortune,
L’amour que j’ai pour vous ne pouvant consentir
Qu’un père à d’autres lois voulût m’assujettir…

CLARICE, à Lucrèce.
Il fait pièce nouvelle, écoutons.

DORANTE.
Cette adresse
A conservé mon âme à la belle Lucrèce ;
Et par ce mariage au besoin inventé,
J’ai su rompre celui qu’on m’avait apprêté.
Blâmez-moi de tomber en des fautes si lourdes,
Appelez-moi grand fourbe et grand donneur de bourdes ;
Mais louez-moi du moins d’aimer si puissamment,
Et joignez à ces noms celui de votre amant.
Je fais par cet hymen banqueroute à tous autres ;
J’évite tous leurs fers pour mourir dans les vôtres ;
Et libre pour entrer en des liens si doux,
Je me fais marié pour toute autre que vous.

Le Menteur, Corneille, acte III scène 5

Problématique

En quoi la complicité des deux femmes permet-elle à Dorante d’exercer sa virtuosité de conteur ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous étudierons le portrait sarcastique que Clarice fait de Dorante.

Dans un second temps, nous analyserons la faconde de Dorante qui se sort de cette situation apparemment inextricable.

I – Un portrait sarcastique de Dorante réalisé par Clarice

Du vers 984 (« C’est tout ce que mérite un homme tel que vous ») jusqu’au vers 1002 (« Mais si de ces détours vous seule étiez la cause ? »)

L’extrait s’ouvre sur la réplique de Clarice. Elle dresse un portrait peu flatteur du séducteur, comme l’indique l’expression à connotation péjorative : « un homme tel que vous ».

Le spectateur peut alors imaginer un mouvement sur scène, un geste du doigt et un ton accusateur.

La reprise de « Un homme » au v.985, avec l’article indéfini « un » continue de mettre Dorante à distance.

Puis l’accumulation de propositions subordonnées pointe tous les mensonges successifs de Dorante.

Tout d’abord, Clarice souligne un premier paradoxe : Dorante est l’archétype du miles gloriosus. Il fanfaronne en se présentant comme « un grand foudre de guerre » alors que ses guerres se font « à coups d’écritoire ou de verre ». Cette première antithèse relève le décalage entre l’apparence qu’il se donne et la réalité.

Elle est de plus renforcée par l’utilisation de la négation restrictive « Et n’en a vu qu’à coups » qui vise à tourner Dorante en dérision.

De plus, la jeune femme relève une autre contradiction. En effet, Dorante est fraîchement arrivé de Poitiers « hier » mais il raconte « Que depuis une année il fait ici sa cour ». L’antithèse « hier » / « depuis une année » permet de se moquer encore une fois de Dorante.

En outre, elle tourne en dérision ses mensonges concernant ses nuits. Elles passent pour être les plus animées comme le suggère l’énumération ternaire « festin, musique et danse » alors qu’en réalité Dorante est seul : « dans son lit passée en tout silence ». Les coupes irrégulières de l’alexandrin (« Bien qu’il l’ait / dans son lit / passée / en tout silence ») contribuent à railler Dorante.

Enfin, Clarice garde le mensonge le plus grave pour la fin – Dorante qualifiera cette invention par le superlatif « la plus importante » au vers 998 : Dorante est homme à changer son discours sur le sacrement du mariage.

Ainsi, au vers « Qui se dit marié, puis soudain s’en dédit », la diérèse sur le terme « marié » sonne d’autant plus faux et fait rire le spectateur. la paronymie sur « se dit » et « s’en dédit » joue sur la facilité avec laquelle Dorante change de discours.

L’ironie bat à plein jusqu’à l’antiphrase énoncée à la troisième personne du singulier du vers 992 : « Sa méthode est jolie à se mettre en crédit ! » Elle est accentuée par l’assonance en « i » qui fait entendre le mépris de Clarice.

La jeune femme provoque Dorante par l’apostrophe et l’impératif présent : « Vous-même, apprenez-moi comme il faut qu’on le nomme. »

La réplique en aparté de Cliton montre combien le valet est complice des mensonges de son maître : à ses yeux, faire croire au mensonge est un gage d’intelligence. C’est en effet ce que confirme le lien entre la proposition subordonnée circonstancielle de condition et la proposition principale : « Si vous vous en tirez, je vous tiens habile homme. »

Dorante continue à se montrer sûr de lui, grâce à l’expression de la défense « Ne t’épouvante point ». L’expression métaphorique énoncée au présent de vérité généraletout vient en sa saison ») souligne combien il a confiance en sa capacité à inventer.

Ainsi, il repousse le moment où il va se justifier et reste vague avec l’adjectif indéfini ‘ »quelque » : « Sur toutes quelque jour je vous rendrai contente ».

Sa stratégie consiste toutefois à avouer son mensonge de façon explicite : l’utilisation du polyptote « j’ai donc feint » (v.999), « je l’ai feint », « ma feinte » (v.1001) appuie sur cet aveu.

Grâce à cette confession, il souhaite retrouver du crédit. Son interrogation rhétorique entre parenthèses « pourquoi désavouer /Ce qui vous forcera vous-même à me louer ? » souligne son art de la manipulation et de l’éloquence puisqu’il retourne le vice du mensonge en qualité : « me louer« .

Il parvient à rendre Clarice – qu’il croit être Lucrèce – responsable de ses « détours », comme l’indique l’interrogation « Mais si de ces détours vous seule étiez la cause ? » (v. 1002)

II – La grandiloquence de Dorante

Du vers 1003 (« CLARICE. Moi ? ») au vers 1020 (« je me fais marié pour toute autre que vous« )

La stupéfaction de Clarice est matérialisée par la première syllabe du vers 1003 : « Moi ? » L’interrogation nominale souligne que la jeune femme reste sans voix.

L’assurance de Dorante est patente au point qu’il utilise l’expression de l’ordre à l’impératif présent : « Ecoutez-moi ». Les rôles s’inversent : le voilà à justifier l’injustifiable.

Les deux apartés qui suivent mettent en évidence la relation complice qui unit Dorante et son valet Cliton.

Ce dernier l’interrompt par une proposition subordonnée interrogative indirecte : « De grâce, dites-moi si vous allez mentir. » L’expression « De grâce » souligne à quel point Cliton est lui-même dupe de son maître et le prie de lui dire la vérité.

La violence de la réplique de Dorante énoncée au futur de l’Indicatif à valeur de certitude (« Ah ! Je t’arracherai cette langue importune. ») souligne combien il est vulnérable en fin de compte.

Aussitôt, Dorante cherche à faire bonne figure et il reprend à la fois son raisonnement – la conjonction de coordination « Donc » en témoigne » – et son discours lyrique amoureux (« vous servir », « l’amour que j’ai pour vous »).

Il se pose en victime de son propre père pour mieux persuader Clarice.

Mais cette dernière n’est pas dupe, comme l’illustre l’aparté de connivence avec Lucrèce : « Il fait pièce nouvelle, écoutons. » Le vocabulaire théâtral (« pièce » ) souligne que le jeu d’acteur de Dorante est démasqué.

Progressivement, Dorante s’enferre dans ses mensonges, croyant s’adresser « à la belle Lucrèce ».

Ainsi, il revient sur le mensonge du mariage à Orphise comme nécessité pour échapper au mariage forcé par son père avec Clarice.

Son éloquence se fait de plus en plus intense, comme l’illustre l’emploi de l’impératif présent en tête de vers (« Blâmez-moi », « Appelez-moi », « louez-moi », « joignez »).

Pour mieux séduire celle qu’il croit être Lucrèce, il confesse donc ce mensonge du mariage qu’il qualifie de « fautes si lourdes ». Les deux groupes nominaux « grand fourbe et grand donneur de bourdes » participent, en feignant de l’accabler, à redonner de lui une image acceptable.

Son expression se fait de plus en plus grandiloquente, par le recours à l’adverbe intensif « si » (« si lourdes », « si puissamment », « si doux »).

Il se présente comme un amant dont les sentiments sont profonds.

Mais le mélange des métaphores prête à sourire : « Je fais par cet hymen banqueroute à tous autres ; /J’évite tous leurs fers pour mourir dans les vôtres ; » Entre l’économie (banqueroute) et la prison (leurs fers), Dorante use de tous les moyens pour assurer sa dulcinée de sa sincérité.

Mais la suite du texte montrera que les deux femmes parviendront à confondre Dorante.

Le Menteur, acte III scène 5, conclusion

En définitive, à l’alliance Dorante-Cliton répond celle de Clarice et Lucrèce. Ensemble, elles cherchent à décrédibiliser Dorante.

En se faisant passer pour Lucrèce, Clarice raille Dorante et ses multiples mensonges en lui prouvant ses contradictions.

Mais, sans se laisser décontenancer, Dorante parvient à retourner la situation en se faisant passer pour une victime de son père, de son amour.

Sa déclaration grandiloquente prête à sourire tant elle est exagérée et fausse. Mais cette étape est essentielle car les deux femmes ont désormais un objectif commun : faire tomber les masques de Dorante.

À la fin de l’Acte III, ce dernier est déjà déstabilisé.

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Amélie Vioux

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