Les colchiques, Apollinaire : analyse

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les colchiques apollinaire commentaireVoici un commentaire littéraire du poème « Les colchiques » de Guillaume Apollinaire tiré du recueil Alcools (1913).

Les colchiques, Apollinaire, introduction de commentaire

Guillaume Apollinaire publie « Les colchiques » dans le recueil Alcools qui paraît en 1913.

Ce poème écrit probablement en 1901 évoque l’amour pour Annie Playden, la gouvernante de la jeune fille dont Apollinaire est le précepteur. Celle-ci repousse son amour.

(Voir mon résumé et mon analyse d’Alcools)

Dans « Les colchiques », Apollinaire peint un tableau d’automne mélancolique (I) qui symbolise sa souffrance amoureuse (II) et préfigure une renouveau poétique (III).

Poème analysé

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913.

Questions possibles à l’oral de français sur « Les colchiques »

♦ Que symbolise l’automne dans ce poème ?
Comment « Les colchiques » évoque-t-il la souffrance amoureuse ?
♦ Comment la mélancolie d’Apollinaire s’exprime-t-elle dans ce poème ?
♦ En quoi « Les colchiques » est-il une critique du lyrisme traditionnel ?
♦ Ce poème est-il moderne ou traditionnel ?

I – Un tableau mélancolique et saturnien

A – Un tableau d’automne

« Les colchiques » dépeint la saison poétique par excellence – l’automne – saison de la mélancolie et de la nostalgie.

Le substantif « automne » apparaît anaphoriquement à trois reprises (v.1, v.6, v.15). Cette présence lancinante de l’automne qui encadre le poème place la scène sous l’égide de la mélancolie.

Le champ lexical de la nature (« pré », « vaches », « colchique », « fleur-là », « vent dément», « troupeau », « pré mal fleuri ») crée un tableau champêtre dont les couleurs sont automnales : « couleur de cerne et de lilas », « violâtre ».

Le suffixe « -âtre », généralement péjoratif suggère une atmosphère crépusculaire.

B – Un poème marqué par l’influence de Verlaine

« Les colchiques » est un poème marqué par l’influence de Paul Verlaine, poète du XIXème siècle auteur des Poèmes Saturniens (poèmes placés sous l’influence de Saturne, planète de la mélancolie et du malheur.)

Les termes naïfs comme « joli » ou « mal fleuri » font penser à l’énonciation parfois enfantine de certains poèmes de Verlaine (comme « Chanson d’automne » ou « Le ciel est par-dessus le toit« ).

Mais c’est la répétition de l’adverbe « lentement » qui crée un effet d’intertextualité avec Verlaine, cet adverbe apparaissant souvent chez Verlaine.

La répétition de l’adverbe « lentement » fait songer à la « langueur monotone » dans « Chanson d’Automne » . Cette léthargie transparait dans les assonances en [an] qui confèrent au rythme une langueur exprimant la douleur et le mal de vivre.

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent

Apollinaire semble lui-même atteint de cette langueur jusqu’à perdre progressivement le sens des sonorités et le rythme de l’alexandrin :
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères (13 syllabes)

Transition : Le poète est désenchanté car paralysé par la douleur amoureuse.

II – Un poème d’amour malheureux

A – La fusion entre la femme et les colchiques

Derrière le tableau champêtre des colchiques, se cache la figure d’Annie Playden.

Le champ lexical de la maternité « vaches », « enfants », «mères », « filles de leurs filles » laisse transparaitre en filigrane une figure féminine.

L’anaphore de « comme » insiste sur l’analogie entre les colchiques (le comparant) et les yeux de la femme aimée (le comparé) : « comme cette fleur-là » , « comme leur cerne » , « comme cet automne » .

Pour rapprocher la fleur et la femme, Apollinaire joue sur l’ambiguïté du mot « cerne » qui désigne à la fois l’anneau de croissance chez les végétaux et la zone bleuâtre autour des yeux. Cette ambiguïté crée une fusion entre la fleur et les yeux d’Annie.

Le rejet de « y fleurit » au vers 5 contribue à cette fusion entre les colchiques et les yeux d’Annie comme si « tes yeux » était sujet inversé du verbe « fleurit » :
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit
tes yeux sont comme cette fleur-là

Cette fusion d’identité entre la femme et le colchique relève de l’esthétique symboliste qui a influencé Apollinaire et qui consiste à rattacher une idée (ici l’amour) à une forme sensible (ici la fleur).

Cette écriture en miroir apparaît dans les nombreux dédoublements de termes ou d’expression comme «lentement s’empoisonnent », « tes yeux », « filles », « battent », « pré », « automne ».

B – Un amour malheureux

Mais l’amour pour Annie est un amour malheureux qui conduit Apollinaire à la souffrance.

La femme aimée est assimilée à Médée, la magicienne originaire de Colchide en Asie Mineure et qui, laissant tomber une goutte de poison, donna naissance au colchique.

On relève ainsi le champ lexical du poison qui révèle cette dangerosité de la femme : « colchiques », « vénéneux », « s’empoisonnent », « s’empoisonnent ».

L’adverbe « –là » dans « cette fleur- » exprime aussi une distance entre le poète et Annie.

Cette distanciation apparaît à travers le champ lexical du regard : « cerne », « tes yeux », « tes yeux », « tes paupières ». L’évolution d’ « yeux » à « paupières » suggère une fermeture et une frontière entre le poète et la femme aimée.

La répétition du verbe « battent » (« tes paupières / qui battent comme les fleurs battent au vent dément » ) dévoile une violence intérieure.

La souffrance amoureuse conduit le poète à la folie (« vent dément » ) et à la mort intérieure.

Le tétramètre régulier « Et ma vie / pour tes yeux/ lentement / s’empoisonne » adopte un rythme solennel presque funéraire qui symbolise l’amour malheureux pour Annie Playden.

Transition : Cette évocation de l’amour malheureux  symbolise aussi la mort de la poésie lyrique traditionnelle dont Apollinaire se défait pour trouver une nouvelle écriture poétique.

III – Une révolution poétique

A – La déconstruction de la poésie lyrique traditionnelle

Apollinaire met en scène la fin du lyrisme traditionnel.

D’un point de vue formel, « Les colchiques » apparaît comme le vestige d’un sonnet.

En effet, un sonnet est composé de deux quatrains et deux tercets, soit 14 vers au total.

« Les colchiques » est composé de 15 vers mais les vers 2 et 3 sont composés de 6 pieds chacun et semblent être un ancien alexandrin comme en atteste la rime « automne » / « empoisonnent » aux vers 1 et 3.

Si l’on rattache ces deux hexamètres (vers de 6 pieds) pour n’en faire qu’un seul vers, on retrouve alors les 14 vers du sonnet.

Apollinaire, sensible aux calligrammes, redessine donc le sonnet en le déstructurant.

De même, Apollinaire défait les rimes du sonnet traditionnel. A la place du sonnet « italien » ABBA ABBA CCD EED ou « français » ABBA ABBA CCD EDE, Apollinaire met en place le schéma de rimes suivant : AABBAA BBCCD DAA. Il montre son souhait de se défaire du carcan de la versification traditionnelle.

La métrique (longueur des vers) est également remise en cause. A mesure qu’avance le poème, l’alexandrin se déséquilibre et les vers 6 , 9, 10, 11 et 12 contiennent 13 syllabes si l’on compte selon la versification classique.

On ne retrouve des alexandrins que si l’on élide à l’intérieur du vers les [e] muets suivis d’une consonne, ce qui est proscrit par la versification traditionnelle.

Ensuite, l’absence de ponctuation permet à Apollinaire de déconnecter la syntaxe des phrases de la structure des vers :

Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là

Enfin, certains termes introduisent une dissonance dans l’harmonie poétique du lyrisme traditionnel :
♦ l’adjectif banal et niais « joli »,
♦ Le bestiaire apoétique (« vaches », « meuglant »);
♦ L’imperfection suggérée par l’adverbe péjoratif « mal fleuri »;
♦ Les termes prosaïques comme « école », « hoquetons », « harmonicas ».

Ces termes traduisent un regard ironique d’Apollinaire sur le lyrisme traditionnel.

B – Une nouvelle musique poétique

Apollinaire appelle une nouvelle liberté poétique.

Le pré décrit par Apollinaire peut se lire comme une métaphore de la poésie lyrique traditionnelle qui se meurt :
Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent

L’automne, source traditionnelle d’inspiration chez les poètes, ne semble désormais plus qu’apporter laideur et désespoir comme l’atteste l’adverbe « mal » : « mal fleuri » .

Le poète devient alors le « gardien du troupeau » qui abandonne la poésie traditionnelle (« ce grand pré mal fleuri par l’automne » ) pour se diriger vers d’autres voies poétiques.

D’ailleurs, le chant du gardien (« chante tout doucement ») fait référence à Orphée, symbole de la poésie et de la musique et donc du poète.

Apollinaire quitte donc le lyrisme traditionnel :

♦ L’absence de la première personne du singulier « je » permet de prendre de la distance avec le lyrisme traditionnel.

♦ Le caractère discontinu des images (les colchiques > les yeux> les enfants> le gardien du troupeau) ressemble à un collage et préfigure l’esthétique cubiste qui cultive le choc et la dissonance.

♦ La musique du poème est marquée par des sonorités contradictoires : les assonances en [an] qui structurent tout le poème sont entrecoupées d’allitérations occlusives [k] et fricatives [f] et [v].

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Ce choc des sons et des images créent une poésie du mouvement et de la liberté.

Les colchiques, conclusion de commentaire

On perçoit dans « Les colchiques » d’Apollinaire le début d’une transition entre la poésie lyrique, statique et contemplative, et une poésie du mouvement dans le cadre de la modernité cubiste et plus tard surréaliste.

Apollinaire prend ainsi le contrepied de Ronsard qui assimile la femme aimée à une rose dans « Mignonne allons voir si la rose… ». Au lieu de célébrer la beauté de la rose, Apollinaire y substitue des colchiques « Violâtre(s) » qui annoncent la mort du lyrisme amoureux traditionnel.

Autre ouverture possible : On peut voir dans « Les colchiques » la matrice d’un des plus célèbres poème d’Apollinaire « Le pont Mirabeau ».

Tu étudies « Les colchiques » d’Apollinaire ? Regarde aussi :

Chanson d’automne, Verlaine (analyse)
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Amélie Vioux

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13 commentaires

  • Bonjour,
    Je ma casse la tête, en essayant de faire un commentaire sur le poème  » Les colchiques « d’Apollinaire, je suis perdu … je ne sais comment organiser mes idées, plan, etc … Cordialement
    PS : votre livre m’aide énormément, merci 😉

  • Bonjour,
    C’est un peu bizarre de dire que ce poème montre une transition entre une poésie lyrique et poésie surréaliste puisqu’à la fin Apollinaire revient quand même aux alexandrins ?

  • Bonjour je suis en 1ere S et on me demande de faire un commentaire sur « Train militaire » d’Apollinaire ayant pour question : 1) évocation de la fuite du temp et la fuite dans l’espace ( c’est à dire apparament le mouvement du train ) et pour 2) par rapport à la nostalgie du poète pour tenter de ramener sa bien aimée Lou.
    Mais je ne trouve pas les mots sachant que j’ai déjà fait une introduction

  • Bonjour
    Donc, une anaphore n’est pas qu’une répétition d’un terme en début de vers.
    Puisque dans l’analyse, les termes « comme » et  » automne ne sont pas en début de vers.
    Merci

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