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Voici une analyse linéaire du combat verbal final entre H1 et H2 dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute (une lutte à mort).
L’extrait étudié va de H1 : « Su quoi ? Su quoi ? Dis-le. » à H.2 : « Là je dépéris…J’ai envie de fuir…La vie ne vaut plus…
« . Il s’agit des pages 44 à 46 de l’édition Folio Théâtre.
Pour un oui ou pour un non, la lutte à mort, introduction
Dans Pour un oui ou pour un non, pièce écrite en 1982, Nathalie Sarraute met en scène deux amis H1 et H2 qui se disputent.
Le différend qui les oppose repose sur un détail en apparence anodin.
Mais au fil de la discussion, l’échange dévient progressivement un affrontement où l’inconscient se dévoile et met à jour une hostilité cachée jusque-là : jalousie, mépris social, deux visions antagonistes du monde, l’une poétique, l’autre rationnelle. (Voir la fiche de lecture pour le bac de français sur Pour un oui ou pour un non)
L’amitié est rompue et la scène devient un espace de combat entre les deux personnages.
Problématique
Comment ce combat verbal entre les deux amis symbolise-t-il l’inconciliabilité entre deux visions d’une monde, l’une bourgeoise et raisonnable, l’autre spontanée et sensible ?
Plan linéaire
Dans un premier temps, nous analyserons que H1 et H2 se livrent une véritable luttent à mort.
Dans un second temps, nous verrons qu’à travers ces personnages, ce sont deux visions du monde antagonistes qui s’affrontent.
I – Une lutte à mort entre deux personnages
De « Su quoi ? Sur quoi ? Dis-le » à « Deux soldats de deux camps ennemis qui s’affrontent
»
En utilisant le verbe « savoir », H2 affirme que l’inimitié est inscrite depuis longtemps entre les deux personnages : il suggère qu’il s’est caché cette inimitié plus qu’il ne l’ignorait.
H2 reprend les termes qu’H1 vient d’employer « Su quoi ? Su quoi ? Dis-le
». Les deux questions sont rhétoriques puisque l’impératif qui suit – « Dis-le
» – signale qu’H1 a décodé la situation conflictuelle. Mais il souhaite faire porter à H2 la responsabilité de la dénomination.
H2 assume d’exprimer ouvertement l’hostilité entre les personnages : « entre nous il n’y a pas de conciliation possible. Pas de rémission
».
La terminologie évolue dans le discours de H2.
En effet, le terme « conciliation » fait référence à l’univers juridique et contractuel comme si l’amitié n’était qu’un contrat rompu par les deux parties.
Mais le terme « rémission » se réfère à la fois à l’univers médical et surtout religieux.
Par le terme « rémission », H2 reconnaît que leur amitié s’est corrompue : l’hostilité est désormais comme un cancer en phase terminale.
Mais le terme « rémission » fait aussi référence à la terminologie biblique (la « rémission des péchés » par le Christ). H2 et H1 apparaissent alors similaires à Caïn et Abel qui symbolisent le fratricide par jalousie (Caïn tue Abel par jalousie dans Genèse).
H2 adopte le champ lexical de la guerre : « combat », « sans merci », « lutte à mort » « fort », « deux camps adverses », « soldats », « deux camps ennemis », « s’affrontent
».
Cette inflation de termes militaires montre un déchaînement de violence verbale et psychologique.
Les phrases deviennent nominales (« Une lutte à mort. Oui, pour la survie
») comme autant de flèches décochées à l’encontre de l’adversaire.
L’effet rimique entre « sans merci », « Oui pour la survie
», les assonances en [oi] (« Il n’y pas le choix. C’est toi ou moi
») donnent une musicalité presque militaire aux phrases prononcées par H2.
On passe du « toi et moi » en début de pièce à « C’est toi ou moi ». H2 reprend des expressions darwiniennes comme « combat sans merci », « lutte à mort », « pour la survie », « toi ou moi
». Charles Darwin (1809-1882) est un naturaliste du XIXème qui a théorisé l’évolution des espèces en fonction de la sélection naturelle et de la lutte pour la survie.
Par l’emploi de cette terminologie darwinienne, H2 suggère que la lutte entre les deux amis va au-delà d’un affrontement psychologique mais s’inscrit dans une logique biologique et sociale : la guerre de tous contre tous.
La suite continue de mettre en relief le tempérament opposé des deux hommes.
H1 incarne l’esprit scientifique qui cherche à tout nommer, à tout définir, à tout classifier : « Quels camps ? Ils ont un nom.
»
H2 incarne l’esprit poétique, la spontanéité, le refus de la bourgeoisie : « Ah, les noms, ça c’est pour toi. C’est toi, c’est vous qui mettez des noms sur tout
». Le passage du tutoiement au vouvoiement souligne qu’à travers le rejet de son ami, c’est bien contre une classe sociale que s’oppose H2.
Les effets de rime entre « vous » et tout » ainsi que les allitérations en [t] reprennent le bruit du tambour militaire pour préparer l’assaut.
II – Une lutte à mort entre deux visions du monde : l’esprit bourgeois contre l’esprit spontané
«De Eh bien moi je sais » à « j’ai envie de fuir…la vie ne vaut plus…
«
H1 adopte dès lors une posture défensive. Le verbe « savoir » qui amorce sa réplique souligne qu’il se situe du côté de l’esprit rationnel, posé et scientifique : « Eh bien, moi je sais. Tout le monde le sait
».
Le présent de vérité générale renforce cette crédibilité scientifique.
Le discours de H1 est structuré comme le montre la locution adverbiale « D’un côté » qui prépare un discours binaire et symétrique.
H1 utilise le champ lexical de la biologie (« luttent », « forces », « créent », « vie
») et paraît tirer les conclusions de l’expérience menée sur scène par Nathalie Sarraute : un monde divisé en deux catégories, ceux qui luttent dans la vraie vie et ceux qui se mettent en marge.
Alors que H1 hésite, comme le montre l’interjection « eh bien… », H2 rallume la flamme et traduit la pensée de son ami : les « ratés« .
H1 précise « Je n’ai pas dit ça
» et esquisse une défense digne d’un avocat : « D’ailleurs tu travailles
».
Cette réplique souligne à quel point H1 garde comme référent les valeurs bourgeoises, comme celle du travail.
Au contraire, H2 se situe sur un autre plan. Le terme péjoratif « vivoter » ainsi que l’adverbe « juste » discrédite la valeur travail.
H1 considère l’énergie humaine (le travail) comme un capital comme le montre la discussion des deux personnages autour du verbe « garder » : « H1 : Ah ! tu en gardes ? H2 : Je te vois venir… Non, non, je n’en ‘garde’ pas… H1 : Si. Tu en gardes. Tu gardes des forces pour quoi
».
H2 rejette les questions de H1 qu’il renvoie à une curiosité malsaine, presque scientifique : « que tu viennes toujours chez moi inspecter, fouiller
».
L’anaphore du terme « peur » (H2 : On dirait que tu as peur … H1 : Peur ? Peur ! H2 : Oui, peur. Ça te fait peur
» inverse le rapport de force.
H2 oppose au système de valeur bourgeois de H1 une autre vision du monde, celle de l’ombre et de l’incertitude comme en témoigne le champ lexical de la peur : « peur« , « inconnu« , « menaçant« , « à l’écart« , « dans le noir
« .
La métaphore de la « taupe », animal souterrain, suggère que la vie et les valeurs bourgeoises représentées par les « pelouses » ne sont qu’une couverture, un vernis destiné à cacher la réalité de la vie, prête à surgir.
Les « pelouses » représentent en effet cette nature artificialisée, maîtrisée et la taupe vient affleurer à la surface pour perturber son ordre.
La taupe est ainsi la métaphore de l’inconscient, du pulsionnel, du poétique et du sentiment.
H2 s’amuse à caricaturer l’horreur bourgeoise qui n’a qu’un objectif – chasser les taupes : « Il faut absolument la faire sortir, voici un produit à toute épreuve
». La tournure impersonnelle « il faut » reflète une société soumise à des codes, des obligations, des interdits.
L’adverbe « absolument
» dévoile un monde rempli de certitudes, qui a désappris à penser, à douter, à rêver.
« Voici un produit à toute épreuve
» reprend la rhétorique publicitaire pour dénoncer un monde soumis aux valeurs marchandes.
Ainsi le terme « raté » qui vient conclure cette imitation devient antiphrastique. Le « raté » est finalement celui qui se met à l’écart de ce monde étouffant, empesé de certitudes et imperméable à la poésie.
H2 imagine alors un procès dans lequel le « raté » plaiderait : « Un raté ? Moi ? Qu’est-ce que j’entends ? Qu’est-ce que vous dites ?
» Ces questions rhétoriques se moquent de la façon dont « le raté » devrait chercher à tout prix à s’extirper de sa condition.
Il repousse radicalement la condition de « raté », avec plusieurs négations : « Mais non, je n’en suis pas un, ne croyez pas ça
».
Le parallélisme « voilà ce que je suis, voilà ce que je serai
» repose sur une rhétorique judiciaire et ressemble à l’effet de manche d’un avocat qui plaide sa propre cause devant un « vous » (« vous allez voir
») qui sont les jurés bourgeois.
Le terme de « preuves » relève également de cet univers judiciaire où le raté se défend de l’être et montre son adhésion aux valeurs bourgeoises.
Mais tout cela n’est qu’un jeu. H2 lève le rideau par un cinglant « Non, n’y compte pas
».
H2 affirme vouloir demeurer dans le monde souterrain, nocturne.
Il oppose deux espaces qui représentent deux visions du monde : le « trou » et la « pelouse ».
Le trou est l’espace de la profondeur, celui de l’authenticité, de la vérité opposé à la pelouse, un espace de surface, superficiel et artificiel.
H2 oppose donc bien le monde bourgeois, rationnel, artificiel, calculateur et marchand à un monde spontané, poétique, décalé.
La métaphore végétale exprimée par le verbe « dépérir » rappelle que les pelouses sont une fausse végétation où la vraie vie n’a plus sa place.
Pour un oui ou pour un non, conclusion
C’est en effet une lutte à mort à laquelle nous assistons dans cette scène. Non pas seulement une lutte à mort entre deux personnages mais surtout une lutte à mort entre deux visions du monde : l’esprit bourgeois engoncé dans ces certitudes, le monde du conscient et de la raison face au monde et à la sensibilité poétique, forcément décalée mais creuset de la création et de l’écriture.
Le dénouement de cette pièce va permettre de redonner son sens originel à l’expression idiomatique qui donne son titre à la pièce : « pour un oui ou pour un non ».
Cette expression qui signifie « pour un rien » fait désormais raisonner un oui et un non : le oui de la bourgeoisie et des valeurs marchandes et le non de l’inconscient, de la spontanéité et de la création.
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