Pour un oui ou pour un non, le motif de la dispute : analyse linéaire

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Voici une analyse du motif de la dispute dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute.

L’extrait étudié va de la page 26 (édition Folio Théâtre) (« H.2 : « Eh bien, tu m’as dit il y a quelques temps…« ) à la p.27 (« enfin, pas pour de bon…juste un peu d’éloignement« ). H2 avoue enfin la raison de la dispute.

Pour un oui ou pour un non, l’aveu, introduction

Nathalie Sarraute a déjà une carrière de romancière et d’essayiste fournie lorsqu’elle écrit Pour un oui ou pour un non en 1982. (Voir la fiche de lecture pour le bac de français sur Pour un oui ou pour un non)

Très intéressée par la psychanalyse, elle utilise le genre théâtral pour explorer les zones inconnues de l’inconscient.

Dans Pour un oui ou pour un non, H1 vient rendre visite à H2 dont il sent l’éloignement alors que leur amitié a toujours été idyllique.

Sentant qu’ « il y a quelque chose de changé », il engage une discussion avec son ami destinée à comprendre les raisons de cette dispute.

H1 utilise tous les moyens pour susciter l’aveu de H2, dans un véritable combat verbal.

Après une résistance et une tension dramatique croissante, H2 s’apprête enfin à dévoiler ce « quelque chose » qui a occasionné la distance.

Problématique

En quoi le motif de la dispute, apparemment dérisoire, permet-il de comprendre la théorie des tropismes, qui repose sur un double langage ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, l’aveu de H2 semble comique tant le motif de la dispute apparaît dérisoire.

Dans un deuxième temps, H2 interprète les tropismes : il met en lumière le double langage de H1, l’intention inconsciente qui se cache derrière la banalité des mots.

I – Un aveu comique

De « Eh bien »…  à « H1 : Et alors je t’aurais dit : « c’est bien, ça » ?»

L’interjection « Eh bien … » ouvre l’espace de l’aveu. Les digues sautent et H2 s’apprête à révéler l’objet de son éloignement.

Le verbe dire au passé composé « tu m’as dit il y a quelque temps » plonge dans l’espace de la mémoire.

Le langage de H2, volontairement vague et général jusque-là, se fait plus précis et circonstancié comme le prouve l’utilisation de compléments circonstanciels de temps (« quand je me suis vanté », « quand je t’en ai parlé »).

La phrase de H2 est constituée d’un chiasme syntaxique (sur le modèle ABBA) : « quand je me suis vanté de je ne sais plus quoi… de je ne sais plus quel succès (…) quand je t’en ai parlé » comme si H2 continuait à cacher le secret, faisant monter la tension dramatique et augmentant l’effet d’attente sur sa révélation.

Mais l’objet de la distance tombe comme une chute comique.

La formule rapportée par H2 est en effet construite sur des mots peu signifiants et vagues « C’est bien…ça… »

De surcroît, l’attribut « bien » a un sens positif et n’est pas en décalage avec le « succès » évoqué par H2 plus haut. La phrase n’a donc rien de polémique.

Nathalie Sarraute joue ainsi avec le décalage comique entre l’insignifiance de cette phrase et la réaction qu’elle a provoquée chez H2.

H1, comme le spectateur, est dérouté par cette révélation comme l’atteste la pointe ironique de la proposition « j’ai dû mal entendre ».

La didascalie « prenant courage » renforce l’aspect comique car H2 est ironiquement assimilé à un héros devant réaliser un effort alors que la phrase qu’il répète est insignifiante.

H2 se lance alors dans la justification de sa prise de distance.

Il répète la phrase comme le lui a demandé H1 et sentant que le contenu sémantique ne suffit pas, il fait référence au ton (« Juste avec ce suspens…cet accent… »).

Les déterminants démonstratifs (ce suspens…cet accent) jouent le rôle de didascalies internes car ils suggèrent que H2 a imité le ton de H1.

Cette explication est un moyen pour Nathalie Sarraute de suggérer le double niveau de langage : le sens patent, sémantique, insignifiant ici (c’est bien ça) et un sens latent qui relève de l’intonation, de l’accent et qui révèle les intentions réelles et profondes du locuteur.

Cette distinction entre le sens et l’intonation s’inscrit dans la réflexion de Nathalie Sarraute sur les tropismes, ces « mouvements indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de la conscience ; ils sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir ».

En insistant sur le « suspens », l’« accent », H2 révèle, derrière la conversation apparente et la formule toute faite, la sous-conversation, celle de l’intention insconsciente.

Mais H1 ne comprend pas ce qui est en jeu. La répétition de la forme négative atteste de son incompréhension : « Ce n’est pas vrai. Ça ne peut pas être ça…ce n’est pas possible ».

Devant l’incrédulité de H1 marquée par les propositions interrogatives (« (…) ce n’est pas une plaisanterie ? Tu parles sérieusement ? »), H2 prend un ton soudain net, affirmatif et professoral, effaçant les points de suspension qui connotent le vague ou l’hésitation : « Oui. Très. Très sérieusement. »

H1 tente de retrouver ce souvenir. Mais il utilise le vocabulaire de l’illusion (« si », « rêve », « trompe ») et le conditionnel passé, temps du virtuel par excellence : « Tu m’aurais fait part », « Et alors je t’aurais dit » qui met un soupçon léger sur la véracité des faits.

Cet aveu est donc comique car il repose sur le contraste entre deux personnages. D’un côté, H1 incarne la vérité matérielle, l’objectivité des faits alors que H2 est celui qui ne s’attache pas au sens premier comme le montrent les déterminent ou adjectifs indéfinis : « Oh peu importe … une réussite quelconque ». Ce qui intéresse H2 n’est pas la matérialité du langage mais son intentionnalité.

II – L’interprétation des tropismes : la mise à nu de l’intention inconsciente 

De « H2, soupire : « Pas tout à fait ainsi » »…  à « juste un peu d’éloignement»

Ces deux degrés d’interprétation apparaissent dans la manière dont les personnages disent l’expression à l’origine de la dispute « C’est bien, ça ».

H1 la prononce de manière monotone « C’est bien, ça », ne voyant dans les mots que leur sens objectif, ce qui désamorce toute crise.

Mais, comme le ferait un metteur en scène qui corrigerait un mauvais acteur (« Pas tout à fait ainsi » ), H2 « soupire » de dépit rejoue la scène en reproduisant de la manière la plus exacte possible le ton adopté et en se livrant à une véritable explication de texte : « il y avait entre ‘C’est bien’ et ‘ça’ un intervalle plus grand ».

Les trois points de suspension, fréquemment utilisés par Nathalie Sarraute deviennent soudain plein de sens et constituent la matérialisation des tropismes, ces mouvements imperceptibles et insignifiants en apparence mais qui disent beaucoup sur l’intention du locuteur.

Le comparatif (« plus grand ») montre que H2 vient donner l’interprétation juste.

Il rejoue donc la scène en mettant le ton adéquat d’où le triplement du « i » (« C’est biiien …ça ») qui matérialise l’ « étirement » et l’accent dont il parlait plus haut (« cet accent »).

La mise en valeur du pronom indéfini « ça » qui « arrive » fait évidemment songer à la théorie de l’inconscient de Freud. L’interprétation que H2 fait du ton adopté par H1 permet de faire surgir l’inconscient, le moi pulsionnel (le Ça dans le langage freudien).

Lorsqu’il affirme « ce n’est pas sans importance », H2 souligne la différence entre les deux interprétations d’une même scène : l’une, celle de H1, attachée à la sémantique simple ne voit rien, l’autre, celle de H2, sensible aux tropismes, vient révéler l’intention.

H1 ne s’y trompe pas en commettant une sorte de lapsus « Et ça… oui c’est le cas de le dire… ». Alors que le pronom « ça » est utilisé de manière automatique, H1 se reprend et comprend qu’il s’agit de l’enjeu de la scène.

Se sentant en danger, H1 reprend le chantage affectif qu’il a joué à la scène initiale ; « ce ‘ça’ précédé d’un suspens t’a poussé à rompre… ». Mais il commence à manier le double langage sans s’en apercevoir. En effet, « ce ça » désigne ironiquement l’insignifiance du motif de la dispute, mais peut également désigner l’inconscient.

Le terme « rompre » relève du vocabulaire amoureux et souligne à quel point l’amitié des deux hommes semblait fusionnelle.

H2 corrige à nouveau H1 par des interjections ou des adverbes négatifs : « Oh… à rompre… non, je n’ai pas rompu… enfin pas pour de bon… juste un peu d’éloignement ». Il remet H1 à sa place. Le climat comique a disparu et H2 paraît reprendre le dessus.

Pour un oui ou pour un non, le motif de la dispute, conclusion

Nathalie Sarraute, à travers cette scène, met en place sa théorie des tropismes qui apparaissent dans un double langage.

Le langage en apparence simple de la scène laisse entrevoir un sous-langage, une sous-conversation où la complexité de ce que l’on veut dire apparaît à travers la simplicité de ce que l’on dit.

H2, en position de personnage comique, au début de la scène devient un initiateur. Il initie H1 et le spectateur aux subtilités du langage, aux complexités insoupçonnées de l’inconscient. Le spectateur peut se demander si cette véritable leçon sur la psychanalyse va permettre à H2 de se justifier ou si H1 va trouver la parade pour se dérober à ce procès.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Professeure et autrice chez hachette, je suis spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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