L’ennemi, Baudelaire : analyse

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Dali

Voici une lecture analytique du poème « L’ennemi » de Charles Baudelaire (Les Fleurs du Mal)

« L’ennemi » : Introduction

Le sonnet « L’ennemi » , extrait de la section « Spleen et idéal » des Fleurs du Mal de Baudelaire, parle du temps au double sens du terme : à la fois comme durée (le temps qui passe) et comme état de l’atmosphère (pluie, orage, soleil).

Problématiques possibles à l’oral sur « L’ennemi » :

♦ Comment le temps est-il représenté par Baudelaire ?
♦  De quelle(s) manière(s) se manifestent le spleen et l’idéal dans ce poème ?
♦  Analyser la ou les métaphore(s) du poème
♦  Que représente l’Ennemi pour le poète ?
♦  Mesurer la souffrance du poète dans ce texte

Clique ici pour lire le poème « L’ennemi » de Baudelaire.

Nous verrons dans cette analyse que le temps dominateur et destructeur (I) a une influence négative sur le poète et sur son art (II).

I – Le temps : un ennemi dominateur et destructeur

A – Une personnification du temps

Le temps est personnifié dans ce sonnet, voire même allégorisé (l’allégorie est la représentation concrète d’une idée abstraite), comme l’indique la présence de la majuscule au second tercet : «Le Temps mange la vie » (v. 12).

Le temps occupe une position dominante dans ce poème. Ainsi, au vers 12, « le Temps » est sujet du verbe manger, tandis que « la vie » est complément d’objet direct. Cette syntaxe met en valeur la supériorité du temps sur la vie.

B – Le poète dépersonnalisé

Cette personnification du temps entraîne une dépersonnalisation progressive du poète.

Ainsi, à la dernière strophe, le « je » du poète devient un « nous » général : «qui nous ronge » (v. 13) et «que nous perdons » (v. 14).

L’emploi du présent de l’indicatif (« croît et se fortifie ») renforce l’impression de vérité générale encore soulignée par l’emploi de tournures impersonnelles : «qu’il reste en mon coeur» (v. 4), «qu’il faut employer la pelle et les râteaux » (v. 6).

Ces tournures impersonnelles montrent un poète passif et impuissant contre le temps.

C – Le poète vampirisé

Le Vampire est un bourreau, il symbolise la destruction et la mort.

Dans « L’ennemi », le vampire, c’est le temps qui se nourrit du sang du poète, de sa personne, et de la vie en général (v. 12 : « Le Temps mange la vie » )

On relève ainsi le champ lexical de la nourriture : « fruits» (v. 4), « aliment » (v. 11), « mange » (v. 12), « ronge » (v. 13).

On retrouve d’ailleurs une image similaire du temps dans le poème « L’Horloge » (qui clôt la section « Spleen et idéal » ) : « Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde » (v. 12 du poème « L’Horloge »).

En outre, ce champ lexical de la nourriture est associé à celui de la vitalité et de la force : « vermeils », « vigueur », « vie », « coeur », « croît et se fortifie » (v. 14).

Le rapprochement sonore entre « vigueur » et « vie » /« coeur » renforce l’idée selon laquelle le temps se fortifie en prenant la vie d’autrui.

Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

– Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le coeur

II – Les effets du temps sur le poète

A – Le poète entre espoir et désespoir

Dans « L’ennemi« , le poète oscille entre espoir et désespoir.

Les deux premiers vers introduisent cette dualité :
« Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils » .

L’alternance entre lumière et obscurité se manifeste à travers l’antithèse « ténébreux orage » (v. 1) et « brillants soleils » (v. 2).

Cette alternance se retrouve dans la composition même des rimes. L’on observe en effet des rimes croisées (ABAB) qui sont favorisées par la forme du sonnet.

Le poète hésite ainsi dès son plus jeune âge entre l’ombre et la lumière, entre l’espoir et le désespoir.

Cette oscillation est renforcée par les sonorités, qui alternent entre douceur et agressivité.

L’assonance en « ie » et les allitérations en « l » et en « s » (« jeunesse » au vers 1, « brillants soleils », « pluie » et « vermeils » aux vers 2, 3 et 4, etc.), s’opposent à une allitération en « r » et une en « t » qui marquent la dureté et l’agressivité : « orage » (v. 1), « tonnerre » et « ravage » (v. 3), « terres »(v. 7), « creuse » et « trous » (v. 8), « trouveront » (v. 10), « ronge » (v.13), etc.

L’espoir apparaît brièvement au premier tercet sous les modes du conditionnel : « le mystique aliment qui ferait leur vigueur» (v. 11), et du futur mis en valeur en tête de vers (« Trouveront dans ce sol », v. 10).

Mais, à la strophe suivante, avec le retour au présent, c’est l’obscurité, et donc le désespoir, qui l’emporte : « Et l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur » (v. 13).

B – L’angoisse du poète face au passage du temps

Grâce à une métaphore filée entre la vie et les saisons, le poète décrit le passage du temps sur sa vie comme une succession de saisons.

Ainsi, à chaque strophe correspond une saison :

♦ Le passage du premier au second quatrain évoque le passage de l’été («orage », « soleils », « tonnerre », v. 1 à 3) à l’automnel’automne des idées », v. 5).

♦  Le premier tercet représente l’espoir de renouveau généralement lié au printempsles fleurs nouvelles », v. 9).

♦ La strophe finale associe l’hiver à la mort («mange la vie », « ronge le coeur », « sang », v. 12 à 14).

L’angoisse du poète face à l’écoulement du temps s’exprime à travers le champ lexical de l’enterrement et de la mort : « pelle », « terres », « creuse », « trous » et surtout « tombeaux » (vers 6 à 8).

D’autre part, cet écoulement du temps est matérialisé par les nombreuses monosyllabes dans le poème :
♦ « Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils » (v. 4)
♦ « l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux » (v. 8)
♦ « Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve » (v. 9), etc.

Cette succession de monosyllabes rappelle le tic-tac de l’horloge, l’écoulement des secondes et amplifie encore le sentiment d’angoisse lié au rapprochement inéluctable de la mort.

C – Une métaphore de la création poétique ?

La métaphore des saisons peut être comprise comme une métaphore de la création poétique.

On relève ainsi le champ lexical du travail de la terre : « jardin », « fruits », (v. 4), « pelle », « râteaux » (v.6), « terres », « creuse » (vers 7 et 8), « sol » (v. 10), « croît » (v. 14) et celui de l’eau (« pluie », « inondées », « eau », « lavé »).

L’eau est en effet omniprésente dans le poème.

On l’aperçoit à travers les sonorités, en particulier avec  l’allitération en « l » qui envahit le poème : «soleils » (v. 2), « pluie » (v. 3), « employer la pelle » (v. 6), « les fleurs nouvelles » (v. 9), « sol lavé » (v. 10), « aliment » (v. 11), « douleur » (v. 12).

Les terres inondées sont associées à l’idée de mort (« Pour rassembler à neuf les terres inondées, / Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux ») mais aussi à celles d’abondance et de purification (« mystique aliment », v. 11) permettant un renouvellement.

D’ailleurs, l’on observe une transmutation de l’eau en sang au dernier vers :
« Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! » (v. 14).

Ainsi, comme les « fleurs nouvelles » qui puisent leurs racines dans les terres inondées, le poète trouve dans sa souffrance une inspiration créatrice.

Conclusion

Dans « L’ennemi », Baudelaire reprend au romantisme le thème de la conscience du temps qui passe, synonyme d’angoisse et de mélancolie, que l’on voit par exemple dans Les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand.

Cependant, il modernise cette thématique en la transposant dans sa propre esthétique.

Le temps ici personnifié apparaît comme un ennemi, un vampire qui vide le poète de son sang pourtant nécessaire à la croissance de nouvelles fleurs poétiques.

La présentation du temps comme un mal universel est récurrente chez Baudelaire; on la retrouve par exemple dans le poème « L’horloge » issu des Fleurs du Mal ou « Enivrez-vous » issu des Petits poèmes en prose.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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33 commentaires

  • Bonjours,
    Je ne comprend pas vraiment pourquoi vous présenter le poème dans le désordre je croyais que c’était quatrain ou tercet par tercet ?
    En attente de votre réponse.

  • Bonjour dans l’analyse de l’ennemi vous dîtes que le poète est vampirisé avec comme justificatif « le temps mange la vie » mais je ne vois pas forcément le rapport avec les vampires. Je me demande donc si les examinateurs lors de mon oral de français comprendront cette comparaison. Pouvez-vous m’éclairer s’il vous plaît.

    • Dans le dernier tercet, le champs lexical de la mort/ du sang est présent « cœur » « sang » « obscur » ainsi, il est écrit que « l’Ennemi » « nous ronge le cœur » tel un vampire et « croît et se fortifie » grâce aux « sang que nous perdons » comme un vampire encore une fois qui, pour vivre à besoin de sang. De cette manière, une certaine vampirisation est présente. J’espère que ma réponse t’auras éclairée bien que je ne suis qu’un élève de seconde.

  • Bonjour, n’ayant pas trouvé le poème « Le voyage » de Baudelaire je me permets de vous demander si vous connaissez un plan concernant seulement la première partie. En effet le commentaire se portera seulement sur cette partie et je ne trouve vraiment pas de plan. En espérant avoir votre réponse !
    Merci d’avance

  • Un grand merci pour vos commentaires très complet, si je tombe sur une des œuvres que vous m’avez détaillé à mon Bac Français, comptez sur moi pour 1000 fois vous en remercier.
    P.S : Faites-vous des textes sur demande ? Parce que malheureusement vous ne m’avez fourni que 3 textes sur mes 21 futurs…
    Bonne journée

  • Bonjour Amélie, j’ai une question concernant les tournures impersonnelles et la présence de présent à valeur de vérité générale:
    Il est dit qu’elles mettent en valeur un poète passif mais n’accentuent-elles pas aussi le fait que le temps est non seulement l’ennemi du poète mais plus généralement celui de l’Homme en général? Je comprend plus cela dans le sens d’un mal universel qui finalement atteint l’humanité. Est-ce correct?
    Merci beaucoup.

  • Bonjour Amélie, une question concernant les problématiques :
    est ce qu’ici le plan du commentaire peut s’adapter à toutes les problématiques proposées ?
    J’aurais, dans la mesure de votre possibilité, besoin d’une réponse rapide s’il vous plaît 🙂

  • Bonjour j’aurais besoin d’aide pour le poème élévation de Baudelaire pourriez vous faire un commentaire dessus s’il vous plaît ou juste une analyse vite fait si vous ne disposez pas de temps merci beaucoup

  • Bonjour, j’ai mon oral blanc qui arrive bientôt et j’ai le poème « L’ennemi » dans mes textes de bac. J’ai étudié le poème en classe mais je trouve votre lecture analytique beaucoup plus poussé que celle que j’ai faite en cours. Le plan étudie de manière linéaire le poème (I-Les quatrains II-Premier tercet III-Second tercet).
    Est ce que il faut quand même apprendre la lecture analytique vue en classe ou bien est ce que je ne prend aucun risque en apprenant votre lecture ?
    Merci d’avance et bravo pour le site !

  • Bonjour, vous dites dans la partie C  » Une métaphore de la création poétique ? » que l’allitération en ‘l’ montre l’omniprésence de l’eau dans ce poème. Je n ‘arrive pas a voir en quoi cette allitération peut être associée a l’eau. Pourriez-vous me l’expliquer si vous plait? Merci d ‘avance!

  • imaginer un interview entre Baudelaire et vous.Quelle questions voudriez-vous lui proposer à propos de son chagrin et quelles réponses peut-il bien vous donner

  • Dans le I-B vous parlez de la citation  » qu’il reste en mon cœur  » au vers 4. Mais cela n’est pas dans le poème. En effet au vers 4, Baudelaire dit :  » qu’il reste en mon jardin « 

  • bonjour, j’ai lu votre article disant que pour 80% des problématiques, on peut réutiliser son plan de cours, or avec la question  » de quelle manière se manifestent le spleen et l’idéal dans ce poème « , je ne vois pas commet ajuster votre plan pour répondre à la question.

    merci d’avance pour votre aide précieuse !

  • bonjour Amélie, es ce que vous posterez des commentaires sur l’argumentation par exemple louis ferdinant Celine « voyage au bout de la nuit » ou encore des cannibales de Montaigne ou de l’esclavage des nègres de Montesquieu ou un texte de Fenelon ??
    Merci d’avance !!!!
    vos explications sont très claires et m’aide beaucoup pour la compréhension des textes !!

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