Le vin des chiffonniers, Baudelaire : lecture linéaire

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Voici une analyse linéaire du poème « Le vin des chiffonniers » des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire.

Le vin des chiffonniers, introduction

Les Fleurs du Mal (1857) de Baudelaire révolutionne la poésie par sa représentation pessimiste de l’âme humaine.

Dans ce recueil, l’homme, en quête d’un « Idéal » inaccessible, est en proie à un « Spleen » désespérant. (Voir la fiche de lecture pour le bac des Fleurs du Mal de Baudelaire)

Ce spleen est accru par la ville moderne dépeinte dans les « Tableaux parisiens » comme un espace de corruption.

Cependant, la troisième section du recueil, « Le Vin », envisage un remède au spleen : le vin qui semble à même de soulager la misère.

« Le Vin des chiffonniers » est le deuxième poème de cette section.

Ce poème en huit quatrains d’alexandrins aux rimes suivies offre une représentation favorable du vin.

Poème étudié

Souvent, à la clarté rouge d’un réverbère
Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,
Au coeur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux
Où l’humanité grouille en ferments orageux,

On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête
Butant, et se cognant aux murs comme un poète,
Et sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Épanche tout son coeur en glorieux projets.

Il prête des serments, dicte des lois sublimes,
Terrasse les méchants, relève les victimes,
Et sous le firmament comme un dais suspendu
S’enivre des splendeurs de sa propre vertu.

Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage,
Moulus par le travail et tourmentés par l’âge,
Éreintés et pliant sous un tas de débris,
Vomissement confus de l’énorme Paris,

Reviennent, parfumés d’une odeur de futailles,
Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles
Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux.
Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux

Se dressent devant eux, solennelle magie !
Et dans l’étourdissante et lumineuse orgie
Des clairons, du soleil, des cris et du tambour,
Ils apportent la gloire au peuple ivre d’amour !

C’est ainsi qu’à travers l’Humanité frivole
Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole ;
Par le gosier de l’homme il chante ses exploits
Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.

Pour noyer la rancoeur et bercer l’indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;
L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !

Le vin des chiffonniers, Les Fleurs du Mal, Baudelaire

Problématique

Comment ce poème fait-il l’éloge du vin, présenté comme une source de consolation pour les miséreux et le poète ?

Annonce de plan linéaire

Dans une première partie, du début du poème à la troisième strophe, le vin libère le chiffonnier de la misère.

Puis, dans une deuxième partie, de la quatrième à la sixième strophe, le vin rappelle aux chiffonniers leurs triomphes militaires.

Enfin, dans la troisième partie, aux deux derniers quatrain, le vin est présenté comme le consolateur divin inventé par l’homme pour se soulager de sa condition.

I – Le vin libère le chiffonnier de la misère

(Du premier au troisième quatrain)

Le poème s’ouvre sur l’adverbe temporel «Souvent», antéposé et isolé par la virgule. Il s’annonce donc comme une vision récurrente faite par le poète.

L’atmosphère, « à la clarrouge d’un réverre », est d’emblée infernale en raison de la couleur rouge et de la rude allitération en « r ».

L’enjambement au vers 2 aggrave cette atmosphère inquiétante : « Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre » (v.2). Les verbes employés au présent expriment en effet la violence des éléments : « bat », « tourmente » .

Le poète se trouve dans un « vieux faubourg ». Paris dénombrait de nombreuses voies médiévales et tortueuses avant les transformations d’Haussmann. Baudelaire voit dans ce faubourg un « labyrinthe fangeux », métaphore péjorative assimilant Paris à un inextricable réseau de voies immondes.

Cette capitale de la boue aggrave le spleen, ce qu’exprime l’animalisation « l’humanité grouille en ferments orageux » (v.4), où les hommes sont assimilés à des insectes.

Cette première strophe ne comprend pas encore de propositions principales. Les nombreux compléments circonstanciels qui la constituent suscitent un effet d’attente et de dégoût.

C’est à la seconde strophe que paraît la figure centrale du poème, qu’annonçait le titre : « On voit un chiffonnier qui vient » (v.5).

L’emploi du présent de vérité générale et du pronom personnel indéfini « On » annoncent un portrait du chiffonnier. Le chiffonnier était un homme chargé de remuer les ordures de la ville afin d’y puiser des restes revendables et recyclables.

Le chiffonnier est dépeint via une énumération ternaire : « hochant la tête, / Buttant, et se cognant aux murs comme un poète » (v.5-6).

La lourdeur des trois participes présents et les sonorités explosives (t, b, c) restituent la démarche heurtée du chiffonnier.

La comparaison entre le chiffonnier et le poète rappelle que tous deux cherchent l’or dans la boue, à la manière des alchimistes.

Mais cette démarche hasardeuse témoigne surtout de l’ébriété du chiffonnier indifférent à ce qui l’entoure : « sans prendre souci des mouchards, ses sujets, » (v.7).

Il ne s’inquiète en effet pas des menaçants indicateurs de police dans ce Paris nocturne.

L’allitération en « s » restitue l’ivresse du chiffonnier qui considère ces mouchards comme « ses sujets » : « Et sans prendre souci des mouchards, ses sujets » .

L’ivresse le porte même à parler à haute voix puisqu’il « Epanche tout son cœur en de glorieux projets. » (v.8). Ce chiffonnier ivre et bavard évoque le bouffon de théâtre, le Pierrot italien, ce qui le rend comique et sympathique.

À la troisième strophe, son ivresse s’intensifie, aux vers 9-10 :

« Il prête des serments, dicte des lois sublimes, /
Terrasse les méchants, relève les victimes
 ».

L’énumération des quatre verbes d’action (« prête », « dicte », « terrasse », « relève ») et le rythme équilibré des alexandrins, avec la césure à l’hémistiche, restitue ce combat imaginaire où le chiffonnier se rêve en héros faisant régner la justice.

Ce fantasme témoigne du besoin de justice sociale du chiffonnier, justice absente dans le Paris des miséreux.

Le vin transfigure la réalité, habille la misère d’un manteau de splendeur, comme l’exprime la comparaison « sous le firmament comme un dais suspendu » (v.11).

C’est dans l’ivresse que le chiffonnier peut ainsi exercer sa vertu : « S’enivre des splendeurs de sa propre vertu. » (v.12) Les allitération en « s », « v » et « r » font ressentir au lecteur cet état d’ébriété.

II – Le vin rappelle aux chiffonniers leurs triomphes militaires

(Du quatrième au sixième quatrain)

Le chiffonnier ivre incarne plus largement tous les miséreux de la ville, comme le montre la périphrase au pluriel « ces gens harcelés de chagrins de ménage« .

Baudelaire introduit ce portrait du prolétariat par l’adverbe isolé « Oui » qui confère au poème l’oralité d’un discours contre la misère.

L’énumération ternaire de participes passés dépeint les pauvres en victimes d’une écrasante condition sociale :
« ces gens harcelés de chagrins de ménage,
Moulus par le travail et tourmentés par l’âge,
Éreintés et pliant sous un tas de débris 
» (v.13-15).

La métaphore entre ces miséreux et le « Vomissement confus de l’énorme Paris » dresse un tableau sombre et pathétique de la misère, qui justifie le besoin d’ébriété.

Le vin reparaît justement au quatrain suivant.

Le verbe « revenir » au présent de l’indicatif relance la longue phrase débutée au quatrain précédent et témoigne de la vigueur que le vin donne aux miséreux.

Le participe passé « parfumé » (v.17) est mélioratif et marque un contraste avec la description de la misère dans la strophe précédente.

L’alcool est également associé à la solidarité puisque les chiffonniers sont « Suivis de compagnons ».

Ces derniers sont cependant, « blanchis dans les batailles » (v.18). Cette métaphore désigne les fantômes des soldats morts, les chiffonniers étant pour beaucoup d’anciens soldats, d’anciens « Grognards » de l’armée napoléonienne.

Leur déchéance est symbolisée par la comparaison « la moustache pend comme les vieux drapeaux. » (v.19) Le chiffonnier est ainsi une figure ambivalente, à la fois victime misérable et ancien guerrier.

Sous l’effet du vin, les chiffonniers se souviennent de leurs glorieux rêves militaires, comme le montre le vocabulaire mélioratif :

« Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux
Se dressent devant eux, solennelle magie !
 »

l’enjambement « Se dressent devant eux, solennelle magie! » poursuit la phrase sur la strophe suivante. Cette versification est audacieuse. Elle rend compte, avec l’exclamation, de l’enthousiasme que confère les effets du vin.

L’obscurité laisse place à une «étourdissante et lumineuse orgie /
Des clairons, du soleil, des cris et du tambour
» (v.22-23).

L’énumération au pluriel suggère l’étourdissement lié au vin.

Plusieurs sens sont mobilisés dans ce délire alcoolique : la vue (« lumineuse« ), l’ouïe (« clairons« , « cris« , « tambour« ), le goût (« ivre« ).

Il s’agit d’une véritable expérience synesthésique (expérience où plusieurs sens de répondent) comme celle décrite dans le poème « Correspondances » des Fleurs du Mal.

Mais il ne s’agit là que d’un délire, empli d’une gloire irréelle.

III – Éloge du vin, consolateur divin inventé par l’homme pour se soulager de sa condition

(Deux derniers quatrains)

Les deux dernières strophes adoptent le ton du moraliste qui médite sur « l’Humanité frivole » (v.25).

Le poète souligne la légèreté de ses congénères à travers l’adjectif péjoratif « frivole« .

La tournure présentative « C’est ainsi que » participe à l’oralité du poème.

Baudelaire souligne alors l’ambivalence du vin, remède puissant mais dangereux.

Le vin est si puissant qu’il est associé à l’or et personnifié sous les traits d’un poète héroïquePar le gosier de l’homme il chante ses exploits », v. 27) et d’un souverainEt règne par ses dons ainsi que les vrais rois. », v.28).

Mais il est dangereux car utilisé pour oublier la misère comme le souligne la dernière strophe : « Pour noyer la rancoeur et bercer l’indolence« . C’est un remède réservé aux miséreux, « ces vieux maudits qui meurent en silence » .

Le vin vient compléter l’œuvre inachevée de Dieu qui, certes, «touché de remords, avait fait le sommeil» (v.31). Mais le sommeil et les rêves apaisent insuffisamment les humains. Baudelaire reproche à Dieu la cruauté de la condition humaine.

Cette injustice a cependant été compensée : « L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil ! » (v.32) La majuscule fait du vin une figure divine.

La périphrase « fils sacré du Soleil » transforme le vin en figure christique capable d’apporter la Rédemption.

Le vin des chiffonniers, conclusion

Nous avons montré comment ce poème fait l’éloge du vin, source de consolation pour les chiffonniers.

Dans le Paris des miséreux, le vin est à même de transformer la boue de la vie un or.

Ainsi, Baudelaire assimile le chiffonnier au poète qui cherche également à transformer le spleen en inspiration poétique.

Mais l’échappatoire dispensée par le vin est cependant illusoire et donc dangereuse, comme le montrera l’essai de Baudelaire Les Paradis artificiels en 1860.

« Le vin des chiffonniers » peut être mis en en lien avec le poème « Le Soleil », où la figure du chiffonnier constitue également une métaphore du poète en quête d’inspiration poétique.

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