Alchimie de la douleur de Baudelaire : commentaire linéaire

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alchimie de la douleurVoici une analyse linéaire du poème « Alchimie de la Douleur » issu des Fleurs du Mal de Baudelaire.

Alchimie de la douleur, Baudelaire, introduction

Le titre antithétique des Fleurs du Mal, recueil le plus célèbre de Charles Baudelaire, sonne comme une provocation lors de sa publication en 1857. Baudelaire y décrit sa descente aux enfers et son tiraillement entre le spleen et l’Idéal, le sublime et le sordide.

(Voir mon analyse du recueil Les Fleurs du Mal)

Le sonnet en octosyllabes « Alchimie de la douleur » est l’un des derniers poèmes de la section, « Spleen et Idéal ». Dans une intensification du spleen, le poète y exprime son morbide désespoir.

Projet de lecture :

Comment ce sonnet exprime-t-il l’incapacité du poète à dépasser son spleen morbide ?

Alchimie de la douleur

L’un t’éclaire avec son ardeur,
L’autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l’un : Sépulture !
Dit à l’autre : Vie et splendeur !

Hermès inconnu qui m’assistes
Et qui toujours m’intimidas,
Tu me rends l’égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;

Par toi je change l’or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages.

Annonce du plan linéaire :

Nous pouvons observer trois mouvements dans ce poème. Le poète évoque d’abord la tension des principes de vie et de mort qui le déchirent (I), avant de s’adresser à Hermès Trismégiste (II), pour affirmer son incapacité à être un alchimiste poétique (III).

I – Le poète déchiré par la tension entre vie et mort

(Vers 1 à 4)

 Ce bref sonnet s’ouvre de manière mystérieuse avec un parallélisme antithétique aux vers 1 et 2 : « L’un t’éclaire avec son ardeur, / L’autre en toi met son deuil, Nature ! »

Cette ouverture est mystérieuse car « l’un » et « l’autre » sont des pronoms indéfinis : le sujet du poème n’est donc pas immédiatement identifiable par le lecteur.

Le mystère est renforcé par la concision des vers et la violente apostrophe à la nature marquée par un point d’exclamation (« Nature ! »). C’est à une nature sacralisée par la majuscule que le poète s’adresse.

C’est l’opposition entre la vie et la mort qui est mise en scène.

Ainsi, le premiers vers fait signe vers la  vie avec les termes « éclaire » et « ardeur ». L’allitération en « r » restitue la puissance vitale de cette énergie guidant vers l’idéal.

Le deuxième vers met en valeur un principe de mort, le spleen, qui « met son deuil » jusqu’au sein de la nature.

Cette tension entre vie et mort, spleen et idéal est permanente comme le suggère le présent de l’indicatif « éclaire« , « met« .

Les deux vers suivants prolongent cette tragique tension : « Ce qui dit à l’un : Sépulture ! / Dit à l’autre : Vie et splendeur ! ».

Les rimes embrassées de ce quatrain (ardeur/Nature/Sépulture/splendeur)  font résonner les voix intérieures du poète qui se déchirent.

La répétition du verbe « dire » aux vers 3 et 4 restitue le théâtre intérieur de Baudelaire où le spleen morbide et la tension vers l’Idéal se répondent.

II – Le poète s’adresse à Hermès Trismégiste

(Vers 5 à 8)

Au deuxième quatrain, Baudelaire semble changer de sujet en s’adressant à Hermès : « Hermès inconnu qui m’assistes » (v.5).

Dans la mythologie grecque, Hermès est un dieu messager. Il pourrait ainsi incarner l’Idéal vers lequel tend Baudelaire.

Néanmoins, l’adjectif « inconnu » surprend car Hermès, le dieu antique, est une divinité majeure.

Aussi faut-il penser que Baudelaire évoque plutôt Hermès Trismégiste, personnage de l’antiquité gréco-égyptienne à qui sont attribués des écrits sur l’alchimie.

Ce personnage fait donc directement référence au titre (Alchimie), et son qualificatif d’« inconnu » tient à son statut de figure obscure et mystérieuse.

Baudelaire se dit assisté par Hermès. Il s’inscrit ainsi dans une conception antique du poète, qui voudrait que le poète soit inspiré par les dieux.

Cependant, c’est un dieu obscur et inquiétant qui guide le poète et l’intimide : « Et qui toujours m’intimidas » (v.6)

Le patronage d’Hermès est donc également une malédiction : « Tu me rends l’égal de Midas, / Le plus triste des alchimistes » (v.7).

Midas était un roi mythique dont les mains transformaient en or tout ce qu’il touchait, ce qui fait de lui un alchimiste. (L’alchimie désigne un ensemble de pratiques magiques censées pouvoir transformer tout matériau en or).

Baudelaire assimile la poésie à l’alchimie : la poésie est censée transformer le matériau qu’est le langage en or.

Cette analogie est explicite chez Baudelaire qui affirme, en s’adressant à Paris : « Tu m’as donné ta boue, et j’en ai fait de l’or. »

Cependant, le poète et Midas sont désignés comme « Le plus triste des alchimistes » (v.8).

Cette hyperbole peut surprendre : le poète devrait se réjouir de pouvoir tout transformer en or, car c’est là l’idéal de tout poète.

Cependant comme Midas, ses pouvoirs d’alchimistes l’empêchent de vivre. En effet, Midas transformait en or même l’eau et la nourriture. Tout comme lui, le poète souffre donc de ses pouvoirs poétiques.

Midas constitue la seconde référence à une figure antique dans ce sonnet, ce qui montre que Baudelaire s’adresse à un lecteur cultivé, censé déchiffrer les références.

Ce sonnet s’inscrit en cela dans une esthétique symboliste, cultivant le goût du mystère et la brièveté de la forme (sonnet, octosyllabe).

III – Baudelaire : un alchimiste inversé

(Vers 9 à 14)

Dans le premier tercet, Baudelaire prolonge l’adresse au funeste Hermès : « Par toi je change l’or en fer » (v.10).

La première personne « je »montre que le poète fait son autoportrait. Mais c’est un autoportrait tragique car Baudelaire se dépeint comme un alchimiste inversé : son travail poétique dégrade la matière au lieu de l’élever : il « change l’or en fer / Et le paradis en enfer » . L’antithèse (paradis/enfer) souligne l’échec du poète.

Bien qu’il tente d’atteindre l’Idéal, Baudelaire ne fait donc que sombrer dans le spleen.

Le présent de l’indicatif suggère qu’il ne pourra jamais en être autrement.

L’enjambement au vers 12 prolonge la strophe précédente. Cette déstructuration du sonnet modernise une forme poétique traditionnelle mais c’est aussi une manière originale de montrer que le poète moderne ne parvient plus à atteindre l’idéal poétique. Il est condamné  à « découvr[ir] un cadavre » dans le ciel.

Le désespoir baudelairien peut cependant être la source d’un humour morbide, notamment avec le surprenant oxymore « cadavre cher ».

Les deux derniers vers achèvent l’autoportrait du poète par une métaphore saisissante : « Et sur les célestes rivages / Je bâtis de grands sarcophages. »

Le poète ne sait plus qu’édifier de « grands sarcophages » (v.14) où s’enterrent tous ses espoirs d’idéal.

Alchimie de la douleur, Baudelaire, conclusion

Ce bref sonnet exprime l’horreur du spleen baudelairien.

Le poète n’a plus confiance en sa capacité à élaborer une œuvre sublime et idéale, et se lamente douloureusement de sa condition de poète moderne.

Mais ce faisant, Baudelaire élabore une nouvelle esthétique et une nouvelle beauté, justement tirées du spleen.

C’est la détresse de Baudelaire qui est créatrice. L’intense inaccessibilité de l’idéal l’amène à explorer des champs poétiques nouveaux.

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