L’homme et la mer, Baudelaire : lecture linéaire

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l'homme et la mer analyseVoici une lecture linéaire du poème « L’homme et la mer » de Charles Baudelaire.

L’homme et la mer, introduction

Charles Baudelaire est considéré comme l’un des plus grands poètes français. Son oeuvre marque le tournant de la modernité.

Il s’inscrit à la charnière de plusieurs mouvements littéraires du XIXème siècle, notamment le romantisme et le symbolisme.

Son recueil le plus célèbre, Les Fleurs du Mal, paraît en 1857.

Dans cette oeuvre, Baudelaire montre l’homme pris dans une tension entre Spleen et Idéal, entre désespoir et rêve d’un paradis impossible.

Baudelaire rompt avec la tradition romantique en dépeignant le poète comme une victime anonyme de la modernité urbaine.

« L’homme et la mer », issu de la section « Spleen et idéal », est un poème constitué de quatre quatrains aux rimes embrassées.

Il participe de ce pessimisme des Fleurs du Mal : Baudelaire y montre une nature qui n’est plus un refuge pour le poète mais le reflet des tourments de l’âme.

Problématique

Comment Baudelaire compare-t-il l’homme et la mer pour dessiner le portrait de deux frères ennemis ?

Texte analysé

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Plan linéaire

Le premier quatrain compare l’homme et la mer.

Le deuxième quatrain évoque leur étreinte violente.

Le troisième quatrain montre la noire et sinistre similitude entre l’homme et la mer.

Le quatrième quatrain souligne leur lutte paradoxale et fratricide.

I – La métaphore de l’homme et de la mer

(Premier quatrain)

Le poème s’ouvre sur une apostrophe frappante adressée à l’ « Homme libre ». Il s’agit donc d’une adresse à l’être humain en général, un être humain qui incarne l’idéal du poète.

La virgule après « Homme libre » isole cette adresse en début de vers et imprègne une dynamique forte à cet alexandrin exclamatif.

L’adverbe temporel « toujours«  qui précède le verbe au futur « tu chériras » est emphatique : elle donne une gravité à ce premier vers, renforcée par l’allitération solennelle en « r » (« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » .

On observe également le tutoiement qui suggère la fraternité du poète avec les hommes et qui rappelle le poème « Au lecteur » où le lecteur est assimilé à un frère.

Au vers 2, Baudelaire établit une métaphore entre l’homme et la mer : « la mer est ton miroir » .

Cette ressemblance entre l’homme et la mer est renforcée par la césure à l’hémistiche qui crée une parfaite harmonie entre l’homme et la mer : « La mer est ton miroir, tu contemples ton âme » .

Cette similitude entre l’homme et la mer est également restituée par les sonorités, avec les rimes embrassées (Mer / âme / lame / amer) et l’allitération en « m » qui mêle phonétiquement la mer et l’âme de l’homme : « La mer est ton miroir, tu contemples ton âme » .

Ce poème fait donc d’abord songer aux rêveries romantiques telle qu’en composèrent Lamartine et Victor Hugo car elle exalte la beauté de la mer, reflet de l’âme humaine.

L’enjambement du vers 3 amplifie l’ alliance de l’homme et de la nature. Le « déroulement infini » de la mer révèle « l’âme » humaine à sa propre infinité.

Ce quatrain se clôt néanmoins en affirmant que l’esprit de l’homme est « un gouffre » aussi « amer » que la mer.

L’élévation spirituelle suggérée par la métaphore entre l’homme et la mer laisse donc place au spleen.

II – L’étreinte violente de l’homme et de la mer

(Deuxième quatrain)

Pour Baudelaire, l’âme de l’homme est un « gouffre » en raison des plaisirs égocentriques qu’elle suscite, comme le suggère le verbe pronominal« se plaire » et l‘allitération en « t » : « Tu te plais à plonger au sein de ton image » (v.5).

Le terme « image » qui reprend celui du « miroir » au vers 2 fait songer au mythe de Narcisse, tombé amoureux de son propre reflet. Elle souligne le narcissisme de l’homme.

Cette plongée dans la mer peut également faire référence aux capacités d’introspection de l’artiste qui plonge en lui-même pour créer une œuvre d’art.

Cette plongée est une étreinte érotique (« Tu l’embrasses » , « des bras ») mais également spirituelle (« des yeux », « ton cœur »).

La perfection de l’étreinte est restituée par l’hypallage car les termes « rumeur » et « plainte » ne sont pas associés aux mots attendus.

En effet, Baudelaire évoque la « rumeur » du coeur de l’homme alors que la rumeur fait plutôt penser au rugissement de la mer. Au vers 8, il évoque le bruit de la « plainte » de la mer, alors que la plainte devrait être associée à l’homme.

Baudelaire mêle donc habilement les termes associés à l’homme et à la mer pour montrer la symbiose parfaite de ces deux êtres.

L’absence de ponctuation aux vers 6-8 exprime également l’union amoureuse.

Cette étreinte est cependant violente et menaçante : « cette plainte indomptable et sauvage » (v.8).

La strophe s’organise donc encore dans une dynamique d’élévation spirituelle suivie d’une chute.

La Muse traditionnelle qu’est la nature semble animée d’une violente souffrance.

III – L’union sinistre entre l’homme et la mer

(Troisième quatrain)

Baudelaire ne s’adresse désormais plus seulement à l’homme mais à l’homme et à la mer, rassemblés dans le pronom personnel « Vous » (v.9).

Le groupe nominal « tous les deux » insiste sur l’identité entre l’homme et la mer.

L’homme et la mer sont alors caractérisés par leur noirceur : « ténébreux« , « abîmes« , « jaloux » .

La dureté sonore des allitérations en « t » et « d » ainsi que la succession de monosyllabes restituent la violence évoquée : « Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets » .

Le vers 10 reprend l’adresse inaugurale à l’homme pour souligner l’obscure profondeur de l’âme humaine : « Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes » .  Baudelaire affirme que l’homme reste le véritable inconnu.

Le vers 11 s’adresse à la mer avec l’apostrophe lyrique et romantique (« Ô mer » ) en reprenant la même structure syntaxique que le vers 10. Ce parallélisme de construction contribue à identifier encore davantage l’homme et la mer.

Homme et mer se refusent à délivrer leurs « secrets ! » L’exclamation dénote la frustration autant que l’excitation presque érotique (« richesses intimes ») du poète-explorateur de l’âme.

IV- L’homme et la mer : des frères ennemis.

(Quatrième strophe)

La dernière strophe s’ouvre sur une rupture qui brise l’union de l’homme et la mer, avec l’adverbe d’opposition : « Et cependant » (v.13).

L’autre rupture tient à la temporalité : le poète n’évoque plus un présent durable, mais porte un regard rétrospectif vers le passé (« voilà des siècles innombrables »).

L’enjambement au vers 14 suggère que le combat que se livrent l’homme et la mer s’inscrit dans une temporalité longue et ininterrompue.

La tournure privative « sans pitié ni remords » insiste sur la cruauté de ce combat. Ces termes ont une dimension religieuse, manière pour le poète d’évoquer l’impiété de l’homme.

Le pronom personnel et le pronom réfléchi (« Vous vous combattez ») mettent l’homme et la mer face à face, dans un combat qui les confond et les déchire à la fois.

Au vers 15, Baudelaire justifie ce combat par le goût pour la violence. L’adverbe « Tellement » renforce l’hyperbole : « Tellement vous aimez le carnage et la mort ».

L’antithèse aimez/mort, habituellement opposés, crée ici une image glaçante.

Ce vers 15 est une hyperbate car il prolonge le vers précédent que l’on pouvait penser terminé. Cette hyperbate met en relief la violence inextinguible de l’homme et la mer, qui rien ne semble pouvoir arrêter.

Le poème atteint donc ici une violence paroxystique, en rupture avec l’éloge romantique des premiers vers.

C’est cette noirceur qui éloigne Baudelaire de la tradition poétique.

Le parallélisme de construction du dernier vers insiste sur le paradoxe d’une gémellité meurtrière : « Ô lutteurs éternels, ô frères implacables ! » .

Les deux hémistiches renvoient face à face l’homme et la mer, dans un combat éternel.

Mais paradoxalement, l’homme et la mer sont liés, comme le souligne l’oxymore « frères implacables » qui fusionne dans une même expression la fraternité et la rivalité.

L’apostrophe solennelle en « Ô » sonne comme un éloge paradoxal :  le poème se situe entre l’éloge admiratif et le blâme de l’homme et la mer.

Baudelaire définit donc l’homme et la nature comme des énergies opposées et violentes. Mais cette violence est aussi fascinante de par sa puissance créatrice, source de l’œuvre d’art.

L’homme et la mer, conclusion

Nous avons vu que Charles Baudelaire compare l’homme et la mer. Il rapproche ces deux entités en raison de la profondeur de leur âme mais aussi de leur violence et de leur soif de mort.

Le spleen baudelairien ne trouve pas de consolation dans la nature, qui n’est que le reflet des tourments de l’homme. Nulle apaisante harmonie n’est envisagée ici.

L’artiste est néanmoins celui qui sait plonger en lui pour transformer la boue en or, pour restituer ses déchirements intérieurs sous la forme d’œuvre d’art.

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