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Voici une lecture analytique du poème « Enivrez-vous » de Charles Baudelaire.
Enivrez-vous, introduction :
«Enivrez-vous» est un poème en prose de Charles Baudelaire issu du recueil Le Spleen de Paris, qui a pour sous-titre Petits poèmes en prose.
Dans «Enivrez-vous», le lecteur retrouve des thèmes clés de Baudelaire, déjà présents dans Les Fleurs du Mal : l’angoisse face à la fuite du temps et la volonté de trouver une échappatoire à cette souffrance.
Questions possibles à l’oral de français sur « enivrez-vous » :
♦ Quels sont les thèmes principaux de ce poème ?
♦ Etudiez le lyrisme de ce texte.
♦ Par quels procédés Baudelaire exprime-t-il l’angoisse du temps qui passe ?
♦ Dans quelle mesure « enivrez-vous » est-il un poème ?
♦ Pourquoi et comment s’enivrer selon Baudelaire ?
Nous verrons dans cette lecture analytique que le thème central de ce poème est le temps qui passe (I) et auquel Baudelaire nous enjoint d’échapper par l‘ivresse (II). Nous étudierons ensuite le lyrisme de ce poème en prose (III)
I – Le temps : un mal universel
A- La dramatisation du temps
Le thème de la fuite du temps est développé de façon dramatique par Baudelaire qui utilise un réseau de figures de style pour rendre cette abstraction qu’est le temps plus vivante et palpable.
Il faut déjà rappeler que le temps est un thème central de la poésie baudelairienne, que l’on retrouve notamment dans les poèmes « L’Horloge » et « L’Ennemi » des Fleurs du Mal.
Dans «Enivrez-vous» le temps, omniprésent, est rendu plus vivant et angoissant grâce à plusieurs procédés.
Tout d’abord, c’est une métaphore – fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre » –
qui représente le temps comme un poids qui pèse sur l’homme.
La posture de l’homme penché «vers la terre
», rappelle celle du vieillard qui peine à marcher sous le poids des ans, mais évoque aussi symboliquement un poids qui empêche de contempler un idéal : le ciel.
Le temps est ensuite présent de manière métonymique à travers l’horloge » qui devient douée de parole : «tout ce qui parle
» et la répétition du terme « heure » (« quelle heure il est » , « il est l’heure
» ).
Le temps est enfin personnifié : les esclaves martyrisés du Temps »
. L’image est ici plus forte : le temps devient un maître sadique qui martyrise ses esclaves.
L’omniprésence du temps est renforcée par l’utilisation de formulations parallèles qui encadrent le poème au début et à la fin : Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps » et « Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps ».
B- Un mal universel
Dans « enivrez-vous » , Baudelaire rappelle à chaque lecteur sa condition de mortel touché par le temps, ce mal universel (universel = qui touche tous les hommes)
Dès le titre, Baudelaire s’adresse directement à un «vous» qui n’est pas clairement défini et continue tout au long du poème à utiliser les marques de la deuxième personne du pluriel : «Vous», «vos», «votre».
Or ce « vous » a une valeur globalisante : certes, il s’adresse au lecteur, mais Baudelaire s’adresse également à tous les hommes, de toutes les catégories sociales. Lorsque Baudelaire évoque trois lieux différents : «les marches d’un palais», «l’herbe […] d’un fossé» et «la solitude morne de votre chambre»,
il fait en réalité référence à trois catégories sociales : noblesse, pauvreté et bourgeoisie.
A travers l’expression « la solitude morne de votre chambre », il renvoie également à une expérience personnelle, vécue par chaque lecteur : l’ennui du quotidien.
Transition : Le «vous» désigne tous les humains et souligne que le temps qui passe n’épargne personne. Enfermé dans sa chambre «morne» le poète est également touché, mais contrairement aux autres, il en a conscience, et propose une échappatoire.
II – L’ivresse : une échappatoire
A – Une exhortation à s’évader
Conscient de l’œuvre néfaste du temps, le poète exhorte les hommes à réagir en s’évadant.
Dès le titre, il utilise l’impératif, et poursuit en énonçant une règle de vie directe et généralisante : «Il faut toujours être ivre
.».
La tournure impersonnelle du verbe falloir, conjugué au présent à valeur de vérité générale, et associé à l’adverbe « toujours » dépasse le cadre du simple conseil : il s’agit d’une affirmation péremptoire.
Cette première phrase est renforcée par la suivante : «Tout est là : c’est l’unique question
», où l’emploi du pronom indéfini «tout» insiste sur le caractère absolu et universel de la solution proposée. L’expression « c’est l’unique question » donne à la solution de l’ivresse une stature de réponse métaphysique.
Le vocabulaire utilisé insiste sur la violence du temps : «horrible fardeau», «brise», «martyrisés»
. Il faut donc lui livrer une véritable bataille «sans trêve»
. L’expression « sans trêve » renvoie au champ lexical de la guerre : l’ivresse devient une arme de combat.
Cette échappatoire par l’ivresse est transformée en leitmotiv : dans ses divers paradigmes (verbal «Enivrez», nominal «ivresse», adjectival «ivre») l’ivresse est présente pas moins de sept reprises (un paradigme est l’ensemble des formes différentes que peut prendre un mot).
B – La nature de l’ivresse
Pour échapper à la conscience du temps qui passe, Baudelaire propose l’ivresse comme échappatoire.
Cette solution est présente dès le titre du poème (« enivrez-vous » ). La notion d’ivresse étant sémantiquement liée à celle d’alcool, on mesure toute la portée provocatrice de ce titre, notamment à l’égard d’une bourgeoisie bien-pensante.
Néanmoins, le second paragraphe nous révèle très vite les notions multiples que recouvre le terme d‘ivresse : Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu »
.
La première proposition, le vin, renvoie bien au sens premier du terme et donc au corps, au matériel, à la liqueur qui enivre les sens.
L’ivresse par la poésie désigne un enivrement plus symbolique, celui de la beauté sur l’âme et l’esprit. Il s’agit d’un enivrement intellectuel.
L’ivresse par la vertu proposée par Baudelaire a de quoi surprendre. En effet, la vertu est un terme moral et religieux associé à l’idée de rigueur et de sévérité. L’ivresse par la vertu fait donc figure d’oxymore (juxtaposition de deux termes de sens opposés). Pourtant, on peut concevoir que la vertu élève celui qui la pratique au dessus de la médiocrité du quotidien et qu’il représente donc bien une échappatoire, un enivrement spirituel ou mystique.
Le plus surprenant est l’expression « à votre guise » qui suit cette exhortation : Baudelaire met sur le même plan tous les types d’ivresse, par la boisson, par la poésie et par la vertu. Il renvoie le lecteur à un choix personnel (« à votre guise » ) sans émettre de considération morale. Seul compte pour le poète l’effet de l’enivrement : l’évasion et l’oubli.
Transition : Si Baudelaire invite le lecteur à l’enivrement sous toutes ses formes, il nous propose déjà dans ce poème au style incantatoire un enivrement de l’esprit par la poésie.
III – Un poème incantatoire
A – Un poème d’intensité croissante
Le poème « enivrez-vous » peut se lire comme une forme d’incantation. L’incantation est une formule magique, souvent chantée, qui vise à « enchanter » le lecteur. Or, dans ce poème, l’exhortation faite aux hommes de s’enivrer pour oublier le temps est déployée avec une intensité croissante, qui envoûte le lecteur.
En effet, le poème commence par deux phrases courtes et simples, au ton affirmatif et péremptoire.
Les thèmes de ces deux premières phrases (l’ivresse et le temps) sont ensuite repris et amplifiés dans le poème.
On observe par exemple une gradation du temps. Celui-ci, d’abord métaphoriquement présenté comme un fardeau qui pèse sur l’homme, se transforme en entité tyrannique (« les esclaves martyrisés du Temps
» ).
L‘intensification du rythme participe également au style incantatoire du poème.
A partir du troisième paragraphe, le rythme s’accélère dans une très longue phrase. La phrase prend de l’ampleur grâce au rythme ternaire qui s’accompagne d’une augmentation de syllabes à chaque temps : «Sur les marches d’un palais» (7 syllabes) / «sur l’herbe verte d’un fossé» (8 syllabes) /«dans la solitude morne de votre chambre»
(12 syllabes).
Cet effet d’envol se poursuit lorsque la phrase passe d’un rythme à trois temps à un rythme à cinq temps avec l’énumération de cinq substantifs « au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge »
qui intensifient et accélèrent le rythme.
A ces cinq substantifs répondent cinq propositions verbales : «à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle
» qui invitent le lecteur à un jeu de correspondances entre les verbes d’action et les substantifs.
Les constructions anaphoriques :«à» et «à tout ce qui» sont donc parallèles puisqu’elles se répondent. Associées à la répétition de l’énumération des cinq substantifs, elles renforcent l’idée du caractère répétitif et incantatoire du poème.
De là même façon, comme nous l’avons vu, l’ivresse est déclinée en plusieurs paradigmes répétés dans tout le texte (un paradigme est l’ensemble des formes différentes que peut prendre un mot). Cette variété paradigmatique permet, tout en insistant sur le côté répétitif, d’en éviter la lourdeur ou la monotonie.
B – Un poème entre lyrisme et symbolisme
Baudelaire invite l’homme à communiquer avec la nature, ce qui fait songer au lyrisme romantique : «demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau»
.
Cette énumération rappelle le poème «Pan» de Victor Hugo extrait du recueil Les Feuilles d’automne dans lequel on peut lire «Enivrez vous de tout ! enivrez-vous, poètes, /Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,».
Le poète, lien entre la nature et l’humanité, entend et comprend le langage de la nature.
D’abord inaudible («gémit») ou incompréhensible («roule», «chante»)
, la nature parvient à communiquer avec l’homme («parle») à condition que celui-ci veuille y faire attention.
Le poète nous invite donc, par l’emploi répété de l’impératif «demandez», à une prise de conscience des formes d’expressions multiples et universelles que peut prendre le monde qui nous entoure.
Il devient un vecteur de communication entre deux mondes.
C’est parce qu’il entretient un lien privilégié avec le monde qui l’entoure que le poète possède une vision plus claire qui lui permet de conseiller les hommes. Cette vision du monde, de la nature et du poète est caractéristique du symbolisme.
Enivrez-vous, conclusion :
Le poète, conscient du temps qui passe, et de l’angoisse qui est ressentie par tous les hommes, leur propose une forme d’échappatoire dans l’ivresse.
S’abandonner avec frénésie, s’enivrer pour oublier que le temps accomplit son œuvre, telle est l’exhortation du poète déjà présente dans des poèmes comme « L’Horloge » ou « L’ennemi » des Fleurs du mal.
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ce sujet est très interréssant et il est dommage que l’on ne puisse l’obtenir en le copier coller même si l’on est pas étudiant. j’aimerai assez le relire et me faire une idée de ce que l’auteur a voulu exprimer.
merci pour ce bon commentaire!
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