La Modification, Michel Butor, incipit : commentaire

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la modification michel butorVoici un commentaire de l’incipit du roman La Modification de Michel Butor.

L’extrait étudié va du début du roman « vous avez mis le pied gauche » jusqu’à « c’était vers Rome que vous vous échappiez pour ces quelques jours » .

La Modification, incipit : introduction

La Modification, publié en 1957, est sans nul doute le roman le plus connu de Michel Butor.

Il est souvent rattaché au mouvement du Nouveau Roman pour son éloignement des formes classiques du roman afin de représenter le monde contemporain sous une nouvelle perspective, à l’instar de Robbe-Grillet ou de Nathalie Sarraute, qui cherchent ainsi à parler du désarroi d’un monde post-Seconde Guerre mondiale.

La Modification se résume aisément : à Paris, un homme monte dans un train qui l’emmène vers Rome, où il compte retrouver sa maîtresse. Il changera d’avis pendant le trajet et retournera vers sa femme et ses enfants.

Si le propos n’a rien d’original, il n’en est pas de même pour l’écriture : le roman est rédigé presque entièrement à la deuxième personne du pluriel, ce qui ne manque pas de dérouter le lecteur.

Questions possibles à l’oral sur l’incipit de La Modification :

♦ En quoi cet incipit montre-t-il une volonté de s’écarter du roman traditionnel ?
♦ Quel est l’effet créé par la situation d’énonciation ?
♦ En quoi le protagoniste de La Modification est-il un anti-héros ?
♦ Qu’est-ce qui fait l’originalité de cet incipit ?

Annonce du plan

Nous verrons tout d’abord que cet incipit de La Modification est surprenant (I), avant de nous intéresser au personnage qui se cache sous le « vous » (II). Nous nous intéresserons pour terminer à la nouvelle vision du roman que propose Michel Butor (III).

I – Un incipit surprenant

A – Une situation d’énonciation peu ordinaire

La situation d’énonciation (qui parle ? à qui ? de quoi ? où et quand ?) est d’emblée faussée.

Alors qu’on s’attendrait, comme il est d’usage dans les romans, à une narration à la troisième ou à la première personne, on se heurte dès le premier mot à la deuxième personne du pluriel, manifestement un vouvoiement (première phrase : « Vous avez », « votre épaule », « vous essayez »).

Immédiatement, le lecteur est interpelé, car ce « vous » pourrait tout aussi bien être une adresse de l’auteur ou narrateur à son encontre. Ce type de mise en scène ne serait d’ailleurs pas nouveau (il suffit de relire l’incipit de Jacques le Fataliste de Diderot, 1796).

On comprend cependant que ce « vous » est le protagoniste, décrit un peu plus loin comme un homme (« homme habitué aux longs voyages ») d’âge moyen (« quarante-cinq ans »). Ces informations sont trop précises pour que le lecteur s’identifie complètement à cet homme.

B – L’importance des sensations physiques

Ce début in medias res propulse directement le lecteur dans le corps du protagoniste en action.

Étrangement, ce n’est pas vraiment aux pensées du personnage que nous avons accès, mais plutôt à ses sensations, décortiquées dans leurs moindres détails.

Le champ lexical du corps est ainsi très présent, et évoqué avec de nombreux adjectifs qui précisent encore la description : « pied gauche », « épaule droite », « doigts », « vos muscles et vos tendons », « votre épaule », « toute la moitié du dos », « vertèbres », « depuis votre cou jusqu’aux reins », « paupières sensibles et mal lubrifiées », « tempes crispées », etc.

Le lecteur est ainsi mis dans la peau du personnage et ressent avec lui les pénibles efforts physiques que représente l’entrée dans le compartiment (« vous essayez en vain », « vous l’arrachez », « cette faiblesse inhabituelle »).

C – Un incipit cinématographique

Ces longues phrases (chacun des paragraphes est en fait une unique phrase parataxique, c’est-à-dire une juxtaposition de phrases ou de bouts de phrase sans mot de liaison ni lien logique) semblent analyser les actions du protagoniste presque image par image, selon un procédé qui rappelle les films.

Il convient par ailleurs de noter l’importance accordée à la vue, notamment dans le dernier paragraphe de cet extrait où est décrit, en ce qui semble une série de gros plans, l’autre homme qui a déjà pris place dans le compartiment.

On voit d’abord son visage, ce qui donne un aperçu général de sa personne (« un peu plus jeune que vous, quarante ans tout au plus »), puis le regard s’attarde sur les détails du visage (« cheveux plus gris », « yeux clignotants ») avant de passer aux mains (« aux mains longues et agitées, aux ongles rongés et brunis… ») et à ses effets personnels (« cette serviette noire bourrée de dossiers »).

Tout au long de ces premiers paragraphes, les gros plans s’attardent également sur les objets, qui ont une place prépondérante et sont souvent décrits avec précision. Citons ainsi « la rainure de cuivre » et le « panneau coulissant » du premier paragraphe, l’« ouverture » qui est « étroite », la « valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d’épaisse bouteille », « assez petite », à la « poignée collante », mais aussi la « serviette noire » dont une « couture défaite » laisse entrevoir des « coins colorés » de dossiers, etc.

Transition : Les sensations et les objets sont si omniprésents qu’ils éclipsent presque notre héros – qu’on pourrait qualifier plus justement d’anti-héros.

II – Un héros de Nouveau roman : un anti-héros

A – Des informations éparses

Les personnages du Nouveau Roman se détachent des héros traditionnels : ce ne sont plus des personnages complexes, avec une histoire et des ambitions, dont la conscience est accessible, mais de simples points de vue, anonymes (ici, « vous », mais dans d’autres romans, comme La Jalousie de Robbe-Grillet, les personnages sont réduits à des initiales, ou à des pronoms chez Nathalie Sarraute).

Michel Butor nous laisse cependant entrevoir quelques aspects de ce « vous » : le lecteur dispose de bribes de description physique (l’âge, les cheveux « qui se clairsèment »), de quelques noms (« Henriette », « Cécile », « Marnal »), d’un aperçu de sa situation familiale (« les enfants »), d’indices sur son métier (« valise assez petite d’homme habitué aux longs voyages ») et sur ce qui semble être le nom de l’entreprise pour laquelle il travaille (« chez Scabelli »), et enfin de sa destination et du caractère secret de son échappée, au détour d’une phrase (« il ne fallait pas que quelqu’un sût chez Scabelli que c’était vers Rome que vous vous échappiez »).

B – Un portrait physique peu flatteur

On l’a dit, cet incipit accorde une importance primordiale aux sensations physiques, qui tendent à réduire le protagoniste à un simple « corps ».

Elles contribuent à présenter le héros comme un homme prenant de l’âge et à la forme physique peu enviable en détaillant son moindre geste, comme au ralenti, ce qui appuie ainsi la pénibilité de ses actions.

Ainsi, le simple fait de soulever sa valise lui fait sentir ses « muscles et [ses] tendons se dessiner » dans tout le haut de son corps.

Le troisième paragraphe insiste sur cette faiblesse physique en en donnant la raison : « c’est déjà l’âge ».

Le protagoniste apparaît ainsi comme banal, mal réveillé malgré l’heure « à peine matinale », gêné dans ses vêtements (« vos habits qui le gênent, le serrent et lui pèsent »), maladroit (il se cogne contre les objets qui lui font obstacle : « vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant », « en vous frottant contre ses bords »)

C – Portrait moral

Nous n’avons pas vraiment accès aux pensées du personnage, si ce n’est les allusions à son entourage (les cheveux grisonnent « insensiblement pour autrui, mais non pour vous, pour Henriette et pour Cécile, ni même pour les enfants désormais ») et à son travail (dans le cinquième paragraphe).

Cependant, les détails donnés sur son physique permet de dessiner en creux le portrait d’un homme fatigué (ses yeux sont « voilés de fumée légère »), nerveux (« tempes crispées », « peau tendue ») et mal à l’aise (les habits qui le gênent, cheveux « un peu hérissés », corps « comme baigné […] d’une eau agitée et gazeuse pleine d’animalcules en suspension »).

Le seul autre personnage, l’autre homme du compartiment, apparaît comme un adversaire, qui renvoie le protagoniste à sa petitesse (il est « plus jeune », « plus grand »). Il semble sûr de lui et ne perçoit le « vous » que comme un opportun, ce qui accentue encore le sentiment de malaise (« cet homme vous dévisage, agacé par votre immobilité, debout, ses pieds gênés par vos pieds »).

Se détache ainsi le portrait d’un homme peu satisfait, angoissé. C’est ce qui ressort tout particulièrement de ses vêtements trop serrés, à l’image d’une vie trop étriquée, étouffante, comme semble confirmer son désir de fuir (« c’était vers Rome que vous vous échappiez ») sans que personne ne soit au courant.

Transition : Le thème du roman est certes classique, mais Butor l’aborde de manière totalement nouvelle, et donne ainsi au lecteur de La Modification un rôle qu’il n’a pas dans le roman traditionnel.

III – Une nouvelle vision du roman

A – Le refus des codes traditionnels

Par bien des égards, cet incipit montre une ferme opposition aux codes traditionnels du roman classique.

Ainsi, la situation d’énonciation, posée dès le premier mot du roman, bouscule totalement les conventions romanesques : qui est « vous » ? Et qui parle à ce vous ? Est-ce l’auteur, qui se regarde écrire et s’adresse à son personnage ? Est-ce le personnage lui-même, qui se cache derrière la deuxième personne pour rester incognito ?

Les temps utilisés dénotent eux aussi une certaine modernité de l’écriture.

Alors que le roman traditionnel est écrit au passé (canoniquement, à l’imparfait et au passé simple), Butor choisit ici le présent et le passé composé, dans presque tout l’extrait (« Vous avez mis », « vous essayez »).

Ce choix donne l’impression que le protagoniste n’a pas de passé (on ne dispose d’ailleurs que de très peu d’informations sur lui), qu’il n’y a d’autre réalité pour lui que celle du moment présent, qui s’étire et se décortique geste à geste au gré de longues phrases qui ne se terminent jamais.

B – Un nouveau lecteur de roman

Le roman n’est pas le seul à pouvoir être qualifié de « nouveau » : le lecteur, lui aussi, doit trouver ses marques et s’adapter à une écriture plus exigeante, qui lui assigne un nouveau rôle.

Il devient actif, par exemple en se voyant obligé de reconstruire lui-même le portrait du personnage à partir des indices donnés par Butor.

Le lecteur a donc une marge d’interprétation importante et déduit le portait moral du protagoniste de l’observation très scientifique de son anatomie (« muscles », « tendons », « phalanges », « vertèbres », « paupières mal lubrifiées »).

Par ailleurs, l’utilisation du pronom de la deuxième personne du pluriel associée au présent est elle aussi une sollicitation supplémentaire du lecteur : il vit ce que vit le personnage (« vous sentez »), et le temps de la narration devient le temps de la lecture.

C – Le motif du voyage comme métaphore

À la lumière de ces éléments, on peut reconstruire le motif du voyage en train comme une métaphore.

C’est d’abord la métaphore de l’activité du lecteur : tout comme le protagoniste entre dans son compartiment, le lecteur entre dans l’œuvre (« vous vous introduisez par l’étroite ouverture ») et accompagnera le « vous » durant tout son trajet.

Ce n’est pas forcément un voyage agréable qui attend le lecteur, comme en témoignent la pénibilité des efforts du protagoniste et la lecture, pas toujours aisée, de ces longues phrases sans interruption.

Le monde décrit dans cet incipit est dur et froid, comme le montre les obstacles qui se dressent devant le protagoniste, et la description clinique de son corps.

Le voyage est aussi une métaphore de l’écriture : l’auteur se lance dans une aventure qui l’entraîne presque malgré lui, semble-t-il, les phrases se déversant dans un flot continu durant toute la durée du voyage, et du roman.

C’est donc une triple échappée : le protagoniste s’échappe de son quotidien, le lecteur de son mode de lecture traditionnel, et le romancier en-dehors des conventions narratives du genre romanesque.

La Modification, incipit : conclusion

Ce qui déroute certainement le plus dans cet incipit, c’est la situation d’énonciation : ce « vous » persistant, presque martelé, donne une toute nouvelle dimension au concept de personnage et de lecteur et pose plus de questions qu’il ne propose de réponses.

Butor incite-t-il ainsi son lecteur à s’identifier à cet homme ? Ou au contraire, cette intimité forcée ne contribue-t-elle pas plutôt à la distanciation entre le lecteur et ce protagoniste au portrait si peu flatteur ?

Ce qui est certain, c’est que la marge interprétative laissée au lecteur n’a sans doute jamais été aussi importante. Le lecteur est interpellé, happé, actif face à un anti-héros passif, et bousculé dans ses habitudes de lecture.

Le motif du voyage vient appuyer cette idée, car le trajet en train du protagoniste représente aussi l’aventure de la lecture.

Tu étudies l’incipit de La Modification ? Regarde aussi :

L’Etranger, Camus : incipit (analyse)
La peste, Camus : incipit (analyse)
Voyage au bout de la nuit : incipit (analyse)
Jacques le fataliste, Diderot : incipit (analyse
Bel-Ami, Maupassant : incipit (analyse)
Madame Bovary, Flaubert : incipit (analyse)
La Condition humaine, Malraux : incipit (analyse)

Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Professeure et autrice chez hachette, je suis spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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20 commentaires

  • Merci pour ce commentaire. En classe nous n’avons jamais vu que le voyage en train pouvait être une métaphore de l’activité du lecteur. Vos interprétations sont très intéressantes et stimulantes.

  • Bonjour
    Merci pour ce commentaire. Voici quelques éléments de proposition.
    N’y a t il pas une metalepse narrative ? Livres ennuyeux –> hypallage. Chosification des hommes. Valise = blason. Lutte des deux pers = tournoi. Énonciation en vous = pouvoir hypnotique de la fiction (cinéma) hypnose. Ambiance claustrophobe.

  • bonjour! Vous dites que le passage se termine à : c’était vers rome que vous vous échappiez pour ces quelques jours, mais vous analysez la description d’un personnage qui se fait apres cet fin d’incipit… Est ce normal ?

  • Bonjour Amélie,
    Je suis en classe de première ES et j’étudie exactement le même passage que celui sur lequel vous avez fait votre commentaire, cependant, je n’arrive pas à retrouver les éléments « yeux clignotants » et « aux ongles rongés et brunis » que vous évoqué dans votre troisième partie sur l’incipit cinématographique dans le I. Pourriez-vous m’indiquer à quelles lignes du texte ces expressions correspondent-elles?
    Merci d’avance

  • bonjour j ai un expose a faire sur les personnages de ce livre et je n’est pas le temps de le lire je me demandais si vous pourriez me décrire les personnages et leurs rôles dans ce livre ? merci a ceux qui pourront m’aider

  • amelie, est ce qu’on peut considérer cet incipit comme ouverture pour l’incipit de Jacques le fataliste . et si c’est oui en quoi?
    merci pour tout ce que vous faites.

  • bonsoir , j’ai un exposé sur la modification et le thème c’est le souvenir je peine énormément .je n’arrive pas a répondre a la problématique aidez moi s’il vous plait . le prof nous a donné un extrait pour l’aide « page 229,228″ »de l’autre cote du corridor ………………………de rendre compte meme grossièrement de ce foyer capital d’émerveillement et d’obscurité  » mon exposé est pour le 7mai s’il vous plait aider moi

  • Bonjour Amélie,
    j’ai étudié en cours la Modification.
    Cependant, les conclusions restent succinctes et meme en cherchant moi meme de mon coté je ne trouve pas d’idées d’ouverture pertinente sur ce livre (etudié en oeuvre intégrale)…
    Pourriez vous m’aider en me suggérant quelques pistes ?
    Merci d’avance !

  • Bonjour Amélie,
    je vous écris ici car je vous remercie (encore une fois) pour votre travail.
    J’ai passé mon oral de français, et grâce à vous et tout de même un peu grâce à mon sérieux, j’ai obtenu la note de 16 avec cet incipit de La Modification alors que je n’ai jamais été très à l’aise à l’oral, d’autant plus que nous ne nous étions jamais entraînés en classe au cours de l’année.
    Je recommanderai sans hésiter votre site à ma soeur qui arrive au lycée.
    Merci beaucoup pour votre générosité

  • Je ne vois pas comment adapter le plan à la problématique : « quel est l’effet créé par la situation d’énonciation? »
    Pouvez-vous m’aider?

  • Bonjour Amélie,
    Je voulais savoir si le commentaire proposé ci-dessus était potentiellement utilisable afin de répondre aux éventuelles questions possibles sur le texte que vous avez proposé au début.
    Merci d’avance

  • Bonjour Amélie,
    je voulais tout d’abord vous remercier pour votre travail qui m’aide beaucoup, car j’ai vraiment du mal avec le français. Mais le commentaire de cet incipit m’a interpellé, car vous évoquez un autre passager et j’ai beau relire et relire encore le texte, je ne vois pas où cet homme figure. Est-il évoqué plus loin, hors incipit?
    Merci encore

  • Bonsoir Amélie,
    J’aurais aimer savoir si, dans une dissertation sur le roman, il nous est possible de parlé en tant qu’exemple d’un autre genre littéraire comme la nouvelle? Je pense notamment à la leçon que nous instruit « Petite digression » de Voltaire pour le sujet « Qu’est-ce qui définit le plaisir que nous apporte le roman? ».
    J’aurais également voulu savoir si vous aviez, sur votre site, une dissertation sur les relations entre les personnages au théâtre au un autre exemple de dissertation au sujet de théâtre.
    Bonne soirée

    • Non pour moi si la dissertation porte sur le roman tu ne dois faire référence qu’à des romans sinon tu passe dans le hors-sujet. Je pense néenmoins que tu peut ouvrir sur ta nouvelle dans ta conclusion , du style de : ce plaisir n’est pas seulement présent dans le roman mais dans….

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