La condition humaine, incipit : analyse

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la condition humaine malraux incipitVoici un commentaire de l’incipit de La Condition Humaine d’André Malraux.

Lire l’incipit de la condition humaine (le texte)

Incipit de La condition humaine, introduction :

Paru en 1933, La condition humaine fait rapidement l’unanimité parmi les critiques et le public : le roman permettra à André Malraux de gagner le prix Goncourt.

Situé dans un contexte contemporain (1927) mais sur un autre continent, La condition humaine raconte comment un groupe de communistes prépare l’insurrection de Shangaï dans la Chine de Tchang Kaï-Check.

Tchen, jeune révolutionnaire, ouvre le récit : il s’apprête à tuer un trafiquant d’armes afin de pouvoir récupérer un ordre de vente qui permettra à ses camarades d’obtenir des armes – mais le lecteur ne détient pas encore le motif de l’acte de Tchen.

Idées de questions possibles à l’oral :

♦ Quelles sont les fonctions de cet incipit ?
♦ En quoi peut-on dire que cet incipit de La condition humaine est brutal ?
♦ Comment Malraux construit-il l’atmosphère angoissante de cet incipit ?
♦ Qu’est-ce qui fait l’originalité de cet incipit ?
♦ Quelle image du protagoniste Malraux propose-t-il dans cet incipit ?
♦ Comment Malraux met-il en valeur le drame intérieur du protagoniste ?

Annonce du plan

Nous verrons d’abord ce que cet incipit a d’original (I), puis nous aborderons la tension sous-jacente dans la scène ici décrite (II). Pour terminer, nous remarquerons que ce qui se joue dans cet incipit est le drame intérieur que vit le jeune révolutionnaire Tchen (III).

I – Un incipit original

A – Un début “in medias res”

Sans aucune explication, le lecteur est immédiatement témoin d’une scène déjà commencée, comme en témoignent les deux questions initiales (« Tchen tenterait-il de soulever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? »). Cette forme de discours indirect libre nous plonge dans l’intériorité du personnage confronté à un choix.

Les verbes d’action (lever et frapper) accentuent cette impression d’arriver au beau milieu de l’action : le lecteur pressent qu’il s’agit là d’un moment décisif pour Tchen, torturé par « l’angoisse », sans savoir exactement de quoi il s’agit.

Par ailleurs, le narrateur décrit la scène vue à travers les yeux de Tchen. Le point de vue est donc interne : les informations disponibles au lecteur sont limitées par le personnage ; on ne peut voir que ce qu’il voit, entendre que ce qu’il entend – le « tas de mousseline blanche » qui le fascine, le bruit des « klaxons », la fixation sur le pied, seule partie du corps visible de l’autre homme.

B – Des informations parcimonieuses

L’incipit de La condition humaine commence pourtant par une indication temporelle extrêmement précise : « 21 mars 1927. Minuit et demi », qui tranche avec l’imprécision des informations données au lecteur par la suite.

On ne saura du protagoniste que son prénom, « Tchen », à consonance asiatique.

Quant à sa future victime, elle n’est désignée que comme « un corps moins visible qu’une ombre », « cet homme » (deux fois) et son pied.

Du lieu où se déroule l’action, on peut déduire quelques informations : la moustiquaire indique un pays chaud, le lit indique une chambre. Le « building voisin », les « quatre ou cinq klaxons », l’« embarras de voitures » suggère que l’action se déroule dans une ville, suffisamment grande pour qu’il y ait encore du trafic à minuit et demi.

Transition : Ce qui marque dans cet incipit, c’est sa brutalité : le lecteur est propulsé dans une scène dont il n’a aucun élément de contexte. Plus encore, il se retrouve plongé au cœur d’une scène angoissante et extrêmement tendue.

II – Un incipit intense

A – Le jeu de contrastes

Les différents jeux de contrastes contribuent à rendre la tension de la scène par l’opposition des contraires, à commencer par la lumière et l’obscurité.

La chambre est en effet plongée dans le noir, puisque « la seule lumière venait du building voisin ». Le corps de l’homme endormi est « moins visible d’une ombre ». Tchen est fasciné par les taches de lumière qu’il voit : « le tas de mousseline blanche » et le « grand rectangle d’électricité pâle » qui fait ressortir le pied.

Un autre contraste est esquissé dans ce passage : l’intérieur et l’extérieur.

A l’intérieur, tout est calme, silencieux et immobile : l’homme dort (« incliné par le sommeil »), Tchen ne parvient pas à passer à l’acte (« Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière », « stupéfait du silence qui continuait à l’entourer »). A l’extérieur (dans la ville), au contraire, on entend une « vague de vacarme » avec « quatre ou cinq klaxons ».

Symboliquement, c’est le contraste entre le monde des vivants (« le monde des hommes », pense Tchen) et le monde de la mort, dans cette chambre où il s’apprête à tuer. Sa fixation sur le pied, dont « le volume et la vie » sont accentués par la lumière, insiste sur la cruauté de son acte à venir.

B – L’atmosphère angoissante

Le confinement dans l’espace, au cœur de la nuit, crée une impression d’enfermement angoissante.

Il y a certes une ouverture, la fenêtre, mais elle a des « barreaux » qui forment des ombres sur le lit, évoquant clairement la prison.

La nuit elle-même ne peut servir de protection (« comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes ») : Tchen n’a pas d’autre solution que de se confronter à sa victime et à ses actes.

De même, les bruits décroissants (la « vague de vacarme » qui s’estompe pour laisser place au silence) symbolisent l’enfermement de Tchen en lui-même : ne reste dans cet espace restreint que lui et le pied (« rien n’existait que ce pied »), qui annonce l’imminence de l’acte.

C – Le temps suspendu

La tension de cet incipit est exacerbée par le traitement du temps.

Il est impossible de douter de la détermination de Tchen (« sa propre fermeté », « il savait qu’il le tuerait »), mais le temps semble s’étirer à l’infini.

Bien que la date et l’heure soient données avec précision, les nombreux imparfaits descriptifs (« tordait », « connaissait », « était », « venait », « découvrait », « attendait », etc.) contribuent à donner une impression de ralenti, comme si le temps s’était arrêté (« le temps n’existait plus»).

Chacune des actions de Tchen (même au passé simple) est soigneusement décomposée, créant un effet d’étirement du temps : « Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit… ».

Les gros plans sur certains détails (comme le pied du dormeur) participent également à cet effet de ralenti, tout comme le geste final de Tchen, après un moment de paralysie, qui ne déclenche rienMais non, il ne se passait rien »).

Transition : L’intensité de l’incipit de La Condition humaine crée un effet de suspense et fait écho au drame intérieur qui agite le personnage, au moment d’un passage à l’acte crucial pour la révolution.

III – Un drame intérieur

A – La focalisation interne

L’accès aux pensées du personnage par le monologue intérieur rend le lecteur sensible à ses doutes.

Les deux premières phrases interrogatives et la syntaxe heurtée (phrases de longueur très variable, parfois séparées par des points-virgules) reproduisent les hésitations de Tchen face à des problèmes très concrets : soulever ou non la moustiquaire avant de frapper, utiliser le poignard ou le rasoir…

De même, les ellipses traduisent son angoisse et sa fébrilité : « Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés ! ». Ces quelques phrases qui semblent être les pensées de Tchen défilant à toute allure montrent qu’il préfèrerait devoir tuer un homme éveillé.

Malgré le champ lexical de la violence et de la mort très présent dans ce texte (« frapperait », « ennemi », « devait mourir », « tuer », « assassiner », « poignard », « rasoir », etc.), la focalisation interne nous rapproche de Tchen et nous le rend sympathique.

B – Des sentiments contradictoires

Si le passage à l’acte semble si difficile pour Tchen, c’est sans doute parce qu’il est agité de sentiments contradictoires, et nous assistons à son débat intérieur.

Tchen est venu dans cette chambre dans un but précis : « il le tuerait ». C’est un objectif qui semble mûrement réfléchi (« il connaissait sa propre fermeté ») et qui relève de l’impératif, du devoir : « cet homme devait mourir », « cet homme qu’il devait frapper ». La mort du dormeur est nécessaire à la révolution, et il tente de se concentrer sur cette idée (« Il se répétait que cet homme devait mourir »).

Mais ce sentiment de devoir est contrebalancé par l’horreur de l’acte : « cet homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît », « jusqu’à la nausée », « le poignard lui répugnait moins ».

Le dormeur, bien que considéré comme un ennemi, est tout de même un homme, et un homme vivant (le pied est « incliné par le sommeil, vivant quand même », la lumière « en accentu[e] le volume et la vie »).

Le fait qu’il soit endormi empire encore les choses : en assassinant un homme sans lui laisser la possibilité de se défendre, il agit avec lâcheté, ce qui provoque en lui un certain malaise traduit par cette sorte d’aphorisme : « Assassiner n’est pas seulement tuer ».

 C – Un acte symbolique

On constate dans le passage une évolution dans la pensée de Tchen.

Il est certes angoissé dès le début, mais la progression des termes employés pour évoquer le dormeur (« un corps », « ce pied », « de la chair d’homme », « cet homme ») montre que Tchen a clairement conscience de la portée de son acte, et c’est la raison pour laquelle il a dû mal à en assumer le geste : « Mais non, il ne passait rien : c’était toujours à lui d’agir ».

Ce baptême du feu fera de lui un révolutionnaire totalement dévoué à sa cause, comme en témoigne le vocabulaire religieux : « sacrificateur », « aux dieux qu’il avait choisis », « son sacrifice ».

Ce lexique religieux est révélateur de son déchirement intérieur, car nous apprendrons plus tard qu’il a été élevé selon des principes chrétiens : le meurtre est donc un péché.

En qualifiant la révolution de nouveaux « dieux », en se découvrant lui-même comme « sacrificateur », il choisit de sacraliser la révolution (cause suffisamment noble pour justifier le meurtre, la victime devenant elle-même sacrifice). Dans le même temps, il se sacrifie lui-même pour l’avènement de la révolution (en tant que chrétien, il renonce à tout espoir de paradis en tuant).

La condition humaine, incipit, conclusion :

Malraux joue sur le mélange des émotions ressenties par son héros face à un acte irrévocable pour plonger brutalement le lecteur dans le récit.

Dès cet incipit se pose la question de la valeur de la vie humaine à travers les hésitations de Tchen à concrétiser son geste, même s’il est convaincu de la nécessité de cet acte au nom de la révolution.

Déchiré entre son devoir et son éducation, il est à un croisement de son existence et ne pourra sortir indemne de ce baptême de la violence, comme le montre la suite du roman : il s’engagera corps et âme dans la lutte, au prix de sa vie.

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Amélie Vioux

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27 commentaires

  • Bonjour, pourriez vous mettre comment il faut s’adapter aux questions envisageables comme vous l’aviez fait pour l’incipit de l’Etranger .
    Merci d’avance

  • Bonjour, j’ai le même texte a préparé pour l’oral de francais, mais mon texte ne s’arrete pas à « d’agir » mais un paragraphe plus tard, jusqu’a « mal de mer », cela m’empeche t il d’utiliser ce plan pour mon oral ?

  • Merci beaucoup pour vos commentaires, ils me sauvent la vie! Je passe mon oral vendredi prochain et c’est un des textes que je maîtrise le moins ^-^

  • Bonjour Madame, Merci pour ce très bon commentaire. En latin, je crois que le pluriel de medium,n est media. On écrit donc in media res. C’est pour cela que dire les médias est un barbarisme.

  • Bonjour Madame et merci pour ce commentaire mais j’ai une petite difficulté je n’arrive pas a trouver une belle ouverture sur une autre oeuvre pouvait vous m’aider svp et merci en avance

    • Amélie :
      Bonjour Elio
      Je te conseille de lire cet article sur les différentes possibilités pour faire une ouverture en conclusion de commentaire. Contrairement à une idée reçue, il n’est pas toujours pertinent d’ouvrir sur un autre texte : ce type d’ouverture est souvent très artificiel. Concernant l’incipit d’un roman, il est plus judicieux d’ouvrir sur le reste du roman, comme je le fais dans mon commentaire ci-dessus.

  • Bonjour, ici, e point de vue du narrateur ne serait-il pas omniscient ? De plus, je pense que l’on pourrait mentionner quelques figures de style non ? (la métonymie du pied, qui déshumanise le trafiquant ou encore la personnification de l’angoisse, l’isotopie de l’obscurité..).

    PS : Merci beaucoup pour vos analyses, elles sont un pilier majeur de mes révisions pour l’oral.

  • Je penses qu’il y a une faute d’orthographe ^^ dans le B du II avec  » les bruits décroissants […] syboliseNT » voilà …Sinon ce commentaire m’a beaucoup aidé. Merci !

  • Bonjour Madame,
    Je souhaite faire une ouverture de l’incipit de L’Etranger à partir de ce texte. Comment je peux rapprocher les deux textes autrement que par les points communs mais par l’interprétation ?
    Merci d’avance

    • Il s’agit ici tout deux d’incipit « in médias res » de plus on peut rapprocher le fait que les deux récits se présentent comme un journal, le lecteur a accès ici et dans l’Etranger à la conscience des héros par contre on peut dire que dans le texte de Malraux le personnage est face à la mort de quelqu’un alors que dans l’Etranger l’écriture semble mettre à distance la mort. VOILA je ne suis pas prof mais élève donc c’est juste un proposition.

  • Bonjour je dois commenter ce texte de Malraux. Jusque là pas de problème, mais pour la conclusion je n’arrive pas à trouver sur quelle autre œuvre je pourrais ouvrir. Pouvez-vous m’aidez s’il vous plaît, c’est très important.
    Je vous remercie par avance

    • Bonjour Emeline,
      Je te conseille de lire cet article sur les différentes possibilités pour faire une ouverture en conclusion de commentaire. Contrairement à une idée reçue, il n’est pas toujours pertinent d’ouvrir sur un autre texte : ce type d’ouverture est souvent très artificiel. Concernant l’incipit d’un roman, il est plus judicieux d’ouvrir sur le reste du roman, comme je le fais dans mon commentaire ci-dessus.

  • MADAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAME !!!! J’ai essayé de faire ce commentaire et mon plan ne reprend que votre premier axe, je ne parlais pas du tout de ce que vous parlez dans vos deux parties! Ça m’inquiète beaucoup, auriez-vous la gentillesse de me dire si mon plan est passable ou non? Je sais que vous ne faite pas de correction privé, j’espère que ce n’est pas un problème de me dire s’il passe ou pas, même sans justification, s’il-vous-plaît ça m’intrigue beaucoup, j’ai l’impression de faire que des contre-sens.

    I. Un incipit original
    1 – Présentation du personnage
    2 – Présentation des lieux : atmosphère angoissante
    3 – Un début in medias res

    II. La situation tragique de Tchen
    1 – L’absurdité de l’existence : lecteur voyage dans un autre monde (merveilleux)
    2 – Tuer contre l’ennui
    3 – Hommes passifs et bêtes

    III. Une critique de la société
    1 – Humanité superficielle : religion + lâcheté
    2 – L’enfermement : pas d’échappatoire

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