Le Menteur, Corneille, acte I scène 1 : analyse linéaire

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le menteur scène d'exposition

Voici une analyse linéaire de la scène d’exposition de la pièce Le Menteur de Pierre Corneille.

L’extrait étudié ici en lecture linéaire va du début de la scène 1 au vers 37 (« Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche »)

Le Menteur, acte I scène 1, introduction

Comédie écrite par Pierre Corneille (1606-1684), Le Menteur fut jouée en 1644, soit 7 ans après Le Cid.

Cette pièce en cinq actes et en vers connut un vif succès au théâtre du Marais. (Voir la fiche de lecture sur Le Menteur de Corneille)

L’extrait étudié est la scène d’exposition, c’est-à-dire le tout début de la scène 1 de l’Acte I. Elle se déroule à Paris.

Deux personnages sont présents sur scène : Dorante et Cliton.

Extrait étudié

Acte I, scène 1
DORANTE, CLITON.

DORANTE.
À la fin j’ai quitté la robe pour l’épée :
L’attente où j’ai vécu n’a point été trompée ;
Mon père a consenti que je suive mon choix,
Et j’ai fait banqueroute à ce fatras de lois.
Mais puisque nous voici dedans les Tuileries,
Le pays du beau monde et des galanteries,
Dis-moi, me trouves-tu bien fait en cavalier ?
Ne vois-tu rien en moi qui sente l’écolier?
Comme il est malaisé qu’aux royaumes du Code
On apprenne à se faire un visage à la mode,
J’ai lieu d’appréhender…

CLITON.
Ne craignez rien pour vous :
Vous ferez en une heure ici mille jaloux.
Ce visage et ce port n’ont point l’air de l’école,
Et jamais comme vous on ne peignit Bartole :
Je prévois du malheur pour beaucoup de maris.
Mais que vous semble encor maintenant de Paris ?

DORANTE.
J’en trouve l’air bien doux, et cette loi bien rude,
Qui m’en avait banni sous prétexte d’étude.
Toi qui sais les moyens de s’y bien divertir,
Ayant eu le bonheur de n’en jamais sortir,
Dis-moi comme en ce lieu l’on gouverne les dames.

CLITON.
C’est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes,
Disent les beaux esprits. Mais sans faire le fin,
Vous avez l’appétit ouvert de bon matin :
D’hier au soir seulement vous êtes dans la ville,
Et vous vous ennuyez déjà d’être inutile !
Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour,
Et déjà vous cherchez à pratiquer l’amour !
Je suis auprès de vous en fort bonne posture
De passer pour un homme à donner tablature ;
J’ai la taille d’un maître en ce noble métier,
Et je suis, tout au moins, l’intendant du quartier.

DORANTE.
Ne t’effarouche point : je ne cherche, à vrai dire,
Que quelque connaissance où l’on se plaise à rire,
Qu’on puisse visiter par divertissement,
Où l’on puisse en douceur couler quelque moment.
Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche.

Le Menteur, Corneille, acte I scène 1

Problématique

En quoi cette scène d’exposition, qui apporte des éléments d’information au spectateur, aiguise-t-elle aussi son intérêt ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, ce début in media res dévoile la situation d’énonciation avec des éléments essentiels à la compréhension de l’intrigue.

Dans un second temps, nous verrons que Dorante apparaît comme un personnage particulièrement séducteur.

I – Le dévoilement de la situation d’énonciation 

Du début à « Mais que vous semble encore maintenant de Paris ? »

La scène débute de façon originale dans la mesure où les premiers mots prononcés par Dorante sont « À la fin ».

Ce début in medias res plonge d’emblée le spectateur au cœur d’une conversation personnelle.

Dorante fait référence à son passé révolu, comme le confirme le recours au passé composé de l’Indicatif : « j’ai quitté », « j’ai vécu », « n’a point été trompée », « a consenti », « j’ai fait ».

Il porte à la connaissance du spectateur plusieurs éléments : d’abord, il a quitté la noblesse de robe pour s’engager dans l’armée comme l’illustre l’emploi des métonymies « j’ai quitté la robe pour l’épée ». À cette époque, les nobles pouvaient occuper des fonctions de gouvernement, essentiellement juridiques (noblesse de robe) ou exercer une carrière militaire (noblesse d’épée). Ce premier vers inscrit en tout cas immédiatement Dorante dans une lignée noble.

D’ailleurs, il évoque le poids de la figure paternelle : son père qui n’est pas nommé ici mais qui s’appelle Géronte comme on l’apprendra plus tard- a approuvé le choix de son fils : « Mon père a consenti que je suive mon choix« .

Dorante a donc abandonné ses études de droit : la métaphore « j’ai fait banqueroute à ce fatras de lois. », avec l’assonance en [a] (fatras de lois) souligne le rejet hâtif de cette carrière juridique.

L’abandon de ses études témoigne donc déjà de l’inconstance du jeune homme.

Le lieu de la scène se précise comme l’indique le complément circonstanciel de lieu « dedans les Tuileries », aussitôt enrichi par une apposition : « Le pays du beau monde et des galanteries » (v.5). Les deux hommes sont donc à Paris.

La périphrase méliorative « Le pays du beau monde et des galanteries » dévoile le milieu social dans lequel vont évoluer les personnages, celui d’un univers mondain où règnent l’art de la séduction et de la conversation.

Sans que leurs relations soient explicites, les deux personnages se connaissent car ils se parlent avec une familiarité certaine. Dorante cherche l’approbation de Cliton par l’emploi de l’impératif présent (« Dis-moi ») et par le recours à deux questions fermées.

Il a besoin de l’avis de Cliton pour être rassuré sur son apparence de cavalier. Sa crainte se trouve au mot placé à la rime : sentir « l’écolier » a une connotation péjorative. En effet, une telle image serait juvénile et non virile auprès des femmes.

Dorante apparaît donc peu sûr de lui comme le suggère l’hémistiche du vers 11 « J’ai lieu d’appréhender ». Le spectateur comprend le poids des apparences dans la société parisienne, grâce aux expressions « aux royaumes du code » et « se faire un visage à la mode ».

Cliton endosse une fonction rassurante pour Dorante car il le met en valeur de plusieurs façons :

  • Par un impératif ferme et rassurant : « Ne craignez rien pour vous« 
  • Par une hyperbole énoncée au futur simple, temps de la certitude et qui ne laisse donc aucune place au doute (« Vous ferez en une heure ici mille jaloux ») ;
  • Par un compliment sur l’apparence de Dorante (le déterminant démonstratif « Ce visage et ce port » indique la proximité des deux hommes et suggère une gestuelle de Cliton qui met en valeur le visage de Dorante) ;
  • Par une hyperbole qui place Dorante sur un piédestal : « Et jamais comme vous on ne peignit Bartole ». Bartole était un jurisconsulte italien. Cette réplique met en valeur les talents de Dorante en matière de droit, qui surpasseraient ceux de juristes célèbres, bien que Dorante ait abandonné ce domaine d’étude. La flatterie semble donc exagérée.
  • Enfin, tel un oracle, Cliton flatte Dorante en lui attribuant une puissance de séduction incomparable : « Je prévois du malheur pour beaucoup de maris. » (v. 15). Les thèmes de la tromperie et de la jalousie apparaissent ainsi déjà dans la scène d’exposition.

En somme, le caractère séducteur de Dorante est déjà au centre de l’intrigue et va se révéler encore un peu plus par la suite.

II – Dorante, un personnage séducteur 

De « J’en trouve l’air bien doux, et cette loi bien rude » à « tu prends mon sens à gauche« 

Dorante se montre particulièrement heureux d’être de retour à Paris. L’antithèse « doux » / « rude » mise en valeur par la césure à l’hémistiche souligne le contraste en Paris et la Province : « J’en trouve l’air bien doux, et cette loi bien rude / Qui m’en avait banni sous prétexte d’étude. »

Le verbe bannir suggère que les années d’étude en Province ont été vécues comme une punition et même comme un « prétexte » pour l’éloigner de la Capitale. Cette réplique peut intriguer le spectateur : le père de Dorante avait-il sciemment éloigner son fils de Paris ?

Dorante semble en tout cas bien plus intéressé par les mondanités que par les études, comme en témoigne le champ lexical du divertissement : « s’y bien divertir », « bonheur », « les dames ».

À ce stade, Cliton apparaît comme un ami plus que comme un valet. Par l’expression « Toi qui sais les moyens de s’y bien divertir », Dorante fait de Cliton un véritable acolyte, capable de le conseiller en matière de séduction.

Il presse ainsi Cliton de lui en apprendre davantage : « Dis-moi comme en ce lieu l’on gouverne les dames. » (v. 20) Son projet est clair : conquérir une femme, et même plusieurs, comme le suggère le pluriel (« les dames« ). L’intrigue amoureuse est alors lancée.

Cliton s’engage dans une tirade précieuse mais ridicule, en raison du polyptote de l’adjectif beau (« beau soin », « belles âmes », « beaux esprits »). Le vocabulaire abstrait (âmes, esprits) et les répétitions de l’adjectif beau soulignent le creux du discours.

D’ailleurs, ce trait d’esprit est comiquement suivi d’une remarque plus pragmatique concernant l’intérêt que porte Dorante aux femmes. Ainsi, la métaphore triviale : « Vous avez l’appétit ouvert de bon matin » ramène les désirs de galanteries de Dorante à un instinct plus bas.

Le spectateur apprend l’arrivée récente de Dorante à Paris grâce au complément circonstanciel de temps « D’hier au soir seulement ».

Cliton lui reproche ainsi son empressement non justifié, avec l’adverbe de restriction « seulement« , la répétition à deux reprises de l’adverbe « déjà » (v. 26 et v. 29) et de la conjonction de coordination « et« , qui, répétée à deux reprises, suggère la précipitation de Dorante.

La ponctuation expressive traduit la surprise de Cliton, mais aussi son ironie face au comportement pressant de Dorante : « Et vous vous ennuyez déjà d’être inutile !« , « Et déjà vous cherchez à pratiquer l’amour ! ».

Cliton use de sa position favorable auprès de Dorante pour l’inciter à la modération : « Je suis auprès de vous en fort bonne posture / De passer pour un homme à donner tablature. » « Donner tablature » signifie ici donner des leçons.

Cliton se présente avec humilité comme « l’intendant du quartier ». Il cherche à rappeler son expérience (« la taille d’un maître en ce noble métier« ) pour tempérer l’outrance de son maître

Dorante veut rassurer Cliton sur ses projets comme en témoigne l’impératif : « Ne t’effarouche point » et la locution adverbiale « à vrai dire » qui permet de reformuler sa demande.

La négation restrictive vise à minimiser et dépassionner sa requête : « je ne cherche, à vrai dire, que quelque connaissance« . Il ne s’agit point de l’amour d’une femme mais de « quelque connaissance » qui lui permette de passer du bon temps.

Trois propositions subordonnées précisent la nature de ce bon temps : une complicité (« où l’on se plaise à rire »), des rencontres (« Qu’on puisse visiter par divertissement ») et du temps partagé (« Où l’on puisse en douceur couler quelque moment. »)

L’extrait s’achève sur un rectificatif de Dorante qui veut sauver son honneur de gentilhomme et ne pas passer pour un séducteur invétéré. Ainsi, lorsqu’il lui dit « tu prends mon sens à gauche », il lui indique qu’il se trompe, qu’il interprète mal son projet.

Le Menteur, acte I scène 1, conclusion

Le spectateur découvre une scène d’exposition qui satisfait ses attentes. En effet, il y trouve tous les éléments pour comprendre la situation d’énonciation : le lieu de l’intrigue – Paris, le passé de Dorante, ses relations avec son père, son ambition amoureuse, les conseils avisés de Cliton.

La curiosité du spectateur reste néanmoins intacte : de quelle femme Dorante va-t-il tomber amoureux ? Compte tenu du titre de la pièce, lequel des deux personnages est le menteur ?

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

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