Le Menteur, Corneille, acte I scène 3 : analyse linéaire

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Voici une lecture linéaire de l’acte I scène 3 de la pièce Le Menteur de Corneille.

L’extrait analysé va du début de l’acte I scène 3 au vers 185 (« Madame, Alcippe vient, il aura de l’ombrage« )

Le Menteur, acte I scène 3, introduction

La pièce Le Menteur est une comédie en cinq actes et en vers écrite par Pierre Corneille (1606-1684) en 1644, soit sept ans après Le Cid.

Par son personnage principal exubérant, Dorante, et l’art de l’illusion et du mensonge, cette pièce peut être rattachée au mouvement littéraire du baroque. (Voir la fiche de lecture complète sur Le Menteur de Corneille)

L’extrait étudié est la scène 3 de l’Acte I. Dorante et son valet Cliton viennent de rencontrer au jardin des Tuileries Clarice et Lucrèce. Dans la scène précédente, Dorante déclare sa flamme à Clarice qui souhaite prendre le temps de ressentir ce même sentiment.

Dans cette scène 3, cinq personnages sont présents sur scène : Dorante, Clarice, Lucrèce, Isabelle et Cliton.

Extrait étudié

SCÈNE III
DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE, CLITON. DORANTE.

DORANTE.
C’est l’effet du malheur qui partout m’accompagne.
Depuis que j’ai quitté les guerres d’Allemagne,
C’est-à-dire du moins depuis un an entier,
Je suis et jour et nuit dedans votre quartier ;
Je vous cherche en tous lieux, au bal, aux promenades ;
Vous n’avez que de moi reçu des sérénades ;
Et je n’ai pu trouver que cette occasion
À vous entretenir de mon affection.

CLARICE.
Quoi ! vous avez donc vu l’Allemagne et la guerre ?

DORANTE.
Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.

CLITON.
Que lui va-t-il conter ?

DORANTE.
Et durant ces quatre ans
Il ne s’est fait combats, ni sièges importants,
Nos armes n’ont jamais remporté de victoire,
Où cette main n’ait eu bonne part à la gloire :
Et même la gazette a souvent divulgué…

CLITON, le tirant par la basque.
Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ?

DORANTE.
Tais-toi.

CLITON.Vous rêvez, dis-je, ou…

DORANTE.
Tais-toi, misérable.

CLITON.
Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable ;
Vous en revîntes hier.

DORANTE, à Cliton.
Te tairas-tu, maraud ?
Mon nom dans nos succès s’était mis assez haut
Pour faire quelque bruit sans beaucoup d’injustice ;
Et je suivrais encore un si noble exercice,
N’était que l’autre hiver, faisant ici ma cour,
Je vous vis, et je fus retenu par l’amour.
Attaqué par vos yeux, je leur rendis les armes ;
Je me fis prisonnier de tant d’aimables charmes ;
Je leur livrai mon âme ; et ce cœur généreux
Dès ce premier moment oublia tout pour eux.
Vaincre dans les combats, commander dans l’armée,
De mille exploits fameux enfler ma renommée,
Et tous ces nobles soins qui m’avoient su ravir,
Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir.

ISABELLE, à Clarice, tout bas.
Madame, Alcippe vient ; il aura de l’ombrage.

Le Menteur, Corneille, acte I scène 3

Problématique

En quoi le jeu de la mise en scène et des portraits des personnages ont-ils une portée comique ?

Plan linéaire

Dans un premier temps, nous analyserons la vantardise de Dorante.

Dans un deuxième temps, nous verrons le rôle contestataire de Cliton.

Enfin, dans un troisième temps, nous étudierons l’éloquence toute baroque de Dorante.

I – Dorante, un personnage hâbleur

Du début à « Et même la gazette a souvent divulgués… »

Dorante se présente comme un guerrier bravant le malheur. La phrase emphatique qui ouvre sa réplique met en relief le terme « malheur » et l’érige ainsi en héros tragique : « C’est l’effet du malheur qui partout l’accompagne.« .

Sa propension à se mettre en avant est soulignée par le vocabulaire hyperbolique : « partout », « du moins depuis un an entier », « et jour et nuit », « en tous lieux ».

Après ses exploits guerriers lors des « guerres d’Allemagne » (v. 154), il clame son amour à Clarice. Il passe alors d’un registre épique à une rhétorique galante, qui fait dialoguer le « je » et le « vous » : « j’ai quitté », « je suis », « je vous cherche », « je n’ai pu trouver », « Vous n’avez que de moi« .

La plupart des verbes sont à la première personne du singulier comme pour affirmer qu’il est guidé par son sentiment amoureux.

Le champ lexical de la galanterie et de la séduction sature la réplique : « jour et nuit », « bal », « promenades », « sérénades », « affection » .

Il se présente comme un amoureux transi, obnubilé par sa dulcinée. Le présent de l’Indicatif prend ici une valeur itérative (l’action a été répétée) : « je suis jour et nuit« , « je vous cherche en tous lieux« . Il témoigne de sa quête sans fin pour la retrouver, comme l’illustre l’hémistiche « au bal, aux promenades ».

Dorante souligne son sacrifice grâce au recours à la négation restrictive (« Vous n’avez que de moi reçu des sérénades » et « Et je n’ai pu trouver que cette occasion »). Il veut se montrer comme un galant homme, déterminé à courtiser Clarice (qu’il prendra pour sa cousine Lucrèce).

La destinataire de ces propos est Clarice dont c’est la seule réplique ici dans l’extrait. Son interjection et sa question rhétorique (« Quoi ! Vous avez donc vu l’Allemagne et la guerre ? ») suggèrent au spectateur qu’elle est déjà sous le charme de Dorante. Par le récit de ses voyages et de ses actions héroïques, Dorante a réussi à séduire Clarice un peu plus.

Dorante poursuit son autoportrait sur un mode hyperbolique. En effet, dans le vers « Je m’y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre. », la comparaison avec le tonerre le présente comme un guerrier effroyable et résistant.

Mais c’est grâce à l’aparté de Cliton (« Que lui va-t-il conter ? ») que le spectateur réalise que Dorante déroule son premier mensonge, sur le mode de l’exagération. Cet aparté crée un contrepoint comique à l’éloquence de Dorante.

Ce dernier continue d’ailleurs l’éloge de ses actions. Il se montre particulièrement éloquent, en poursuivant sa réplique par trois négations qui retardent les explications sur son rôle joué pendant la guerre : « Et durant ces quatre ans / Il ne s’est fait combats, ni sièges importants, / Nos armes n’ont jamais remporté de victoire,« . L’abondance de termes au pluriel participe au registre épique qui dépeint des combats extraordinaires.

Dorante se désigne alors à la troisième personne du singulier, à travers un déterminant démonstratif « cette main », forme de métonymie pour évoquer son courage. Il apparaît particulièrement infatué de lui-même, pour se mettre en scène à la troisième personne du singulier.

De plus, les termes « victoire » et « gloire » sont placés à la rime, pour souligner ses exploits.

Il va même jusqu’à imaginer que ces derniers sont publiés dans la presse : « Et même la gazette a souvent divulgués… »

II – Le rôle contestataire de Cliton

De « CLITON, le tirant par la basque. » à « Vous en revîntes hier. »

Cliton apparaît comme le valet contestataire.

La didascalie « le tirant par la basque. » informe qu’il retient d’abord physiquement son maître.

Puis il le corrige verbalement, avec politesse, par une formule interrogative : « Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ? »

Mais Dorante rabroue son valet à deux reprises, comme l’illustre l’impératif présent qui lui ordonne de se taire (« Tais-toi ») et l’adjectif « misérable », qui se transformera en « maraud » un peu plus loin. L’amitié qui semblait lier les deux hommes dans la scène 1 se transforme en relation maître-valet plus traditionnelle. La hiérarchie entre les deux hommes devient indiscutable.

La stichomythie qui suit a un effet comique. Ces échanges vifs se déroulent en effet en aparté, ce qui permet un jeu d’acteur plaisant sur scène.

Cliton accuse de plus en plus ouvertement son maître (« Vous rêvez ») et ce dernier lui coupe la parole comme en témoignent les points de suspension. Puis Cliton rectifie la réalité concernant le lieu (« Vous venez de Poitiers ») et le moment (« Vous en revîntes hier ») et s’emporte par une expression populaire comique : « ou je me donne au diable ».

Ainsi, le spectateur sait désormais que le titre de la pièce de théâtre s’applique à Dorante.

III – Une éloquence baroque 

De « DORANTE, à Cliton.Te tairas-tu, maraud ? » à « il aura de l’ombrage. »

Dorante ne cache plus son énervement face à son valet contestataire avec le terme « maraud » qui désigne de façon méprisante un homme du peuple.

Il affirme à nouveau sa gloire dans l’alexandrin « Mon nom dans nos succès s’était mis assez haut » mais les coupes du vers provoquent un rythme désarticulé qui prête à sourire (2 /4 // 3/ 3).

Dorante place soudain son amour pour Clarice au-dessus de tout : il a quitté son devoir militaire parce qu’il a vu Clarice. Le conditionnel présent à valeur d’irréel en témoigne : « Et je suivrais encore un si noble exercice » .

Il décrit un véritable coup de foudre avec la jeune femme, comme le suggère les verbes au passé simple qui mettent en relief la soudaineté des sentiments : « Je vous vis, et je fus retenu par l’amour. » .

La conjonction de coordination dans ce vers joue un rôle de conséquence (Je vous vis, donc je fus retenu par l’amour) : la vue de Clarice entraîne des sentiments irrésistibles, contre lesquels Dorante ne peut lutter, comme le suggère la tournure passive : « je fus retenu par l’amour.« 

Mais, pour Dorante, la conquête amoureuse est un combat. Le champ lexical de la guerre est omniprésent pour parler du sentiment amoureux : « attaqué », « armes », « prisonnier », « combats », « armée »… Dorante s’exprime avec grandiloquence, au point de susciter le rire.

Son éloquence est empruntée d’une part à l’amour courtois, avec des images convenues (un chevalier au service de sa dame, un « prisonnier ») et d’autre part au baroque, avec les tournures hyperboliques (« Je leur livrai mon âme », « De mille exploits fameux »).

À nouveau, Dorante parle de lui à la troisième personne du singulier, comme on peut le voir dans la métonymie « ce cœur généreux ». Cet effet de distanciation souligne son outrecuidance.

Une énumération de verbes à l’infinitif au rythme ternaire (vaincre, commander, enfler) décrivent de nouveau ses exploits guerriers.

Mais la construction grammaticale est révélatrice : après l’énumération prétentieuse des multiples actions militaires, survient l’énoncé bref de son projet actuel, en un hémistiche : « Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir. » L’allitération en « s », très présente, semble restituer la flagornerie trompeuse de Dorante. Il prétend en effet abandonner toute action militaire uniquement pour conquérir Clarice.

La scène s’achève par un aparté d’Isabelle à Clarice. Le spectateur comprend qu’Isabelle est la suivante de Clarice et qu’Alcippe est l’amant de Clarice : le futur simple à valeur de certitude (« il aura de l’ombrage ») suggère une rivalité à venir, qui va complexifier l’intrigue.

Le Menteur, acte I scène 3, conclusion

Cette scène 3 de l’acte I prête déjà à sourire.

En effet, par son éloquence hyperbolique, Dorante incarne le type du fanfaron guerrier, du Matamore qui s’invente des exploits pour mieux séduire.

De même, Cliton représente le type du valet protestataire.

En outre, en avouant avec empressement et force mensonge son amour pour Clarice, Dorante prête à rire. Le registre comique repose également sur le système de la double énonciation : les apartés de Cliton et Isabelle rendent le spectateur acteur de l’intrigue. Ce dernier a bien compris qui était le menteur dans la pièce mais c’est là que repose tout le plaisir du texte.

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Qui suis-je ?

Amélie Vioux

Je suis professeur particulier spécialisée dans la préparation du bac de français (2nde et 1re).

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